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Date : 20180606


Dossier : IMM-3372-17

Référence : 2018 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2018

En présence de monsieur le juge Mandamin

ENTRE :

HABEEB UTHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Habeeb Uthman [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire d’une conclusion d’interdiction de territoire rendue par la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) le 27 juillet 2017.

[2]  Le commissaire de la SI, Christopher Marcinkiewicz, a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] (criminalité organisée) et il a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur [la décision]. La décision de la SI a été rendue de vive voix et, par conséquent, la transcription du 27 juillet 2017 fait état de la décision et des motifs.

[3]  Je rejette la demande de M. Uthman pour les motifs qui suivent.

II.  Les faits

A.  Antécédents du demandeur

[4]  Le demandeur est un homme de 36 ans qui est né au Nigéria et qui est citoyen de ce pays. Il est venu au Canada en compagnie de sa mère et de ses frères et sœurs et il a obtenu la résidence permanente le 14 décembre 2006. Le demandeur n’a pas reçu la citoyenneté canadienne.

[5]  Le demandeur a déclaré avoir travaillé comme organisateur de tournées pour Davido Music Worldwide et avoir voyagé en Amérique du Nord et en Afrique (Nigéria).

[6]  En 2008, la GRC s’est intéressée au demandeur alors qu’elle enquêtait sur une fraude de télémarketing. Depuis, le demandeur a aussi fait l’objet d’enquêtes pour d’autres crimes (de 2008 à 2015), notamment des fraudes, des voies de fait, des menaces, la conduite avec facultés affaiblies et la possession de drogue.

[7]  Le 9 octobre 2016, un agent d’application de la loi à l’intérieur du pays a déposé un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi (rapport d’interdiction de territoire), étant d’avis que le demandeur était interdit de territoire et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation criminelle (Neo Black Movement [NBM] ou Black Axe [BA]). Le rapport a été pris en considération par le délégué du ministre et le cas a été renvoyé pour enquête le 18 octobre 2016.

[8]  Le 15 novembre 2016, le demandeur a été informé du rapport et du fait qu’il pouvait présenter des observations sur les raisons pour lesquelles son dossier ne devrait pas être déféré à la SI pour enquête. Les observations du demandeur ont été reçues le 2 décembre 2016 par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le délégué du ministre en a pris connaissance et a décidé de maintenir sa décision de renvoyer le cas pour enquête.

III.  Audience et décision de la SI

[9]  L’audience d’admissibilité de la SI s’est déroulée sur plusieurs jours entre avril et juin 2017. Le 27 juillet 2017, la SI a rendu sa décision de vive voix. Comme la décision a été rendue oralement, elle est résumée ci-dessous.

[10]  La SI a indiqué que le demandeur avait déclaré être membre du NBM depuis 2010, mais qu’il n’avait pas été un membre actif récemment. La SI a aussi fait remarquer que le demandeur avait nié que le NBM ait un lien quelconque avec le BA et que le NBM est un organisme de bienfaisance à but non lucratif qui poursuit des objectifs de justice sociale et d’égalité. La SI a aussi indiqué que le demandeur a déclaré que le NBM ne tolérait pas la criminalité, qu’il expulserait des membres qui participent à des actes criminels et que l’organisme a été autorisé par une décision des tribunaux nigérians à exercer ses activités au Nigéria. Enfin, la SI a indiqué que le demandeur soutient que les éléments de preuve que détiennent des organismes d’application de la loi au Canada ne sont pas dignes de foi et que ces organismes sont impliqués dans un complot contre lui.

[11]  La SI a conclu que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR pour trois motifs distincts et elle a conclu que chacun de ces motifs suffit à lui seul à établir l’interdiction de territoire du demandeur :

  • 1) le demandeur est membre du NBM qui est assimilé au BA, ce qui signifie que le demandeur est membre du BA qui est une organisation criminelle,

  • 2) subsidiairement, le NBM, dont le demandeur est membre, est une organisation criminelle,

  • 3) subsidiairement encore, la participation du demandeur avec au moins deux autres personnes à une fraude suffit pour conclure qu’il est membre d’une organisation criminelle.

