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Date : 20180525

Dossier : IMM-4984-17

Référence : 2018 CF 543

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

EL ASSADI KAMAL, BILAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Bilal El Assadi Kamal, est un ressortissant palestinien. Il est né au Liban, où il a passé la majeure partie de sa vie avec ses parents et ses frères et sœurs. Après avoir terminé ses études secondaires au Liban du Sud, il a reçu une bourse d’une fondation Qatarienne et a étudié le génie mécanique à l’Université A&M du Texas, au Qatar, d’août 2013 à mai 2017.

[2]  Incapable de trouver un emploi avant l’expiration de son visa de résident temporaire, le demandeur a quitté le Qatar en mai 2017.

[3]  À son retour au Liban, le demandeur a eu de la difficulté à entrer sur le marché du travail, étant donné que les Palestiniens, contrairement aux Libanais, ne peuvent exercer de professions libérales comme le génie. Le demandeur s’est également rendu compte que son père, un enseignant d’une petite école privée, ne pouvait plus payer ses frais de subsistance. Par conséquent, le demandeur a quitté le Liban deux (2) mois plus tard pour venir au Canada, où d’autres membres de sa famille vivaient déjà.

[4]  Il est arrivé au Canada en passant par les États-Unis le 22 juillet 2017 et a demandé l’asile, alléguant qu’il avait été maltraité au Liban en raison de lois injustes imposées par le gouvernement. Il prétend qu’en tant que Palestiniens, sa famille et lui vivent au Liban sans statut et sans droits, y compris le droit d'exercer sa profession d’ingénieur mécanique.

[5]  Dans une décision datée du 24 octobre 2017, la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré une crainte fondée de persécution fondée sur un motif énoncé dans la Convention et qu’il n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était une personne à protéger.

[6]  Le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés. Son appel a été rejeté le 20 novembre 2017 pour défaut de compétence en vertu de l’alinéa 110(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, pour le motif que le demandeur avait transité par les États-Unis avant de venir au Canada.

[7]  Le demandeur maintenant demande le contrôle judiciaire de la décision de la SPR.

[8]  Le demandeur soutient d’abord que la SPR a appliqué le mauvais critère pour déterminer s’il craignait avec raison d'être persécuté. Plus précisément, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte dans son analyse du fait que la crainte de persécution ne doit pas nécessairement être fondée sur les expériences personnelles du demandeur pour être accepté comme réfugié. L’expérience d’autres personnes, comme des amis, des parents et d’autres membres du même groupe racial ou social, peut montrer que la crainte de la persécution est fondée. Il n’est pas nécessaire non plus que le demandeur prouve qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il le sera dans l’avenir. Pour appuyer son argument selon lequel la SPR a appliqué le mauvais critère, le demandeur fait référence à trois (3) phrases dans la décision de la SPR, où elle fait référence à la situation personnelle du demandeur.

[9]  Les arguments du demandeur ne parviennent pas à me convaincre. À mon avis, la SPR a appliqué le critère approprié pour déterminer si la crainte de persécution du demandeur était fondée. La SPR a examiné à la fois le fondement subjectif et objectif de la crainte de persécution du demandeur et a déterminé si, cumulativement, les éléments de discrimination équivalaient à de la persécution. La SPR a finalement conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment établi un fondement objectif pour sa demande de persécution associée à son identité palestinienne.

[10]  La SPR a examiné la situation des Palestiniens au Liban et a noté que les réfugiés palestiniens au Liban font face à une discrimination généralisée et systématique en matière d’emploi, d’éducation, de soins médicaux et de services sociaux. LA SPR a reconnu que le demandeur subirait probablement de la discrimination de la part des Libanais au moment de chercher un emploi, qu’il rencontrerait peut-être des embûches de nature administrative auprès du gouvernement du Liban en tentant d’obtenir un permis de travail, et qu’en raison de ces facteurs, les répercussions sur ses revenus pourraient s’avérer considérables. Toutefois, la SPR a conclu que ces restrictions n’entraîneraient pas de conséquences de nature essentiellement préjudiciable. C’est dans le contexte de cette discussion que la SPR a fait référence à la situation personnelle du demandeur et a conclu que, même si le demandeur était traité moins favorablement sur le marché du travail que les ressortissants libanais, cela n’équivalait pas à de la persécution. La même observation s’applique aux déclarations de la SPR au sujet de l’expérience du demandeur concernant l’éducation et de son accès aux services médicaux et sociaux.

