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Date : 20180530


Dossier : IMM-4497-17

Référence : 2018 CF 560

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

SIRAJUL ISLAM

MUSAMMAT SURAIA AKTER

RESHAD ISLAM

REEHAN ISLAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.  Nature de l’affaire

[1]  En son nom propre et au nom de son épouse et de leurs deux fils, M. Sirajul Islam a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision rendue par un agent d’immigration [« l’agent »] rejetant leur demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]  M. Islam soulève plusieurs questions parmi lesquelles une seule, l’intérêt supérieur de l’enfant mineur Reehan Islam, justifie l’intervention de la Cour.

II.  Les faits

[3]  M. Islam et Mme Musammat Suraia Akter sont citoyens du Bangladesh. Ils sont arrivés au Canada en 2003 après avoir vécu aux États-Unis pendant quinze ans. Leurs deux fils, Reshad (21 ans) et Reehan (15 ans), sont nés aux États-Unis et sont citoyens de ce pays. Ils n’ont jamais vécu au Bangladesh et, bien que Reshad parle le bengali comme langue seconde, Reehan ne parle que l’anglais.

[4]  M. Islam est entré aux États-Unis avec un visa de travail, mais il y est resté après son expiration. Il a été arrêté par les autorités américaines pour des infractions en matière d’immigration en 2003 et son renvoi a été ordonné par contumace en 2004.

[5]  À son arrivée au Canada, M. Islam a présenté une demande d’asile pour lui-même et sa famille. Craignant que sa demande soit rejetée étant donné leur long séjour aux États-Unis, M. Islam a faussement affirmé qu’ils n’étaient aux États-Unis que depuis six mois avant leur arrivée au Canada. Il n’a pas non plus révélé que les enfants étaient nés aux États-Unis. Il a présenté des documents frauduleux pour étayer cette fausse déclaration.

[6]  La demande d’asile a été rejetée pour des motifs de crédibilité, bien que la fausse déclaration de M. Islam au sujet du temps passé par la famille aux États-Unis n’ait pas été détectée. M. Islam a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en août 2006, mais avant qu’une décision n’ait été rendue à l’égard de cette demande, il a déposé sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. Dans le cadre de cette demande, il a répété la fausse allégation selon laquelle la famille n’avait vécu aux États-Unis que pendant six mois. En novembre 2008, les demandeurs ont reçu une décision favorable pour l’étape 1 (qui évalue les motifs d’ordre humanitaire de la demande), ce qui a entraîné leur désistement de la demande d’examen des risques avant renvoi.

[7]  En février 2010, avant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne soit tranchée à l’étape 2 (à laquelle une décision définitive est rendue en ce qui a trait à la demande de résidence permanente), M. Islam et son épouse ont présenté un affidavit indiquant que leurs enfants étaient nés aux États-Unis et qu’ils avaient vécu dans ce pays pendant quinze ans avant de venir au Canada. M. Islam prétend avoir dit la vérité parce qu’il regrettait d’avoir déformé les faits.

[8]  Les demandeurs ont par la suite été déclarés interdits de territoire au Canada en raison de la fausse déclaration. Le 28 août 2013, leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée à l’étape 2 pour deux motifs, soit leur fausse déclaration et la conclusion selon laquelle Reehan pourrait représenter un fardeau excessif pour le système de soins de santé, et était donc inadmissible pour des raisons médicales. Reehan avait reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique en 2006, mais une seconde évaluation, un an plus tard, a révélé qu’il ne satisfaisait pas aux critères de ce trouble. En 2009, il a reçu un diagnostic de trouble linguistique expressif réceptif mixte et continue de recevoir des traitements et du soutien à ce jour.

III.  Décision à l’étude

[9]  L’agent a demandé que Reehan subisse un examen médical afin de déterminer s’il était toujours interdit de territoire pour raisons médicales. Il a fait remarquer que Reehan avait réussi l’examen médical et qu’il n’était plus considéré comme interdit de territoire pour raisons médicales au Canada.

[10]  L’agent a ensuite examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs en se fondant sur (i) la fausse déclaration, (ii) l’établissement de la famille au Canada et (iii) l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a noté que ces facteurs devaient être évalués dans leur ensemble.

[11]  Les demandeurs ont fait valoir que la fausse déclaration n’était pas importante pour la détermination fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent n’était pas d’accord, notant qu’une détermination fondée sur des motifs d’ordre humanitaire exige une évaluation globale des antécédents des demandeurs, ce qui est contrecarré lorsque de faux renseignements sont fournis. Il a souligné que les demandeurs sont allés jusqu’à fournir des documents frauduleux pour appuyer les faux renseignements fournis dans leur demande.