[12]  La SI a déclaré que le terme « organisation » n’était pas défini dans l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et qu’il doit être interprété à la lumière de la définition du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, paragraphe 467.1(1) et de la jurisprudence postérieure (groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation, composé d’au moins trois personnes, dont un des objets principaux est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer – ou procurer à une personne qui en fait partie –, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier). La définition ne vise pas un groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction). À l’appui de ce point, la SI a cité Saif c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 437, aux paragraphes 15 à18. La SI a aussi fait remarquer qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des accusations au criminel ou des déclarations de culpabilité pour déterminer l’appartenance à une organisation criminelle, ni qu’une personne se livre à des activités criminelles tant qu’elle est au courant (ou qu’elle est au courant par ignorance volontaire) des activités criminelles de l’organisation. À l’appui de ces points, la SI a cité : Castelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, aux paragraphes 18 et 25 à 26; Amaya c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 549, aux paragraphes 26 à 31; Chung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 16, aux paragraphes 14 à 17, 59, 65 et 66, 68 à 70, 73 à 78.

[13]  La SI énonce ensuite les motifs de chacune de ses trois conclusions.

A.  Le Black Axe et le Neo Black Movement forment une seule et même organisation

[14]  La SI a déclaré, à la lumière de tous les éléments de preuve dont elle disposait (articles universitaires et médiatiques, opinions des organismes d’application de la loi, preuve documentaire et témoignages), que le BA et le NBM forment une seule et même organisation. La SI a fait remarquer qu’au départ les deux organisations étaient des confréries distinctes dans les universités nigérianes, qu’ils ont été formés comme des groupes sociaux étudiants avec des intérêts et des programmes spécifiques (pour le BA, c’était la conscience noire et la justice, et pour le NBM, c’était la renaissance de la culture africaine). Au fil de leur évolution, ces groupes ont été impliqués dans des affrontements violents avec d’autres groupes.

[15]  La SI a fait remarquer que, plus récemment, plusieurs publications et rapports faisaient référence au BA et au NBM de façon interchangeable ou comme étant interreliés. La SI a également invoqué des sources universitaires pour faire valoir qu’ils font partie d’un seul et même mouvement ou qu’ils ont des liens entre eux. Enfin, la SI a fait remarquer que même si un article mentionne que le BA est un groupe dissident du NBM, les médias et les organismes d’application de la loi les considèrent généralement comme faisant partie de la même organisation.

[16]  La SI a accepté l’explication des organismes d’application de la loi selon laquelle le BA a été fusionné au NBM, en raison des caractéristiques semblables des deux groupes et parce que d’anciens membres du BA sont devenus des membres du NBM.

[17]  La SI a examiné les caractéristiques de chaque groupe (coutumes, symboles, etc.) et a constaté la similarité de bon nombre des caractéristiques du BA et du NBM :

  • i) les deux ont pour objectif l’autonomisation des Noirs;

  • ii) les deux ont des éléments secrets;

  • iii) la revue NBM s’appelait à un moment donné Black Axe Magazine;

  • iv) le symbole du BA, une hache, est également semblable au symbole du NBM, qui comporte une hache;

  • v) les vêtements du BA et du NBM sont semblables (logo de hache, béret noir avec jaune, vêtements noirs);

  • vi) leur terminologie est semblable (« Aye » est utilisé comme un salut, les membres destitués sont « de-axed »);

  • vii) les initiations comprennent des étapes semblables (le « jolly », un rassemblement et une cérémonie des membres).

[18]  La SI a constaté que toutes ces similitudes [traduction] « ne sont pas simplement une coïncidence [sic], mais indiquent plutôt une lignée ou un lien clair entre le Black Axe et le Neo Black Movement ».

[19]  La SI a également souligné que la correspondance du demandeur faisait référence au Black Axe, affirmant qu’il était un « Black Axe Lord », ainsi qu’à un profil Facebook qui serait celui du demandeur, mais sous un nom différent, qui contient des publications liées au Black Axe. La SI a expressément rejeté les arguments du demandeur selon lesquels la correspondance n’était pas la sienne, la police avait fabriqué la preuve électronique, et d’autres, peut-être son ancienne petite amie, avaient créé le compte Facebook et diffusé des publications pour le saboter. La SI a indiqué que des organismes d’application de la loi avaient expliqué comment ils avaient récupéré les éléments de preuve et que le profil Facebook en question contenait des photos personnelles du demandeur ainsi que de sa fille.

[20]  À la lumière de cette preuve, la SI a conclu que le NBM et le BA forment une seule et même organisation. La SI continue ensuite pour conclure que le NBM/BA est une organisation criminelle comme suit :

  • i) elle est très structurée;

  • ii) elle compte de nombreux membres;

  • iii) les membres se livrent généralement à des activités criminelles (y compris des actes de violence perpétrés par le passé ayant provoqué des morts, ainsi que d’autres activités comme des tentatives d’enlèvement, des voies de fait et le trafic de stupéfiants) qui constitueraient des délits graves;

  • iv) l’activité vise un gain, qu’il s’agisse de pouvoir (intimidation) ou d’argent (trafic de drogue et prostitution).

