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Date : 20180613


Dossier : IMM-933-17

Référence : 2018 CF 617

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

RENE ALONSO PACHECO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

et

MARY E. E. BOYCE

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une commissaire de la Section d’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (commissaire de la SI), dans laquelle elle a conclu que le demandeur, Rene Alonso Pacheco, était interdit de territoire pour grande criminalité, aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Une mesure d’expulsion visant le demandeur a par la suite été prise.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande devrait être rejetée.

II.  Faits

[3]  Le demandeur est un citoyen du Salvador, âgé de 26 ans. Il est entré au Canada le 25 juin 1999, à l’âge de 6 ans.

[4]  En mars 2016, le demandeur a été arrêté et accusé de nombreuses infractions criminelles, dont certaines étaient graves, notamment pour tentative de meurtre. Il semble que certaines des accusations reposaient sur des allégations de la petite amie du demandeur. En novembre 2016, le demandeur a plaidé coupable à des infractions mineures, et il a été condamné à une journée de prison et à trois années de probation. Les accusations les plus graves ont été abandonnées après que la petite amie du demandeur eut indiqué que ses accusations visant le demandeur étaient fausses.

[5]  Le 13 mai 2016, alors que le demandeur était incarcéré en attente de son procès, mais avant que les accusations les plus graves aient été abandonnées, le demandeur a été interrogé par un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), en lien avec l’enquête de l’ASFC visant à déterminer s’il existait des motifs pour déclarer le demandeur interdit de territoire. Cet interrogatoire est ci-après appelé l’entrevue avec l’ASFC. Durant cette entrevue, le demandeur a déclaré qu’il était membre d’une organisation criminelle appelée MS-13. Il a aussi déclaré que (i) le tatouage du nombre 13 au dos de sa main gauche est lié à un gang, (ii) il a subi un tabassage de 13 secondes en guise de rite d’initiation au MS-13, (iii) sa clique se compose de 10 à 20 membres, et (iv) le territoire de sa clique se situe dans le secteur de Jane et Sheppard à Toronto.

[6]  Après l’entrevue avec l’ASFC, un rapport a été préparé conformément à l’article 44 de la LIPR, dans lequel on alléguait que le demandeur était interdit de territoire. Ce rapport a ensuite été déféré à la SI en vue d’une enquête sur l’admissibilité. Cette enquête (l’enquête sur l’admissibilité) s’est déroulée en présence de la commissaire de la SI le 26 janvier 2017, et a donné lieu à la décision contestée.

[7]  L’avocate représentant le demandeur à l’enquête, et lors d’une audience antérieure de contrôle des motifs de détention, était l’intervenante Mary Boyce. Comme le demandeur est demeuré incarcéré, les interactions entre lui et l’intervenante en vue de préparer l’enquête se sont limitées à une série de conversations téléphoniques.

[8]  À l’enquête, le demandeur a déclaré qu’en fait, il n’avait jamais été membre du MS-13 ou de tout autre gang, et qu’il était sous l’effet de la drogue pendant l’entrevue avec l’ASFC. Interrogé par un représentant du défendeur, le demandeur a expliqué que le tatouage « 13 » représentait simplement son chiffre chanceux, et qu’il avait appris l’existence du MS-13 en regardant des vidéos sur YouTube. Il a aussi indiqué qu’il n’avait aucun souvenir d’une grande partie de l’entrevue avec l’ASFC, en raison de sa consommation de drogues. Le demandeur a également été interrogé à propos d’un changement apporté à son compte Facebook en 2015, montrant une photographie d’un graffiti MS-13, mais il n’en avait également aucun souvenir.

[9]  L’intervenante, agissant à titre d’avocate représentant le demandeur durant l’enquête, n’a posé aucune question au demandeur. De plus, ses observations présentées au nom du demandeur ont été très brèves, soulignant la présence bien connue de drogues dans les prisons et la possibilité que l’affirmation initiale du demandeur, selon laquelle il était membre du MS-13, soit simplement un geste de bravade mal avisé. Dans le reste de ses observations à l’enquête, l’intervenante a semblé reconnaître que même s’il pouvait exister des motifs d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale, ils devraient attendre, parce que l’enquête n’avait pas pour but l’examen de telles considérations.

III.  Décision contestée

[10]  La commissaire de la SI a souligné les questions à trancher, à savoir (i) « si M. Pacheco a déjà été membre du groupe MS-13 », et (ii) « si le groupe MS-13 était ou est une organisation qui s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles planifiées ou organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ».

