Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180530


Dossier : IMM-2957-17

Référence : 2018 CF 557

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

THAN SOE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Than Soe, demande un contrôle judiciaire de la décision rendue par le délégué du ministre en application de l’alinéa 113d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], qui a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi et qu’il pouvait donc être renvoyé au Myanmar.

[2]  Than Soe est un citoyen du Myanmar qui a présenté une demande d’asile au Canada en 2003, après avoir passé quelque temps aux États-Unis pour y faire des études. En 2004, il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité conformément à l’alinéa 34(1)c) de la Loi, mais il n’a pas été renvoyé au Myanmar, car selon la conclusion préliminaire de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] réalisé en 2006, Than Soe serait exposé à des risques au Myanmar. La décision actuelle du délégué du ministre repose sur le fait que la situation au Myanmar a considérablement changé depuis l’installation d’un nouveau gouvernement démocratiquement élu en mars 2016 et que, puisque Than Soe n’est ni activiste ni dirigeant politique, il ne serait pas exposé à des risques à l’avenir.

[3]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent. La demande d’ERAR de Than Soe doit être réexaminée par un autre délégué du ministre.

[4]  Il convient de souligner que les parties, le délégué du ministre et les documents cités utilisent indifféremment les noms Birmanie et Myanmar pour désigner le pays en cause. Ces deux noms sont également utilisés sans distinction dans le jugement et les motifs pour désigner le pays vers lequel Than Soe pourrait être renvoyé.

I.  Le contexte factuel

[5]  En 1988, alors qu’il était étudiant en Birmanie, Than Soe a pris part à des activités politiques et à des protestations étudiantes contre les militaires birmans qui avaient renversé le gouvernement civil.

[6]  En octobre 1989, Than Soe a détourné un avion dans le but d’attirer l’attention sur les souffrances des citoyens birmans et sur l’arrestation de Daw Aung San Suu Kyi, candidate favorable à la démocratie lors d’une élection à venir, qui avait été assignée à résidence. Than Soe et un autre étudiant sont montés à bord d’un vol intérieur en Birmanie et ont utilisé une fausse bombe pour forcer le détournement de l’avion vers Bangkok, en Thaïlande. Than Soe a formulé une série de demandes au gouvernement birman, concernant divers droits de la personne bafoués par les militaires. Tous les passagers ont pu quitter l’avion en toute sécurité, à Bangkok. Than Soe est lui aussi sorti de l’avion de manière pacifique, après avoir été informé que ses demandes avaient été communiquées. Il a ensuite été arrêté.

[7]  Than Soe a été reconnu coupable [traduction] « d’atteinte à la liberté et d’infraction à la Firearm Act » par un tribunal thaïlandais et il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans. Il a purgé une partie de sa peine dans une prison pour prisonniers politiques. En 1992, lui et son complice ont été graciés par le gouvernement thaïlandais et ont bénéficié d’une amnistie de la part de cet État.

[8]  Than Soe est resté en Thaïlande après avoir été gracié. En novembre 1995, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR] a déclaré qu’il était une « personne relevant de la compétence du HCR », jugeant qu’il serait exposé à un risque considérable de persécution s’il devait retourner un jour en Birmanie.

[9]  En 1996, Than Soe a obtenu une bourse d’études pour réfugiés birmans afin d’aller étudier à l’Indiana State University. Avant d’arriver aux États-Unis, il a informé les autorités du rôle qu’il avait joué dans le détournement d’un avion. Il a obtenu un diplôme en économie en 2000, puis a commencé un autre programme de grade universitaire en technologie informatique.

[10]  Than Soe a été détenu par les autorités américaines de l’immigration à deux reprises, une première fois en 1997 puis de nouveau en 2002, pour une période de huit mois, dans les deux cas à cause de son rôle dans le détournement d’un avion. Le tribunal de l’immigration des États-Unis a conclu qu’il avait démontré une crainte bien fondée de persécution et de torture s’il retournait en Birmanie, et qu’il ne constituait pas une menace pour la sécurité des États-Unis ou de quelque autre pays. Les États-Unis ont toutefois refusé de lui accorder l’asile à cause de la gravité de son crime. Il a été remis en liberté sous caution. Than Soe s’est enfui au Canada où il a présenté une demande d’asile en décembre 2003.

[11]  En janvier 2004, Than Soe a été déclaré interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité, plus précisément pour s’être livré au terrorisme, en application de l’alinéa 34(1)c) de la Loi. Son enquête a été ajournée pour lui permettre de présenter au ministre une demande de dispense d’interdiction de territoire au titre du paragraphe 34(2), au motif que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. Le 27 mars 2006, le ministre a rejeté la demande. Than Soe a demandé un contrôle judiciaire de cette décision.

[12]  Dans la décision Soe c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 461, [2007] A.C.F. no 620 (QL), le juge Phelan a conclu que la décision du ministre de refuser d’accorder à Than Soe une dispense d’interdiction de territoire au titre du paragraphe 34(2) n’était pas raisonnable, et le juge a ordonné que la demande soit réexaminée. Le paragraphe 34(2) de la Loi a été abrogé en 2013. Cependant, au moment de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour a été informée que le réexamen de la demande de dispense ministérielle était toujours en instance, dix ans après que le juge Phelan l’eut ordonné. L’avocat de Than Soe a par la suite informé la Cour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile avait rendu une décision le 27 janvier 2018 (soit deux jours avant l’audience et à l’insu des avocats des parties au moment de l’audience) par laquelle il refusait la dispense. La décision s’énonçait comme suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que la présence de Than Soe au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national », [traduction] « par conséquent, je refuse la dispense. » [Non souligné dans l’original.]

[13]  Dans Soe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 671, 313 FTR 265, le juge Shore a conclu que la conclusion d’interdiction de territoire en application de l’alinéa 34(1)c) de la Loi était raisonnable.

[14]  Selon l’alinéa 113d), s’agissant d’un demandeur interdit de territoire pour grande criminalité, comme c’est le cas pour Than Soe, il est disposé de la demande de protection sur la base des éléments mentionnés à l’article 97, ainsi qu’en déterminant si la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du risque qu’il constitue pour la sécurité du Canada. Ce type d’ERAR est qualifié d’« ERAR restreint ». Une décision favorable (c.-à-d. l’existence d’un risque) ne confère pas l’asile au demandeur, mais elle permet de surseoir à la mesure de renvoi (alinéa 114(1)b)).

[15]  La première étape dans l’examen d’une demande d’ERAR restreint consiste en la conduite « d’une évaluation des risques » par l’agent chargé de l’ERAR, puis en la formulation d’une conclusion préliminaire quant à savoir si le demandeur est une personne à protéger au sens de l’article 97. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] procède ensuite à une « évaluation des restrictions », puis formule une conclusion préliminaire en indiquant si la demande du demandeur devrait ou non être rejetée aux termes de l’alinéa 113d) (en raison « de la nature et de la gravité de ses actes passés » ou du danger que le demandeur constitue « pour la sécurité du Canada »). Puis, les résultats de l’évaluation des risques et de l’évaluation des restrictions sont communiqués au demandeur qui a la possibilité de les commenter. Enfin, un délégué du ministre examine les évaluations, les observations du demandeur et toute recherche indépendante, pour décider si la demande d’ERAR restreint doit être autorisée ou rejetée.

[16]  Than Soe a présenté une demande d’ERAR restreint en juillet 2006. En décembre 2006, un agent d’ERAR a procédé à l’évaluation préliminaire des risques et conclu que le demandeur était une personne à protéger. Sept ans plus tard, en 2013, un agent de l’ASFC a procédé à l’évaluation des restrictions et conclu que la demande ne devrait pas être rejetée aux termes de l’alinéa 113d).

[17]  En février 2014, les résultats de l’évaluation des risques faite en 2006 et de l’évaluation des restrictions de 2013 ont été communiqués à Than Soe, qui a été invité à soumettre, au délégué du ministre, ses observations relativement à l’ERAR. Than Soe a présenté des observations en avril 2014, et en a présenté d’autres ultérieurement.

[18]  En juin 2016, le délégué du ministre a demandé que Than Soe mette à jour ses observations relatives à l’ERAR, puisque la situation avait changé au Myanmar. Le délégué du ministre a notamment souligné le fait que des élections démocratiques avaient eu lieu et qu’un nouveau gouvernement, celui de la Ligue nationale pour la démocratie [LND] dirigé par Aung Sun Suu Kyi, avait été porté au pouvoir en mars 2016. Le délégué du ministre a également mentionné que, selon des documents récents sur la situation dans le pays, Than Soe ne serait plus exposé à des risques au Myanmar. Le délégué du ministre a présenté à Than Soe un article dans lequel il était indiqué que des activistes pro-démocratie étaient rentrés d’exil, notamment un pirate de l’air du nom de Soe Myint, « dont la situation était semblable à celle de Than Soe » et qui vivait aujourd’hui en toute sécurité au Myanmar.

[19]  L’avocat de Than Soe et le délégué du ministre se sont échangé des renseignements pendant plusieurs mois. Plusieurs prorogations ont aussi été accordées à Than Soe pour lui permettre de soumettre d’autres documents.