[21]  La SI n’a pas accepté l’argument du demandeur selon lequel la preuve documentaire était douteuse ou insuffisante. La SI a également conclu que même si un tribunal nigérian a reconnu légalement le NBM, et même si le NBM peut participer à des activités de bienfaisance, cela ne signifie pas que la criminalité organisée ne se cache pas sous cette façade.

[22]  Pour ces motifs, la SI a conclu que le demandeur est membre du NBM qui forme une seule et même organisation avec le BA, et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le NBM se livre à des activités de criminalité organisée, de sorte que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

B.  Le Neo Black Movement au Canada est une organisation criminelle

[23]   La SI a également conclu que le NBM au Canada, dont le demandeur est un membre avoué, est une organisation criminelle.

[24]  À l’appui de la position selon laquelle le NBM au Canada se livre à des activités criminelles, la SI a pris en compte les considérations et les analyses suivantes :

  • i) il existe des éléments de preuve d’opérations financières douteuses par des membres du NBM;

  • ii) il existe des éléments de preuve que des membres du NBM ont des démêlés avec le système de justice pénale;

  • iii) même si le demandeur a affirmé que le NBM est un organisme de bienfaisance et de justice sociale, il ne pouvait citer que deux événements auxquels il a participé et un seul événement avant qu’il n’en devienne membre;

  • iv) les organismes d’application de la loi sont d’avis que le NBM au Canada tente de se légitimer par des initiatives publiques et caritatives peu coûteuses et très médiatisées;

  • v) la SI a déclaré qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que des opérations financières d’un organisme de bienfaisance légitime soient effectuées avec une institution financière, compte tenu de ses attentes en matière de transparence et de reddition de comptes; pourtant, le NBM ne détenait pas de compte bancaire, même s’il recueillait des fonds;

  • vi) 65 % des membres du NBM de Toronto identifiés par la police en 2014 avaient un casier judiciaire lié à des fraudes ou à d’autres infractions graves, et 75 % d’entre eux avaient également été mentionnés dans les dossiers d’opérations douteuses;

  • vii) l’un des premiers directeurs du NBM au Canada a été accusé et reconnu coupable de [traduction] « participation à une fraude à grande échelle au Canada »; la SI n’a pas accepté l’allégation du demandeur selon laquelle ce membre avait été destitué, compte tenu des éléments de preuve fournis par les organismes d’application de la loi et les médias;

  • viii) la SI a trouvé inquiétant que l’un des directeurs fondateurs et comptable du NBM soit une personne qui a été reconnue coupable de fraude;

  • ix) un autre membre du NBM, dont la demande d’adhésion a été présentée et appuyée par le demandeur, a admis avoir des démêlés avec la justice;

  • x) sur une photo de membres du NBM de Toronto qui font du travail de bienfaisance à l’hôpital pour enfants, huit des personnes sur la photo avaient eu des démêlés avec le système de justice pénale, même si la plupart des accusations avaient été abandonnées ou que les accusés avaient bénéficié d’un acquittement;

  • xi) il y a eu des incidents signalés mettant en cause des membres du NBM, allant de l’intimidation à des lésions corporelles; la SI a reconnu avoir tenté de donner suite à ces incidents, mais que les enquêtes ont été entravées par le fait que des témoins hésitaient à se manifester et n’étaient pas disposés à parler à la police;

  • xii) même si le demandeur s’objecte à ce que des informations policières soient intégrées à des documents écrits (déclarations solennelles et rapports) au lieu d’être présentées sous serment, la SI a conclu que ces rapports étaient dignes de foi étant donné qu’ils étaient [traduction] « détaillés et sérieux puisqu’[ils] citent souvent des rapports de police et font suite principalement à des événements qui ont été signalés par les rares victimes et témoins disposés à se manifester »;

  • xiii) la SI a indiqué que la police n’avait pas ciblé le NBM, mais qu’elle avait pris connaissance de son existence par hasard en 2013 lorsqu’elle enquêtait sur une fraude et a vu une photo montrant des personnes portant [traduction] « des vêtements inhabituels » et qu’elle a appris qu’un autre service de police enquêtait également sur une personne figurant sur la photo;

  • xiv) les actes de violence signalés constitueraient des actes criminels graves, tout comme les fraudes de plus de 5 000 $.

