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Date : 20160302


Dossier : IMM-3725-15

Référence : 2016 CF 274

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 2 mars 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ALISHBA CHAUHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APRÈS une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI), en date du 22 juillet 2015, rejetant l’appel de la demanderesse à l’égard d’une décision de la Section de l’immigration (SI) qui a conclu que la demanderesse est interdite de territoire au Canada pour le motif que son mariage n’était pas authentique et en raison de ses fausses déclarations sur la nature de son mariage en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR;

ET APRÈS avoir pris en considération le dossier certifié du tribunal et les observations orales et écrites des parties, notre Cour est d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée pour les motifs ci-dessous :

[1]  La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. En mars 2009, elle a épousé M. Samuel, qui est citoyen canadien. Le mariage, qui a été arrangé par l’oncle maternel de la demanderesse et la mère de M. Samuel, a eu lieu en Inde. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada parrainée par M. Samuel et est arrivée en tant que résidente permanente le 22 septembre 2009.

[2]  À son arrivée au Canada le 22 septembre 2009, la demanderesse a déclaré qu’elle ne voulait pas rester avec M. Samuel et a indiqué qu’elle voulait plutôt rester avec son oncle. Elle a également déclaré qu’elle ne voulait pas poursuivre la relation et a demandé le divorce.

[3]  En janvier 2010, la demanderesse a quitté le domicile de M. Samuel. Au cours du même mois, M. Samuel a également soumis une déclaration statutaire aux autorités canadiennes d’immigration, indiquant qu’il a été victime d’un mariage frauduleux par lequel la demanderesse avait acquis le statut de résidente permanente au Canada.

[4]  La demanderesse a rencontré son mari actuel en juin 2010 et ils ont commencé à cohabiter trois (3) semaines plus tard. Ils se sont mariés en décembre 2013.

[5]  Le 23 novembre 2010, M. Samuel a obtenu le divorce de la demanderesse. Le motif allégué dans la demande était que la demanderesse et lui vivaient séparés depuis le 22 septembre 2009, date de l’arrivée de la demanderesse au Canada.

[6]  L’allégation faite par M. Samuel a fait l’objet d’une investigation par l’Agence des services frontaliers du Canada qui a renvoyé l’affaire à la SI aux fins d’enquête. Après avoir entendu la demanderesse et M. Samuel, ainsi que l’oncle de la demanderesse qui avait arrangé le mariage et le pasteur de l’église de M. Samuel, le commissaire de la SI a conclu que la demanderesse avait contracté le mariage dans le but d’obtenir le statut de résidente permanente au Canada, et avait présenté les faits de façon erronée aux autorités canadiennes d’immigration. La demanderesse a été jugée interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, et une mesure de renvoi a été prise contre elle.

[7]  En appel, la SAI a conclu que la décision et l’ordonnance de renvoi étaient toutes deux légalement valides. Pour arriver à sa conclusion, la SAI s’est appuyée sur les témoignages de M. Samuel, du pasteur de M. Samuel et de l’oncle de la demanderesse devant la SI, ainsi que sur des lettres de deux (2) témoins, qui ont tous confirmé que la demanderesse avait exprimé son désir de quitter son mari à son arrivée au Canada. La SAI a également invoqué le fait que la demanderesse a elle-même reconnu qu’au début, elle ne voulait pas rester avec M. Samuel parce qu’elle était fâchée contre lui parce qu’il ne lui avait pas accordé un soutien financier suffisant en Inde, mais elle a ensuite changé d’idée. La SAI a en outre estimé que sa décision de ne pas retourner en Inde lorsque son mariage s’est complètement effondré démontrait que sa principale raison d’épouser M. Samuel était son désir de venir au Canada. La SAI a également conclu que son omission d’informer les autorités canadiennes d’immigration avant ou après son arrivée au Canada de son intention de divorcer et de ne pas résider avec son parrain constituait un fait important en lien avec un objet pertinent et entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR et constituait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a)de la LIPR.

[8]  Après avoir conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations, la question que la SAI devait trancher consistait à savoir si des considérations d’ordre humanitaire (CH) justifiaient la prise de mesures discrétionnaires à la lumière de la situation de la demanderesse. En plus d’estimer que la demanderesse n’était [traduction] « absolument pas crédible comme témoin », la SAI a conclu que la conduite de la demanderesse tout au long du processus, notamment son manque de franchise et son refus de reconnaître la véritable nature et la gravité de ses fausses déclarations, constituait une circonstance très aggravante qui l’emportait sur les éléments de preuve selon lesquels la demanderesse et son mari actuel subiraient un préjudice. Étant donné ces conclusions, la SAI a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures spéciales au regard des circonstances de l’affaire.