[20]  Le 15 mai 2017, le délégué du ministre a rendu sa décision concernant l’ERAR restreint, concluant que Than Soe n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[21]  La décision du délégué du ministre est longue et assez peu structurée, celle-ci examinant les éléments de preuve présentés par Than Soe, répondant aux observations de ce dernier et analysant les risques au sens de l’article 97, tout en étant ponctuée de conclusions de fait.

[22]  Le délégué du ministre énonce d’abord le contexte factuel et procédural, puis les éléments de preuve présentés par Than Soe.

[23]  Ces éléments de preuve produits par Than Soe incluent un affidavit de Paul Copeland, un avocat spécialiste du Myanmar, ainsi qu’un avis détaillé et une lettre de suivi de Matthew Walton (professeur à Oxford et spécialiste du Myanmar, qui est actuellement agrégé supérieur de recherche Aung San Suu Kyi en études birmanes modernes et directeur du Asian Studies Centre). Il a aussi présenté des lettres d’autres avocats du Myanmar et de défenseurs des droits de la personne ayant une expérience du Myanmar, une lettre de Soe Myint (un ancien pirate de l’air qui vit au Myanmar et que le délégué du ministre a cité comme étant une personne se trouvant dans une situation comparable à celle de Than Soe) et sa propre lettre.

[24]  Dans l’ensemble, ces lettres indiquent que Than Soe risque toujours d’être persécuté, arrêté, détenu dans des conditions inhumaines ou torturé s’il retournait au Myanmar, en dépit du récent changement de gouvernement.

[25]  Après avoir résumé les observations de Than Soe, le délégué du ministre a d’abord conclu que l’évaluation des risques faite en 2006 était désuète, étant donné les grands changements survenus au Myanmar. Le délégué du ministre en est arrivé à cette conclusion en se fondant sur des extraits d’un rapport publié le 29 juillet 2016 par l’International Crisis Group, dans lequel l’élection de Mme Suu Kyi est présentée comme [traduction] « un important changement de régime ». Ce rapport, publié à peine quatre mois après l’élection de la LND, énonce les priorités du nouveau gouvernement qui sont [traduction] « la réconciliation nationale, la paix intérieure, la règle de droit, la révision de la constitution et d’autres réformes démocratiques ». On y indique également que le gouvernement a mis en place des mesures pour faire échec à l’héritage autoritaire du pays, notamment par la remise en liberté rapide de nombreux prisonniers politiques ainsi que par l’abrogation ou la modification de certaines lois oppressives. Le rapport précise toutefois qu’il reste encore [traduction] « beaucoup à faire » pour corriger les problèmes du passé.

A.  Le risque de persécution et ses conséquences

[26]  Dans son évaluation des éléments de preuve présentés par Paul Copeland (auxquels le délégué du ministre a accordé peu d’importance), le délégué du ministre a examiné la probabilité que Than Soe soit poursuivi pour le détournement d’avion s’il retournait au Myanmar et, le cas échéant, s’il aurait droit à une poursuite impartiale.

[27]  Le délégué du ministre a souligné le fait que Than Soe a été poursuivi et incarcéré en Thaïlande pour avoir détourné un avion, qu’il a été bien traité en prison, ayant été détenu dans un établissement distinct réservé aux prisonniers politiques, et qu’il a été libéré après deux ans et demi. Le délégué du ministre a qualifié ce traitement d’[traduction] « anormalement clément » et conclu que, si Than Soe devait à nouveau subir un procès pour le détournement d’avion à son retour au Myanmar, cela ne constituerait pas nécessairement une violation des normes internationales.

[28]  Le délégué du ministre a examiné les éléments de preuve sur le système judiciaire au Myanmar, et cité de larges extraits d’un rapport publié en 2016 par le Département d’État des États-Unis [USDOS]. Dans ce rapport, l’USDOS mentionne que le système judiciaire au Myanmar est en fait sous le contrôle des militaires, et que la corruption est répandue. En ce qui a trait à l’équité des procès, il y est indiqué que le gouvernement a abrogé ou modifié certaines lois qui avaient pour effet de priver les personnes d’un procès public équitable, et que les autres lois de ce type encore en vigueur étaient appliquées moins fréquemment. Il est également précisé dans le rapport du USDOS que, dans les affaires criminelles ordinaires, les tribunaux respectent généralement [traduction] « certains droits fondamentaux à l’application régulière de la loi », mais en nient d’autres, notamment la présomption d’innocence et la possibilité de préparer convenablement sa défense ou de retenir les services d’un avocat. Dans le rapport du USDOS, il est mentionné que depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, les avocats locaux spécialisés dans les droits de la personne ont remarqué une diminution des violations par les tribunaux de ces droits et des procédures normalisées d’instruction.

[29]  Le délégué du ministre a conclu que, malgré les problèmes qui persistent au niveau de l’indépendance de la magistrature au Myanmar, des améliorations ont été observées. Le délégué du ministre a également souligné le fait que le crime de Than Soe a été commis il y a plus de 30 ans, et que ce dernier n’est plus lié aux questions sensibles qui préoccupent actuellement les militaires.

[30]  Le délégué du ministre a conclu qu’il était peu probable que Than Soe subisse un nouveau procès et, s’il devait y avoir un nouveau procès, qu’il était peu probable que ce procès soit inéquitable ou fasse l’objet d’ingérence politique. Il a donc jugé que la possibilité « éloignée » d’une deuxième poursuite ne constituait pas, en soi, un risque au sens de l’article 97.

[31]  Le délégué du ministre a conclu qu’il existait au plus une simple possibilité que Than Soe soit condamné à mort, dans l’éventualité où il devrait subir un nouveau procès et serait reconnu coupable au Myanmar, ajoutant qu’il n’y avait eu récemment qu’une seule condamnation à mort et que les autres condamnations à mort avaient été commuées en peines d’emprisonnement à vie.

[32]  Le délégué du ministre a aussi examiné les risques auxquels serait exposé Than Soe s’il devait purger une peine d’emprisonnement au Myanmar. Le délégué du ministre a cité de larges extraits des rapports de 2015 et de 2016 du USDOS, ainsi que du rapport de 2016 d’Amnistie internationale, qui font état de graves problèmes dans les prisons du Myanmar, notamment des problèmes de surpeuplement et un accès inadéquat aux services médicaux, à l’eau potable et à des installations sanitaires appropriées. Le délégué du ministre a souligné que ces rapports mentionnaient également certaines améliorations dans les prisons et que le rapport d’Amnistie internationale indiquait que les [traduction] « actes de torture sont moins fréquents ». Le délégué du ministre a conclu que le système carcéral était plus dur au Myanmar qu’au Canada, mais que les conditions n’atteignaient pas le seuil des traitements ou peines cruels et inusités.

B.  L’évaluation de la preuve

[33]  Le délégué du ministre a ensuite examiné les éléments de preuve présentés par Than Soe et conclu qu’ils étaient largement non concluants. Premièrement, le délégué du ministre a pris en compte un certain nombre de lettres d’activistes pro-démocratie au Myanmar – qui tous indiquaient que Than Soe serait exposé à des risques s’il retournait dans ce pays. Le délégué du ministre y a toutefois accordé peu de poids, car ces lettres n’étaient étayées par aucun document de corroboration, et qu’il n’y avait pas de similitude entre les exemples fournis. À titre d’exemple, une lettre de Thein Than Oo, chef du Myanmar Lawyers’ Network, établissait une analogie entre Than Soe et U. Gambira, un ancien activiste politique qui avait été arrêté pour être retourné illégalement au Myanmar. Le délégué du ministre a estimé que la situation de M. Gambira ne pouvait se comparer à celle de Than Soe, car M. Gambira était un activiste « bien connu ». Le délégué du ministre a également souligné qu’aucun élément de preuve n’indiquait que M. Gambira avait été victime de mauvais traitements en prison.

[34]  Le délégué du ministre a aussi tenu compte de l’opinion de Soe Myint, un autre activiste pro-démocratie et ancien pirate de l’air, qui était récemment retourné au Myanmar et dont la situation – comme l’avait déjà mentionné le délégué du ministre –– était comparable à celle de Than Soe. Soe Myint a tenté d’établir une distinction entre lui et Than Soe, en écrivant que Than Soe serait toujours exposé à des risques à son retour au Myanmar, car il avait des ennemis politiques. Le délégué du ministre n’a toutefois pas été convaincu, estimant que M. Myint n’avait pas fourni d’éléments précis pour appuyer ces allégations ni expliqué en quoi leurs situations différaient de manière significative. Le délégué du ministre a souligné le fait que Soe Myint était retourné au Myanmar sans prendre de mesures pour assurer sa propre sécurité, et qu’il y vivait depuis sans être persécuté. Bien que Soe Myint soutienne que sa situation diffère parce qu’il a détourné un avion thaïlandais, et non un avion birman, qu’il a été acquitté de ce crime en Inde et qu’il a été expressément invité à revenir au pays par le gouvernement birman, le délégué du ministre a jugé que ces différences n’étaient pas significatives, soulignant que les deux avaient commis des crimes très semblables pour les mêmes raisons politiques. Le délégué du ministre a aussi mentionné que Soe Myint avait, à maintes reprises, parlé publiquement au Myanmar du détournement d’avion.

