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Date : 20180529


Dossier : T-1866-16

Référence : 2018 CF 549

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 29 mai 2018

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

DARRIN GRAY

 

et

619947 NB INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Le ministre du Revenu national (le « demandeur ») sollicite une ordonnance, aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), déclarant que Darrin Gray (le « défendeur ») et 619947 NB Inc. (la « défenderesse ») ont commis un outrage à une ordonnance de la Cour, à savoir l’ordonnance rendue le 15 décembre 2016 en application du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e supp.).

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le demandeur est le ministre responsable de l’application de la Loi.

[3]  L’ordonnance exécutoire obtenue par le demandeur enjoignait aux défendeurs de fournir certains dossiers, indiqués à l’annexe A de cette ordonnance, dans les 30 jours suivant sa signification.

[4]  Vu la requête du 27 avril 2017, le demandeur a sollicité une nouvelle ordonnance de la Cour en application de l’article 466 des Règles des Cours fédérales, pour exiger des défendeurs qu’ils justifient (l’« ordonnance de justifier ») pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour ne pas avoir respecté l’ordonnance exécutoire.

[5]  La date d’audition de cette ordonnance de justifier a été fixée au jeudi 24 août 2017, à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

[6]  Au début du procès le 24 août 2017, il a été demandé au commissionnaire de la Cour, M. Patrick Brennan, d’appeler le nom du défendeur Darrin Gray à l’extérieur de la salle d’audience, située au 354, rue Water, à St. John’s, ainsi que dans le hall de l’édifice, situé au rez-de-chaussée.

[7]  Le commissionnaire a fait ce qui lui avait été demandé, et a déclaré que personne n’avait répondu à ces appels.

[8]  Le demandeur a ensuite fait sa déclaration initiale et a appelé son premier témoin, M. David Carroll, un huissier des services judiciaires de la région de St. John’s.

[9]  Pendant la présentation des éléments de preuve de M. Carroll, le 24 août 2017, il est devenu évident que l’ordonnance de justifier du 19 mai 2017 n’a pas été signifiée personnellement aux défendeurs. M. Carroll a témoigné à propos de l’affidavit de signification qu’il a fait sous serment le 14 juin 2017 relativement à la signification de l’ordonnance de justifier rendue contre les défendeurs. À cet affidavit était toutefois jointe une copie de l’ordonnance exécutoire plutôt que de l’ordonnance de justifier.

[10]  Considérant la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pintea c. Johns, [2017] 1 RCS 470, pour qu’une personne soit déclarée coupable d’outrage au tribunal, la partie qui présente la requête doit prouver que l’ordonnance de justifier a personnellement été signifiée à l’auteur allégué de l’outrage. Par conséquent, par ordonnance du 25 août 2017, l’instance du 24 août 2017 a été ajournée au 16 novembre 2017.

[11]  L’ordonnance du 25 août 2017 prévoit ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur signifiera aux défendeurs une copie de l’ordonnance du 19 mai 2017 ainsi qu’une copie des documents et des renseignements décrits au paragraphe 5 de ladite ordonnance en plus d’une copie de la présente ordonnance.

L’audition sur la question de l’outrage au tribunal se tiendra le jeudi 16 novembre 2017 à 9 h 30, au second étage de l’édifice de la Cour fédérale situé au 354, rue Water, St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

[12]  L’audition sur la question de l’outrage au tribunal a donc été tenue de nouveau le jeudi 16 novembre 2017. Lorsque l’affaire a été appelée devant la Cour, personne n’a comparu au nom des défendeurs.

[13]  Une fois de plus, il a été demandé au commissionnaire de descendre à l’entrée de l’édifice et d’appeler le défendeur Darrin Gray; on lui a également demandé de l’appeler dans l’enceinte de la Cour à St. John’s, c’est-à-dire hors de la salle d’audience.

[14]  Trois témoins se sont présentés pour le demandeur : M. Michael Carroll, M. Gary Badcock et Mme Kelly McKinnon.

[15]  M. Carroll, qui est huissier des services judiciaires, a témoigné avoir signifié une copie de l’ordonnance exécutoire au défendeur Darrin Gray et à la défenderesse 619947 NB Inc. Son affidavit, assermenté le 3 janvier 2017, est déposé au dossier en tant que pièce A-1.

[16]  M. Gary Badcock est également huissier des services judiciaires. Il a témoigné avoir signifié au défendeur les documents, y compris l’ordonnance de justifier et l’ordonnance du 25 août 2017, le 15 octobre 2017.