[11]  De plus, la détermination de ce qui constitue de la persécution est un exercice hautement factuel qui comporte une analyse de nombreux facteurs, y compris la persistance, la gravité et la qualité des incidents allégués (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450, aux paragraphes 18 à 19 et 22 [Liang]). Bien que les éléments de preuve concernant la persécution à laquelle font face les membres de la famille ou d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable puissent être convaincants parce qu’ils tendent à démontrer que le demandeur peut être exposé aux mêmes risques, c’est le demandeur qui doit faire face à une possibilité sérieuse de persécution (Awadh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 521, au paragraphe 18). Il était donc tout à fait approprié que la SPR tienne compte de la situation particulière du demandeur, y compris l’absence de persécution antérieure (Liang au paragraphe 22; Abdelghani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 133 au paragraphe 22; Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1990] 3 CF 238 (QL) au paragraphe 13).

[12]  Le demandeur soutient également que la SPR a omis de procéder à une analyse appropriée pour déterminer que la persécution n’a pas été établie sur une base cumulative. Il soutient qu’en plus de son incapacité d’exercer sa profession et de posséder des biens au Liban, sa tante et lui ont témoigné à l’audience de la SPR pour expliquer en quoi d’autres membres de sa famille avaient été victimes de discrimination en raison de leur nationalité. Le demandeur croit que l’ensemble de ces expériences entraîne des conséquences de nature essentiellement préjudiciable et, sur une base cumulative, constitue de la persécution.

[13]  Le demandeur a raison de dire que les effets cumulatifs de la discrimination peuvent correspondre à la définition de persécution. Cependant, la ligne de démarcation entre la discrimination et la persécution est très contextuelle et peut être difficile à établir. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit et, à ce titre, la norme de contrôle applicable est le caractère raisonnable (Salim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1283, au paragraphe 6; Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 796, au paragraphe 3).

[14]   Lorsqu’elle revoit une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus de prise de décision et établir si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[15]  La SPR a examiné les effets cumulatifs de la discrimination et du harcèlement auxquels fait face le demandeur. La SPR a estimé que le cumul des expériences du demandeur n’a pas entraîné de conséquences de nature essentiellement préjudiciable. Il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer cette conclusion en se fondant sur la preuve au dossier. Le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la SPR ne se situe pas dans la fourchette des résultats acceptables possibles.

[16]  Enfin, le demandeur soutient que la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’elle n’a pas bien évalué les éléments subjectifs et objectifs de la crainte de persécution du demandeur. Le demandeur soutient que la SPR aurait dû accorder plus de poids à son allégation selon laquelle il n’avait pas quitté le Liban par choix. Comme la vie lui serait intolérable au Liban, son départ était plutôt une question de survie.

[17]  Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SPR est déraisonnable et non étayée par le dossier. Comme l’indique le paragraphe 54 du guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, les personnes qui reçoivent un traitement moins favorable en raison de ces différences ne sont pas nécessairement victimes de persécution. Ce n’est que dans certaines circonstances que la discrimination équivaut à de la persécution. Ce serait le cas lorsque les mesures discriminatoires entraînent des conséquences de nature essentiellement préjudiciable pour la personne concernée. De telles mesures comprennent une restriction importante du droit de gagner sa vie ou de l’accès aux établissements d’enseignement normalement offerts. Toutefois, la persécution ne découle pas de la capacité de travailler dans le domaine de son choix. Elle découle plutôt de l’incapacité de travailler tout court (Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF nº 286 (QL), au paragraphe 12).

[18]  En l’espèce, même s’il est vrai que le demandeur ne peut pas travailler comme ingénieur en mécanique au Liban, il n’a pas démontré qu’il ne pouvait pas travailler dans d’autres domaines. Bien qu’il indique dans son affidavit qu’il n’a pas d’autres compétences que le génie, il a réussi à trouver un emploi au Canada en utilisant d’autres compétences que celles de sa profession. Il n’y a pas de preuve au dossier montrant qu’au cours des deux (2) mois qu’il a passés au Liban, il a cherché à obtenir un autre emploi (Espinoza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF nº 721 (QL), au paragraphe 8). La preuve au dossier démontre également que le père du demandeur travaille comme enseignant dans une école du Liban. Bien que le demandeur ait témoigné au sujet des difficultés éprouvées par les membres de sa famille lorsqu’ils sont arrivés au Liban en 1983, la preuve objective démontre que les lois du travail ont été modifiées au Liban en 2010 pour permettre aux réfugiés palestiniens de travailler légalement. La SPR a également fait remarquer à juste titre que, malgré les restrictions en matière d’éducation au Liban pour les ressortissants palestiniens, le demandeur a réussi à faire des études à la fois au Liban et à l’étranger.

[19]  En résumé, le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SPR ne fait pas partie des issues possibles acceptables qui sont défendables à la lumière des faits et du droit (Khosa, au paragraphe 59; Dunsmuir, au paragraphe 47). De plus, je constate que le demandeur demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve présentée à la SPR et d’en arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire (Khosa, au paragraphe 61).

[20]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour la certification et je conviens qu’aucune n’a été soulevée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4984-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4984-17

INTITULÉ :

EL ASSADI KAMAL, BILAL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MAI 2018

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Constance Connie Byrne

POUR LE DEMANDEUR

Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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