[35]  Le délégué du ministre a aussi accordé peu de poids aux opinions formulées en 2014 et 2016 par Paul Copeland, un avocat canadien reconnu comme expert des droits de la personne au Myanmar. M. Copeland a déclaré que Than Soe figure toujours sur la « liste noire » et qu’il demeure exposé à un risque important d’être arrêté, poursuivi, détenu de manière inhumaine et torturé, et qu’il pourrait même être condamné à mort s’il retournait au Myanmar. Même si le délégué du ministre a admis que M. Copeland était un spécialiste des droits de la personne au Myanmar, il a jugé qu’il n’avait produit aucun document pour appuyer ses allégations.

[36]  Le délégué du ministre a aussi conclu que l’affirmation de M. Copeland, selon laquelle Soe Myint avait pris des dispositions spéciales pour retourner au Myanmar en toute sécurité en 2011 – mesures auxquelles Than Soe ne pouvait recourir – était purement conjecturale.

[37]  Le délégué du ministre a ensuite examiné l’opinion de Matthew Walton, un professeur de l’Université d’Oxford spécialisé dans l’évolution religieuse et politique au Myanmar et expert reconnu de ce pays. Selon M. Walton, l’élection récente de Mme Suu Kyi n’était pas [traduction] « suffisante pour garantir que Than Soe ne risquerait pas d’être arrêté, détenu ou maltraité s’il devait retourner au Myanmar ». [Non souligné dans l’original]. Il a ajouté que les militaires exerçaient toujours une influence à presque tous les paliers de gouvernement, et que des lois répressives visant à faire taire les opposants étaient toujours en vigueur. Selon M. Walton, même le parti de Mme Suu Kyi a été incapable de protéger ses propres membres et a eu recours à des lois répressives pour faire taire les critiques à son endroit. Il a exposé les cas de plusieurs activistes et politiciens qui ont été assassinés ou arrêtés depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement.

[38]  Le délégué du ministre a toutefois estimé que les exemples présentés par M. Walton ne pouvaient se comparer à la situation de Than Soe, qui n’était ni un dirigeant ni un membre d’un mouvement politique actuel.

[39]  Le délégué du ministre a conclu que M. Walton n’était pas un spécialiste du droit de l’immigration, du droit d’asile ou de la protection des réfugiés, ni [traduction] « des normes de preuve applicables ou des fondements du droit international qui limitent l’accès à la protection lorsqu’un demandeur s’est livré au terrorisme ». (Il faisait sans doute référence à la déclaration de M. Walton selon laquelle les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour garantir que Than Soe ne serait pas exposé à des risques.) Le délégué du ministre n’a pas précisé le poids qu’il a accordé à cette opinion. Cependant, dans le « Sommaire de conclusions », le délégué du ministre commente les opinions formulées, notamment celles de M. Walton et de M. Copeland, et note que le degré de polémique dans leurs rapports en diminue la fiabilité. M. Walton s’est notamment dit [traduction] « choqué que le gouvernement du Canada puisse faire une évaluation aussi simpliste des risques pour une personne comme Than Soe » - un commentaire que le délégué du ministre a jugé inapproprié.

[40]  Le délégué du ministre n’a pas non plus retenu l’affirmation de Than Soe selon laquelle Soe Myint vivait librement au Myanmar parce qu’il avait renoncé à ses principes ni l’allégation de M. Copeland selon laquelle Soe Myint a pris des dispositions spéciales ou a signé une déclaration dans laquelle il s’est engagé à ne pas critiquer le gouvernement. Il a aussi rejeté l’observation de Than Soe qui prétendait qu’il aurait probablement à signer une déclaration du même genre, ce qu’il refuserait de le faire, de sorte qu’il serait détenu. Quoi qu’il en soit, le délégué du ministre a jugé que la signature d’une telle déclaration, qui pouvait se comparer à un engagement de ne pas troubler l’ordre public, n’était pas déraisonnable.

C.  Situation dans le pays - Droits de la personne au Myanmar

[41]  Le délégué du ministre a examiné les éléments de preuve sur la situation actuelle dans le pays en cause, notamment des rapports indiquant que le Myanmar a fait des progrès considérables dans plusieurs domaines, mais que de nombreux défis persistent et que, dans certains domaines, les promesses du gouvernement prennent du temps à se concrétiser. Le délégué du ministre a souligné les rapports faisant étant de la mise en liberté et du rapatriement de prisonniers politiques, ainsi que d’une plus grande liberté d’expression et de la presse. Il a également souligné le fait que certains commentateurs se sont dits déçus des progrès réalisés par le régime, ajoutant toutefois que [traduction] « peu ont soutenu qu’il n’y avait pas eu dans l’ensemble des améliorations ou qu’il n’y aura pas d’autres améliorations dans l’avenir ».

[42]  Le délégué du ministre a reconnu le piètre bilan du Myanmar pour ce qui est du traitement des groupes minoritaires, notamment les musulmans rohingyas, mais a conclu que ce problème ne concernait pas Than Soe.

D.  Sommaire des conclusions

[43]  Au début du Sommaire, le délégué du ministre a critiqué les éléments de preuve de M. Walton et de M. Copeland, ainsi que les observations des avocats, estimant qu’ils témoignaient d’un [traduction] « degré de polémique ». Le délégué du ministre a également critiqué le caractère [traduction] « exagéré » des observations de l’avocat de Than Soe au sujet de la difficulté qu’il avait eue à trouver Soe Myint pour recueillir sa déclaration, et qui expliquait en partie pourquoi Than Soe avait demandé une longue prorogation du délai pour la présentation de ses observations. Le délégué a jugé que cette observation de l’avocat de Than Soe était [traduction] « exagérée » car, contrairement à cette difficulté alléguée par l’avocat, le délégué du ministre avait facilement trouvé les coordonnées de Soe Myint, après une simple recherche sur Internet. Le délégué du ministre a noté ce qui suit : [traduction] « certes, de telles observations sont autorisées, mais je suis d’avis que leur style en mine la fiabilité et est généralement incompatible avec une évaluation objective de la preuve ».

[44]  Le délégué du ministre a jugé que les exemples auxquels il était fait référence dans la preuve de Than Soe ne pouvaient se comparer à la situation du demandeur et ne démontraient pas qu’une personne dans sa situation serait exposée à des risques au Myanmar. Le délégué du ministre a cité la propre lettre de Than Soe, dans laquelle ce dernier a déclaré qu’il n’était ni un exilé politique célèbre ni un activiste antimilitariste, mais qu’il était plutôt [traduction] « une personne humble et raisonnable ». Selon le délégué du ministre, cette description différait de celle des dissidents maltraités auxquels il était fait référence dans la preuve.

[45]  Le délégué du ministre a souligné le fait que la situation au Myanmar s’était améliorée depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, en mars 2016. Il a aussi cité les éléments de preuve documentaire indiquant qu’un grand nombre de prisonniers politiques étaient libérés, que les partisans de la démocratie n’étaient plus considérés comme des ennemis de l’État et que d’anciens prisonniers politiques et activistes en exil pouvaient [traduction] « généralement » rentrer au Myanmar en toute sécurité. Il a déclaré que [traduction] « le fait que le gouvernement soit devenu pour ainsi dire une démocratie est important. Les partisans de la démocratie ne sont plus considérés comme des ennemis de l’État ».

[46]  Le délégué du ministre a jugé que la situation s’était considérablement améliorée au Myanmar au cours des dernières années, sur le plan des réformes judiciaires et du traitement des dissidents politiques. Tout en reconnaissant que la transformation n’était pas terminée et que les militaires jouaient toujours un rôle important dans ce pays, le délégué du ministre a estimé que peu d’éléments de preuve faisaient valoir que Than Soe serait la cible des autorités.

[47]  Le délégué du ministre a conclu qu’il était très peu probable que Than Soe subisse un nouveau procès, et encore moins probable qu’il fasse l’objet de mauvais traitements ou de torture s’il était condamné et incarcéré à l’issue d’un nouveau procès.

[48]  Il a également conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était peu probable que Than Soe soit en danger de mort, risque la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Myanmar, et donc qu’il n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97.

III.  Les observations du demandeur

[49]  Than Soe soutient que la preuve ne corrobore pas l’opinion du délégué du ministre selon laquelle le Myanmar a été la scène de changements considérables et qu’il est peu probable qu’il soit exposé à des risques s’il retournait dans ce pays. Il note que, malgré l’élection démocratique d’un nouveau gouvernement en mars 2016, les militaires exercent toujours un pouvoir, notamment sur le système judiciaire, et que les risques auxquels il aurait été exposé par le passé, notamment au moment de l’évaluation des risques faite en 2006, existent toujours.