[17]  Le troisième témoin appelé par le demandeur est Mme Kelly McKinnon, une vérificatrice de l’impôt sur le revenu de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») au bureau de Moncton, au Nouveau-Brunswick.

[18]  C’est elle qui a effectué la vérification des déclarations de revenus des défendeurs. Elle a témoigné que selon les dossiers obtenus auprès du Registre des affaires corporatives de la province du Nouveau-Brunswick, le défendeur Darrin Gray est l’actionnaire et administrateur unique de la défenderesse 619947 NB Inc.

[19]  En lien avec la vérification de l’impôt sur le revenu, le bureau de l’ARC de Moncton a envoyé des lettres datées du 6 juillet 2016 et intitulées [traduction] « Lettre de confirmation de la vérification »; ces lettres, envoyées à chacun des défendeurs, demandaient certains documents et relevés de banque, y compris des déclarations fiscales et annexes, des états financiers, des relevés de placement personnels et des documents bancaires personnels. Mme McKinnon a produit les reçus prouvant la livraison de ces lettres par messagerie Purolator à l’adresse de la défenderesse 619947 NB Inc. à Moncton et à l’adresse résidentielle du défendeur Darrin Gray à St. John’s (Terre-Neuve).

[20]  Elle a témoigné qu’une réponse a été reçue d’un comptable au nom du défendeur Darrin Gray et que seule une partie de la documentation demandée a été envoyée. Aucune réponse n’a été reçue de la défenderesse 619947 NB Inc.

[21]  L’ARC a ensuite entrepris des démarches afin d’obtenir l’ordonnance exécutoire accordée le 15 décembre 2016. L’annexe A de cette ordonnance indiquait les documents et les renseignements qui n’avaient toujours pas été reçus.

[22]  Selon les éléments de preuve présentés par M. Carroll, cette ordonnance a été signifiée au défendeur Darrin Gray à son adresse de St. John’s le 3 janvier 2017. L’affidavit de signification, déposé au dossier en tant que pièce A-1, indique que Darrin Gray s’est identifié comme étant le propriétaire de la défenderesse 619947 NB Inc.

[23]  Mme McKinnon a témoigné que l’ARC n’avait reçu aucun des documents visés par l’ordonnance exécutoire. L’ARC a donc demandé au ministère de la Justice d’entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir une ordonnance de justifier en application des Règles, en raison du défaut des défendeurs de fournir les documents énumérés à l’annexe A de l’ordonnance exécutoire.

[24]  Mme McKinnon a affirmé qu’en date de son témoignage, soit le 16 novembre 2017, aucun des documents exigés n’avait été reçu par son bureau.

III.  ANALYSE

[25]  La seule question en litige de la présente instance est de déterminer si le demandeur a démontré que les défendeurs, ou au moins l’un d’eux, doivent être déclarés coupables d’outrage au tribunal pour inobservation de l’ordonnance exécutoire du 15 décembre 2016. Le paragraphe 466(b) des Règles est pertinent dans ce contexte et prévoit ce qui suit :

Outrage

Contempt

466 Sous réserve de la règle 467, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

466 Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

(b) disobeys a process or order of the Court;

[26]  L’article 467 traite de la procédure à suivre dans le cadre d’une audience pour outrage au tribunal :

Droit à une audience

Right to a hearing

467 (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

467 (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court’s own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

c) d’être prête à présenter une défense.

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

Requête ex parte

Ex parte motion

(2) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l’ordonnance visée au paragraphe (1).

(2) A motion for an order under subsection (1) may be made ex parte.

Fardeau de preuve

Burden of proof

(3) La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (1) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

(3) An order may be made under subsection (1) if the Court is satisfied that there is a prima facie case that contempt has been committed.

Signification de l’ordonnance

Service of contempt order

(4) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance visée au paragraphe (1) et les documents à l’appui sont signifiés à personne.

(4) An order under subsection (1) shall be personally served, together with any supporting documents, unless otherwise ordered by the Court.

[27]  La seule question en litige en l’espèce est de déterminer si les défendeurs ont commis un outrage au tribunal en ne fournissant par les documents indiqués dans l’ordonnance exécutoire.

[28]  Dans ce type de requête, le fardeau de la preuve repose sur la partie requérante. Selon l’arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1990] 2 RCS 217, l’outrage au tribunal est une question criminelle ou quasi criminelle et ses éléments constitutifs doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable.