[9]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soulève deux (2) questions. En premier lieu, elle prétend que la SAI a rendu des conclusions de fait erronées, qui étaient au cœur de sa décision, notamment : a) la SAI a déclaré à tort que la demanderesse [traduction] « a quitté » la maison de M. Samuel en janvier 2010, alors qu’en réalité, elle avait l’intention de rester mariée, mais a été expulsée par M. Samuel; b) la SAI a déclaré à tort que la demanderesse a [traduction] « reçu » la demande de divorce quand en fait elle n’a reçu qu’une demande de divorce non signée et non déposée du frère de M. Samuel, et une copie de l’ordonnance de divorce n’a été envoyée à son oncle qu’après un temps considérable; et, c) la SAI a conclu que rien ne démontrait que la demanderesse avait déposé un affidavit à la Cour supérieure contestant l’exactitude de la date de la séparation indiquée dans l’ordonnance de divorce. En second lieu, elle soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que la doctrine de la contestation indirecte l’a empêchée de vérifier la date de séparation en vertu de laquelle l’ordonnance de divorce a été accordée.

[10]  Le défendeur soutient que les inexactitudes alléguées dans la décision de la SAI doivent être lues dans son contexte plus large et n’ont eu aucune incidence sur les conclusions déterminantes de la SAI concernant les intentions de la demanderesse à son arrivée au Canada et la rupture de son mariage.

[11]  Notre Cour a déjà statué que les conclusions d’interdiction de territoire en raison de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR sont des questions mixtes de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 19; Oloumi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 12). Dans l’examen de la décision de la SAI selon la norme de la décision raisonnable, je dois avoir à l’esprit les enseignements de la jurisprudence, à savoir si la décision de la SAI est justifiée, intelligible et transparente et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,  2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59,  [2009] 1 RCS 339, [Khosa]).

[12]  En outre, il est de droit constant que la SAI soit présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (CAF) (QL) et que ce n’est pas le rôle de notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire de réévaluer et réexaminer les éléments de preuve déposés à la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdo,2007 CAF 64, au paragraphe 13; Khosa, au paragraphe 61). De plus, les évaluations de la crédibilité sont fondées sur les faits et il convient que notre Cour fasse preuve d’une grande déférence à cet égard (Nadasapillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 72, au paragraphe 9; Granata c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1203, au paragraphe 28; Dunsmuir, au paragraphe 53).

[13]  En ce qui a trait à l’argument de la demanderesse voulant que la SAI ait fait une erreur cruciale en indiquant que les parties s’étaient entendues sur le fait que la demanderesse avait séjourné à la maison de M. Samuel jusqu’au 14 janvier 2010 [traduction] « lorsqu’elle a quitté le domicile conjugal pour vivre avec son oncle maternel », je suis d’accord avec le défendeur que l’utilisation du mot « quitté » ne constitue pas une inexactitude. Même si la demanderesse a été « expulsée », cela ne change pas l’exactitude de la déclaration selon laquelle elle a quitté la maison de M. Samuel pour aller vivre avec son oncle. La déclaration de la SAI ne suggère pas que le départ était volontaire. À la lecture de la décision de la SAI, je suis d’avis que la SAI faisait simplement allusion au fait qu’à partir de cette date, la demanderesse et son mari ne vivaient plus sous le même toit.

[14]  Même si la SAI avait mal interprété la preuve concernant cette question, j’estime que l’utilisation du mot « quitté » est sans importance lorsque lu dans le contexte plus large de la décision. La conclusion générale de la SAI concernant l’authenticité du mariage et son but premier n’était pas fondée sur la question que la demanderesse ait « quitté » M. Samuel ou non, mais plutôt sur le fait établi que la demanderesse a exprimé son souhait de ne pas résider avec M. Samuel et de demander le divorce lorsqu’elle est arrivée au Canada. Bien que la demanderesse ait déclaré dans son témoignage qu’elle avait fait cette déclaration parce qu’elle était fâchée contre son mari pour un certain nombre de raisons, la SAI a rejeté l’explication de la demanderesse au motif qu’elle ne voyait aucune raison plausible expliquant que la demanderesse soit fâchée au point de venir au Canada, ne veuille pas vivre avec son mari et demande le divorce. En outre, dans sa conclusion, la SAI s’est en particulier appuyée sur le témoignage de l’oncle de la demanderesse devant la SI. L’oncle de la demanderesse a confirmé que la demanderesse avait bien déclaré qu’elle voulait le divorce à son arrivée au Canada et qu’il avait insisté pour qu’elle reste avec M. Samuel. Également selon son témoignage, de septembre 2009 à janvier 2010, la demanderesse n’a pas voulu vivre avec M. Samuel et il a accepté que la demanderesse vive chez lui que pour donner aux époux suffisamment de temps pour essayer de résoudre leurs problèmes. En retenant ce témoignage, la SAI a souligné que rien ne pouvait expliquer de façon plausible que l’oncle mente à ce sujet alors que c’est lui qui les avait présentés l’un à l’autre et financé le voyage de la demanderesse au Canada. En conséquence, j’estime qu’aucun fondement n’étaye l’argument de la demanderesse sur cette question.