[50]  Than Soe affirme que la conclusion du délégué du ministre, selon laquelle il était peu probable qu’il subisse un nouveau procès pour le détournement d’avion, a été prise sans tenir compte des éléments de preuve et par surcroît, en faisant abstraction de preuve contradictoire. Il cite un rapport du UNHCR de 2002, sur lequel s’est fondé l’agent chargé de l’ERAR en 2006. Dans ce rapport, Than Soe est présenté comme une personne [traduction] « bien connue des militaires birmans » et il est mentionné que le [traduction] « gouvernement birman aurait un intérêt légitime à [le] poursuivre pour le détournement de 1989 ». L’UNHCR conclut son rapport en affirmant qu’il était [traduction] « probable que M. Soe serait soumis à une peine excessive pour l’acte qu’il a commis, notamment la torture en cours d’interrogatoire et l’emprisonnement à perpétuité ». Than Soe note également que, selon Paul Copeland, il figurait toujours sur la [traduction] « liste noire » et qu’il serait arrêté et poursuivi à son retour.

[51]  Than Soe soutient que le délégué du ministre a commis une erreur en omettant de conclure qu’une poursuite au Myanmar violerait la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1867, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [la Charte], ainsi que les principes fondamentaux du droit international, lesquels garantissent tous les deux le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour une même infraction. Il prétend que la conclusion du délégué du ministre voulant qu’il ait bénéficié d’un [traduction] « traitement clément » en Thaïlande et, donc, qu’une deuxième poursuite n’enfreigne pas le droit international, n’est pas raisonnable.

[52]  Il allègue en outre que le délégué du ministre a commis une erreur en concluant que l’incarcération ne constituerait pas une peine cruelle et inusitée. Il cite à l’appui des extraits de documents sur la situation dans le pays qui décrivent des conditions inhumaines équivalant à de la torture dans les prisons. Than Soe note que le délégué du ministre a fait référence au rapport de 2016 du USDOS au sujet des conditions dans les prisons, sans toutefois reconnaître que le même rapport parlait de la torture dans les prisons et durant les techniques d’interrogatoire. Il ajoute que le rapport d’Amnistie internationale de 2016 mentionne lui aussi que la torture est répandue et que certains prisonniers sont détenus dans des cellules qui ressemblent à des cages et qu’ils sont privés de tout contact avec les autres détenus.

[53]  Selon Than Soe, le délégué du ministre a commis une erreur en citant de manière sélective certaines parties seulement des documents sur la situation dans le pays, tout en faisant abstraction d’autres éléments clés de la preuve objective. À titre d’exemple, le délégué du ministre a cité le rapport de 2016 du USDOS mentionnant les améliorations apportées au système judiciaire. Il a toutefois omis de reconnaître les détentions longues et arbitraires avant les procès et les divers abus commis par les forces de sécurité à l’endroit des prisonniers, également mentionnés dans ce rapport.

[54]  Than Soe est d’avis que le délégué du ministre a commis une autre erreur en invoquant comme preuve du traitement qui serait réservé à Than Soe le cas de Soe Myint, une personne dont la situation, selon le délégué, se comparait à celle de Than Soe et qui vivait aujourd’hui en toute sécurité au Myanmar. Than Soe fait valoir que Soe Myint lui-même a indiqué que leur situation différait. Than Soe fait aussi valoir que, contrairement à lui, Soe Myint a reconnu avoir engagé des discussions avec le gouvernement birman avant son retour dans ce pays, en 2012.

[55]  Than Soe prétend en outre que le terme [traduction] « exagéré » utilisé par le délégué du ministre pour décrire l’incapacité de Than Soe à communiquer avec Soe Myint est excessif et non pertinent. Il ajoute que, compte tenu de l’importance que le délégué du ministre a accordée à ce fait, il aurait dû avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations avant le prononcé de la décision définitive.

[56]  Selon Than Soe, le délégué du ministre a invoqué des motifs non pertinents pour rejeter les rapports et les opinions des experts, ou en faire abstraction. Than Soe cite également les conclusions du délégué du ministre, notamment que M. Walton n’avait aucune expertise en droit de l’immigration ou en droit des réfugiés, que M. Walton a versé dans la [traduction] « polémique » lorsqu’il a écrit qu’il était [traduction] « choqué [...] que le gouvernement du Canada puisse faire une évaluation aussi simpliste des risques pour une personne comme Than Soe » et que les exemples présentés par M. Walton ne pouvaient se comparer à la situation de Than Soe. Selon Than Soe, la connaissance de M. Walton du droit des réfugiés et son utilisation d’un langage acerbe n’ont aucune incidence sur les risques auxquels il pourrait être exposé au Myanmar.

[57]  Than Soe fait valoir que la critique plus générale formulée par le délégué du ministre au sujet des opinions des experts, qu’il a qualifiée de [traduction] « polémique », n’est pas une raison pour rejeter la preuve ou en faire abstraction. Les éléments de preuve de ces experts témoignent d’une évaluation objective, qui est fondée sur leur expertise et est corroborée par les documents sur la situation dans le pays.

[58]  Than Soe soutient que, même si M. Walton a déclaré que l’élection démocratique n’offrait pas une [traduction] « garantie » qu’il n’était pas en danger, M. Walton n’a pas utilisé ce terme au sens d’une norme juridique ni n’a cherché ainsi à usurper le rôle du délégué du ministre. Examinée dans le contexte de l’ensemble du rapport, cette opinion de M. Walton indique simplement que Than Soe risque d’être détenu, arrêté et poursuivi au Myanmar.

[59]  Than Soe soutient que le délégué du ministre a fait abstraction de nombreux renvois aux éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays, cités par M. Walton à l’appui de son opinion, et qu’il a rejeté le rapport de M. Walton pour des motifs non pertinents. Il mentionne notamment les sources citées par M. Walton, qui confirment que l’ancien gouvernement militaire continue d’exercer un contrôle [traduction] « presque total » sur la magistrature et que le gouvernement continue d’invoquer la Peaceful Assembly Law (loi relative aux rassemblements pacifiques) pour cibler les protestataires et réprimer les dissidents.

[60]  Selon Than Soe, le délégué du ministre a accordé une importance excessive à la déclaration dans laquelle il disait ne pas être activiste, au lieu de tenir compte de ses autres éléments de preuve. Il soutient que les éléments de preuve montrent que les militaires le verraient différemment. Il ajoute que Soe Myint a déclaré que Than Soe serait exposé à des risques et qu’il avait d’autres ennemis. Than Soe prétend qu’il figure toujours sur la [traduction] « liste noire » et qu’il risque clairement d’être détenu et poursuivi à son retour dans ce pays.

[61]  Than Soe note que le délégué du ministre a rejeté la comparaison que les experts ont faite entre lui et d’U. Gambira, estimant que Than Soe ne jouissait pas d’une aussi grande notoriété que M. Gambira. Than Soe conteste la conclusion selon laquelle il n’est pas une personne jouissant d’une grande notoriété. Il rappelle que le rapport du UNHCR de 2002 le présente comme une personne [traduction] « bien connue des militaires birmans » et qu’aucun élément de preuve n’indique qu’il n’en est plus ainsi, malgré le passage des années.

[62]  Than Soe soutient par ailleurs que le délégué du ministre a commis une erreur en omettant de tenir compte de la stabilité et de la durabilité des récents changements survenus au Myanmar et de la probabilité que ces changements persistent, dans son évaluation des risques futurs conformément à l’article 97 (citant la décision Chowdhury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 290, [2008] A.C.F. n368 (QL) [décision Chowdhury]).

[63]  Than Soe souligne que le délégué du ministre s’est fondé sur un document publié en juillet 2016- – soit quatre mois seulement après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement –-e pour conclure que les changements considérables survenus au Myanmar suffisaient pour justifier son retour dans ce pays. Selon Than Soe, ce document n’offre aucune preuve d’un changement stable ou durable.

[64]  Than Soe ajoute que le délégué du ministre a mentionné que des problèmes persistaient pour les musulmans rohyingas, sans toutefois reconnaître que les mêmes problèmes graves persistaient d’une manière plus générale pour d’autres groupes également. Il note que les militaires qu’il a critiqués sont les mêmes qui sont responsables de la persécution des Rohyingas, comme l’a reconnu le délégué du ministre et le confirment les documents sur la situation dans le pays. Il se demande donc comment le délégué du ministre peut conclure qu’il ne risque rien de ces mêmes militaires.

IV.  Les observations du défendeur

[65]  Le défendeur soutient que le délégué du ministre a tenu compte de tous les éléments de preuve, y compris les opinions des experts, qu’il en a fait une évaluation exhaustive et qu’il a énoncé des motifs intelligibles à l’appui de toutes ses conclusions. Selon le défendeur, la principale conclusion est que Than Soe ne présentera aucun intérêt pour les autorités du Myanmar.

[66]  Il soutient qu’il était raisonnable pour le délégué du ministre de conclure qu’il était peu probable que Than Soe soit détenu ou soumis à un nouveau procès. Le délégué du ministre s’est fondé sur des éléments de preuve indiquant que des activistes politiques, dont Soe Myint, sont retournés au pays sans problème, ce qui a été confirmé par un rapport du Home Office du Royaume-Uni. Le défendeur note par ailleurs que les changements positifs au Myanmar se sont amorcés avant les élections et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne se poursuivront pas. Le défendeur ajoute que le délégué du ministre n’était pas tenu de prendre en compte les préoccupations au sujet du système de justice, notamment le fait que la présomption d’innocence ne s’applique pas.