[25]  La SI a conclu que le NBM avait pour [traduction] « objectif principal de se livrer à des activités criminelles, principalement de nature frauduleuse, mais aussi de commettre des actes de violence et d’intimidation ». La SI a accordé un poids considérable aux rapports des organismes d’application de la loi et elle a conclu que l’objectif principal du NBM est de nature criminelle et non altruiste, comme le prétend le demandeur. La SI a conclu que le but principal de cette activité criminelle organisée des membres du NBM était de procurer des gains financiers pour ses membres.

C.  La conduite personnelle du demandeur, sans tenir compte du NBM ou du BA, fait en sorte qu’il est membre d’une organisation criminelle

[26]  La SI a aussi conclu que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a), car sa participation à des fraudes avec d’autres personnes répond aux critères de criminalité organisée, même si le demandeur n’a pas été déclaré coupable.

[27]  La SI a tiré cette conclusion après avoir examiné la preuve dont elle disposait et pris en compte les considérations et les analyses suivantes :

  • i) deux personnes qui ont eu des liens avec le demandeur ont toutes deux fourni aux organismes d’application de la loi des déclarations qui impliquaient le demandeur dans des activités criminelles comportant une fraude de plus de 5 000 $;

    • o ces deux personnes ont déclaré que le demandeur avait incité des gens à leur envoyer de l’argent et qu’elles lui ont ensuite remis l’argent à sa demande;

    • o bien que le demandeur ait soutenu que l’une de ces deux personnes, une ancienne petite amie, lui voue une inimitié, la SI a conclu que les renseignements fournis par ces deux personnes étaient plus crédibles que l’affirmation du demandeur selon laquelle ces déclarations étaient mensongères;

  • ii) au cours d’un contrôle routier, on a trouvé dans le véhicule que conduisait le demandeur les coordonnées ainsi que l’information relative à la carte de crédit d’une femme qui avait signalé à la police avoir été victime d’une lettre d’hameçonnage liée à une loterie et que sa carte de crédit avait servi pour effectuer des achats non autorisés d’environ 10 000 $; de plus, une perquisition au domicile du demandeur a permis de découvrir un appareil électronique portant son nom qui affichait de nombreux appels à la personne victime de la fraude;

  • iii) au cours d’une autre enquête, la police a trouvé une carte de citoyenneté contrefaite, munie d’une photo présentant une ressemblance avec le demandeur, mais indiquant un nom différent lié à d’autres fraudes signalées; la SI affirme qu’il n’y a « guère de doute » que le demandeur ait utilisé le nom figurant sur la fausse carte de citoyenneté comme faux nom;

  • iv) le frère du demandeur a reconnu que le demandeur vivait dans une résidence dans laquelle se trouvait un local de vente sous pression pour commettre des fraudes (ordinateurs et imprimantes multiples, appareils électroniques dans les placards et téléphones cellulaires multiples); des locaux semblables se trouvaient dans d’autres résidences liées au demandeur et, dans un cas, du papier déchiqueté trouvé sur place était en partie identique à une lettre d’hameçonnage relative à une loterie;

  • v) la SI affirme qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait su ce qui se trouvait dans sa résidence et, même s’il ne s’agissait pas de sa propriété, il aurait su et permis aux gens d’apporter ces articles dans sa résidence;

  • vi) la SI conclut que le demandeur s’est livré à une série de fraudes organisées, en se fondant sur le poids considérable de la preuve dont elle dispose, y compris la preuve mentionnée précédemment, ainsi que :

  • a) une déclaration d’une femme affirmant qu’elle a travaillé dans des résidences que le demandeur et son frère auraient habitées et qu’elle a reçu des appels de personnes âgées habitant aux États-Unis; elle répondait en utilisant le nom de Publishing Clearing House, les félicitant d’avoir gagné à la loterie, et elle tentait de leur soutirer de l’information;

  • b) la correspondance entre le demandeur et une personne ayant reçu de l’argent en son nom, lui demandant si elle pouvait commencer à travailler lundi, et la correspondance adressée par le demandeur à d’autres personnes demandant les noms de personnes âgées à contacter par lettre et par téléphone;

  • c) le fait que le demandeur fournissait une nouvelle version des faits à mesure que l’audience progressait quant à l’endroit où il vivait, pendant combien de temps et où il travaillait;

  • d) les mouvements importants d’argent dont font état les documents financiers du demandeur qui ne concordent pas avec son emploi présumé en début de carrière dans le milieu du divertissement; ces mouvements d’argent correspondent plus à des activités illégales;

[28]  Le demandeur a soutenu que ses problèmes de santé mentale ont nui à sa capacité de se rappeler de choses; toutefois, la SI a accordé peu de poids à cette prétention parce qu’aucune preuve médicale professionnelle n’a été fournie pour appuyer cette allégation.