[15]  La demanderesse a également fait valoir que la SAI a commis une erreur en affirmant qu’elle avait reçu la demande de divorce. Bien que la preuve de la réception de la demande de divorce par la demanderesse soit floue, on peut toutefois affirmer sans équivoque qu’en juillet 2010, elle a reçu une copie de la demande, qui indiquait clairement que la date de la séparation était le 22 septembre 2009, soit le jour où elle est arrivée au Canada. La demanderesse a eu amplement de temps avant que le divorce ne soit accordé en novembre 2010 pour communiquer à M. Samuel qu’il y avait une erreur dans le document. Elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt attendu jusqu’en 2012 pour déposer une requête à la Cour supérieure afin que la date de la séparation dans la demande de divorce soit corrigée. J’estime que l’utilisation du mot « reçu » est sans importance dans les circonstances de l’espèce.

[16]  La demanderesse allègue également que la SAI a commis une erreur en affirmant qu’il n’y avait aucune indication que l’affidavit de février 2012 à l’appui de sa requête ait été déposé ou reçu par la Cour supérieure. Je suis d’accord avec la demanderesse que la SAI peut s’être méprise sur ce point étant donné que M. Samuel a reconnu avoir répondu à la requête. Je suis néanmoins d’avis que cette erreur est sans importance. Cet élément de preuve indique simplement qu’une requête et un affidavit ont été déposés pour changer la date de la séparation. Rien n’indique que la Cour supérieure ait changé la date de la séparation. En fait, lorsque la demanderesse a témoigné devant la SI, elle ne pouvait pas indiquer à la SI ce qui était advenu de la requête, et M. Samuel a également témoigné qu’il n’avait jamais été cité à comparaître relativement à cette requête. Comme indiqué précédemment, il n’en demeure pas moins que la demanderesse n’a pas tenté de changer la date de la séparation avant que le divorce ne soit prononcé. En conséquence, je trouve l’argument de la demanderesse non fondé quant à cette question.

[17]  En ce qui concerne la deuxième question soulevée par la demanderesse, soit que la SAI aurait commis une erreur en concluant que la doctrine de la contestation indirecte l’a empêchée de vérifier la date de séparation en application de laquelle l’ordonnance de divorce a été accordée, la demanderesse allègue qu’elle ne conteste que le caractère correct du fondement factuel de la décision et ne conteste pas la validité juridique de l’ordonnance de divorce. Bien que le défendeur admette que la contestation indirecte n’est peut-être pas la doctrine la plus appropriée pour décrire l’absence de compétence de la SAI, la demande de la demanderesse constituait tout de même un abus de procédure; toutefois, toute confusion entre les deux (2) doctrines est sans importance étant donné qu’elles touchent toutes deux l’absence de compétence de la SAI pour modifier les conclusions de la Cour supérieure.

[18]  À mon avis, même si la demanderesse fait valoir qu’elle ne conteste que le caractère correct du fondement factuel de l’ordonnance de divorce et non la décision elle-même, sa contestation pourrait avoir une incidence sur la validité de l’ordonnance de divorce. En faisant valoir que la date de la séparation n’était pas le 22 septembre 2009, mais plus tard, l’exigence voulant que les conjoints doivent avoir vécu séparément pendant au moins un (1) an pourrait ne pas avoir été respectée. La SAI a peut-être compris que c’était le cas et par conséquent, a conclu que la contestation de la demanderesse concernant la date de séparation constituait une contestation indirecte de l’ordonnance de divorce.

[19]  Même si la SAI a à tort fait référence à la doctrine de la contestation indirecte plutôt qu’à la doctrine de l’abus de procédure, je suis d’avis que la SAI s’appuyait manifestement sur le principe plus large selon lequel l’ordonnance de divorce est définitive et exécutoire et n’a donc commis aucune erreur susceptible de révision en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour examiner de nouveau la date de la séparation.

[20]  Par les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de la SAI était raisonnable et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[21]  Finalement, étant donné que la demanderesse n’a présenté aucun argument à l’égard de la conclusion de la SAI selon laquelle les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales, je ne vois pas la nécessité d’aborder cette question.

[22]  Les parties n’ont proposé aucune question certifiée au cours de la présente procédure.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3725-15

INTITULÉ :

ALISHBA CHAUHAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2016

COMPARUTIONS :

Jaswant Singh Mangat

Pour la demanderesse

David Cranton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Avocats

Mississauga (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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