[67]  Il mentionne en outre qu’il était raisonnable pour le délégué du ministre de conclure qu’il était peu probable que Than Soe soit soumis à des conditions cruelles et inusitées en prison.

[68]  Selon le défendeur, la situation ou le profil de Than Soe se rapprochent davantage de ceux de Soe Myint que d’autres qui sont retournés au Myanmar et qui ont été arrêtés ou détenus. Ces deux hommes ont commis des crimes très semblables, pour les mêmes raisons politiques. Le délégué du ministre a raisonnablement conclu que la situation de Than Soe ne pouvait se comparer à celle des personnes mentionnées par M. Walton ou exposées dans les documents sur la situation dans le pays.

[69]  Selon le défendeur, l’opinion de M. Walton, selon laquelle les changements qui ont eu lieu dans le milieu politique depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement [traduction] « ne sont pas suffisants pour garantir que M. Than Soe ne risquera pas d’être arrêté, détenu ou maltraité », donne une interprétation erronée du critère de protection et élève ce critère. Le critère énoncé à l’article 97 ne consiste pas à savoir si la sécurité d’une personne peut être « garantie », mais plutôt si elle est probable. Le défendeur soutient que M. Walton a outrepassé son rôle et qu’il était donc justifié, pour le délégué du ministre, de faire une analyse approfondie des fondements de son raisonnement et de conclure que son utilité était limitée.

[70]  Selon le défendeur, le délégué du ministre ne conteste pas l’évaluation que M. Walton a faite de la situation dans le pays, notamment quant à l’influence des militaires et au recours à certaines lois pour punir les dissidents. Le délégué du ministre conteste plutôt l’hypothèse de M. Walton selon laquelle Than Soe serait une personne d’intérêt pour le gouvernement du Myanmar, les militaires ou les deux. Comme Than Soe n’est pas un activiste politique, les exemples de M. Walton ne peuvent s’appliquer à lui.

[71]  Le défendeur fait remarquer que les documents sur la situation dans le pays montrent que des personnes ayant commis certains crimes, y compris d’anciens défenseurs de la liberté, ne figurent plus sur la [traduction] « liste noire » du pays. Le défendeur note par ailleurs que Soe Myint, un ancien pirate de l’air et défenseur de la liberté, est retourné au Myanmar en toute sécurité en 2012.

[72]  Le défendeur prétend que le délégué du ministre n’est pas tenu de retenir les opinions des experts et qu’il est raisonnable pour lui de faire une analyse approfondie des fondements des opinions formulées. Le défendeur soutient que l’affidavit de Paul Copeland est essentiellement conjectural, car aucun fait n’a été présenté à l’appui des allégations selon lesquelles Than Soe sera arrêté, poursuivi, incarcéré, voire condamné à mort à son retour au Myanmar, ni aucun fait à l’appui de l’allégation voulant que Soe Myint ait conclu une entente avec le gouvernement birman pour assurer sa sécurité à son retour.

[73]  Selon le défendeur, rien n’obligeait le délégué du ministre à examiner la durabilité des changements au Myanmar. L’évaluation des risques est prospective; les améliorations ont débuté avant les élections et rien ne permet de croire qu’elles ne se poursuivront pas. Le délégué du ministre a souligné le fait que des exilés politiques ont pu rentrer au pays en toute sécurité durant cette période, y compris Soe Myint en 2012.

[74]  Enfin, le défendeur fait valoir que, même si l’agent chargé de l’ERAR a conclu, au terme de son évaluation des risques en 2006, que Than Soe serait exposé à des risques, il appartient toujours à Than Soe de démontrer qu’il serait toujours exposé à des risques en 2017, un fardeau dont il ne s’est pas acquitté.

V.  Questions en litige

[75]  Than Soe soutient que le délégué du ministre a enfreint les principes d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre aux préoccupations qu’il a exprimées au sujet du caractère polémique des éléments de preuve présentés, en particulier les rapports d’experts.

[76]  Than Soe a également soulevé plusieurs arguments qui, selon lui, démontrent tous le caractère déraisonnable de la décision.

[77]  Je suis d’avis que la principale question en litige est de savoir si la décision du délégué du ministre est raisonnable. Je reformulerais comme suit les questions à trancher pour déterminer si la décision est raisonnable :

  • Le délégué du ministre a-t-il commis une erreur en concluant que Than Soe ne risquait pas d’être détenu, arrêté ou poursuivi au Myanmar et, pour cette raison, qu’il ne risquait pas de traitements ou peines cruels et inusités, y compris l’emprisonnement?

  • Le délégué du ministre a-t-il commis une erreur en comparant Than Soe à Soe Myint?

  • Le délégué du ministre a-t-il commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve, notamment en ne retenant de manière sélective que certains éléments de preuve et en faisant abstraction des éléments de preuve des experts ou en les rejetant pour des motifs non valables?

  • Le délégué du ministre a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner si les changements au Myanmar étaient durables?

VI.  La norme de contrôle

[78]  La norme de contrôle applicable à l’appréciation de la preuve par le délégué du ministre est celle de la décision raisonnable (décision Muhammad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1483, au paragraphe 28, 423 FTR 242). Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il n’entre pas dans les attributions d’une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge préférable ou de soupeser à nouveau les éléments de preuve (arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]).

[79]  Les questions d’équité procédurale doivent être examinées en regard de la norme de la décision correcte (arrêt Khosa, au paragraphe 43). S’il est conclu qu’il y a eu violation de l’équité procédurale, le décideur ne fait l’objet d’aucune retenue.

VII.  Le délégué du ministre n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale

[80]  Le délégué du ministre n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’informant pas Than Soe de ses préoccupations et critiques au sujet des opinions des experts et ne lui donnant pas l’occasion d’y répondre.

[81]  Le délégué du ministre a clairement informé Than Soe des questions qui seraient examinées et il lui a donné plusieurs occasions de présenter des observations mises à jour. Than Soe ne pouvait exiger que les observations préliminaires du délégué du ministre quant à la validité de sa demande lui soient communiquées ni qu’on lui donne la possibilité d’y répondre.

VIII.  La décision du délégué du ministre n’est pas raisonnable

[82]  Comme l’a souligné le défendeur, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Cependant, la limite entre soupeser à nouveau la preuve examinée par le décideur et cerner les erreurs découlant d’une mauvaise interprétation ou d’une évaluation sélective de la preuve est souvent ténue. Bien que la décision du délégué du ministre soit exhaustive et tienne compte d’une abondance de preuve, les principales conclusions qui en découlent ne sont ni justifiées ni défendables.

[83]  Premièrement, la conclusion du délégué du ministre, selon laquelle il était peu probable que Than Soe subisse un nouveau procès à son retour au Myanmar - principal motif invoqué par le délégué du ministre pour conclure que Than Soe ne subirait pas les conséquences du système judiciaire - est conjecturale et non corroborée par les éléments de preuve. Les conclusions connexes indiquant que Than Soe ne serait pas soumis au système judiciaire au Myanmar - soit en étant soumis à des traitements sévères, soit en devant subir un deuxième procès - vont à l’encontre de la preuve objective selon laquelle certains éléments clés d’un gouvernement démocratique, notamment l’indépendance de la magistrature, demeurent absents dans ce pays. Deuxièmement, il était déraisonnable pour le délégué du ministre d’insister sur le fait que Than Soe ne courait pas de risque, simplement parce que Soe Myint vivait en toute sécurité au Myanmar. Troisièmement, le délégué a commis une autre erreur, en rejetant le rapport de M. Walton pour des motifs non pertinents, sans en avoir fait une évaluation adéquate. Enfin, le délégué du ministre a commis une erreur en omettant d’examiner si les changements proposés par le nouveau gouvernement du Myanmar étaient fonctionnels et s’ils seraient durables.

A.  Le délégué du ministre a commis une erreur en concluant que Than Soe ne risquait pas d’être détenu, arrêté ou poursuivi au Myanmar et, pour cette raison, qu’il ne risquait pas d’être exposé à des peines ou traitements cruels et inusités, y compris l’emprisonnement

[84]  Le délégué du ministre a conclu qu’il était peu probable que Than Soe subisse un nouveau procès, sans toutefois préciser les éléments de preuve sur lesquels s’appuyait cette conclusion, si ce n’est d’alléguer que la situation de Than Soe était comparable à celle de Soe Myint. Ainsi qu’il est expliqué ci-dessous, cette prémisse n’est pas raisonnable. Qui plus est, certains éléments de preuve contredisent cette conclusion, notamment le rapport de 2002 du UNHCR qui présentait Than Soe comme une personne [traduction] « d’intérêt pour les militaires birmans » et indiquait [traduction] que le « gouvernement birman aurait un intérêt légitime à [le] poursuivre pour le détournement de 1989 ». Même si ce rapport était daté, l’agent n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

[85]  Le délégué du ministre a conclu, à la lumière des améliorations apportées au système judiciaires au Myanmar, que Than Soe ne risquait pas de subir un procès inéquitable ou d’être soumis à des conditions inhumaines en prison.