[29]  La SI a conclu que la preuve recueillie par la police était juste et objective tout en reconnaissant ses limites. La SI n’a pas accepté l’assertion du demandeur selon laquelle il s’agit d’un complot contre lui, étant donné le nombre de personnes ayant participé à l’établissement des rapports et la quantité de renseignements découverts grâce aux enquêtes.

[30]  Bien que le demandeur affirme n’avoir jamais été accusé de fraude pour ces infractions présumées, la SI affirme qu’une déclaration de culpabilité n’est pas nécessaire aux fins de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[31]  En ce qui concerne les éléments de preuve et l’analyse présentés ci-dessus, la SI a conclu que le demandeur, ainsi que les deux personnes ayant reçu de l’argent en son nom, à tout le moins, se sont engagés dans une activité criminelle planifiée et organisée, soit une fraude de plus de 5 000 $ (ainsi que d’autres fraudes de moindre importance) afin de se procurer des avantages financiers.

[32]  La SI a conclu que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et elle a pris une mesure d’expulsion contre lui.

IV.  Les questions en cause

[33]  Le demandeur soutient que les questions en cause sont les suivantes : la SI a conclu de façon déraisonnable que le NBM et le BA formaient une seule et même organisation; la SI a commis une erreur de droit en concluant que le NBM est une organisation criminelle parce que quelques-uns de ses membres se sont livrés à des activités criminelles; la SI a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur s’était engagé dans la criminalité organisée parce que le rapport d’interdiction de territoire se limitait à des questions concernant le NBM et le BA.

[34]  Le défendeur soutient que la norme de preuve applicable aux faits démontrant la criminalité organisée est le seuil minimal de [traduction] « motifs raisonnables de croire ». De plus, le défendeur soutient implicitement que la question est de savoir si la décision de la SI était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[35]  Je suis convaincu que la question est de savoir si la décision de la SI était raisonnable.

V.  Norme de contrôle

[36]  La norme de contrôle applicable à une décision d’interdiction de territoire rendue par la SI pour criminalité organisée est le caractère raisonnable : Toor c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 68, aux paragraphes 10 et 11. Ainsi, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SI et de l’interprétation et de l’application du droit aux faits qui lui ont été présentés. Dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable, la Cour devrait se demander si la décision était justifiée, transparente, intelligible et dans les limites des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

VI.  Législation

[37]  Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Interprétation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

...

Activités de criminalité organisée

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

[Je souligne]

Rules of interpretation

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

...

Organized criminality

37 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or laundering of money or other proceeds of crime.

[emphasis added]

 

[38]  Code criminel, LRC 1985, c C-46.

Définitions

467.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

...

organisation criminelle Groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation :

a) composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger;

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie — , directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.

La présente définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction.

[Je souligne]

Definitions

467.1 (1) The following definitions apply in this Act.

criminal organization means a group, however organized, that

(a) is composed of three or more persons in or outside Canada; and

(b) has as one of its main purposes or main activities the facilitation or commission of one or more serious offences that, if committed, would likely result in the direct or indirect receipt of a material benefit, including a financial benefit, by the group or by any of the persons who constitute the group.

It does not include a group of persons that forms randomly for the immediate commission of a single offence.

[emphasis added]

 

VII.  Observations des parties

A.  Le demandeur

[39]  Le demandeur concède que le critère qui correspond à une organisation criminelle est celui qui est énoncé dans le Code criminel et qu’une organisation criminelle doit être structurée, mais cette structure peut varier dans une certaine mesure tant qu’elle est organisée et continue.

1)  Était-il déraisonnable pour la SI de conclure que le Neo Black Movement et le Black Axe forment une seule et même organisation?

[40]  Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la SI de conclure que le NBM et le BA forment une seule et même organisation puisqu’il y avait des éléments de preuve des deux côtés (certains établissant qu’ils le sont et d’autres indiquant que ce sont des organisations distinctes) et la SI n’a pas concilié ces éléments de preuve et n’a pas indiqué ceux qui étaient retenus ou rejetés, ni les motifs déterminants.

[41]  Le demandeur fait également remarquer que certains des éléments de preuve, cités à l’appui du fait que le NBM et le BA forment une seule et même organisation (articles universitaires, etc.) contiennent également d’autres énoncés que les groupes sont difficiles à distinguer ou qu’ils sont seulement liés. Le demandeur affirme que la SI devait reconnaître et corriger ces incohérences.