[12]  Les demandeurs ont fait valoir que leur décision de corriger la fausse déclaration devrait être considérée comme un facteur favorable. En rejetant cette observation, l’agent a conclu qu’il était logique de croire que les demandeurs avaient fait de fausses déclarations sur leurs antécédents pour obtenir gain de cause dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a également conclu qu’ils n’étaient motivés à corriger le dossier que lorsqu’ils devaient renouveler leur passeport et qu’ils ne pouvaient pas utiliser les faux renseignements pour devenir résidents permanents. L’agent a implicitement rejeté l’argument des demandeurs selon lequel ils regrettaient d’avoir fait une présentation erronée de leur situation. Il a souligné que les demandeurs avaient une occasion inhabituelle de demander une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire au Canada et qu’ils devaient être honnêtes dans le processus. Parce qu’ils ne l’avaient pas été, l’agent a conclu que la fausse déclaration était importante.

[13]  Il a en outre conclu que les fausses déclarations des demandeurs ont facilité leur établissement au Canada, puisque la famille a été en mesure de demeurer au Canada entre la décision favorable pour des motifs d’ordre humanitaire à l’étape 1 et la décision de refus à l’étape 2, c’est-à-dire de novembre 2008 à août 2013.

[14]  Il a ajouté que la preuve des demandeurs concernant l’établissement n’était pas très solide. Outre le fait que M. Islam et son épouse ont toujours eu un emploi pendant cette période, il y avait [traduction] « peu de preuves […] de soutien communautaire, de bénévolat, de gestion financière ou de liens avec la collectivité. »

[15]  L’agent s’est ensuite tourné vers le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant, notant qu’il fallait accorder beaucoup de poids à ce facteur. La majeure partie de l’analyse a porté sur le trouble de l’expression réceptive mixte de Reehan. Les demandeurs ont fait valoir qu’aucun traitement n’était offert pour cette maladie au Bangladesh et ont souligné que Reehan ne parle que l’anglais.

[16]  L’agent a commencé par faire référence à la preuve médicale, y compris le rapport du médecin agréé de l’immigration, qui expliquait que l’état de Reehan était lié à la croissance, et qui indiquait qu’il [traduction] « continuera[it] d’avoir des problèmes de compétences linguistiques et de progresser plus lentement que ses pairs ». L’agent a jugé important que le médecin-conseil de l’immigration ait conclu que l’état de Reehan n’exigeait pas le genre de soutien qui causerait [traduction] « un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux ». L’agent a également noté qu’il n’avait pas reçu de pronostic pour Reehan. L’agent a émis l’hypothèse que Reehan puisse avoir une [traduction] « intelligence normale ou supérieure à la normale », en s’appuyant sur une lettre de Mme Alexandra Shea, technicienne de services à l’enfance ayant travaillé avec Reehan pour l’aider à surmonter ses difficultés langagières, dans laquelle Mme Shea affirme que Reehan [traduction] « deviendra assurément un membre responsable et actif de la société. » Enfin, l’agent a pris note d’une lettre de l’avocat des demandeurs indiquant que Reehan avait fait des progrès en matière de développement et qu’il continuerait de le faire.

[17]  L’agent s’est ensuite penché sur la disponibilité du traitement au Bangladesh. Il a cité abondamment un rapport du département d’État américain sur les droits de l’homme au Bangladesh, qui décrit en détail les difficultés d’accès à l’éducation au Bangladesh, surtout compte tenu de ses coûts prohibitifs et des autres pressions financières qui s’exercent sur les familles. Le rapport note également que certaines ressources sont disponibles pour les élèves handicapés, mais que 90 % des enfants handicapés ne fréquentent pas l’école publique. L’agent a également pris note du témoignage des demandeurs selon lequel, au 30 avril 2014, il n’y avait [traduction] « aucun établissement qui déclarait se spécialiser dans le trouble d’expression réceptive mixte » à Dhaka (ville d’origine des demandeurs). De plus, l’agent a noté des éléments de preuve indiquant que la sensibilisation à l’autisme est « nouvelle et en développement » au Bangladesh, bien qu’il y ait des organisations qui se sont engagées à travailler avec des enfants autistes.

[18]  En ce qui concerne Reshad, l’agent a noté qu’aucune observation n’avait été faite à son égard. L’agent a noté que les deux enfants sont citoyens américains et que Reshad serait légalement en mesure de se rendre seul aux États-Unis s’il voulait y faire des études collégiales.

[19]  L’agent a conclu que les deux enfants bénéficiaient du système d’éducation canadien et qu’ils continueraient probablement d’en bénéficier s’ils étaient autorisés à rester au Canada. L’agent a conclu que cela était particulièrement vrai pour Reehan, qui a accès à du soutien pour son trouble langagier ici. L’agent a également fait remarquer que les enfants ont déjà vécu un « bouleversement » dans leur vie lorsqu’ils ont été déplacés des États-Unis au Canada et a accepté qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de rester au Canada.

