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Date : 20180601


Dossier : IMM-5124-17

Référence : 2018 CF 571

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

ABDOUL NASSER SADOU MARAFA

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Marafa est citoyen du Niger. Sa demande d’asile au Canada et sa demande d’examen des risques avant renvoi ont toutes deux été rejetées. Il a demandé une dispense pour considérations d’ordre humanitaire [CH] afin d’être autorisé à présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Sa demande a été rejetée. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ce refus, alléguant que l’agent qui a pris la décision [l’agent] s’est mépris quant aux critères applicables à une demande CH. J’accueille sa demande, puisque l’agent a omis de prendre en considération les conditions de vie au Niger, où M. Marafa doit être renvoyé. Cette omission rend sa décision déraisonnable.

[2]  L’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la Loi] prévoit que le ministre peut accorder une dispense de certaines disposition de la Loi « s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Une telle décision est discrétionnaire. Le décideur doit soupeser plusieurs facteurs pertinents, mais aucun algorithme rigide ne détermine l’issue. La Cour examine les décisions de cette nature selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, au paragraphe 44 [Kanthasamy]). Dans ce contexte, mon rôle n’est pas d’évaluer les facteurs pertinents ou d’exercer de nouveau un pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de m’assurer que le décideur a identifié les facteurs pertinents et qu’il les a dûment pris en considération. Je dois également m’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle se fonde sur une interprétation justifiable des principes juridiques applicables et sur une évaluation raisonnable des éléments de preuve.

[3]  Les difficultés que subirait le demandeur s’il est renvoyé dans son pays d’origine constituent l’un des facteurs pertinents à l’évaluation d’une demande CH. M. Marafa soutient que l’agent a mal apprécié ce facteur. Selon M. Marafa, l’agent aurait appliqué le mauvais critère en refusant de tenir compte des conditions générales au Niger. L’agent a agi ainsi, car selon lui, ces conditions affectaient l’ensemble de la population et non M. Marafa en particulier. L’extrait suivant de la décision résume bien le raisonnement de l’agent :

Bien que la situation ne soit pas parfaite, la documentation soumise et celle consultée ne permettent pas d’établir un lien avec la situation personnelle du demandeur puisqu’elle fait plutôt référence aux conditions générales dans le pays. Il ressort de la documentation soumise et de celle consultée sur la situation au Niger que les conditions auxquelles le demandeur serait exposé ne sont pas différentes de celles auxquelles est exposé le reste de la population du pays puisqu’elles ne sont pas liées à une caractéristique ou à un statut particulier propre au demandeur. Conséquemment, j’accorde peu de poids aux facteurs dans le pays d’origine.

[4]  De nombreuses décisions de notre Cour soulignent que, dans le cadre d’une demande CH, l’agent ne doit pas limiter son examen des difficultés que subirait le demandeur dans son pays d’origine à celles qui se rattachent à une caractéristique personnelle du demandeur (voir, à titre d’exemples, Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269 aux paragraphes 67-73; Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129 aux paragraphes 32-36; Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 aux paragraphes 30-31; Rubayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 74 aux paragraphes 14-25). En réalité, s’il commet cette erreur, l’agent se trouve à confondre les critères applicables à une demande CH, régie par l’article 25 de la Loi, avec ceux qui définissent le statut de personne à protéger, selon l’article 97.

[5]  Le défendeur invoque trois décisions de cette Cour qui semblent proposer une solution différente (Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Lalane], 2009 CF 6; Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Joseph], 2015 CF 661; Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Ibabu], 2015 CF 1068). Le raisonnement qui sous-tend ces trois décisions est exposé de façon succincte dans l’affaire Lalane (au paragaphe 1) :

L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH […].

[6]  Or, avec égard pour mes collègues, j’estime que ce raisonnement exagère la portée de la jurisprudence majoritaire que j’ai évoquée plus haut et néglige le caractère discrétionnaire d’une décision au sujet d’une demande CH. Tenir compte d’un facteur n’est pas synonyme de rendre une décision favorable au demandeur. Ainsi, la prise en considération des conditions générales du pays de renvoi n’équivaut pas à interdire tout renvoi dans certains pays où les conditions de vie sont particulièrement difficiles.

[7]  Le raisonnement des décisions Lalane, Joseph et Ibabu est difficile à réconcilier avec l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême du Canada. En toute justice pour mes collègues, je signale que cet arrêt est postérieur à leurs décisions. Dans cet arrêt, la Cour suprême a rejeté une analyse compartimentée des facteurs pertinents à une demande CH et a affirmé que l’agent doit « examiner et […] soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (paragraphe 33, italiques dans l’original). En réalité, refuser de prendre en considération les conditions de vie dans le pays de renvoi, c’est faire comme si le demandeur était renvoyé dans un pays imaginaire. Une telle approche désincarnée est contraire à l’esprit de l’arrêt Kanthasamy.

[8]  Étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les arguments de M. Marafa concernant les éléments de preuve portant sur son établissement au Canada.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent afin qu’une nouvelle décision soit prise;

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-5124-17

 

INTITULÉ :

ABDOUL NASSER SADOU MARAFA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 mai 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

 

Pour le demandeur

 

Andrea Shahin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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