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Date : 20180518


Dossier : IMM-4333-17

Référence : 2018 CF 528

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

IYOBOSA ALADENIKA,

ELIZABETH ALADENIKA (mineure), GODWIN ALADENIKA (mineur)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Iyobosa Joy Aladenika est une citoyenne du Nigéria âgée de 44 ans qui est arrivée au Canada le 14 août 2013. Madame Aladenika et ses deux enfants, Elizabeth Tiwat Aladenika, maintenant âgée de 15 ans, et Godwin Olumuyiw Aladenika, maintenant âgé de 10 ans, ont présenté une demande d’asile, car ils étaient persécutés par la famille de son époux au Nigéria, qui voulait forcer sa fille à subir une mutilation génitale féminine. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté leur demande d’asile dans une décision datée du 19 février 2014 en tenant compte du fait qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable, soit à Benin City ou à Lagos. La Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR a confirmé la décision de la SPR le 4 juillet 2014.

[2]  Après que la SAR a rejeté l’appel de la décision de la SPR des demandeurs, ils ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été refusée le 31 octobre 2016. Cette décision défavorable relative à l’ERAR a toutefois été annulée, et l’affaire a été renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, étant donné que l’agent a commis une erreur factuelle relativement à l’un des affidavits soumis par les demandeurs (voir : Aladenika c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 565, 282 ACWS [3d] 385). Au terme de ce nouvel examen, un agent d’immigration principal a une fois de plus refusé la demande d’ERAR des demandeurs dans une décision datée du 30 août 2017, selon laquelle ils avaient toujours une possibilité de refuge intérieur à Benin City. Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Ils demandent à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de soumettre leur demande d’ERAR à un nouvel examen par un autre agent.

I.  La décision de l’agent

[3]  L’agent qui a procédé au nouvel examen de la demande d’ERAR des demandeurs a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait toujours une possibilité de refuge intérieur viable à Benin City. En rendant sa décision, l’agent a examiné les observations écrites de l’avocat des demandeurs ainsi que les autres documents présentés, plus précisément les affidavits de Mme Aladenika, de son père, de sa demi-sœur et du cousin de son mari; une évaluation psychologique de Mme Aladenika effectuée par la Dre Patricia Keith le 15 décembre 2015, indiquant qu’elle souffre d’un important trouble d’anxiété; un rapport de la Dre Claire Pain daté du 18 janvier 2016, indiquant que Mme Aladenika ne serait pas en mesure de composer avec son trouble d’anxiété, ses problèmes de deuil ou les besoins de ses enfants si elle devait retourner au Nigéria; un document médical délivré par le Havics Hospital & Maternity Home; une décision caviardée de la SPR; et des documents attestant des conditions de vie au Nigéria.

[4]  L’agent n’a accordé qu’une « certaine valeur » au rapport de la Dre Keith, car celui-ci n’indiquait ni le nombre ni la durée des séances pendant lesquelles Mme Aladenika a été évaluée, et il ne contenait aucune preuve démontrant que le diagnostic de la Dre Keith reposait sur des renseignements autres que ceux fournis par Mme Aladenika. L’agent n’a également accordé qu’une « certaine valeur » au rapport de la Dre Pain, en indiquant qu’il ne contenait aucun renseignement sur le traitement que Mme Aladenika avait suivi avant ou après la date du rapport, ni aucune précision relative à la manière dont la Dre Pain avait procédé à son diagnostic. Dans l’ensemble, l’agent a constaté que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que la santé mentale de Mme Aladenika avait subi des changements depuis l’exécution de la décision de la SPR, précisant que Mme Aladenika avait un emploi, qu’elle semblait être en mesure de s’occuper de ses enfants et qu’il n’existait aucune preuve démontrant que des services de consultation n’étaient pas offerts à Benin City.