[11]  La commissaire de la SI a parlé des tatouages du demandeur, y compris du tatouage « 13 », et de ce qu’avait dit le demandeur à propos de sa signification. La commissaire de la SI a aussi souligné que le demandeur avait admis durant l’entrevue avec l’ASFC qu’il était un membre du MS-13, qu’il voulait quitter le gang, et qu’il était difficile de le faire. La commissaire de la SI a souligné les renseignements concernant le MS-13 fournis par le demandeur durant l’entrevue avec l’ASFC, notamment son rite d’initiation, la taille de sa clique, et son territoire. La commissaire de la SI a aussi parlé du compte Facebook du demandeur montrant le graffiti du MS-13. La commissaire de la SI a également cité des éléments de preuve documentaire indiquant, entre autres, (i) que les tatouages du nombre 13 sont typiques des membres du MS-13, (ii) qu’il est difficile de quitter un gang, (iii) que le MS-13 est actif dans le secteur de Jane et Sheppard à Toronto, (iv) que les cliques du gang comptent en général de 10 à 20 membres, et (v) que les membres du MS-13 sont initiés par un tabassage de 13 secondes.

[12]  La commissaire de la SI a rejeté l’affirmation faite par le demandeur, selon laquelle il était sous l’effet de la drogue durant l’entrevue avec l’ASFC. La commissaire de la SI a souligné que cette affirmation n’était pas étayée par des éléments de preuve, et a estimé en outre que la transcription de l’entrevue avec l’ASFC montrait que l’interaction entre le demandeur et l’agent de l’ASFC s’était déroulée de manière logique et franche.

[13]  La commissaire de la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était un membre du MS-13. Dans une analyse distincte, la commissaire de la SI a également conclu, pour des motifs raisonnables, que le MS-13 est une organisation criminelle.

IV.  Questions en litige

[14]  Les observations écrites du demandeur font état de deux motifs de contrôle :

  1. déni de justice naturelle en raison de l’incompétence de l’avocate;

  2. erreur dans la décision contestée.

V.  Erreur dans la décision contestée

[15]  Lors de l’audience concernant la présente demande, le demandeur n’a pas souhaité maintenir cet argument en plus de l’argument de déni de justice naturelle. Cela était approprié. Selon les éléments de preuve présentés à l’enquête, il était loisible à la commissaire de la SI de conclure que le demandeur était interdit de territoire en raison de son appartenance à une organisation criminelle. Ces éléments de preuve incluaient l’affirmation faite par le demandeur selon laquelle il était membre du MS-13, corroborée par (i) le tatouage « 13 » (lequel, il l’a reconnu, était lié à un gang); (ii) sa page Facebook (il n’a jamais mentionné que sa page avait été piratée lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet à l’audience); (iii) sa connaissance du MS-13 (y compris son rite d’initiation, la taille de sa clique et son territoire).

[16]  Lors de l’audience concernant la présente demande, le demandeur n’a pas donné suite à ses observations écrites selon lesquelles (i) la commissaire de la SI avait l’obligation d’examiner les éléments de preuve entourant le démenti de son appartenance à un gang, (ii) la commissaire de la SI a conclu à tort que le demandeur avait admis avoir blessé des gens alors qu’il faisait partie du gang, et (iii) elle n’aurait pas dû conclure à son appartenance à un gang sans conclure qu’il avait fait quelque chose alors qu’il faisait partie du gang. Aucune jurisprudence n’a été citée en ce qui concerne le point (i) ci-dessus, et je n’ai connaissance d’aucune obligation de ce type, surtout dans une audience où le demandeur est représenté par un avocat. Ce point se résume à la compétence de l’avocat. En ce qui concerne le point (ii) ci-dessus, je n’ai vu aucune conclusion de la part de la commissaire de la SI selon laquelle le demandeur aurait blessé quelqu’un alors qu’il était membre du gang. En ce qui concerne le point (iii) ci-dessus, une fois de plus, aucune jurisprudence n’a été citée pour appuyer l’idée qu’une personne ne peut être considérée comme étant membre d’une organisation criminelle à moins d’avoir fait quelque chose à titre de membre du gang. En fait, cette position semble être contredite par le libellé du paragraphe 37(1) de la LIPR, selon lequel emporte interdiction de territoire pour criminalité organisée le fait (i) d’être membre d’une organisation criminelle, ou (ii) de se livrer à des activités de criminalité transnationale. Voir aussi l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanaratnam, 2005 CAF 122.