[86]  Le délégué du ministre a également conclu que, si Than Soe devait subir un nouveau procès, [traduction] « il semblait peu probable que ce procès fasse l’objet d’ingérence politique ». Le délégué a attribué cela au passage des années ainsi qu’à l’absence de lien entre la situation de Than Soe [traduction] « et les questions qui préoccupent actuellement les militaires ».

[87]  Ces conclusions vont toutefois totalement à l’encontre de la preuve objective sur la situation dans le pays.

[88]  En effet, d’autres rapports, dont le rapport du USDOS de 2016, font état, entre autres préoccupations, du contrôle des militaires sur la force policière, de la prévalence des arrestations arbitraires et des longues détentions, du déni du droit d’être informé rapidement des chefs d’accusation lors d’une arrestation, de la corruption institutionnelle largement répandue, du déni de la présomption d’innocence, ainsi que du déni du droit d’être présent à son propre procès. Le même rapport expose les traitements humiliants en prison, notamment l’accès inadéquat à des soins de santé et la privation des besoins fondamentaux, notamment la nourriture. D’autres documents sur la situation dans le pays exposent plus en détail les conditions horribles dans les prisons. Le délégué du ministre a cité un rapport indiquant que le recours à la torture était [traduction] « moins fréquent », mais a omis de souligner que la torture, malgré tout, existait toujours.

[89]  Le délégué du ministre a également conclu que [traduction] « dans l’éventualité peu probable où M. Soe devrait subir un nouveau procès pour le détournement d’avion » au Myanmar, cette deuxième poursuite ne constituerait pas, en soi, une violation des normes internationales. Le délégué du ministre en est arrivé à cette conclusion après avoir jugé que la peine qui avait été infligée à Than Soe en Thaïlande était [traduction] « anormalement clémente » lorsqu’on la compare aux peines imposées au Canada pour détournement d’avion. Cette conclusion est à la fois déraisonnable et erronée. La sévérité de la peine infligée à Than Soe en Thaïlande n’est pas un élément pertinent pour déterminer si un nouveau procès constituerait ou non une violation du droit international. Un deuxième procès au Myanmar irait clairement à l’encontre du libellé du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies (« Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné [...] »).

[90]  En concluant que Than Soe ne serait pas la cible du gouvernement birman, le délégué du ministre s’est largement fondé sur le portrait que Than Soe avait fait de lui-même dans une lettre, se présentant « ni comme un exilé politique célèbre ni comme un activiste antimilitariste [...] mais comme une personne humble et raisonnable ». Le délégué a également souligné le fait que l’activisme de Than Soe avait eu lieu il y a plus de 30 ans et que Than Soe n’était plus lié aux questions qui préoccupent actuellement les militaires. Le délégué n’a toutefois pas tenu compte de la manière dont Than Soe serait perçu par les militaires, nonobstant la manière dont Than Soe s’était présenté ou le passage des années. Le délégué du ministre a aussi omis de tenir compte du rapport de 2002 du UNHCR qui, bien qu’il ait été rédigé 13 ans après les actes d’activisme de Than Soe, faisait valoir que ce dernier demeurait une personne [traduction] « d’intérêt » pour les militaires birmans.

[91]  Après avoir examiné les éléments de preuve documentaire provenant de plusieurs sources, le délégué du ministre a reconnu que certaines difficultés persistaient au Myanmar; il s’est néanmoins fondé sur des promesses d’amélioration et des engagements en faveur du changement pour conclure qu’il était peu probable que Than Soe soit exposé à des risques.

[92]  Bien que ces améliorations soient louables, faire valoir que Than Soe n’est plus exposé à des risques témoigne d’un optimiste déraisonnable. En effet, aucun rapport n’indique que le système judiciaire fonctionne actuellement comme ce à quoi on pourrait s’attendre dans une démocratie. La preuve objective sur la situation dans le pays montre que des éléments clés d’un gouvernement démocratique et d’une magistrature indépendante sont toujours absents dans le pays – notamment le fait que la présomption d’innocence ne s’applique pas, que les personnes doivent attendre indéfiniment avant de subir leur procès ou, subsidiairement, ont peu l’occasion de préparer leur défense, et que les conditions de détention et les peines infligées dans les prisons sont terribles. Bien qu’aucune exécution n’ait eu lieu récemment, les éléments de preuve sur la situation dans le pays indiquent que des condamnations à mort sont toujours prononcées. En résumé, la preuve objective ne corrobore pas la conclusion du délégué du ministre selon laquelle Than Soe ne risque rien de la part du système judiciaire au Myanmar.

B.  Le délégué du ministre a commis une erreur en comparant Than Soe uniquement à Soe Myint

[93]  Le délégué du ministre a jugé que Soe Myint -e un ancien pirate de l’air qui vivait aujourd’hui en toute sécurité au Myanmar -e était un bon élément de comparaison, mais que les personnes mentionnées par M. Walton et Than Soe ne l’étaient pas, car les dernières faisaient parties de mouvements activistes récents et connaissaient une plus grande notoriété.

[94]  La conclusion du délégué du ministre, selon laquelle la situation de Than Soe « se comparait » à celle de Soe Myint est une observation clé de laquelle découlent les autres conclusions. Cependant, cette conclusion n’est ni défendable ni justifiée par la preuve.

[95]  Certes, il existe certaines similitudes entre Than Soe et Soe Myint, mais il existe aussi de grandes différences entre eux. Tous deux étaient des étudiants activistes qui ont détourné des avions au début des années 1990 pour protester contre le régime militaire en Birmanie. Tous deux ont vécu en exil pendant plusieurs années. Cependant, Soe Myint a été acquitté en Inde. Mais, plus important encore, Soe Myint a été personnellement invité par le gouvernement du Myanmar à retourner dans ce pays, tout comme d’autres l’ont été, et c’est ce qu’il a fait en 2012. Soe Myint a reconnu avoir entamé des discussions avec le gouvernement avant son retour, sans toutefois en divulguer les détails. Il a déclaré que le gouvernement avait fait des efforts spéciaux pour tendre la main à des groupes de médias en exil, notamment la société de médias que dirigeait Soe Myint.

[96]  Than Soe a été condamné en Thaïlande, a été emprisonné, a été reconnu comme un réfugié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, puis a passé plusieurs années aux États-Unis et au Canada. Il a présenté une demande d’asile aux États-Unis et au Canada. Aucun élément de preuve n’indique qu’il a été « invité » à retourner au Myanmar. De même, aucun élément de preuve n’indique que Than Soe a été retiré de la [traduction] « liste noire ». Bien que le nom de certains dissidents politiques en ait apparemment été retiré, les documents sur la situation dans le pays indiquent que des « criminels », dont des personnes condamnées pour des infractions non violentes, figurent toujours sur cette liste. Le délégué du ministre n’a pas tenu compte de ces différences importantes.

[97]  Autre fait important, Soe Myint ne considère pas que sa situation se compare à celle de Than Soe. Bien que Soe Myint ait déclaré qu’il n’a pas été exposé à des risques au Myanmar, il a clairement indiqué que Than Soe pourrait toujours l’être, et il s’est dit étonné que le défendeur puisse envisager le renvoi de Than Soe au Myanmar. Soe Myint a mentionné que les militaires jouent toujours un rôle important et que Than Soe compte beaucoup d’ennemis dans ce pays. Soe Myint a ajouté qu’il a fini par obtenir une carte d’identité nationale, deux ans après son retour au Myanmar et après avoir suivi toutes les procédures légales requises, mais il a dit douter que Than Soe puisse l’obtenir.

[98]  Comme l’a fait remarquer M. Walton, il est [traduction] « dangereux de présumer qu’un activiste politique ne fera pas l’objet de mesures de répression, simplement parce que sa situation se compare à celle d’un autre activiste qui n’a pas été victime de répression ».

C.  Le délégué du ministre a commis une erreur dans son traitement de la preuve produite par M. Walton

[99]  Tel qu’il a été indiqué, les décideurs administratifs ont le pouvoir discrétionnaire de décider du poids qu’ils accordent à la preuve d’expert, et le tribunal ne procédera pas à une nouvelle pondération de la preuve. Le décideur doit toutefois avoir des motifs valables pour rejeter des opinions ou ne pas en tenir compte (Smith c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1283, au paragraphe 42, 420 FTR 256, citant Donald JM Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, Canvasback Publishing, 2012)).

[100]  Même si le délégué du ministre cite à la fois les rapports et les opinions des experts, ainsi que de larges extraits de documents sur la situation dans le pays, il ne peut pas décider, de manière sélective, de s’appuyer uniquement sur les éléments de preuve qui reflètent une vue optimiste. En l’espèce, les éléments de preuve des experts et sur la situation dans le pays soulèvent d’importants doutes sur la situation au Myanmar si tôt après la transition, malgré les promesses de réforme.

[101]  Le délégué a fait abstraction des éléments de preuve de M. Walton – un expert du Myanmar – ou a rejeté ces éléments pour des motifs non valables. Le défendeur soutient que le délégué du ministre a retenu en grande partie le rapport de M. Walton, n’étant en désaccord qu’avec la conclusion concernant le profil de Than Soe. Toutefois, une lecture de la décision du délégué du ministre ne soutient pas pareille allégation. Il semble au contraire que le délégué du ministre ait dans l’ensemble rejeté l’opinion de M. Walton, ou en ait fait abstraction pour deux raisons : parce qu’il n’était pas un expert du droit des réfugiés et parce qu’il a exprimé une opinion polémique qui, selon le délégué du ministre, en minait la fiabilité. Je suis d’avis que la preuve produite par M. Walton était conforme aux éléments de preuve sur la situation dans le pays.