[5]  Après s’être interrogé sur la provenance des affidavits signés par le père et la demi-sœur de Mme Aladenika, l’agent a examiné leurs énoncés de fond et a conclu ce qui suit : il est très peu probable que les persécuteurs des demandeurs aient été en mesure de les trouver, car ils ont dû faire plusieurs demandes relatives à leurs allées et venues; rien n’indiquait que les beaux-parents de Mme Aladenika avaient continué de harceler son père après avril 2015; et rien n’indiquait que les beaux-parents de Mme Aladenika avaient continué d’embêter sa demi-sœur après son retour à Benin City à la suite d’un mariage à Abuja, où elle avait rencontré les beaux-parents de Mme Aladenika de façon inattendue. Quant à l’affidavit de Mme Aladenika, l’agent a remarqué qu’il n’était pas daté et que la seule information qu’il contenait, qui n’avait pas été présentée à la SPR ni à la SAR, était une vague déclaration indiquant que son mari avait été attaqué après son retour au Nigéria, que les autres membres de sa famille avaient continué à être harcelés, qu’on lui avait prescrit des médicaments et qu’elle prenait part à des séances de consultation. Faute de détails supplémentaires ou de confirmation, l’agent a accordé peu de valeur probante à ces déclarations. En ce qui a trait aux deux affidavits signés par le cousin du mari de Mme Aladenika, M. Faneti, l’agent a souligné qu’ils étaient tellement mal copiés que certains passages étaient illisibles, et qu’il n’était pas précisé comment les demandeurs étaient entrés en leur possession. Par conséquent, l’agent était d’avis que leur valeur probante avait [traduction] « légèrement diminué en raison de ces problèmes ». Étant donné que M. Faneti a changé d’idée de façon soudaine et inexpliquée à savoir si sa fille devrait subir une mutilation génitale féminine ou non, l’agent a déterminé que cela diminuait considérablement la valeur probante de ces affidavits.

[6]  L’agent a ensuite examiné un rapport médical délivré par le Havics Hospital and Maternity Home daté du 5 novembre 2015, qui précisait les complications médicales dont a souffert la fille de M. Faneti à la suite d’une mutilation génitale féminine. L’agent a conclu que ce document avait peu de valeur probante en raison du manque de détails et d’une incohérence entre l’adresse de l’hôpital indiquée sur le formulaire et celle qu’a trouvée l’agent grâce à une recherche dans Google. Dans l’ensemble, l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction] Bien que les renseignements fournis par M. Faneti relativement à la mutilation génitale féminine [sic] de sa fille comportaient divers problèmes, je reconnais qu’il ait pu avoir été victime de persécutions par sa famille de juillet 2013 à juillet 2015. Toutefois, si cela s’est véritablement produit, je note que la situation de M. Faneti est différente que celle des demandeurs. En effet, il était continuellement en contact avec des membres de la famille éloignée qui appuient la mutilation génitale féminine et il affirme, dans son affidavit de décembre 2015, ce qui suit : « bien entendu, un membre de la famille qui savait où nous vivions leur aurait dit. Tout regroupement de personnes comporte un traître. » (cité mot pour mot, paragraphe 14) À l’inverse, je dispose de peu d’éléments de preuve pouvant me démontrer que la demanderesse principale s’est réconciliée avec son mari et que sa propre famille dans l’État d’Edo a interagi avec l’un des agents de persécution en plus ou moins deux ans. Ainsi, en dépit du fait que les beaux-parents appuyant la mutilation génitale féminine puissent menacer de poursuivre [sic], j’estime que la totalité des renseignements fournis laisse croire que la famille du mari ne souhaite plus poursuivre les demandeurs dans la mesure suggérée par l’avocat.

[7]  Les demandeurs ont soumis à l’agent une décision caviardée de la SPR concernant d’autres demandeurs qui, selon eux, étaient [traduction] « pratiquement dans la même situation » qu’eux, exception faite que les agents de persécution dans cette décision faisaient partie de la famille du demandeur principal, alors que dans ce cas-ci il s’agit des beaux-parents de Mme Aladenika. Lors de l’examen de la décision de la SPR, l’agent a constaté que le mari de Mme Aladenika n’appuyait pas la mutilation génitale féminine et qu’aucun membre de sa famille ne semblait l’appuyer. En outre, l’agent a noté que quelques membres de la famille immédiate de Mme Aladenika résidaient à Benin City et qu’il y avait peu d’information démontrant que ses beaux-parents avaient contacté sa famille depuis avril 2015. L’agent a également noté que les décisions de la SPR n’avaient pas force exécutoire et que la décision de la SPR présentée par les demandeurs n’était pas convaincante, car elle ne fournissait pas une analyse s’apparentant à celle présentée dans la décision de la SPR concernant les demandeurs.