VI.  Incompétence de l’avocate

A.  Norme de contrôle

[17]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement au principe de justice naturelle, comme dans le cas de l’incompétence d’un avocat, est la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Sellaththurai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 104, au paragraphe 47.

[18]  Le demandeur fait plusieurs allégations d’incompétence à l’endroit de l’intervenante.

B.  Protocole procédural concernant des allégations contre un avocat

[19]  Avant de plonger dans l’analyse de la question visant la compétence de l’avocate du demandeur, je dois souligner qu’un Protocole procédural, daté du 7 mars 2014, « Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger » (le protocole procédural) exige qu’avant de plaider l’incompétence de l’ancienne avocate comme motif de redressement dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, comme la demande en l’espèce, l’avocat actuellement saisi du dossier doit être convaincu, après avoir lui-même effectué des enquêtes ou demandé des renseignements, que cette allégation repose sur quelque fondement factuel. L’avocat actuellement saisi du dossier doit également aviser l’ancien avocat des allégations et l’inviter à présenter une réponse. Le protocole procédural n’a pas été respecté en l’espèce. La présente demande, y compris les allégations d’incompétence, a été introduite le 27 février 2017, sans que l’avocate actuelle du demandeur ait d’abord demandé l’avis de l’intervenante. Il semble que les allégations d’incompétence ont été communiquées à l’intervenante seulement en septembre 2017, après que le défendeur eut souligné le manquement au protocole procédural.

[20]  L’objectif déclaré du protocole procédural est d’aider la Cour à rendre des décisions sur les demandes contenant des allégations d’incompétence à l’endroit de l’avocat, ou autre représentant autorisé. Le protocole procédural a pour effet supplémentaire de fournir à l’avocat contre qui les allégations sont faites l’occasion de répondre à ces allégations : Shabuddin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 428, au paragraphe 18.

[21]  L’intervenante a depuis présenté une réponse approfondie aux allégations contre elle. Elle a déposé un affidavit et répondu à des questions en contre-interrogatoire. Son avocat a également déposé un mémoire et présenté des observations de vive voix lors de l’audience de la présente demande.

[22]  Le défendeur affirme que si le protocole procédural avait été respecté, la présente demande aurait pu ne jamais être introduite. Cependant, le défendeur n’allègue pas qu’il faudrait faire fi des allégations d’incompétence parce que le protocole procédural n’a pas été respecté. En fin de compte, je reconnais que l’intervenante a eu la possibilité de répondre aux allégations et que cette réponse a aidé la Cour. Par conséquent, compte tenu des faits en l’espèce, je ne tiendrai pas compte du non-respect du protocole procédural.

C.  Détails des allégations contre l’intervenante

[23]  Voici quelques-unes des principales allégations formulées contre l’intervenante :

  • Elle a omis de s’opposer à l’admission en preuve de documents lors de l’enquête, notamment :

    • o la transcription de l’entrevue avec l’ASFC,

    • o le rapport d’un expert des questions liées aux gangs,

    • o la photo du graffiti du MS-13 sur la page Facebook du demandeur.

    • o s’il était sous l’effet de la drogue à ce moment,

    • o la signification de ses tatouages,

    • o si ses activités lui laissent du temps pour participer à celles d’un gang,

    • o ses problèmes de santé mentale et son habitude d’inventer des histoires pour se sentir plus puissant,

    • o si son compte Facebook avait été piraté.

  • Elle a omis de souligner que les accusations les plus graves visant le demandeur avaient été abandonnées après que la petite amie du demandeur eut indiqué que ses accusations contre le demandeur étaient fausses;

  • Elle a omis de souligner l’absence de toute déclaration de culpabilité au criminel ou de toute accusation criminelle liée aux activités d’un gang;

  • Elle a omis de souligner l’absence d’éléments de preuve concernant l’appartenance du demandeur au MS-13;

  • Elle a omis de poser au demandeur des questions lors de l’enquête au sujet de son affiliation à un gang ou d’activités liées à un gang, ou de déposer d’autres éléments de preuve au nom du demandeur, y compris ceux déposés par le demandeur dans la présente instance;

  • Elle a omis de soulever des questions quant à la fiabilité de l’affirmation faite par le demandeur à l’entrevue avec l’ASFC, selon laquelle il était membre du MS-13, notamment :

    [24]  L’intervenante a répondu à ces allégations de plusieurs façons :