[29]  La première question à examiner est de savoir si les défendeurs savaient que l’audition se tiendrait le 16 novembre 2017.

[30]  Les deux huissiers des services judiciaires, M. Michael Carroll et M. Guy Badcock, ont témoigné le 16 novembre 2017.

[31]  M. Badcock a témoigné à propos de ses tentatives de signifier les documents aux défendeurs et des efforts qu’il a faits pour retrouver Darrin Gray dans les environs de St. John’s.

[32]  Il a réussi à le trouver dans la collectivité de Seal Cove et a confirmé son identité en lui demandant de s’identifier.

[33]  On retrouve ce qui suit à la page 16 de la transcription de l’audition du 16 novembre 2017 :

[traduction]

Q.  Très bien. Maintenant, demandez-lui de dire ce qu’il a dans la main.

R.  Il s’agit d’un affidavit de signification, madame la Juge, ainsi que des sept ou huit onglets qui y sont joints. J’en ai reçu deux copies, celle-ci et une autre à donner à M. Gray. La compagnie qui me les a envoyées au nom du ministère m’a demandé de comparer les deux copies. J’ai donc passé en revue les documents pour m’assurer que le premier était bien ce qu’il devait être, que le second était conforme, et ainsi de suite. Je reconnais l’affidavit de Mike Carroll, les diverses ordonnances et le reste de ce qu’il y avait. Alors [...].

[34]  L’affidavit de signification de M. Badcock a été déposé au dossier en tant que pièce A-4. Cet affidavit contient une liste des documents qui ont été signifiés à Darrin Gray et à la « compagnie ».

[35]  Il n’a pas été demandé à M. Badcock s’il avait pris des mesures pour confirmer que le défendeur physique était toujours l’administrateur unique de la défenderesse morale. La seule référence à 619947 NB Inc. retrouvée dans l’affidavit de signification de M. Badcock se trouve à la phrase suivante : [traduction] « Le dimanche 15 octobre 2017 à 18 h 30, j’ai signifié les sept documents décrits ci-dessous à M. Darrin Gray et à 619947 NB Inc. ».

[36]  La liste détaillée renvoie aux documents suivants :

  1. une lettre du 19 septembre 2017 de Mme Maeve Baird à M. Darrin Gray;
  2. l’ordonnance de la Cour fédérale (de monsieur le juge Bell) datée du 15 décembre 2016;
  3. l’affidavit de signification de Mike Carroll assermenté le 3 janvier 2017 concernant la signification de l’ordonnance du 15 décembre 2016;
  4. le dossier de requête du demandeur (ex parte) déposé auprès de la Cour fédérale le 27 avril 2017 et comprenant :
  1. l’avis de requête;

  2. l’affidavit de Kelly MacKinnon;

  3. les observations écrites;

  4. une liste de la jurisprudence;

  5. une ébauche de l’ordonnance;

  6. des copies des décisions citées;

  1. l’ordonnance de la Cour fédérale (du protonotaire Richard Morneau) datée du 19 mai 2017;
  2. l’affidavit de signification de Dave Carroll assermenté le 14 juin 2017 concernant la signification de l’ordonnance du 19 mai 2017 et les documents joints suivants :
  1. une lettre du 2 juin 2017 de Mme Maeve Baird à M. Darrin Gray;

  2. l’ordonnance de la Cour fédérale (du protonotaire Richard Morneau) datée du 19 mai 2017;

  3. l’ordonnance de la Cour fédérale (de monsieur le juge Bell) datée du 15 décembre 2016;

  1. l’ordonnance de la Cour fédérale (de madame la juge Heneghan) datée du 25 août 2017.

[37]  Les pièces nos 1, 5 et 7 sont particulièrement importantes pour la présente instance, puisqu’elles démontrent si le demandeur a prouvé que les défendeurs devraient être reconnus coupables d’outrage au tribunal.

[38]  La pièce no 1 est une lettre datée du 19 septembre 2017 signée par l’avocat représentant le demandeur. Cette lettre est adressée au défendeur. Elle a pour objet « Darrin Gray et 619947 NB Inc. » et traite de l’audition prévue pour le 16 novembre 2017.

[39]  La pièce no 5 est une copie de l’ordonnance de justifier du protonotaire Morneau datée du 19 mai 2017. Enfin, la pièce no 7 est une copie de l’ordonnance rendue le 25 août 2017 fixant la date d’audition au 16 novembre 2017.