[8]  L’agent a ensuite étudié le critère à deux volets pour une possibilité de refuge intérieur; il a noté que le critère de décision raisonnable d’une possibilité de refuge intérieur était très exigeant et a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni une preuve d’une valeur probante suffisante pour démontrer que les conditions dans le pays, ou la situation personnelle des demandeurs, avaient suffisamment changé, étant donné que la SAR a confirmé la conclusion de la SPR, selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur viable à Lagos et à Benin City. Selon l’agent, rien n’indiquait que les demandeurs ne pouvaient pas habiter temporairement avec le père ou la demi-sœur de Mme Aladenika, ou qu’ils n’avaient pas accès à des services de soutien, de consultation et d’éducation à Benin City. Toujours selon l’agent, il est hautement improbable que les demandeurs aient été aperçus par leurs persécuteurs en raison de la forte densité de population à Benin City, et il existe peu d’éléments de preuve indiquant que la situation ethnoreligieuse s’était dégradée à la suite du prononcé de la décision de la SAR.

[9]  Après avoir conclu qu’il n’existait qu’une simple possibilité que les agents de persécution puissent trouver les demandeurs à Benin City, l’agent a procédé à une analyse de la protection de l’État à Benin City. À cet égard l’agent a conclu que, bien qu’il existe certains problèmes en matière de droits de la personne, de corruption et de mutilation génitale féminine au Nigéria, le pays est une démocratie fonctionnelle possédant une force de sécurité opérationnelle qui cherche à empêcher la pratique de mutilation génitale féminine. L’agent a également conclu que la preuve présentée par les demandeurs n’avait pas permis de réfuter la présomption relative à la protection de l’État à Benin City.

[10]  En conclusion, l’agent a reconnu que, bien que Mme Aladenika puisse être atteinte de troubles psychologiques et que son fils ait un trouble d’apprentissage, la menace à sa vie en application de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne doit pas être attribuable à des soins de santé inadéquats, et qu’aucun élément de preuve n’indiquait que les demandeurs se verraient refuser l’accès à des soins de santé ou médicaux pour des motifs discriminatoires se présentant sous la forme de persécutions, contrairement à l’article 96. Finalement, en se basant sur les arguments des demandeurs et les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays, l’agent a jugé qu’il n’existait qu’une simple possibilité que les demandeurs soient victimes de persécution en raison d’un motif tiré de la Convention s’ils retournaient au Nigéria, et que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à un risque de torture, à une menace pour leur vie ou à un risque de traitement ou de peines cruels et inusités à leur retour au Nigéria.

II.  Analyse

A.  Normes de contrôle

[11]  Il est de jurisprudence constante qu’en l’absence de questions intéressant l’équité procédurale, la norme de contrôle appropriée pour la décision d’ERAR d’un agent est celle de la raisonnabilité (voir, par exemple : Koppalapillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 235, au paragraphe 13, 289 ACWS [3d] 787). La norme de contrôle permettant d’analyser l’évaluation des nouveaux éléments de preuve par un agent d’ERAR en application de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est également celle de la raisonnabilité (Fadiga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1157, au paragraphe 8, [2016] ACF no 1128). En outre, les conclusions sur la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur sont examinées en regard de la norme de la décision raisonnable (Tariq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017, au paragraphe 14, 285 ACWS (3d) 143); et, comme la Cour l’a souligné dans Lebedeva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165, au paragraphe 32, [2011] ACF no 1439, les conclusions qui touchent l’existence ou non d’une possibilité de refuge intérieur « appellent la retenue parce qu’elles sont fondées non seulement sur l’appréciation de la situation du demandeur d’asile, mais également sur une connaissance spécialisée des conditions dans le pays concerné ».

[12]  La norme de la décision raisonnable charge la cour de la révision d’une décision administrative quant à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle doit déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et il n’entre pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]. Il faut considérer la décision contestée comme « un tout » et la Cour doit s’abstenir de faire « une chasse au trésor, phrase par phrase », à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458).

[13]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43. La Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité. Autrement dit, un choix procédural qui est inéquitable n’est ni raisonnable ni correct, tandis qu’un choix procédural équitable sera toujours à la fois raisonnable et correct. Dans la pratique, la requête de la Cour pourrait s’apparenter à un examen selon la norme de la décision correcte, dans la mesure où la Cour ne se reportera jamais à une action d’un tribunal qu’elle juge inéquitable. Toutefois, une cour de révision accordera une attention respectueuse aux choix procéduraux d’un tribunal et elle n’interviendra que lorsque ces choix sortent des limites de la justice naturelle (Bataa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 401, au paragraphe 3, [2018] ACF no 403).

