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Date : 20180518


Dossier : IMM-3109-17

Référence : 2018 CF 526

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

WALTER MANCILLA OBREGON

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Walter Mancilla Obregon, est citoyen de la Colombie. En 2012, il obtient le statut de réfugié au Guatemala. Il quitte le Guatemala en mai 2013 pour se rendre aux États-Unis, au Chili, au Mexique, puis au Canada.

[2]  Le 26 juin 2017, le demandeur traverse la frontière du Canada à pied sans passer par un poste frontalier. Il demande l’asile le jour même et est invité à se présenter à un rendez-vous le 5 juillet 2017 pour le traitement de la recevabilité de sa demande.

[3]  Le 5 juillet 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] rédige un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Il estime que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 20(1)a) et de l’article 41 de la LIPR.

[4]  Sur réception du rapport, le délégué du ministre émet une mesure d’exclusion à l’endroit du demandeur fondée sur les mêmes motifs que l’agent de l’ASFC.

[5]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion prise à son endroit. Il soutient que le délégué du ministre a commis une erreur de droit dans son interprétation de la LIPR en omettant de considérer le paragraphe 49(2) de la LIPR et le paragraphe 228(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Il soutient également que la décision du délégué du ministre n’est pas suffisamment motivée pour la rendre transparente et intelligible.

II.  Analyse

[6]  La norme de contrôle applicable à la décision du délégué du ministre d’émettre une mesure d’exclusion est celle de la décision raisonnable (Mbaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1037 au para 12; Sibomana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 853 au para 18). Il en est de même pour l’évaluation de la suffisance des motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14 [Newfoundland Nurses]).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[8]  La Cour estime qu’il n’y a pas matière à intervention en l’instance.

[9]  La mesure d’exclusion à l’encontre du demandeur a été prise par le délégué du ministre le 5 juillet 2017 sur réception du rapport rédigé par l’agent de l’ASFC en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Le délégué du ministre indique clairement que la mesure est prise à l’égard du demandeur au motif qu’il est satisfait, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur est un étranger interdit de territoire en vertu de l’alinéa 20(1)a) et l’article 41 de la LIPR.

[10]  Or, selon l’article 41 de la LIPR, un étranger peut être interdit de territoire pour manquement à la LIPR. Le manquement en l’instance est celui prévu à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR qui prévoit qu’un étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner doit prouver qu’il détient les visas ou autres documents règlementaires et qu’il vient s’y installer en permanence. L’application de ces dispositions n’est pas contestée par le demandeur.

[11]  Outre le renvoi à l’alinéa 20(1)a) et à l’article 41 de la LIPR, le délégué du ministre indique également que la mesure d’exclusion est prise conformément à l’article 228 du RIPR. À cet égard, le demandeur reproche au délégué du ministre de ne pas avoir indiqué en vertu de quel sous-alinéa la mesure d’exclusion a été prise. Quoiqu’il aurait été souhaitable que le délégué du ministre le précise, il ne fait aucun doute, à la lecture de l’article 228 du RIPR, que le délégué du ministre s’appuie sur le sous-alinéa 228(1)c)(iii) du RIPR. Cette disposition prévoit que pour les fins d’application du paragraphe 44(2) de la LIPR, la mesure d’exclusion est applicable au cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la LIPR pour manquement à l’obligation prévue à l’article 20 de la LIPR de prouver qu’il détient les visas et autres documents règlementaires.

[12]  Le demandeur soutient que le délégué du ministre a omis de tenir compte du paragraphe 228(3) du RIPR et du paragraphe 49(2) de la LIPR. Le paragraphe 228(3) du RIPR prévoit que l’interdiction de séjour est la mesure de renvoi à prendre dans le cas d’une demande d’asile jugée recevable ou à l’égard de laquelle il n’a pas été statué sur la recevabilité. Quant au paragraphe 49(2) de la LIPR, celui-ci  dispose qu’une mesure de renvoi visant un demandeur d’asile est conditionnelle et prévoit à quel moment elle prend effet. Le demandeur affirme dans son mémoire qu’en l’absence d’un constat d’irrecevabilité dans la décision rendue, les motifs ou le dossier, la mesure qui s’imposait était celle de l’interdiction de séjour conditionnelle.

[13]  La Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur puisque le dossier certifié du tribunal démontre que le demandeur a été informé que sa demande d’asile avait été jugée irrecevable en vertu de l’article 101 de la LIPR. Bien que le document remis au demandeur n’indique pas l’alinéa sur lequel la décision d’irrecevabilité est fondée, il appert des notes de l’agent et du formulaire complété par le demandeur qu’il a obtenu le statut de réfugié au Guatemala en décembre 2012. L’irrecevabilité de la demande d’asile du demandeur serait donc fondée sur son statut de réfugié antérieur conformément à l’alinéa 101(1)c) de la LIPR.

[14]  Considérant que la demande d’asile du demandeur a été jugée irrecevable, le paragraphe 49(2) de la LIPR et le paragraphe 228(3) du RIPR ne sont d’aucun secours au demandeur.

[15]  Bien que les motifs soient brefs, la Cour considère que la mesure d’exclusion était suffisamment détaillée pour permettre au demandeur de comprendre le bien-fondé de la décision du délégué du ministre. À cet égard, il importe de rappeler les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Newfoundland Nurses, selon lesquels il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils fassent référence à tous les arguments, dispositions législatives ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire. Il est également possible pour ce dernier d’examiner, si nécessaire, le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland Nurses aux para 15 et 16). En tenant compte de ces principes, la Cour estime que la décision du délégué du ministre est raisonnable parce qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Elle est aussi justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[16]  À l’audience, le procureur du demandeur a fait valoir que le demandeur n’a pas eu l’opportunité de démontrer pourquoi il ne pouvait retourner au Guatemala. La Cour n’entend pas se prononcer sur cet argument puisque la décision jugeant la demande d’asile irrecevable ne fait pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[17]  Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.

[18]  L’intitulé de cause est modifié pour remplacer le « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » par le « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » et ce, afin de refléter le bon défendeur.


JUGEMENT au dossier IMM-3109-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est amendé pour remplacer le « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » par le « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3109-17

INTITULÉ :

WALTER MANCILLA OBREGON c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Thi My Dung Tran

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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