[42]   Le demandeur soutient en outre que la conclusion de la SI selon laquelle le NBM et le BA forment une seule et même organisation était fondée sur des sources non fiables, soit les médias et la police. Le demandeur affirme que ces déclarations témoignent de la perception erronée du public selon laquelle les groupes forment une seule et même organisation alors qu’en fait, ce sont des organisations distinctes.

[43]  Le demandeur prétend que la photo d’une bannière du NBM (qui semble inclure le Black Axe) a été trouvée dans Wikipedia et que, pour cette raison, il est déraisonnable pour la SI de lui accorder un poids quelconque. De même, le demandeur conteste la source indiquant que le magazine NBM s’appelait auparavant Black Axe Magazine, car ce fait n’est mentionné qu’une fois dans la source et les détails entourant le moment où le nom a changé n’ont pas été fournis. Le demandeur affirme que, puisque les deux organisations utilisent une image d’une hache, il faudrait accorder peu de poids à ces éléments de preuve.

[44]  En ce qui concerne la correspondance électronique du demandeur, ce dernier affirme que les deux organisations utilisent un langage semblable et que, par conséquent, tout ce qui semblait se rapporter au « Black Axe » était une simple coïncidence et ne concernait en fait que le NBM.

[45]  En tentant d’expliquer toutes ces similitudes, le demandeur fait remarquer que les organisations ont une origine semblable et affirme que cela explique suffisamment les similitudes entre le NBM et le BA au lieu de laisser entendre que les similitudes résultent du fait qu’ils forment une seule et même organisation.

[46]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SI de conclure que le NBM et le BA forment une seule et même organisation et qu’il était donc également déraisonnable pour la SI de conclure que les actes criminels commis dans le passé par le BA étaient également des actes commis dans le passé par le NBM.

2)  Était-il déraisonnable pour la SI de conclure que le Neo Black Movement au Canada est une organisation criminelle?

[47]  Le demandeur affirme que cette conclusion est déraisonnable, car la SI n’a pas indiqué comment les activités criminelles de nombreux membres du NBM au Canada étaient liées au NBM.

[48]  Le demandeur soutient que la SI n’a pas trouvé de lien entre le NBM et les activités criminelles de ses membres et que, par conséquent, le NBM n’est pas une organisation criminelle. Le demandeur souligne que seulement les deux tiers des membres liés au NBM, que la police connaissait, avaient des antécédents criminels, et cela ne dit rien de tous les membres qui ne sont pas connus de la police. Le demandeur insiste sur le fait que la SI n’exprime pas cette réserve.

[49]  Le demandeur affirme que la conclusion de la SI pour ce motif était erronée en droit et en fait, puisqu’elle n’a pas établi de lien entre le NBM au Canada et des actes criminels, la preuve montrant seulement que certaines personnes qui sont liées au NBM ont des antécédents criminels.

3)  Était-il raisonnable pour la SI de conclure que le demandeur s’était engagé dans la criminalité organisée?

[50]  Le demandeur affirme que cette conclusion est erronée. D’abord, le demandeur soutient que, vu que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) qui a été envoyé au ministre ne mentionne que l’interdiction de territoire pour participation au NBM ou au BA, la SI n’avait pas compétence pour conclure à l’interdiction de territoire du demandeur en se fondant sur ses présumées activités de criminalité organisée indépendamment de sa participation au NBM ou au BA.

[51]  À l’appui de cette affirmation, le demandeur cite un manuel de politiques du défendeur qui énonce l’exigence de justice naturelle pour s’assurer que le demandeur connaît la preuve contre lui et que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) ne tient pas compte d’allégations supplémentaires.

[52]  Le deuxième argument du demandeur est que la SI n’a pas identifié une organisation criminelle. Le demandeur affirme que ce que la SI considérait comme une organisation n’était, au mieux, qu’un complot en vue de commettre des crimes.

[53]  Le demandeur soutient que l’alinéa 37(1)a) exige expressément que la criminalité soit organisée. Le demandeur affirme que si la SI peut se servir de ce qui revient à un complot en vue de commettre un crime comme criminalité organisée, elle tirera une conclusion d’interdiction de territoire qui n’est pas fondée en droit (pour une interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu du paragraphe 36(1)a) de la LIPR, il faut une déclaration de culpabilité ce qui exige une norme de preuve plus rigoureuse).