B.  L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[14]  Les demandeurs prétendent que l’agent a manqué à l’équité procédurale en soulevant des questions concernant les éléments de preuve documentaire qu’ils ont fournis, notamment en ce qui a trait à la qualité des copies et à l’absence de documents corroborants, sans leur avoir donné la possibilité d’y répondre. Selon les demandeurs, en effectuant une recherche dans Google, l’agent a consulté des sources qui ne leur avaient pas été divulguées avant le prononcé de la décision, et il s’agit donc d’un manquement incontestable à l’équité procédurale, suffisant pour annuler la décision.

[15]  Le défendeur note qu’il appartient aux demandeurs de présenter les éléments de preuve nécessaires pour faire valoir leur cause. Selon le défendeur, l’agent a simplement examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs et n’avait aucune obligation de leur demander de fournir des précisions ou des documents supplémentaires. En ce qui concerne l’allégation des demandeurs relativement à la recherche qu’a effectuée l’agent dans Google pour trouver l’adresse du Havics Hospital, le défendeur estime qu’il ne s’agit pas d’un élément de preuve nouveau ni important, et qu’un agent est en droit de s’interroger sur la véracité de la preuve présentée. Le défendeur a ajouté que les documents publics qui sont accessibles sur Internet et qui proviennent de sources crédibles et reconnues ne sont pas considérés comme étant des éléments de preuve extrinsèques. Quoi qu’il en soit, le défendeur soutient que l’agent n’a pas accordé une faible valeur probante au Havics Hospital uniquement en raison de l’erreur d’adresse; il a aussi fourni d’autres motifs pour lesquels il n’en a pas tenu compte.

[16]  À mon avis, l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale ni évalué les éléments de preuve présentés par les demandeurs de manière injuste. L’agent était en droit de cerner les lacunes possibles dans les éléments de preuve. Les motifs invoqués par l’agent pour procéder à un examen détaillé de la preuve présentée à l’appui de la demande d’ERAR des demandeurs sont clairs. En outre, la recherche effectuée dans Google par l’agent pour trouver l’adresse du Havics Hospital n’était pas injuste pour les demandeurs; cette information était accessible au public et ne constituait pas en un élément de preuve extrinsèque nouveau ni important sur lequel l’agent s’est appuyé pour rendre sa décision. La jurisprudence indique clairement que les renseignements accessibles au public ne sont pas considérés comme une preuve « extrinsèque » tant que la preuve n’est pas nouvelle (Jiminez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1078, au paragraphe 19, 194 ACWS (3d) 1242; Holder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337, au paragraphe 28, 213 ACWS (3d) 182; Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, au paragraphe 11, [1998] ACF no 565 [CAF]).

C.  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[17]  Les demandeurs déclarent que l’agent a commis plusieurs erreurs dans l’examen des éléments de preuve, qui, ensemble, rendent sa décision déraisonnable. Selon les demandeurs, l’agent a commis une erreur en concluant que les membres de la famille de M. Faneti l’avaient trouvé à Lagos parce qu’il avait communiqué son emplacement à des « traîtres » dans sa famille. Les demandeurs prétendent que M. Faneti a dit qu’il ne savait pas comment les membres de sa famille l’avaient trouvé à Lagos, faisant référence à un passage dans son affidavit daté de décembre 2015 où il déclare, à l’égard des membres de sa famille qui ont pris d’assaut son domicile à Lagos : [traduction] « Je ne savais pas comment ils ont su où nous vivions ». Selon les demandeurs, puisque M. Faneti a été trouvé par sa famille à Lagos, cela indique que celle-ci possède les ressources et les contacts nécessaires pour retrouver les demandeurs, peu importe où ils sont au Nigéria. De plus, les demandeurs affirment que l’agent a contesté de manière déraisonnable les affidavits du père et de la demi-sœur de Mme Aladenika en raison de la mauvaise qualité des copies ou de l’absence de pièce d’identité.