[102]  L’opinion détaillée de M. Walton exprimait une conviction profonde, corroborée par de nombreux renvois à d’autres articles et rapports. Une opinion ne devrait pas être rejetée à cause de son langage acerbe, si elle est appuyée par d’innombrables références et qu’elle est conforme aux éléments de preuve sur la situation dans le pays. La conclusion du délégué du ministre, selon laquelle le ton utilisé par M. Walton mine la [traduction] « fiabilité du contenu » et est « incompatible avec une évaluation objective de la preuve » n’est pas un motif qui justifie le rejet de cette opinion. La fiabilité du contenu est amplement corroborée par la preuve objective et les sources citées.

[103]  M. Walton a justifié ses opinions en se fondant sur son expertise et en citant plusieurs sources. L’opinion de M. Walton est conforme aux éléments de preuve sur la situation dans le pays qui montrent que, malgré l’intention d’instaurer un régime démocratique et malgré certains changements mis en place, d’importantes préoccupations demeurent, notamment au sujet du système judiciaire et du rôle important que jouent toujours les militaires dans ce pays, en particulier dans le système judiciaire.

[104]  Le délégué a aussi commis une erreur en rejetant l’opinion de M. Walton, simplement parce qu’il n’était pas expert en matière de droit des réfugiés. M. Walton n’a jamais prétendu être expert en matière de droit de l’immigration et de droit des réfugiés – il s’est présenté comme spécialiste du Myanmar, un fait que corroborent clairement ses qualifications. Il incombait toujours au délégué du ministre de décider si Than Soe serait exposé à des risques au sens de l’article 97. M. Walton était d’avis que Than Soe serait exposé à des risques et il l’a clairement exprimé de plusieurs façons. Contrairement à ce que font valoir le délégué du ministre, l’utilisation par M. Walton du mot [traduction] « garantie » ne traduisait pas une interprétation erronée d’une norme juridique, non pas que cela aurait changé quelque chose qu’il comprenne ou non la norme juridique. Son intention n’était clairement pas d’émettre un avis juridique. Il a plutôt émis une opinion professionnelle fondée sur son expertise, notamment à titre d’agrégé supérieur de recherche en études birmanes modernes, ainsi que sur ses recherches, ses consultations avec des gouvernements étrangers et des organisations non gouvernementales et ses visites au Myanmar, que Than Soe était exposé à des risques. Ainsi qu’il est indiqué dans Shariaty c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 986, au paragraphe 38, [2017] A.C.F. no 1038 (QL) :

[38]  La Cour a conclu que lorsqu’une preuve d’expert est déposée et que le décideur l’examine, une analyse poussée et détaillée est nécessaire si l’on veut la rejeter (Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1375, au paragraphe 24).

[105]  Les opinions d’experts, notamment celle de M. Walton, n’ont pas été présentées dans le but d’usurper le rôle du délégué du ministre dans l’évaluation du risque auquel serait exposé Than Soe, mais plutôt pour que le délégué en tienne compte dans son évaluation. Les opinions des experts sont corroborées par les documents sur la situation dans le pays qui montrent que d’importants problèmes persistent au Myanmar.

[106]  M. Walton cite notamment des rapports de l’Assistance Association for Political Prisoners-Burma, qui sont publiés chaque mois et qui décrivent en détail les arrestations et les détentions d’activistes politiques. Ces rapports indiquent que les arrestations arbitraires sont fréquentes, même un an après l’arrivée au pouvoir du gouvernement de la LND, et que [traduction] « bon nombre des mauvais traitements qui étaient systémiques dans l’ensemble du système juridique et pénal du Myanmar persistent aujourd’hui ». Au sujet du contrôle exercé par les militaires, M. Walton a indiqué [traduction] « que la majeure partie des juges, à tous les niveaux, ont été nommés lorsque les militaires étaient au pouvoir et ont exercé selon les limites établies par ce régime ». Il a expliqué que, malgré les changements apportés à la magistrature en application de la Constitution et de l’Union Judiciary Law de 2008, [traduction] « [a]ucun effort n’a été fait pour s’assurer que les tribunaux sont largement indépendants des pouvoirs exécutif ou législatif, ce qui a eu pour effet de perpétuer une lacune importante des précédents régimes militaires ». Ces allégations sont corroborées par différentes sources objectives. En se fondant sur ces renseignements, M. Walton a ajouté ceci : [traduction] « [e]n raison de la perpétuation de ce système de partialité et d’impunité pour les autorités politiques et militaires, on ne peut affirmer que la situation politique au Myanmar s’est améliorée au point que M. Than Soe puisse aujourd’hui y retourner sans craindre d’être exposé à des risques importants ».

[107]  M. Walton a ensuite décrit comment le Penal Code et la Telecommunications Law de ce pays sont utilisés pour s’en prendre aux activistes et aux opposants politiques et comment ces lois pourraient être utilisées contre Than Soe. M. Walton a donné deux exemples de personnes qui ont été visées par ces mêmes lois, exemples que le délégué du ministre a rejetés au motif qu’ils différaient de la situation de Than Soe. Cependant, le point que M. Walton cherchait ainsi à faire valoir, c’est qu’il est probable que Than Soe subira le même sort s’il retourne au Myanmar et qu’il critique les militaires.

[108]  Il a ajouté qu’il n’existait [traduction] « aucun argument permettant de croire » que Than Soe ne ferait pas l’objet de poursuites ou de mesures répressives, simplement parce que le gouvernement de la LND est maintenant au pouvoir. Selon M. Walton, les militaires peuvent punir, et de fait punissent, les opposants qui les critiquent, malgré la présence du gouvernement dirigé par la LND.

[109]  M. Walton a aussi cité les commentaires de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de la personne au Myanmar, formulés à la suite de sa visite dans ce pays en janvier 2017 et dans lesquels la rapporteuse exprime ses craintes de représailles, notant ce qui suit : [traduction] « Je suis vivement préoccupée du sort de [...] ces personnes qui critiquent le gouvernement, qui défendent les droits d’autrui et qui ont exprimé des pensées et des opinions qui ne s’inscrivent pas dans la pensée des autorités au pouvoir ».

[110]  M. Walton a ajouté que cette opinion est conforme aux renseignements sur lesquels elle s’appuie, notamment que les [traduction] « activistes célèbres qui critiquent les militaires ou le gouvernement sont toujours exposés à des risques fondamentaux », que les militaires exercent toujours un contrôle considérable, que la magistrature est connue pour sa prise de décisions arbitraires et que le gouvernement « théoriquement » démocratique s’en est pris à des activistes et des opposants.

[111]  M. Walton a reconnu que certains critiques du régime sont rentrés au pays sans faire l’objet de représailles. Cependant, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, il a aussi mentionné ce qui suit :

[traduction] Lorsqu’on a affaire à des autorités militaires et politiques aussi vindicatives et arbitraires que celles qui ont gouverné le Myanmar au cours des récentes décennies, il est dangereux de présumer qu’un activiste politique ne fera pas l’objet de mesures de répression, simplement parce que sa situation se compare à celle d’un autre activiste qui n’a pas été victime de répression ou d’attaques.

[112]  M. Walton a conclu en disant [traduction] qu’« il restait encore beaucoup à faire pour instaurer une société où les gens pourront parler librement de ce qui leur est arrivé, pourront exprimer librement leurs pensées et pourront vivre en paix sans crainte ».

[113]  En résumé, M. Walton a présenté un rapport exhaustif et convaincant, corroboré par des sources objectives, sur les risques auxquels Than Soe serait exposé au Myanmar. Le délégué du ministre aurait dû faire une évaluation approfondie et exhaustive de ce rapport. Le délégué du ministre a commis une erreur en rejetant ce rapport ou n’en tenant pas compte pour des facteurs largement non pertinents - à savoir le ton du rapport et le fait que son auteur n’était pas un expert du droit de l’immigration. La conclusion du délégué du ministre, selon laquelle les quelques exemples personnels présentés par M. Walton différaient de la situation de Than Soe, n’était pas suffisante pour rejeter l’ensemble du rapport qui contenait beaucoup plus d’exemples.

D.  Le délégué du ministre a commis une erreur en omettant d’examiner si les changements au Myanmar étaient opérationnels

[114]  La conclusion décisive dans la présente demande est que le délégué du ministre a commis une erreur en statuant qu’il était peu probable que Than Soe subisse un nouveau procès ou d’autres conséquences défavorables s’il retournait au Myanmar. Le délégué du ministre a aussi commis une erreur en présumant que Than Soe ne serait pas exposé à des risques parce que Soe Myint a pu retourner en toute sécurité au Myanmar. La preuve ne justifie pas ces conclusions. Je suis également d’accord avec le demandeur pour dire que le délégué du ministre aurait dû chercher à déterminer si les améliorations limitées observées aux premiers jours du nouveau gouvernement au Myanmar et les changements promis se concrétiseraient et seraient opérationnels et durables.