[40]  Je conclus que le demandeur a rempli les exigences prévues au paragraphe 5 de l’ordonnance de justifier, soit de signifier au moins deux semaines avant l’audition la preuve sur laquelle il s’est fondé pour obtenir cette ordonnance, ainsi qu’une liste de tous les documents qui seront utilisés en preuve lors de l’audition et une liste des témoins qui y seront entendus. La lettre du 19 septembre 2017 précitée renvoie aux documents et aux renseignements mentionnés dans l’ordonnance de justifier et tous les documents ont été joints à l’affidavit de signification déposé au dossier en tant que pièce A-4.

[41]  La pièce 7 est une copie de l’ordonnance du 25 août 2017 fixant l’audition au 16 novembre 2017. Je conclus que cette ordonnance a été signifiée au défendeur.

[42]  Je ne suis toutefois pas persuadée que la signification a été faite à la défenderesse.

[43]  Le paragraphe 130(1) des Règles prévoit ce qui suit pour la signification aux sociétés :

Signification à une personne morale

Personal service on corporation

130 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la signification à personne d’un document à une personne morale s’effectue selon l’un des modes suivants :

130 (1) Subject to subsection (2), personal service of a document on a corporation is effected

a) par remise du document :

(a) by leaving the document

(i) à l’un des dirigeants ou administrateurs de la personne morale ou à toute personne employée par celle-ci à titre de conseiller juridique,

(i) with an officer or director of the corporation or a person employed by the corporation as legal counsel, or

(ii) à la personne qui, au moment de la signification, semble être le responsable du siège social ou de la succursale ou agence au Canada où la signification est effectuée;

(ii) with the person apparently in charge, at the time of the service, of the head office or of the branch or agency in Canada where the service is effected;

b) le mode prévu par la loi fédérale applicable à l’instance;

(b) in the manner provided by any Act of Parliament applicable to the proceeding; or

c) le mode prévu par une cour supérieure de la province où elle est effectuée, qui est applicable à la signification de documents aux personnes morales.

(c) in the manner provided for service on a corporation in proceedings before a superior court in the province in which the service is being effected.

[44]  Dans l’arrêt Pintea, précité, au paragraphe 1, la juge Karakatsanis, au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit :

Suivant les règles de la common law relatives à l’outrage au tribunal en matière civile, les intimés doivent prouver hors de tout doute raisonnable que M. Pintea connaissait réellement l’existence des ordonnances fixant la tenue des rencontres de gestion d’instance auxquelles il a omis d’assister.

[45]  Il ne ressort pas clairement de la preuve verbale et de l’affidavit de signification de M. Badcock qu’au moment de la signification au défendeur que M. Gray était agent ou administrateur de la défenderesse. Il n’est pas prouvé que l’endroit de la signification à Seal Cove est le siège social de la défenderesse ou un de ses bureaux. Aucune preuve n’a été présentée quant à la façon dont la signification peut être effectuée à une société dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

[46]  La seule preuve relative au siège social de la défenderesse est le document émanant du Système de registre des affaires corporatives du Nouveau-Brunswick et semble être daté du 14 octobre 2016.

[47]  Il n’existe pas de présomption de régularité pour la signification à la défenderesse et je ne suis pas persuadée que la signification à son égard a été faite comme il se doit. Par conséquent, je ne peux pas trancher les allégations d’outrage au tribunal relatives à cette partie. Cette conclusion ne cause toutefois pas de préjudice au droit du demandeur de solliciter une nouvelle ordonnance de justifier à l’encontre de la défenderesse s’il le souhaite.

[48]  J’examine à présent le fondement des allégations soulevées à l’égard du défendeur physique.

[49]  M. Gray a reçu signification de l’ordonnance exécutoire exigeant qu’il produise des documents liés à une vérification menée par l’ARC. Mme McKinnon a témoigné qu’il n’a pas produit les documents demandés.

[50]  À mon avis, il est loisible au demandeur de décider si une réponse d’un contribuable comme le défendeur constitue une réponse adéquate à l’ordonnance exécutoire. Mme McKinnon a témoigné que les documents fournis en réponse à la lettre de confirmation de la vérification n’étaient pas suffisants.

[51]  En fonction de la preuve présentée, je conclus que le défendeur a reçu signification de l’ordonnance exécutoire, de l’ordonnance de justifier et de l’ordonnance du 25 août 2017. Il avait donc connaissance des procédures pour outrage au tribunal et de la date d’audition.