    • La décision contestée était fondée sur l’admission, par le demandeur, qu’il était membre d’une organisation criminelle et qu’il n’était pas pertinent (et cela n’aurait pas changé le résultat) que l’intervenante soulève, à l’enquête, des questions comme (i) le fait que les accusations les plus graves contre le demandeur avaient été abandonnées et (ii) l’absence d’éléments de preuve concernant des déclarations de culpabilité ou des accusations criminelles liées à un gang, ou même des activités en particulier liées à un gang;

    • Il n’y avait aucune raison de s’opposer à l’admission en preuve lors de l’enquête de l’un ou l’autre des documents en question;

    • Durant ses discussions avec le demandeur en vue de l’enquête, ce dernier n’a jamais nié être membre du MS-13, n’a jamais indiqué que ses déclarations durant l’entrevue avec l’ASFC étaient fausses ou inexactes, n’a jamais indiqué qu’il était sous l’effet de la drogue ou intoxiqué de quelque autre façon durant l’entrevue avec l’ASFC, ou qu’il n’avait aucun souvenir de cette entrevue, et n’a jamais indiqué que son compte Facebook avait été piraté;

    • Devant les contradictions du demandeur durant l’enquête concernant ce qu’il avait précédemment dit à l’intervenante, elle avait l’obligation d’un point de vue éthique de ne pas participer à ce qui était, de son avis, de la malhonnêteté de la part du demandeur et elle devait choisir entre (i) limiter sa plaidoirie et ne pas poser de questions au demandeur, ou (ii) se retirer immédiatement à titre d’avocate.

    [25]  Le demandeur contredit carrément l’affirmation de l’intervenante, selon laquelle il n’a jamais nié être membre du MS-13, n’a jamais indiqué que ses déclarations durant l’entrevue avec l’ASFC étaient fausses ou inexactes, et n’a jamais affirmé qu’il était sous l’effet de la drogue durant l’entrevue avec l’ASFC. Il affirme lui avoir dit qu’il n’était pas membre d’un gang et qu’il était sous l’effet de la drogue durant l’entrevue avec l’ASFC.

    D.  Loi applicable

    [26]  Le passage qui suit, tiré de la décision de ma collègue madame la juge Cecily Strickland dans Gombos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850, s’applique en l’espèce et je l’approuve entièrement :

    [17]  Le critère pour répondre aux allégations d’assistance inefficace ou incompétente de l’avocat a été bien défini par la jurisprudence (Zhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626 aux paragraphes 39 à 43). Dans un premier temps, le demandeur doit établir que les actes ou omissions de l’avocat concerné relevaient de l’incompétence et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté (R c. GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 26 (GDB)). Il incombe au demandeur de prouver les volets relatifs à l’examen du travail et au préjudice pour démontrer qu’il s’est produit un manquement à l’équité procédurale (Guadron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12 (Shirwa); Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36 (Memari)). Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au paragraphe 27; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 16, 18). L’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale uniquement dans des « circonstances extraordinaires » (Shirwa, au paragraphe 13; Memari, au paragraphe 36; Pathinathar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 38; Nizar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, au paragraphe 24). En outre, un protocole procédural de la Cour, concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (le Protocole procédural), établit la procédure que les demandeurs doivent respecter lorsqu’ils allèguent l’incompétence de l’avocat, ce qui comprend la signification d’un avis à l’ancien avocat.

    [27]  En résumé, il incombe au demandeur de prouver (i) que l’intervenante a fait preuve d’incompétence, et (ii) que cette incompétence a entraîné une erreur judiciaire, de sorte qu’il existe une probabilité raisonnable que, n’eût été les actes d’incompétence ou omissions allégués, le résultat ait été différent.

    E.  Analyse – l’intervenante a-t-elle fait preuve d’incompétence?

    [28]  Comme je l’ai indiqué, il existe une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable, et que l’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale uniquement dans des circonstances extraordinaires.

    [29]  Il est manifeste que la préparation en vue de l’enquête a représenté quelques difficultés, puisque le demandeur était incarcéré et que ses communications avec l’intervenante n’étaient possibles que lors de brèves conversations téléphoniques. Toutefois, il y a eu plusieurs de ces conversations, et je ne suis pas convaincu que le manque de préparation a constitué un problème ici.