[20]  L’agent a ensuite soupesé l’effet cumulatif des facteurs. Après avoir cité la décision de la Cour suprême dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, l’agent a de nouveau reconnu que l’intérêt supérieur de l’enfant favorisait le maintien au Canada. Cependant, il a noté que le Bangladesh [traduction] « est à l’avant-garde pour en apprendre davantage sur l’autisme, même si, en 2014, il n’y avait pas d’institution spécialisée dans le trouble de Reehan ». En fin de compte, l’agent a conclu : [traduction] « [c]e n’est pas une situation parfaite pour Reehan d’aller dans un pays où il n’a jamais vécu, mais c’est une option dans ces circonstances ». L’agent a de nouveau noté que Reehan n’était pas médicalement interdit de territoire au Canada et que la famille pouvait donc demander la résidence permanente [traduction] « de la manière habituelle », plutôt que de « contourner » le système au moyen d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[21]  En conclusion, l’agent a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur la « fausse déclaration fondamentale » faite par les demandeurs, qui ont fait preuve de mépris à l’égard des lois du Canada. Par conséquent, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente pour motifs d'ordre humanitaire.

IV.  Les questions et la norme de contrôle

[22]  Dans leurs observations écrites et à l’audience, les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de Reehan?

  2. La façon dont l’agent a traité la fausse déclaration ou le facteur d’établissement était-elle déraisonnable?

  3. L’agent a-t-il manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale en ne divulguant pas le rapport du médecin agréé?

  4. L’agent a-t-il commis une erreur en laissant entendre que les demandeurs pouvaient présenter une demande de résidence permanente de la « façon habituelle »?

[23]  Comme je suis d’avis que seule la première question soulevée par les demandeurs est fondée et déterminante, ces motifs ne tiendront compte que de l’analyse, par l’agent, de l’intérêt supérieur de Reehan.

[24]  Les décisions entourant les motifs d'ordre humanitaire, y compris celles qui évaluent l’intérêt supérieur de l’enfant, sont examinées selon la norme du caractère raisonnable (Aguilar Sarmiento c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 481, au paragraphe 10). Lorsqu’elle revoit une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus de prise de décision, puis établir si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.  Analyse

[25]  Pour qu’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit raisonnable, l’agent doit accorder un poids substantiel à l’intérêt supérieur de l’enfant et être « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Kanthasamy, précité, au paragraphe 38, citant Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini » et examiné « avec beaucoup d’attention » (Kanthasamy, précité au paragraphe 39). Cela ne signifie pas que l’intérêt supérieur de l’enfant l’emportera toujours sur d’autres considérations, mais lorsque cet intérêt est injustement minimisé d’une manière qui va à l’encontre de la tradition du Canada en matière de motifs d’ordre humanitaire, la décision sera déraisonnable (Kanthasamy, précité, au paragraphe 38, citant Baker, précité aux paragraphes 74 à 75).

[26]  En l’espèce, l’agent prétendait accorder un poids considérable à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a reconnu que l’intérêt supérieur des enfants était de rester au Canada, compte tenu du système d’éducation supérieur du Canada, et du « soutien » disponible pour Reehan ici. Néanmoins, je suis d’avis que l’agent n’a pas été suffisamment « réceptif, attentif et sensible » envers l’intérêt supérieur de Reehan. En particulier, l’agent n’a pas tenu suffisamment compte du fait que Reehan ne parle pas le bengali. Dans le même ordre d’idées, l’agent n’a pas examiné si la capacité de Reehan d’apprendre une nouvelle langue serait compromise par son trouble.

[27]  Dans leurs observations à l’agent, les demandeurs ont souligné que Reehan a vécu presque toute sa vie au Canada et qu’il ne parle que l’anglais. L’agent l’a reconnu lorsqu’il a résumé le point de vue des demandeurs, mais il n’en a jamais été question dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le fait même que Reehan, à 15 ans, devra probablement apprendre une nouvelle langue peut être considéré comme une difficulté dont l’agent n’a pas tenu compte. Pour être suffisamment sensible, l’agent d’immigration doit, entre autres choses, démontrer qu’il « s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire » sur l’intérêt d’un enfant (Kolosovs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, au paragraphe 12). En omettant de tenir compte de l’effet combiné de l’incapacité de Reehan de parler le bengali et de son état particulier, l’agent a omis de montrer qu’il « s’était fait une bonne idée » des circonstances.

