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Date : 20180604


Dossier : IMM-4811-17

Référence : 2018 CF 579

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

PATRYCJA CIESLAK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Patrycja Cieslak, âgée de 29 ans, est une citoyenne de la Pologne. Elle est entrée au Canada le 4 juin 2008, avec un visa de visiteur valide pendant six mois. Elle est célibataire. À l’expiration de son visa, elle est demeurée au Canada et elle est sans statut depuis. Par conséquent, en novembre 2016, elle a demandé la résidence permanente à partir du Canada en invoquant des considérations d’ordre humanitaire. Pour étayer sa demande, elle a invoqué le fait qu’elle soit installée au Canada de même que les difficultés qu’elle aurait à surmonter en Pologne du fait des abus physiques et verbaux que son père lui avait fait subir, de l’agression sexuelle qu’elle a subie d’un homme non identifié ainsi que des conditions générales qui règnent en Pologne. Dans une décision rendue le 19 octobre 2017, un agent d’immigration principal a refusé de dispenser la demanderesse de certaines exigences législatives, une dispense qui aurait mené à l’étude de sa demande de résidence permanente à partir du Canada. La demanderesse a maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Elle demande à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de soumettre sa demande comportant des considérations d’ordre humanitaire à un nouvel examen par un autre agent.

I.  La décision de l’agent

[2]  L’agent a refusé la demande d’exemption de la demanderesse au motif que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier une exception. Soulignant d’abord que la demanderesse était arrivée au Canada en juin 2008 avec un visa de visiteur de six mois et qu’elle avait immédiatement commencé à travailler sans autorisation, l’agent a ensuite fait remarquer que ce n’est qu’en novembre 2016 qu’elle a finalement tenté de régulariser sa situation. Il a tenu compte de l’explication de la demanderesse, selon laquelle elle était jeune et ne connaissait pas les lois de l’immigration au Canada, mais a souligné qu’elle savait que son visa expirait en décembre 2008 et qu’elle avait malgré tout décidé de rester au pays. L’agent a jugé que la demanderesse n’avait pas fourni d’explication raisonnable qui puisse justifier pourquoi elle était demeurée au Canada pendant plus de huit ans, sans tenter de régulariser sa situation, et a estimé qu’il s’agissait là d’un facteur qui jouait particulièrement contre elle.

[3]  L’agent a également examiné les emplois occupés par la demanderesse, à savoir concierge à son compte, employée de bureau et installatrice de plancher, et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait travaillé sans autorisation et qu’elle avait été payée en espèces pendant son séjour au Canada. L’agent a souligné l’absence de documentation relative à l’impôt sur le revenu, et a tenu compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle elle ne pouvait pas produire de déclaration d’impôt puisqu’à titre de visiteuse, elle n’avait pas de numéro d’assurance sociale. L’agent a jugé que la demanderesse n’avait pas payé d’impôt pendant qu’elle travaillait sans autorisation au Canada, indiquant que ce point jouait aussi « considérablement » contre elle.

[4]  Bien que l’agent reconnaisse que la demanderesse ait noué des amitiés au Canada et que ses amis ont parlé en sa faveur, ce n’est pas inhabituel et l’agent n’est pas persuadé que la demanderesse ne pourrait pas rester en contact avec ses amis au moyen de lettres ou de courriels, ou encore à l’aide de la vidéo ou des médias sociaux si elle devait quitter le Canada, puis présenter sa demande de résidence permanente selon la méthode admise. L’agent a aussi tenu compte du fait que la demanderesse avait fait du bénévolat au Guru Nanak Mission Centre et qu’elle avait fait des dons de bienfaisance, qu’elle avait un permis de conduire, qu’elle était titulaire d’une assurance automobile, qu’elle avait un appartement meublé, qu’elle n’avait pas de dossier criminel au Canada ni en Pologne et qu’elle pouvait communiquer en anglais. L’agent a attribué à ces éléments de preuve concernant son établissement un « poids favorable minimal ».