B.  Le défendeur

[54]  Le défendeur commence par faire remarquer que, selon l’article 33 de la LIPR, la norme de preuve applicable à l’alinéa 37(1)a) est celle de motifs raisonnables de croire, et non celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. Le défendeur soutient donc qu’il suffit que la preuve démontre qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est membre d’une organisation criminelle.

[55]  Le défendeur affirme que, compte tenu des nombreux éléments de preuve, il y a certainement plus que des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre du NBM, que le NBM est une organisation criminelle et que le demandeur s’est livré à des activités criminelles faisant partie du plan du NBM.

[56]  Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de conclure que le BA et le NBM forment une seule et même organisation puisqu’il y avait des éléments de preuve dignes de foi pour étayer cette conclusion. Le défendeur fait ensuite observer que la SI, en plus de tenir compte de ces déclarations qui appuyaient le fait que le NBM et le BA forment une seule et même organisation, a aussi analysé les caractéristiques du NBM et du BA, ainsi que la correspondance du demandeur. Le défendeur soutient donc que la SI a justifié sa décision d’accepter des éléments de preuve qui favorisaient la conclusion que le BA et le NBM forment une seule et même organisation.

[57]  Le défendeur soutient également qu’il incombait à la SI d’apprécier ces éléments de preuve contradictoires et de choisir ceux qu’elle acceptait.

[58]  Enfin, le défendeur affirme que la SI a conclu que les caractéristiques semblables des groupes relevaient plus que d’une simple coïncidence, à savoir qu’ils avaient des racines semblables, mais qu’elles indiquaient plutôt qu’ils forment une seule et même organisation.

[59]   Le défendeur soutient que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il était possible pour la SI de conclure que le NBM et le BA forment une seule et même organisation, surtout que la SI n’avait qu’à appliquer la norme des motifs raisonnables de croire qu’ils forment une seule et même organisation.

[60]  Le défendeur affirme également que la SI a conclu que le NBM au Canada était une organisation criminelle en se basant sur autre chose que le fait que ses membres sont impliqués dans des activités criminelles. La SI a également justifié cette conclusion pour les motifs suivants :

  • i) peu d’éléments font état du travail de bienfaisance du NBM au Canada et, ce qui est pour le moins incongru, le NBM ne détenait pas de compte bancaire;

  • ii) le premier administrateur, qui a constitué le NBM canadien en personne morale, a été reconnu coupable de fraude à grande échelle, et les communications entre ce fraudeur reconnu coupable et d’autres personnes (y compris des membres du NBM) ont utilisé le langage du NBM;

  • iii) un livre portant le logo du NBM contenait de l’information sur les mouvements de fonds de personnes qui se sont plaintes d’être victimes de fraude;

  • iv) bien que le demandeur ait déclaré que les membres du NBM sont destitués pour cause de criminalité, une photo de membres du NBM datant de 2013 montre un membre ayant été déclaré coupable en 2009;

  • v) un nombre important de membres du NBM qui figurent sur la photo du NBM prise à l’occasion d’une activité de bienfaisance ont eu des démêlés avec le système de justice pénale;

  • vi) le NBM semblait être impliqué dans des incidents de nature criminelle à Toronto et l’information concernant un cas d’enlèvement semblait indiquer une implication du NBM.

[61]  En ce qui concerne la question voulant que deux tiers des membres du NBM aient des antécédents criminels, le défendeur affirme qu’il s’agit soit de deux tiers de la centaine de membres connus de la police ou de deux tiers des membres de Toronto, la conclusion de la SI voulant que le NBM soit une organisation criminelle ne repose pas uniquement sur cette statistique (qui a peut-être été mal formulée.

[62]  Le défendeur affirme qu’il est clair que la preuve à l’appui de la conclusion de la SI selon laquelle le NBM est une organisation criminelle était suffisante.

[63]  Le défendeur soutient que la SI avait compétence pour prendre en considération la participation du demandeur à des fraudes puisque le dossier d’enquêtes antérieures et ces préoccupations faisaient clairement partie de ce qui a servi pour produire le rapport en vertu du paragraphe 44(1) et étaient contenues dans les éléments de preuve présentés à la SI.

[64]  En réponse au deuxième argument du demandeur, le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire de nommer une organisation en particulier tant que le demandeur est considéré comme faisant partie d’une organisation criminelle qui répond à la définition du Code criminel. Le défendeur soutient que la SI a entrepris une telle analyse et a raisonnablement conclu que la structure de la fraude perpétrée par le demandeur était d’une ampleur suffisante, organisée et professionnelle et visait à procurer un avantage financier aux personnes qui y participaient.