[28]  Dans des contextes semblables, notre Cour a reconnu que l’incapacité d’un enfant de parler une langue du pays où l’enfant peut être envoyé est un facteur qui mérite notre attention dans le cadre d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans Begum c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, l’enfant demandeur a soutenu qu’il ne parlait que l’anglais et qu’il ne parlait pas le bengali. La Cour a conclu que l’agent d’immigration avait commis une erreur en ne tenant pas compte de ces éléments de preuve et en supposant que l’enfant possédait certains « rudiments » de bengali. Bien que la Cour ait jugé que l’agent d’immigration avait commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve, elle a aussi reconnu de façon plus générale que son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant était « insatisfaisante étant donné que le demandeur mineur se trouve au Canada depuis qu’il a un an et a affirmé ne pas […] parler la langue du pays » (au paragraphe 63).

[29]  De même, dans Bautista c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008, la Cour a décrit l’incapacité de l’adolescente demanderesse de parler le tagalog comme un « facteur décisif », étant donné qu’il n’était « pas évident qu’en pleine adolescence elle supporterait de devoir apprendre à la fois une nouvelle langue, un nouveau système scolaire et une nouvelle culture » (au paragraphe 21). Encore une fois, cependant, l’erreur précise dans cette affaire était l’approche globale de l’agent d’immigration à l’égard de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, et non le traitement des capacités linguistiques du demandeur en particulier.

[30]  Enfin, dans Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 469, la Cour a statué que l’agent d’immigration n’était pas suffisamment alerte, vif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris le fait que les enfants ne pouvaient pas parler l’ourdou. Dans ce cas, les demandeurs avaient soumis un rapport d’un psychologue confirmant qu’ils ne pouvaient pas parler l’ourdou et décrivant en détail les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils retournaient au Pakistan. Malgré cela, l’agent d’immigration a conclu qu’on pouvait « raisonnablement s’attendre à ce que les enfants aient été exposés à […] la langue urdu par leur famille » (au paragraphe 6). La Cour a jugé que l’agent d’immigration avait commis une erreur en faisant fi de l’élément de preuve fourni par les demandeurs relativement à leurs capacités linguistiques et qu’il avait conséquemment omis de tenir compte des « l’effet sur ces garçons de l’interruption de leurs études, parce qu’ils devaient apprendre une langue étrangère, et le préjudice que cela leur causerait inévitablement si cela se produisait » (au paragraphe 15).

[31]  Dans ce cas, l’incapacité de Reehan de parler le bengali est certainement compliquée par son état, ce qui a une incidence particulière sur ses compétences linguistiques et de communication. La plus récente évaluation de la parole et du langage de Reehan, réalisée par un orthophoniste, indique qu’il a [traduction] « de graves difficultés à suivre des directives orales » et une mémoire linguistique qui dénote un [traduction] « retard sévère ». Il est vrai que ce rapport ne précise pas si l’état de Reehan nuirait à sa capacité d’apprendre le bengali. Cependant, une lettre de Mme Shea, qui a suivi Reehan, établit ce lien :

[traduction]

Les renvoyer au Bangladesh, dont Reehan connaît mal la culture et où il ne possède aucune des compétences linguistiques requises en bangla [sic], compétences qui lui ont été si durement acquises en anglais, ce serait comme ériger un barrage devant la famille qui serait surtout très injuste pour Reehan.

(Dossier des demandeurs, p. 57).

[32]  En d’autres termes, Mme Shea suggère que Reehan, lorsqu’il apprendra le bengali, fera face aux mêmes embûches qu’il a subies en apprenant l’anglais.

[33]  L’agent n’était pas obligé de conclure que les difficultés linguistiques de Reehan devraient dicter le résultat de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. De plus, l’agent aurait pu s’interroger sur le caractère suffisant ou convaincant de l’élément de preuve concernant les difficultés linguistiques de Reehan; ce n’est pas le cas, par exemple, de l’affaire Ali précitée, où aucun rapport d’un professionnel de la santé ne précise à quel point il serait difficile d’apprendre une nouvelle langue. Cependant, à la lumière des éléments de preuve au dossier, l’agent aurait dû au moins aborder la question. Étant donné que Reehan devra certainement apprendre le bengali pour vivre au Bangladesh, c’était un intérêt qui aurait dû être pris en compte dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour cette raison, j’estime que l’analyse de l’agent est déraisonnable.

VI.  Conclusion

[34]  Pour les motifs ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont pas suggéré de question d’importance générale pour la certification et aucune ne découle de cette affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4497-17

LA COUR STATUE que :

  1. Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’intitulé est modifié pour remplacer « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4497-17

INTITULÉ :

SIRAJUL ISLAM ET AL c. LE MINISTRE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE:

Le 9 avril 2018

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

La JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 30 mai 2018

COMPARUTIONS

Mitchell Goldberg

POUR LES DEMANDEURS

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goldberg Berger

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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