[52]  En raison de la preuve présentée par Mme McKinnon, je conclus que le défendeur ne s’est pas conformé aux demandes de fournir certains renseignements et documents relatifs à son dossier personnel de déclaration de revenus, comprenant ses relevés bancaires, ses relevés de carte de crédit et ses documents d’assurance.

[53]  Dans les auditions pour outrage au tribunal, le fardeau de la preuve est le même que pour les procès criminels, soit celui de la preuve hors de tout doute raisonnable.

[54]  Dans la décision Lyons Partnership, L. P. v. MacGregor, (2005), 5 C.P.R. (4th) 157, la Cour a déclaré que les Règles codifient le principe de droit commun relatif à l’outrage au tribunal. La partie qui présente la requête, le demandeur en l’espèce, doit prouver hors de tout doute raisonnable que la personne présumée avoir commis un outrage au tribunal avait personnellement connaissance de l’ordonnance de la cour en cause, qu’elle était explicitement ou implicitement une actrice principale dans la conduite faisant l’objet du recours pour outrage au tribunal et qu’elle possédait la mens rea ou avait l’intention nécessaire de désobéir à l’ordonnance de la Cour.

[55]  Selon la preuve présentée par Mme McKinnon, le défendeur a répondu à la lettre de confirmation de vérification lorsque son comptable a envoyé une télécopie au bureau de l’ARC pour transmettre une partie des documents et renseignements demandés seulement.

[56]  Il n’y a pas de preuve selon laquelle l’ARC a entrepris d’autres démarches pour communiquer avec le défendeur. La preuve montre plutôt qu’une demande a été faite auprès du ministère de la Justice pour obtenir une ordonnance exécutoire.

[57]  En l’espèce, je suis d’avis que le demandeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve, en d’autres termes une preuve hors de tout doute raisonnable, pour les trois éléments visés.

[58]  Le demandeur a personnellement signifié l’ordonnance exécutoire du 15 décembre 2016 au défendeur. Le défendeur faisait l’objet de cette ordonnance, il était donc l’acteur principal responsable de répondre à l’ordonnance exécutoire et de s’y conformer. L’élément moral nécessaire, c’est-à-dire l’intention ou la mens rea consistant à refuser d’obtempérer à l’ordonnance de production, peut être déduit du défaut du défendeur de fournir les renseignements et les documents demandés.

[59]  En fin de compte, je suis convaincue que le demandeur a satisfait au critère permettant de conclure que le défendeur est coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance de la Cour. Une ordonnance sera prononcée en conséquence.

[60]  L’article 472 des Règles traite des peines qui peuvent être infligées à la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal et prévoit ce qui suit :

Peine

Penalty

472 Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

472 Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

(c) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

(f) the person pay costs.

[61]  Je renvoie à l’arrêt Canadian Human Rights Commission v. Winnicki, (2007), 359 N.R. 101 (F.C.A.), dans laquelle la Cour d’appel fédérale a donné pour directives d’accorder à une personne l’occasion de faire valoir son point de vue au sujet de la peine appropriée avant que la Cour ne se penche sur la question.

[62]  J’ordonne donc qu’une nouvelle audition sur la question de la peine et des dépens se tienne le jeudi 27 septembre 2018 à 9 h 30, à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).


ORDONNANCE dans le dossier T-1866-16

LA COUR ORDONNE :

  1. Le défendeur Darrin Gray est coupable d’outrage au tribunal pour avoir omis de se conformer à l’ordonnance de la Cour datée du 15 décembre 2016.

  2. Aucune conclusion n’est rendue à l’égard de la défenderesse 619947 NB Inc., sans préjudice au droit du demandeur de demander une nouvelle ordonnance de justifier contre elle.

  3. Le demandeur devra signifier une copie certifiée conforme de l’ordonnance et de ses motifs au défendeur Darrin Gray au plus tard le 16 juillet 2018, et déposer la preuve de signification au greffe de la Cour.

  4. La détermination de la peine aura lieu le jeudi 27 septembre 2018 à 9 h 30, à la Cour fédérale, située au 354, rue Water, bureau 209, à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador.

  5. La question des dépens sera traitée lors de l’audition sur la détermination de la peine.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1866-16

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. DARRIN GRAY ET 619947 NB INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août et le 16 novembre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mai 2018

COMPARUTIONS :

Maeve Baird

Pour le demandeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Pour le demandeur

 

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