    [30]  Si je reconnais la version des événements de l’intervenante, je conclus qu’elle a fait preuve de compétence. Selon sa version des événements, le demandeur a admis devant elle avant l’enquête qu’il faisait partie d’un gang et il n’a jamais affirmé avoir été sous l’effet de la drogue durant l’entrevue avec l’ASFC. Dans un tel cas, il semble en effet que les déclarations de son client lors de l’enquête, qui contredisaient leurs discussions antérieures, l’auraient placée dans une position éthique étrange. Sans avoir l’intention de trancher une question qu’il conviendrait mieux de confier à un ordre professionnel d’avocats, je reconnais qu’il était raisonnable de sa part de ne pas se retirer immédiatement en tant qu’avocate du demandeur, mais également de ne pas poser au demandeur des questions qui auraient amené un témoignage que l’intervenante savait faux.

    [31]  Selon la version des événements de l’intervenante, l’appartenance du demandeur à une organisation criminelle (le principal critère de l’interdiction de territoire) a été clairement établie, et l’intervenante n’avait aucune raison de croire qu’il aurait été utile d’introduire des éléments de preuve concernant la signification de ses tatouages.

    [32]  On ne m’a présenté aucun motif suffisant de croire qu’il y aurait eu avantage à s’opposer à l’admission en preuve de la transcription de l’entrevue avec l’ASFC, du rapport d’expert ou de la photo tirée du compte Facebook. Le demandeur n’a présenté aucune jurisprudence pour étayer son argument selon lequel il était inapproprié, pour l’agent de l’ASFC, de le questionner, même avec son accord, sans obtenir l’autorisation de son avocat. De plus, on ne m’a présenté aucune raison de croire qu’il était fondé de s’opposer à l’introduction du rapport d’expert. Enfin, même quand on l’a interrogé au sujet de son compte Facebook durant l’enquête, le demandeur n’a pas indiqué qu’il avait été piraté.

    [33]  En ce qui concerne le fait que l’intervenante a omis de faire mention de l’abandon des accusations criminelles graves déposées contre le demandeur, je suis d’accord avec le défendeur et l’intervenante que ces accusations ne faisaient pas partie des faits examinés par la commissaire de la SI dans la décision contestée. Il en va de même pour l’absence de déclarations de culpabilité ou d’accusations criminelles contre le demandeur liées à un gang. La commissaire de la SI a uniquement tenu compte de son appartenance au MS-13, et n’a pas accordé d’importance à des accusations ou activités liées à ce gang.

    [34]  Naturellement, la situation est assez différente si je reconnais la version des événements du demandeur, selon laquelle il a dit à l’intervenante qu’il n’a jamais fait partie d’un gang, et qu’il était sous l’effet de la drogue quand il a fait sa déclaration durant l’entrevue avec l’ASFC. Si tel est le cas, il semble alors que l’intervenante aurait omis de présenter des éléments de preuve et de poser les questions appropriées pour contester l’argument selon lequel le demandeur était membre du MS-13.

    [35]  Je juge la version de l’intervenante crédible, et la version du demandeur non crédible. J’estime difficile de croire que le demandeur et l’intervenante auraient eu une série de conversations téléphoniques pour discuter de l’entrevue avec l’ASFC, sans que le demandeur déclare clairement que son admission, selon laquelle il était membre du MS-13, était fausse, qu’il était sous l’effet de la drogue au moment de faire cette déclaration, et qu’il se rappelait mal l’entrevue. J’estime également difficile de croire que si le demandeur avait affirmé être sous l’effet de la drogue ou nié être membre d’un gang, l’intervenante n’aurait pas averti le demandeur qu’elle ne croyait pas sa nouvelle histoire et qu’elle ne pourrait le soutenir durant l’enquête s’il maintenait cette affirmation.

    [36]  Je doute également de la crédibilité du demandeur en raison de ses déclarations dans son affidavit du 13 août 2017 selon lesquelles (i) l’intervenante n’a pas été dûment nommée pour représenter le demandeur à l’enquête, (ii) l’intervenante n’a pas préparé le demandeur en vue de l’enquête, et (iii) l’intervenante n’a pas parlé au demandeur à propos des éléments de preuve. Il a été prouvé plus tard que toutes ces déclarations étaient fausses, mais seulement après que l’intervenante eut reçu avis de ces allégations et fourni sa réponse.