[5]  L’agent a aussi tenu compte de l’observation de la demanderesse selon laquelle elle aurait à faire face à des souvenirs douloureux et traumatisants si elle retournait en Pologne pour présenter sa demande de résidence permanente selon la méthode admise, soulignant que la demanderesse, ses quatre frères ou sœurs, et leur mère avaient régulièrement subi des abus verbaux et physiques de la part du père et que la demanderesse avait été victime, à l’âge de six ans, d’une agression sexuelle commise par un homme qu’elle n’a jamais revu. L’agent a reconnu que le fait pour la demanderesse de retourner dans sa maison d’enfance ou de revoir son père pouvait faire ressurgir des souvenirs d’enfance difficiles, rien ne l’obligeait à retourner chez ses parents ou à entrer en contact avec son père. Par ailleurs, l’agent n’était pas convaincu que ces expériences étaient liées à la Pologne de façon générale, mais qu’elles concernaient plutôt un foyer et des personnes en particulier.

[6]  L’agent a ensuite examiné l’observation de la demanderesse selon laquelle elle n’arriverait pas à trouver de travail en Pologne et qu’elle serait par conséquent obligée de retourner habiter chez ses parents. À ce sujet, l’agent a souligné que la demanderesse avait obtenu, en Pologne, un diplôme en économie et en administration, qu’elle avait acquis une expérience de travail significative au Canada dans la construction et qu’elle parlait le polonais et l’anglais. Reconnaissant que la demanderesse devrait trouver du travail en Pologne, l’agent n’a toutefois pas été convaincu qu’elle ne serait pas en mesure d’utiliser ses compétences linguistiques et autres pour trouver un emploi. L’agent a également tenu compte du fait que la demanderesse avait quatre frères ou sœurs en Pologne, dont trois étaient mariés et avaient leur propre domicile, et n’a pas été convaincu qu’elle ne pourrait pas habiter temporairement chez l’un d’eux ou obtenir leur aide pendant qu’elle se réinstalle en Pologne.

[7]  En réponse à l’observation de la demanderesse concernant les inquiétudes que suscitent chez elle les changements politiques en Pologne, l’agent a tenu compte d’un article qu’elle a produit; cet article portait sur un plan pour renforcer le mouvement de résistance contre le gouvernement ultraconservateur en Pologne ainsi qu’un rapport que le Département d’État des États-Unis avait préparé sur le pays en 2016. L’agent a établi que même si les conditions en Pologne n’étaient pas parfaites, elles étaient plus que raisonnables, et n’a donné à ce facteur « aucun poids positif ». L’agent a conclu l’exposé des raisons pour lesquelles il refusait de traiter la demande de la demanderesse au regard de considérations d’ordre humanitaire en n’attribuant aucun poids favorable au fait qu’elle était née en Pologne, qu’elle y avait habitée pendant 19 ans, qu’elle y avait fait ses études et qu’elle parlait la langue du pays.

II.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[8]  La décision d’un agent de refuser une dispense conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]). Une décision d’agent conformément au paragraphe 25(1) est hautement discrétionnaire, puisque cette disposition « prévoit un mécanisme en cas de circonstances exceptionnelles, » et la Cour [TRADUCTION] « doit accorder une déférence considérable » à l’agent (Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4, [2016] ACF no 1305; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15, [2002] 4 RCF 358).

[9]  La norme de la décision raisonnable charge la cour de la révision d’une décision administrative quant à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle doit déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]. De plus, il n’entre pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].

[10]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43. Aux termes de cette norme, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité et de justice fondamentale. Par conséquent, comme l’a récemment observé la Cour d’appel fédérale, [traduction] « même si la terminologie employée peut sembler étrange, “la norme de la décision correcte reflète mieux cet exercice de révision”, même si, à vrai dire, aucune norme de révision n’est appliquée » (Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, au paragraphe 54, [2018] ACF no 382). Autrement dit, une procédure qui est inéquitable n’est ni raisonnable ni correcte, tandis qu’une procédure équitable sera toujours à la fois raisonnable et correcte. De plus, une cour de révision accordera une attention respectueuse aux procédures d’un décideur et elle n’interviendra que lorsque ces procédures sortent des limites de la justice naturelle (Bataa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 401, au paragraphe 3, [2018] ACF no 403).