[115]  Dans la décision Chowdhury, dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés ayant conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, le juge Mosley a déclaré que la question de savoir si le changement survenu dans la situation du pays en cause est un changement durable qui aura une incidence sur le risque de persécution du demandeur est une question de fait, notant ce qui suit au paragraphe 13 : « Le changement survenu dans la situation politique du pays d’origine du demandeur d’asile n’est pertinent que s’il peut aider à trancher la question de savoir s’il existait ou non, à la date de l’audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur d’asile soit persécuté s’il retourne dans son pays d’origine ».

[116]  Le juge Mosley a ajouté ce qui suit au paragraphe 14 :

[14]  Pour en arriver à cette décision, la commissaire de la SRP devait toutefois tenir compte de la durabilité du changement survenu dans la situation au pays d’origine et de la stabilité de la situation politique, avant de pouvoir conclure à une absence de risque. Agir autrement mettrait en danger les personnes qui fuient leur pays parce qu’elles y sont persécutées parce qu’elles se sont ralliées à l’un des deux antagonistes dans le cadre d’un conflit. Bien qu’elles puissent être en sécurité pendant la période au cours de laquelle leur groupe a la cote, la fragilité de cette sécurité est une question dont la SPR doit tenir compte avant de rendre sa décision. Or, la décision de la commissaire ne permet pas de croire qu’elle s’est penchée sur cette question dans le cas qui nous occupe.

[117]  Dans son évaluation du risque futur - c’est-à-dire de la probabilité que Than Soe soit exposé à un risque au sens de l’article 97 s’il retournait au Myanmar aujourd’hui -, le délégué du ministre aurait dû examiner si les améliorations promises et les changements positifs, mais limités, mentionnés dans les rapports publiés très rapidement après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, constituaient une preuve suffisante de changements opérationnels et probablement durables. Je note que les documents sur la situation dans le pays invoqués par le délégué du ministre - notamment le rapport de l’International Crisis Group publié en juillet 2016, quatre mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement - font état de changements très récents qui devraient être évalués sur une période beaucoup plus longue.

[118]  Je suis d’avis que la nécessité d’examiner la durabilité des réformes démocratiques peut se comparer quelque peu à la nécessité de déterminer si un pays démocratique peut offrir une protection adéquate aux personnes qui risquent d’être persécutées et qui fuient. La jurisprudence en matière de protection offerte par l’État est bien établie et présume que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Cependant, la présomption de la protection de l’État peut être réfutée par la présentation d’éléments de preuve clairs et convaincants que la protection accordée par l’État est inadéquate ou inexistante (arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30, [2008] 4 RCF 636). La jurisprudence a également établi que, bien que la protection de l’État n’ait pas à être parfaite, elle doit néanmoins présenter un certain niveau d’efficacité, et l’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (décision Bledy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 47, [2011] A.C.F. no 358 (QL)). La protection de l’État doit aussi être adéquate sur le plan opérationnel (décision Henguva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 18, [2013] A.C.F. no 510 (QL); décision Meza Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16, [2011] A.C.F. no 1663 (QL); décision Galamb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, aux paragraphes 32 et 33, [2016] A.C.F. no 1220 (QL)). Les efforts et les promesses ne suffisent pas.

[119]  Comme l’a fait remarquer le juge Rennie dans la décision Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, aux paragraphes 9 à 11, [2011] A.C.F. n824 (QL), la présomption qu’un État peut protéger ses citoyens varie selon la nature de la démocratie dans le pays, et la démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État. Il faut également prendre en compte la qualité des institutions sur lesquelles on compte pour assurer cette protection.

[120]  Les mêmes principes peuvent s’appliquer à l’évaluation des risques futurs en l’espèce. Le délégué du ministre a déclaré que [traduction] « le fait que le gouvernement soit devenu pour ainsi dire une démocratie est important ». Cela fait valoir que le délégué du ministre s’est largement fondé sur le fait qu’un gouvernement démocratique a été élu, sans tenir compte de la qualité des institutions de ce gouvernement. Le délégué du ministre a admis que certains commentateurs avaient exprimé des réserves au sujet des progrès réalisés par le régime. Ces préoccupations sont soulignées dans les documents sur la situation dans le pays, qui indiquent clairement que certaines réformes démocratiques essentielles n’ont pas été mises en place (par exemple, la présomption d’innocence et l’indépendance de la magistrature) et, de manière plus générale, qu’il est trop tôt pour conclure, comme l’a fait le délégué du ministre, qu’il est peu probable que Than Soe soit exposé à des risques au sens de l’article 97.

[121]  La décision du délégué du ministre repose sur l’idée que les améliorations limitées observées jusqu’à maintenant et les changements promis étaient suffisants pour conclure que Than Soe ne serait pas exposé à des risques dans l’éventualité où il serait poursuivi. Le délégué du ministre a admis les éléments de preuve sur la situation dans le pays indiquant que des difficultés persistent, notamment dans le système judiciaire, mais s’est concentré sur les commentaires optimistes. Compte tenu de la gravité des « signaux d’alarme » dans les éléments de preuve sur la situation dans le pays, il incombait au délégué du ministre d’examiner si des éléments de preuve montraient que les changements étaient bien opérationnels, au moment d’évaluer les risques futurs pour Than Soe. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la majeure partie des éléments de preuve sur la situation dans le pays, invoqués par le délégué du ministre, portent sur la situation très tôt après les élections – par exemple, le rapport de l’International Crisis Group publié en juillet 2016, soit à peine quatre mois plus tard. Il faut généralement beaucoup plus de temps pour évaluer les répercussions des changements promis par les réformes démocratiques, après des années passées sous un autre régime. Bien que l’on puisse espérer que la situation au Myanmar continue d’évoluer et que les améliorations promises soient mises en place et qu’elles soient efficaces, eu égard aux éléments de preuve dont disposait le délégué du ministre au moment opportun, c’est-à-dire très peu de temps après l’installation du nouveau gouvernement, ces éléments étaient insuffisants pour justifier la conclusion du délégué selon laquelle les réformes démocratiques – en particulier celles sur lesquelles Than Soe devrait compter s’il retournait au pays – étaient opérationnelles. Le délégué du ministre a mentionné notamment que les documents sur la situation dans le pays indiquaient que les militaires exerçaient toujours un pouvoir considérable, qu’il n’y avait pas indépendance de la magistrature et que le système judiciaire était corrompu. On ne peut faire abstraction de ces éléments au profit de promesses et de « certaines améliorations ».

[122]  En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande d’ERAR restreint de Than Soe doit être réexaminée par un autre décideur.

IX.  Aucune question n’est certifiée

[123]  Than Soe a proposé trois questions à certifier, dont une seulement est liée aux conclusions de la Cour : le ministre est-il tenu d’examiner la durabilité des changements dans le contexte d’une évaluation raisonnable d’un changement dans la situation du pays aux fins d’une décision au titre de l’article 97?

[124]  Tel qu’il a été mentionné précédemment, je suis d’avis que, dans l’évaluation des risques futurs, le délégué du ministre devrait tenir compte de l’efficacité concrète des réformes démocratiques, comme s’il s’agissait d’évaluer la protection offerte dans l’État. Cependant, comme il ne s’agit pas d’une conclusion déterminante en l’espèce, la question ne sera pas certifiée.

[125]  Le défendeur a proposé une question visant à déterminer à qui incombe le fardeau de la preuve dans le contexte d’une demande d’ERAR limité, lorsque l’évaluation initiale des risques a conclu à l’existence de risques. Là encore, il ne s’agit pas d’une question déterminante; elle ne sera donc pas certifiée.

X.  Aucuns dépens

[126]  Than Soe soutient qu’il devrait y avoir adjudication de dépens en sa faveur, car le décideur a examiné la demande d’une manière cavalière sans tenir compte [traduction] « des éléments fondamentaux de l’évaluation des risques » ni du témoignage des experts. Il ajoute que cette approche a forcé toutes les parties à engager des ressources et lui a causé un stress supplémentaire.

[127]  L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prescrit ce qui suit : « Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ».

[128]  Le critère permettant d’établir l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux (décision Adewusi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 75, au paragraphe 23, 403 FTR 258 [décision Adewusi]). Dans la décision Adewusi, la Cour a cité quelques exemples de la jurisprudence où ce critère a été satisfait, notamment lorsqu’une partie s’est comportée d’une manière que l’on peut qualifier d’inéquitable, oppressive ou inappropriée, ou d’attribuable à de la mauvaise foi, et lorsqu’une conduite a prolongé inutilement ou déraisonnablement l’instance.

[129]  Il n’existe en l’espèce aucune raison spéciale d’adjuger des dépens. Le délégué du ministre a examiné toutes les observations et tous les éléments de preuve de Than Soe. Aucune iniquité ni mauvaise foi, ni aucun délai inutile, ne justifient l’adjudication de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2957-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La demande d’ERAR présentée par le demandeur au titre de l’alinéa 113d) de la Loi sera jugée par un autre décideur.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

  4. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2957-17

 

INTITULÉ :

THAN SOE c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

Talia Joundi

 

Pour le demandeur

 

Mary Matthews

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.