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Date : 20180611


Dossier : T-1916-17

Référence : 2018 CF 606

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

PAUL ANDREWS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Andrews a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en avril 1997. Il a eu gain de cause au bout du compte et une pension lui a été accordée en octobre 2003.La date de début de son invalidité a été déclarée comme étant janvier 1996, soit 15 mois avant la date de présentation de sa demande. Cette période de rétroactivité est décrite au dossier comme étant la période maximale de rétroactivité disponible.

[2]  Il conteste depuis longtemps la date présumée d’apparition et il a interjeté plusieurs contrôles judiciaires et appels afin de faire réexaminer la question. Plus récemment, le Tribunal de la sécurité sociale – Division d’appel [TSS-DA] a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision du Tribunal de la sécurité sociale du Canada – Division générale [TSS-DG].

[3]  M. Andrews, qui se représente lui-même, dépose maintenant la présente demande en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, ch. F-7, visant le contrôle judiciaire de la décision rendue par le TSS-DA le 30 octobre 2017. Je ne puis conclure que la décision du TSS-DA est déraisonnable, ou que le TSS-DA a commis une autre erreur susceptible de révision justifiant l’intervention de notre Cour. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  L’historique des procédures

[4]  M. Andrews s’oppose au calcul de ses prestations d’invalidité du RPC. En 2011, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Andrews c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 75 [Andrews CAF] a résumé l’historique de la procédure aux paragraphes 2 à 5 comme suit :

[2]  M. Andrews a un long historique en ce qui concerne sa demande de pension d’invalidité fondée sur l’article 42 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (la Loi). Il a d’abord demandé des prestations en avril 1997. Après diverses audiences et appels, le 3 octobre 2003, un troisième tribunal de révision lui a accordé des prestations d’invalidité. Conformément aux dispositions de la Loi, la date à laquelle il est réputé être devenu invalide est le mois de janvier 1996. M. Andrews n’a pas interjeté appel de cette décision, mais il a contesté le calcul de ses prestations.

[3]  À la demande de M. Andrews, le ministre a réexaminé l’évaluation quantitative et a conclu que la pension avait été bien calculée. M. Andrews a sans succès interjeté appel du réexamen devant un tribunal de révision. Le 1er mars 2006, la CAP a rejeté un appel de la décision du tribunal de révision. En rendant cette décision, la CAP a jugé que : 1) la disposition relative aux demandes tardives prévue au paragraphe 44(1) ne s’appliquait pas à M. Andrews; 2) les dispositions relatives aux déductions prévues aux articles 48 et 56 ne s’appliquaient pas à lui; 3) les dispositions relatives à l’incapacité prévues à l’article 60 ne s’appliquaient pas à lui non plus. Le 15 décembre 2006, notre Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CAP. La Cour suprême a refusé d’accorder l’autorisation d’appel le 9 février 2007.

[4]  M. Andrews a continué de faire parvenir du courrier, que l’on peut décrire avec bienveillance comme confus, à la CAP. Finalement, la CAP a tenu une audience le 10 décembre 2009. Dans une décision datée du 26 août 2010, la CAP a relevé trois questions que les diverses communications de M. Andrews semblaient soulever : 1) une question constitutionnelle; 2) une demande d’interrogatoire préalable; 3) une demande de réexamen sur le fondement de nouveaux faits. La CAP a rejeté toutes les « demandes ». C’est cette décision de la CAP qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]  Il est évident que M. Andrews continue d’être insatisfait du montant de ses prestations d’invalidité et qu’il croit que les paiements devraient être rétroactifs à 1979, époque où il a subi sa première blessure, ou au moins à 1993, époque où il a travaillé pour la dernière fois. À notre avis, sa « demande » la plus récente à la CAP n’est qu’une nouvelle tentative de faire réexaminer le montant de sa pension. Comme nous le notions précédemment, toutes les voies d’appel relativement à cette question sont épuisées.

[5]  En 2014, M. Andrews a encore une fois demandé la modification ou l’annulation de la décision originale de 2003 lui accordant des prestations d’invalidité [la demande de 2014]. La demande a été présentée au Tribunal de la sécurité sociale [TSS] aux termes de l’article 66 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [LMEDS]. Le TSS a été institué par la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, ch. 19 et il remplace la Commission d’appel des pensions.