B.  L’agent a-t-il interprété la preuve de façon déraisonnable?

[11]  La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas bien tenu compte de son niveau d’établissement au Canada. Selon la demanderesse, qui s’estime mieux intégrée à la société canadienne que la plupart des nouveaux arrivants, l’agent a à peine tenu compte du fait qu’au cours des quelque neuf ans qu’elle a passés au Canada, elle avait obtenu un permis de conduire, s’était procuré une assurance automobile et avait trouvé un appartement meublé. Selon la demanderesse, l’agent a fait des hypothèses non étayées concernant sa capacité à demeurer en contact avec ses amis si elle devait retourner en Pologne, soulignant qu’aucun élément de preuve ne laisse entendre que ceux-ci auraient les moyens de lui rendre visite. La demanderesse affirme que l’agent a soupesé de manière déraisonnable le fait qu’elle ait constamment travaillé pendant son séjour au Canada puisqu’il n’a tenu compte que du fait qu’elle n’était pas autorisée à travailler, et qu’il a utilisé de façon erronée des critères comme son niveau de scolarité, ses expériences de travail, sa maîtrise du polonais et de l’anglais, puisque ces critères auraient plutôt dû servir à étayer son niveau d’établissement au Canada.

[12]  Du point de vue du défendeur, les arguments de la demanderesse sur la question de l’établissement sont une contestation de l’appréciation des éléments de preuve par l’agent. Selon le défendeur, la Cour a maintenu à de nombreuses reprises que seul l’établissement ne constituait pas un motif suffisant d’accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire, et que les conséquences normales d’un renvoi ne constituent pas un préjudice. Le défendeur souligne que l’agent n’a pas commis d’erreur en considérant le fait que l’établissement de la demanderesse était le résultat de circonstances dont cette dernière avait le contrôle. Le défendeur caractérise les observations de la demanderesse d’argument visant à démontrer que du fait de son long séjour non autorisé au Canada, son établissement étaye la dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[13]  À cet égard, je suis d’accord avec le défendeur. Les arguments de la demanderesse sur la question de l’établissement sont une contestation de l’appréciation des éléments de preuve par l’agent. Même si l’agent a déclaré qu’il était [traduction] « normal qu’une personne passant presque neuf ans au Canada acquière des choses » comme un permis de conduire, une assurance automobile et un appartement meublé, cet énoncé ne s’apparente pas à des déclarations générales « inacceptables et litigieuses » comme celles ayant amené un juge à conclure que la décision d’un agent concernant une demande pour considérations d’ordre humanitaire était déraisonnable, notamment dans les cas suivants : Chandidas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 80, [2014] 3 RCF 639; Sebbe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, au paragraphe 21, 414 FTR 268; et Ndlovu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 878, aux paragraphes 12 à 15, [2017] ACF no 939 (Ndlovu).

[14]  Le commentaire de l’agent sur le fait qu’il était « normal » ou prévisible que la demanderesse ait un permis de conduire, une assurance automobile et un appartement meublé ne représente qu’une petite partie du raisonnement de l’agent concernant le niveau d’établissement. En l’espèce, l’agent a raisonnablement évalué la durée du séjour ou de l’établissement de la demanderesse au Canada et n’a pas indûment mis l’accent sur le niveau d’établissement « prévisible » ou « attendu » dans les circonstances. Dans tous les cas, l’établissement n’est qu’un des facteurs à prendre en compte et ne permet pas en soi d’évaluer une demande au regard de considérations d’ordre humanitaire (Ndlovu, au paragraphe 14; Kanthasamy, aux paragraphes 40 et 98). L’agent a évalué les éléments de preuve et a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle souffrirait des conditions de vie en Pologne si elle devait y retourner.