[18]  En ce qui concerne les endroits suggérés comme possibilité de refuge intérieur à Benin City et à Lagos, les demandeurs prétendent que l’agent n’a pas procédé à une évaluation indépendante, mais a plutôt dupliqué les conclusions de la SPR. Selon les demandeurs, leur manque d’éducation, d’expérience de travail et de contacts avec des personnes en position de pouvoir, combiné au statut de mère monoparentale de Mme Aladenika, rendrait la vie extrêmement difficile dans les endroits suggérés comme possibilité de refuge intérieur. Toujours selon les demandeurs, les problèmes de santé mentale de Mme Aladenika et le trouble d’apprentissage de son fils sont tels qu’ils les empêchent d’accéder librement aux services publics par peur d’être repérés par les agents de persécution.

[19]  Enfin, les demandeurs maintiennent que l’agent a, de manière déraisonnable, accordé une faible valeur probante aux rapports psychologiques des Dres Keith et Pain, car ils s’appuyaient sur des renseignements fournis par Mme Aladenika. D’après les demandeurs, il n’était pas nécessaire que les médecins disposent d’un compte rendu objectif des conditions au Nigéria pour arriver à une conclusion sur les conséquences psychologiques du renvoi, et il était déraisonnable de la part de l’agent de tirer une conclusion déguisée sur la crédibilité des renseignements fournis aux médecins par Mme Aladenika. Finalement, les demandeurs soutiennent que la preuve psychologique démontre que Mme Aladenika est exposée à un risque de détresse psychologique bien plus grave qu’une « détresse normale » causée par le renvoi; par conséquent, sa capacité de prendre soin de ses enfants sera compromise.

[20]  Le défendeur affirme que les demandeurs ignorent le raisonnement de l’agent, lequel a reconnu la situation de M. Faneti, qu’il a jugée différente de celle des demandeurs, et souligne que M. Faneti a déclaré avoir été repéré par ses persécuteurs parce qu’il avait communiqué son emplacement à des membres de sa famille. Le défendeur note également que l’agent a, de manière raisonnable, relevé peu d’éléments de preuve démontrant que les membres de la famille des demandeurs n’avaient pas été harcelés ni autrement contactés par les beaux-parents de Mme Aladenika depuis avril 2015. Selon le défendeur, l’agent n’avait aucune obligation de demander des copies de meilleure qualité ou des renseignements d’identification en ce qui concerne les affidavits du père et de la demi-sœur de Mme Aladenika et, quoi qu’il en soit, l’agent a tenu compte de l’essentiel de ces affidavits, en dépit de ces problèmes.

[21]  Le défendeur maintient que l’agent a, de manière raisonnable, effectué une évaluation indépendante de la possibilité de refuge intérieur à Benin City, qui a permis de conclure qu’il n’y avait pas vraiment de raison que les demandeurs ne puissent pas compter sur les membres de leur propre famille pour obtenir de l’aide, et que la santé mentale de Mme Aladenika et le trouble d’apprentissage de son garçon n’étaient pas suffisants pour les soustraire à la possibilité de refuge intérieur. Selon le défendeur, il était raisonnable pour l’agent d’estimer qu’il était peu probable que les demandeurs rencontrent leurs persécuteurs en raison de la forte densité de population à Benin City, et qu’il existait peu d’éléments de preuve indiquant que la situation ethnoreligieuse avait changé depuis le prononcé de la décision de la SAR.

[22]  Enfin, en ce qui concerne les évaluations psychologiques, le défendeur maintient que l’agent a accepté les conclusions des médecins relativement à la santé mentale de Mme Aladenika, mais a accordé peu de poids aux autres déclarations contenues dans les rapports. Le défendeur reconnaît que cette affaire ne concernait pas la crédibilité des demandeurs, mais il soutient que l’agent a, de manière raisonnable, conclu qu’il n’y avait aucun nouvel élément de preuve qui l’emportait sur les conclusions de la SPR, selon lesquelles Mme Aladenika avait accès à des services de consultation à Benin City. Compte tenu de cette conclusion, le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que la maladie mentale de Mme Aladenika ne compromettrait pas sa capacité de déménager.