[65]  En conclusion, le défendeur affirme que chacune des trois conclusions générales de la SI était raisonnable, approfondie et bien étayée, et ne devrait pas être modifiée.

VIII.  Analyse

[66]  Je conviens avec le défendeur que la norme de preuve à laquelle doivent satisfaire les faits pour établir l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) est celle des motifs raisonnables de croire, et non celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. Tout ce qu’il faut, c’est une preuve suffisante pour démontrer qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est membre d’une organisation criminelle : LIPR, article 33; Chen c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 13, au paragraphe 63.

[67]  Les motifs raisonnables de croire ne sont pas seulement inférieurs à la preuve hors de tout doute raisonnable, soit la norme pénale, mais aussi inférieurs à la preuve selon la prépondérance des probabilités, soit la norme civile. La Cour suprême du Canada l’a clairement indiqué dans l’affaire qui suit :

114  La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile [renvois omis].

Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114.

[68]  Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire qu’il appartenait à la SI de soupeser les éléments de preuve contradictoires et de choisir ceux à accepter.

[69]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SI n’avait pas compétence simplement parce que le rapport d’interdiction de territoire précise qu’il est membre du BA ou du NBM. Avant cette précision, il est mentionné que le rapport est fondé sur [traduction] « des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire [...] en raison de son appartenance et de sa participation aux activités d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre où s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation [...] ». Cette description générale est suffisante pour donner à la SI la compétence nécessaire pour examiner la conduite du demandeur. Si une question se pose, c’est celle de l’équité procédurale; toutefois, l’examen du cas et la recommandation qui l’accompagnent comprennent les allégations d’activités criminelles du demandeur et, par conséquent, l’informent de cette question.

[70]  Je suis convaincu que la SI disposait d’éléments de preuve pour conclure que le NBM et le BA forment une seule et même organisation. Même s’il y avait des éléments de preuve montrant les deux côtés, la prépondérance de la preuve indiquait que les deux entités étaient liées. La SI a expliqué adéquatement les raisons qui l’ont amenée à accepter les éléments de preuve appuyant sa conclusion. La SI avait également de bonnes raisons de ne pas accepter la preuve contraire du demandeur, à savoir le témoignage changeant de ce dernier et son allégation non corroborée de problèmes de mémoire. De plus, la SI a expliqué de façon satisfaisante que les caractéristiques semblables entre le NBA et le BA équivalaient à plus qu’une coïncidence en raison d’origines semblables.

[71]  La conclusion de la SI sur la nature criminelle du NBM au Canada ne reposait pas uniquement sur le fait que ses membres avaient des antécédents criminels. Une entité constituée en personne morale agit par les actions des personnes impliquées dans l’organisation, en particulier celles qui sont en position d’autorité au sein de l’organisation. En gardant à l’esprit que la norme de preuve est un motif de croire, il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la conclusion de la SI selon laquelle le NBM était une organisation criminelle. Ces éléments de preuve comprenaient la condamnation du directeur fondateur pour fraude criminelle, le nombre élevé de membres associés à des activités criminelles et des rapports de police crédibles au sujet de membres du NBM impliqués dans des activités criminelles.

[72]  La SI a examiné de nombreux éléments de preuve sur les activités illicites du demandeur et elle a raisonnablement conclu que sa participation avec au moins deux autres personnes équivalait à participer à une organisation avec au moins trois personnes visant à faciliter ou à commettre des actes frauduleux criminels graves qui se sont poursuivis pendant un certain temps et qui visaient à procurer des avantages financiers aux personnes impliquées. Cela correspond à la définition d’une organisation criminelle que donne le Code criminel par opposition à un complot criminel ou à une alliance créée subrepticement en vue de commettre une infraction.

[73]  Enfin, l’affirmation du défendeur voulant qu’il n’ait jamais été reconnu coupable d’aucune de ces prétendues activités de fraude ne suffit pas pour réfuter la conclusion de la SI en ce sens que la loi et la jurisprudence établissent clairement la norme de preuve applicable aux faits donnant lieu à une interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) ce qui est un motif de croire, et non la conviction fondée sur la norme de preuve en matière criminelle, c.-à-d. la preuve hors de tout doute raisonnable.

IX.  Conclusion

[74]  La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI est rejetée.

[75]  Les parties n’ont pas proposé de question sérieuse de portée générale à des fins de certification et je ne certifie aucune question.


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-3372-17

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée

« Leonard S. Mandamin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3372-17

 

INTITULÉ :

HABEEB UTHMAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MAI 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANDAMIN

 

DATE :

LE 6 JUIN 2018

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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