C.  L’agent a-t-il appliqué un critère juridique erroné dans l’évaluation de la demande pour considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse?

[15]  La demanderesse affirme que l’agent a appliqué un critère juridique erroné dans l’évaluation de sa demande pour considérations d’ordre humanitaire, puisqu’il n’a pas tenu compte des difficultés qu’elle aurait à surmonter si elle devait retourner en Pologne, et qu’il n’a tenté d’établir si ces difficultés seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Selon la demanderesse, l’agent a tiré un certain nombre de conclusions déraisonnables au sujet des éléments de preuve relatifs aux difficultés, notamment qu’il avait émis l’hypothèse non fondée que ses frères ou sœurs l’aideraient alors même que des éléments de preuve montrent que c’est elle qui leur envoie de l’argent quand elle le peut, et en dépit d’une lettre de sa sœur indiquant que la demanderesse n’aurait d’autre choix que d’habiter avec ses parents. De l’avis de la demanderesse, aucun élément de preuve n’étaye la conclusion de l’agent selon laquelle elle pourrait habiter chez ses frères ou sœurs, et le fait que l’agent ne lui ait pas donné la possibilité de répondre à cette hypothèse constitue une violation de l’équité procédurale. La demanderesse prétend que l’agent s’est attardé à des détails non pertinents, dont l’importance de ses activités de bienfaisance, sans expliquer en quoi ces détails étaient pertinents en l’espèce.

[16]  S’appuyant sur l’affaire Kanthasamy, le défendeur affirme qu’un agent doit tenir compte de tous les facteurs pertinents et que la formule « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » ne constitue plus un critère correct pour juger d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le défendeur est d’avis que l’agent n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas ce critère, et que les motifs invoqués par l’agent comprennent un résumé et une analyse des observations de la demanderesse concernant les difficultés qu’elle vivrait en Pologne. Selon le défendeur, l’agent a bien tenu compte de toutes les observations de la demanderesse, et s’appuyant sur l’ensemble des éléments de preuve, considère qu’il était raisonnable de conclure que la demanderesse avait d’autres options que de retourner chez son père abusif et que d’obtenir de l’aide de ses frères et sœurs était une possibilité. De l’avis du défendeur, le commentaire de l’agent concernant les activités de bienfaisance de la demanderesse a été fait en lien avec son niveau d’établissement; ce n’est ni un facteur non pertinent ni un facteur déterminant.

[17]  S’étant appuyée sur une jurisprudence dépassée, la demanderesse ne tient pas compte du fait que la formule « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » n’est maintenant qu’un des aspects examinés dans les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, comme on l’énonce dans l’affaire Kanthasamy. Les considérations d’ordre humanitaire ne se limitent pas aux difficultés, et les difficultés ne devraient pas être considérées comme étant un critère indépendant auquel un demandeur doit satisfaire lorsqu’il évoque des considérations d’ordre humanitaire. Au contraire, les agents chargés d’examiner de telles demandes devraient apprécier l’ensemble des facteurs pertinents et mettre l’accent sur « la raison d’être équitable de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire » (Kanthasamy, paragraphe 31). Kanthasamy et la jurisprudence subséquente en matière de considérations d’ordre humanitaire (comme Zlotosz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, aux paragraphes 17 à 20, 282 ACWS [3d] 594; Abeleira c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1008, aux paragraphes 33 et 34, 285 ACWS (3d) 613; et Phillips c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 205, aux paragraphes 18 et 19, 289 ACWS [3d] 613) indiquent que les difficultés ne sont pas déterminantes, qu’elles ne sont pas le seul facteur à considérer dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire et que la formule « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » devrait constituer un élément d’information et non pas un facteur déterminant.