    [37]  De plus, je souligne que la commissaire de la SI a conclu que l’affirmation faite par le demandeur selon laquelle il était membre du MS-13 était corroborée par (i) son tatouage « 13 » (lequel, il l’a reconnu initialement, était lié à un gang); (ii) le graffiti du MS-13 sur sa page Facebook (il n’a jamais initialement allégué que sa page avait été piratée); (iii) sa connaissance du rite d’initiation du MS-13, de la taille de sa clique et de son territoire.

    [38]  Le demandeur a expliqué que sa connaissance du MS-13 lui venait des vidéos regardés sur YouTube. Il affirme également que sa déclaration concernant le territoire était liée à l’endroit où vivait le demandeur à l’époque, et non au territoire d’une clique du MS-13. Après avoir examiné la transcription de l’entrevue avec l’ASFC, j’estime que le contexte de l’échange indique que le demandeur faisait en fait référence au territoire du gang plutôt qu’à l’endroit où il vivait.

    [39]  J’estime qu’il est plus crédible que le demandeur n’ait pas dit clairement à l’intervenante que sa déclaration, selon laquelle il était membre d’un gang, était fausse et faite sous l’effet de la drogue.

    F.  Analyse – erreur judiciaire

    [40]  Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le demandeur doit également me convaincre qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’enquête ait été différente si l’intervenante n’avait pas omis de faire les choses que soulève le demandeur.

    [41]  J’ai déjà indiqué qu’il n’y avait aucune raison de s’opposer à l’introduction des éléments de preuve présentés par le défendeur à l’enquête.

    [42]  En ce qui a trait aux éléments de preuve qui auraient pu être présentés en son nom, le demandeur fait référence à des éléments de preuve montrant :

    • la consommation de drogues du demandeur et ses problèmes de santé mentale, y compris son habitude d’inventer des histoires pour se sentir plus puissant;

    • la signification des tatouages du demandeur et la pression de ses pairs qui l’ont amené à se faire faire ces tatouages;

    • le fait que le compte Facebook du demandeur ait été piraté;

    • les activités du demandeur, qui ne lui laissent aucun temps pour être membre d’un gang.

    [43]  Je ne peux conclure qu’il existe même une probabilité raisonnable que l’issue de l’enquête ait été différente si la commissaire de la SI avait disposé de ces éléments de preuve. Les éléments de preuve faisant état de la consommation de drogues et des problèmes de santé mentale sont loin d’être suffisants pour prouver que les déclarations du demandeur faites durant l’entrevue avec l’ASFC l’ont été sous l’effet de la drogue. L’affirmation du demandeur selon laquelle il a fait faire ses tatouages à la suite de la pression exercée par ses pairs n’exclut pas la possibilité qu’il s’agisse de tatouages liés à un gang. Les membres d’un gang sont des pairs lorsqu’une personne fait partie d’un gang. Le demandeur a été interrogé au sujet de son compte Facebook durant l’enquête et il avait la possibilité de dire qu’il avait été piraté. Il n’a pas fait de déclaration en ce sens. Enfin, les éléments de preuve concernant le peu de temps dont aurait disposé le demandeur pour faire partie d’un gang laissent croire qu’il aurait dû être actif durant la période couverte par ces éléments de preuve. Rien n’exige que le demandeur se soit livré à certaines activités à titre de membre du gang. C’est suffisant qu’il ait déjà été un membre du gang.

    VII.  Conclusion

    [44]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le demandeur n’a pas satisfait aux critères pour que j’annule la décision contestée, soit en raison d’une erreur dans la décision, soit en raison d’un déni de justice naturelle.


    JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-933-17

    LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

    1. La présente demande est rejetée.

    2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

    « George R. Locke »

    Juge


    COUR FÉDÉRALE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


    DOSSIER :

    IMM-933-17

    INTITULÉ :

    RENE ALONSO PACHECO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, ET MARY E. E. BOYCE

    LIEU DE L’AUDIENCE :

    Toronto (Ontario)

    DATE DE L’AUDIENCE :

    Le 24 avril 2018

    JUGEMENT ET MOTIFS :

    Le juge LOCKE

    DATE DES MOTIFS :

    Le 13 juin 2018

    COMPARUTIONS :

    Arlene Rimer

    Pour le demandeur

    David Cranton

    Pour les défendeurs

    D. Clifford Luyt

    POUR L’INTERVENANTE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

    Arlene Rimer

    Avocate

    Toronto (Ontario)

    Pour le demandeur

    Procureur général du Canada

    Toronto (Ontario)

    Pour les défendeurs

    D. Clifford Luyt

    Avocat

    Toronto (Ontario)

    POUR L’INTERVENANTE

     

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