[23]  À mon avis, contrairement à ce que les demandeurs prétendent, l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que les membres de la famille de M. Faneti l’avaient trouvé à Lagos parce qu’il avait communiqué son emplacement à des « traîtres » dans sa famille. Immédiatement après le passage où M. Faneti affirme qu’il ne sait pas comment les membres de sa famille qui ont pris d’assaut son domicile à Lagos savaient où il vivait, il poursuit en disant ce qui suit : [traduction] « Mais, bien entendu, un membre de la famille qui savait où nous vivions leur aurait dit ». L’agent n’a commis aucune erreur à cet égard, et l’allégation des demandeurs selon laquelle M. Faneti a affirmé ne pas savoir comment les membres de sa famille l’avaient trouvé à Lagos est sans fondement compte tenu de la déclaration qu’il a faite dans son affidavit, indiquant qu’un membre de sa famille aurait divulgué son lieu de résidence aux autres membres de la famille qui appuient la mutilation génitale féminine.

[24]  En outre, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de tenir compte de l’absence de renseignements d’identification dans les affidavits du père et de la demi-sœur de Mme Aladenika et de la mauvaise qualité de ceux-ci à titre de facteurs ayant diminué leur valeur probante, car les motifs de la décision démontrent clairement que l’agent a aussi pris en considération le contenu de fond de ces affidavits. Les jugements invoqués par les demandeurs à cet égard (p. ex., Ouya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 55, au paragraphe 17, 276 ACWS (3d) 420, et Adaramasha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1529, 143 ACWS (3d) 1083) ne sont d’aucune aide pour les demandeurs. Ces jugements portent sur des situations pour lesquelles la Cour a tranché que des documents avaient été rejetés de manière déraisonnable pour le seul motif qu’ils manquaient de renseignements d’identification ou étaient illisibles, ce qui n’est pas ce qu’a fait l’agent en l’espèce lors de l’examen des affidavits du père et de la demi-sœur de Mme Aladenika.

[25]  En ce qui concerne l’examen des éléments de preuve relatifs à la santé mentale de Mme Aladenika, l’agent en l’espèce n’est pas allé à l’encontre de la jurisprudence devant la Cour, car la preuve psychologique a été rejetée uniquement au motif qu’elle était fondée sur de l’information fournie par un demandeur. La Cour a décidé que la preuve psychologique pouvait avoir un rôle déterminant lorsqu’il s’agit de déterminer si une possibilité de refuge intérieur suggérée est raisonnable ou non (voir, par exemple : Cartagena c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289, au paragraphe 11, 165 ACWS (3d) 899; Okafor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002, au paragraphe 13, 206 ACWS (3d) 167; et Olalere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, au paragraphe 51, 279 ACWS (3d) 615). La Cour a également souligné qu’il était déraisonnable d’accorder peu de poids à un rapport psychologique du seul fait que le psychologue n’avait pas une connaissance directe des événements dont il faisait état et que c’est une erreur de rejeter la preuve psychologique d’un expert sans motif (voir : Lainez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 914, au paragraphe 42, 218 ACWS (3d) 408; voir aussi Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 49, [2015] 3 RCS 909).

[26]  En l’espèce, l’agent n’a pas rejeté la preuve psychologique parce qu’elle était fondée sur des renseignements fournis par Mme Aladenika. Bien que l’agent n’ait accordé qu’une « certaine valeur » aux rapports psychologiques, il ne les a pas rejetés intégralement. Au contraire, l’agent a examiné l’ensemble de la preuve relative à la santé mentale de Mme Aladenika, y compris une lettre datée du 6 novembre 2013, déjà présentée à la SPR, affirmant dans un passage pertinent qu’elle [traduction] « ressent une profonde anxiété vis-à-vis de la possibilité que sa demande d’asile soit rejetée [...] On lui a prescrit des antidépresseurs à la suite des difficultés émotionnelles qu’elle a vécues [et] elle a d’importants problèmes de dépression et d’estime de soi ». L’agent a noté que la SPR avait déterminé que des services de consultation étaient offerts à Benin City et qu’il existait peu de nouveaux éléments de preuve indiquant que cela n’était plus le cas. À mon avis, l’évaluation de la preuve psychologique par l’agent en l’espèce est transparente, intelligible, justifiée et, par conséquent, raisonnable.

III.  Conclusion

[27]  Les motifs soulevés par l’agent pour refuser la demande d’ERAR des demandeurs sont transparents, intelligibles et justifiables et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est donc rejetée.

[28]  Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, en application de l’alinéa 74d) de la LIPR, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4333-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4333-17

 

INTITULÉ :

IYOBOSA ALADENIKA, ELIZABETH ALADENIKA (mineure), GODWIN ALADENIKA (mineur) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesuorobo

 

Pour les demandeurs

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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