[18]  En l’espèce, l’agent a explicitement tenu compte des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait devoir faire face si elle retournait en Pologne et a pesé ce facteur par rapport à d’autres facteurs pertinents comme la nature de son établissement. Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’agent n’a pas émis l’hypothèse non fondée qu’elle pourrait habiter avec ses frères ou sœurs à son retour en Pologne. En effet, l’agent a plutôt dit qu’au regard des éléments de preuve produits par la demanderesse, il n’était pas convaincu que cela n’était pas une possibilité. À mon avis, il s’agissait d’une appréciation raisonnable de la preuve. L’agent a évalué les éléments de preuve et a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle souffrirait des conditions de vie en Pologne si elle devait y retourner.

D.  L’agent a-t-elle manqué à l’équité procédurale en fournissant des motifs insuffisants?

[19]  La demanderesse prétend que l’agent n’a pas fourni de motifs pour étayer la conclusion selon laquelle les facteurs justifiant qu’il accorde une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants. Selon la demanderesse, l’agent a conclu que son important niveau d’établissement n’était pas déterminant dans l’analyse de sa demande pour considérations d’ordre humanitaire, et il avait détourné la question en concluant que l’expérience de travail et les compétences linguistiques acquises au Canada lui seraient profitables en Pologne. La demanderesse est d’avis qu’un agent doit inclure dans sa décision suffisamment d’explications pour que le demandeur concerné comprenne la conclusion. La demanderesse fait remarquer que dans ses explications, l’agent ne fait que superficiellement mention d’un article qu’elle a produit et n’explique pas pourquoi les conditions décrites dans cet article ne représentent pas des difficultés inhabituelles et démesurées. La demanderesse estime que la déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « les conditions en Pologne ne sont pas parfaites, mais sont plus que raisonnables » ne permet pas déterminer si l’agent a bien évalué si une femme sans études supérieures ferait face à des difficultés en Pologne.

[20]  De l’avis du défendeur, il est clair, à la lecture des motifs de l’agent, que ce dernier a bien examiné tous les facteurs pertinents, et que même si les agents de l’immigration ne sont pas tenus de fournir des raisons détaillées pour étayer leurs conclusions du fait que d’autres décideurs jouent un plus grand rôle décisionnel, l’agent en l’espèce a donné des explications claires à l’égard de tous les facteurs pertinents. Du point de vue du défendeur, les arguments de la demanderesse sont une contestation de l’appréciation des éléments de preuve par l’agent. En ce qui concerne les conditions de vie en Pologne, le défendeur fait remarquer qu’il incombait à la demanderesse d’établir un lien entre sa situation personnelle et les conditions dans son pays, et que les articles qu’elle a produits étaient si généraux qu’il était raisonnable pour l’agent de n’attribuer aucun poids positif à ces conditions.

[21]  Les arguments de la demanderesse sur cette question n’étaient pas convaincants. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Les motifs que l’agent a donnés pour expliquer sa décision de rejeter la demande pour considérations d’ordre humanitaire sont très clairs. Les motifs sont explicites; les quelque neuf ans que la demanderesse a passés au Canada jouent « considérablement contre elle », et l’agent fait à de nombreuses reprises état du fait qu’elle avait travaillé au Canada « sans y être autorisée ». L’agent a clairement décrit comment les différents facteurs avaient été soupesés au regard du facteur négatif que constituent le séjour et les emplois non autorisés. Les motifs de la décision sont suffisamment intelligibles et transparents et respectent de ce fait le seuil fixé dans l’affaire Newfoundland Nurses et plus récemment dans Delta Air Lines Inc c. Lukács, 2018 CSC 2, aux paragraphes 22 à 25, 416 DLR (4th) 579.

III.  Conclusion

[22]  Les motifs soulevés par l’agent pour refuser la demande pour considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse sont transparents, intelligibles et justifiables et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc rejetée.

[23]  Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, en application de l’alinéa 74d) de la LIPR, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4811-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4811-17

 

INTITULÉ :

PATRYCJA CIESLAK. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Monique Ashamalla

 

Pour la demanderesse

 

Ladan Shahrooz

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashamalla LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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