[6]  L’article 66 de la LMEDS prescrit ce qui suit :

66 (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;

b) dans les autres cas, si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés.

(2) La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

(3) Il ne peut être présenté plus d’une demande d’annulation ou de modification par toute partie visée par la décision.

(4) La décision est annulée ou modifiée par la division qui l’a rendue.

 

66 (1) The Tribunal may rescind or amend a decision given by it in respect of any particular application if

(a) in the case of a decision relating to the Employment Insurance Act, new facts are presented to the Tribunal or the Tribunal is satisfied that the decision was made without knowledge of, or was based on a mistake as to, some material fact; or

(b) in any other case, a new material fact is presented that could not have been discovered at the time of the hearing with the exercise of reasonable diligence.

(2) An application to rescind or amend a decision must be made within one year after the day on which a decision is communicated to the appellant.

(3) Each person who is the subject of a decision may make only one application to rescind or amend that decision.

(4) A decision is rescinded or amended by the same Division that made it.

[7]  En juin 2015, le TSS-DG a rejeté la demande de 2014 [la demande de 2015]. Le TSS-DG a conclu que la demande avait été présentée au-delà de la limite d’un an prévue au paragraphe 66(2) de la LMEDS et que M. Andrews n’avait pas saisi le TSS-DG de « nouveaux éléments de preuve » démontrant des faits nouveaux et essentiels, comme l’exige l’alinéa 66(1)b).

[8]  Le TSS-DA a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de 2015 par M. Andrews. Le contrôle judiciaire de cette décision n’a pas été demandé.

[9]  En juin 2016, M. Andrews a de nouveau présenté une demande au TSS-DG en application de l’article 66 de la LMEDS pour que le TSS-DG annule ou modifie la décision de 2015. En août 2016 [la décision de 2016], le TSS-DG a conclu qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la demande, car M. Andrews n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant des faits nouveaux et essentiels, se fondant plutôt sur les mêmes éléments de preuve qui avaient été présentés avec la demande de 2014. Subsidiairement, le TSS-DG a conclu que la demande était frappée de prescription, étant donné que la question de l’incapacité avait déjà été jugée et que la demande était une tentative indirecte d’infirmer une décision contraignante qu’il ne pouvait attaquer directement.

[10]  M. Andrews encore une fois a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de 2016 au TSS-DA. Il a déposé son dossier revu après l’échéance pour l’autorisation d’interjeter appel. Le TSS-DA a rejeté sa demande de prolongation du délai et d’autorisation d’interjeter appel dans une décision datée du 30 octobre 2017. Le présent contrôle judiciaire vise cette décision.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Dans sa décision, le TSS-DA a soulevé deux questions : 1) s’il devait accorder une prorogation du délai prévu pour déposer une demande de permission d’en appeler; 2) si l’appel avait une chance raisonnable de succès.

[12]  Lorsqu’il s’est penché sur la requête de prorogation du délai, le TSS-DA a noté que M. Andrews n’avait fourni aucune explication quant au dépôt tardif. Le TSS-DG a ensuite noté que lors de l’examen de la requête de prorogation du délai, « la considération primordiale, pour déterminer s’il faut proroger le délai, est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation du délai serait dans l’intérêt de la justice. » Le TSS-DA a ensuite conclu que l’intérêt de la justice serait mieux évalué en examinant si la demande respectait le critère permettant d’accorder une autorisation d’interjeter appel – « si l’appel a une chance raisonnable de succès. »

[13]  Le TSS-DA a précisé les motifs d’appel de M. Andrews et a conclu que les motifs n’avaient pas divulgué que l’appel avait une chance raisonnable de succès. Précisément, le TSS-DA a conclu que le TSS-DG n’avait pas rejeté sommairement la demande ou commis une erreur en ne tenant pas une audience.  Le TSS-DA a ensuite noté qu’une personne faisant l’objet d’une décision du TSS ne peut présenter qu’une seule demande visant à annuler ou à modifier cette décision, et que M. Andrews avait présenté deux demandes distinctes fondées sur les mêmes « nouveaux » documents et arguments. Le TSS-DA a conclu que l’appel n’avait aucune chance de succès et a rejeté la demande de prorogation du délai et d’autorisation d’interjeter appel.

IV.  Analyse

[14]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Andrews ne précise pas d’erreur concernant la décision du TSS-DA. Dans ses observations écrites, il a avancé une série de sous-éléments soulignant des décisions antérieures relatives à sa demande de prestations d’invalidité et précisant des dispositions données de la loi.

[15]  Dans ses observations orales, M. Andrews a soulevé des problèmes quant à la divulgation de la documentation et il a relevé des préoccupations constitutionnelles. Il soutient que ces préoccupations justifient la réouverture de sa demande de prestations d’invalidité en fonction de faits nouveaux. Celles-ci étaient les questions mêmes qui avaient été traitées dans la décision de 2010 par la Commission d’appel des pensions [CAP] (Andrews CAF, au paragraphe 4). Comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans son contrôle judiciaire de la décision de 2010 rendue par la CAP, toutes les voies d’appel en ce qui concerne le montant des prestations d’invalidité de M. Andrews ont été épuisées (Andrews CAF, au paragraphe 5).

[16]  L’unique question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le TSS-DA a rejeté de manière déraisonnable la demande d’autorisation de M. Andrews d’interjeter appel de la décision de 2016 du TSS-DG.

[17]  Une décision du TSS-DA refusant la permission d’en appeler doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Griffin c. Canada (Procureur général), 2016 CF 874, aux paragraphes 13 et 14; Marcia c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1367, au paragraphe 23). Le TSS-DA doit se voir accorder la déférence en ce qui concerne ses conclusions de fait, les questions mixtes de fait et de droit, et l’interprétation de sa loi constitutive (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 [Dunsmuir]; Canada (Procureur général) c. Hoffman, 2015 CF 1348, au paragraphe 33).  La déférence exige que la cour de révision porte attention aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision (Dunsmuir, au paragraphe 48). Bien que la cour de révision ne doive pas substituer ses propres motifs à ceux du décideur, elle peut, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses]).

[18]  En examinant la décision du TSS-DA, il convient de noter que la décision du TSS-DG de refuser la demande de modification ou d’annulation était fondée sur une absence de compétence. Le TSS-DG a noté qu’il avait seulement la compétence de modifier ou d’annuler une décision antérieure lorsque des faits nouveaux et essentiels lui avaient été présentés (alinéa 66(1)b) de la LMEDS). En l’espèce, M. Andrews n’avait fourni aucun élément de preuve nouveau et, par conséquent, le TSS-DG avait conclu que sur ce seul motif, la demande devait être rejetée.

[19]  La décision du TSS-DA ne traite pas explicitement de la question de la compétence. Toutefois, il n’est pas nécessaire que ses motifs soient parfaits et ils doivent être lus dans le contexte des éléments de preuve et des arguments (Newfoundland Nurses, au paragraphe 18). En l’espèce, le TSS-DA reconnaît que les « nouveaux éléments de preuve » dont le TSS-DG avait été saisi n’étaient pas nouveaux – il s’agissait des « mêmes deux documents qui avaient été déposés avec la demande de mai 2014 ». Le TSS-DA a ensuite conclu que :

[32]  La deuxième demande d’annulation ou de modification du demandeur est essentiellement la même que sa première demande. Le demandeur cherche à annuler ou modifier la décision de la division générale de juin 2016 sur la base de supposés « nouveaux éléments de preuve » qui se trouvaient au dossier de la décision de juin 2015. Il n’y a pas d’argument raisonnable d’erreur de droit grâce auquel cet appel pourrait avoir gain de cause.

[20]  Même si la décision du TSS-DA aurait pu traiter plus en détail du fondement sous-jacent de la décision du TSS-DG, les motifs concluent clairement que l’appel n’avait pas de chance raisonnable de succès puisque la demande n’était pas étayée par de nouveaux éléments de preuve. La décision, lue à la lumière du dossier, explique le fondement de la décision. Je conclus que la décision du TSS-DA de refuser une prorogation du délai d’appel et de rejeter l’autorisation appartient aux issues possibles acceptables.

V.  Conclusion

[21]  La décision du TSS-DA est raisonnable, la demande est rejetée. Le défendeur n’a pas demandé de dépens et aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1916-17

LA COUR rejette la présente demande. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1916-17

 

INTITULÉ :

PAUL ANDREWS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AVRIL 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2018

 

COMPARUTIONS :

Paul Andrews

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Sandra Doucette

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

Pour le défendeur

 

 

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