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Date : 20180612


Dossier : T-2136-16

Référence : 2018 CF 613

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2018

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

JONES MARINE GROUP LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS et L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE NANAIMO

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Jones Marine Group Ltd. [Jones ou la demanderesse] demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 novembre 2016 [la décision] par le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités [le ministre], qui a ordonné l’enlèvement du remorqueur de Jones qui s’est échoué dans le chenal de Northumberland à Nanaimo (Colombie-Britannique).

L’avis d’enlèvement mis en œuvre par la décision a été délivré conformément au paragraphe 16(1) de la Loi sur la protection de la navigation, LRC (1985), c N-22 [la Loi].

[2]  Un important litige opposait l’entreprise British Columbia Coast Pilots Ltd. [BC Pilots] et un représentant de Jones, dont les vues divergeaient quant au risque que présentait le remorqueur échoué. Ce litige est au cœur de la décision.

[3]  La demanderesse conteste la décision principalement au motif qu’elle est a) déraisonnable et b) qu’elle découle d’un processus qui a enfreint les règles d’équité procédurale.

Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, une autre question a été soulevée; celle-ci visait à déterminer si certains paragraphes d’un affidavit soumis par la demanderesse étaient admissibles à titre de nouveaux éléments de preuve, ou s’il s’agissait plutôt d’un témoignage d’opinion non pertinent.

II.  Énoncé des faits

A.  Dispositions applicables

[4]  Les questions en litige dans ce contrôle judiciaire commandent l’application de deux lois. Les dispositions les plus importantes de la Loi sont les suivantes :

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 The following definitions apply in this Act.

obstacle Épave résultant du naufrage d’un bâtiment qui a sombré, s’est échoué ou s’est jeté à la côte ou à la rive ou chose qui obstrue, gêne ou rend plus difficile ou dangereuse la navigation, à l’exclusion de toute chose d’origine naturelle à moins qu’une personne soit responsable du fait que la chose obstrue, gêne ou rend plus difficile ou dangereuse la navigation. (obstruction)

obstruction means a vessel, or part of one, that is wrecked, sunk, partially sunk, lying ashore or grounded, or any thing, that obstructs or impedes navigation or renders it more difficult or dangerous, but does not include a thing of natural origin unless a person causes the thing of natural origin to obstruct or impede navigation or to render it more difficult or dangerous. (obstacle)

[...]

[...]

Pouvoirs du ministre

Minister’s powers

16 (1) Le ministre peut ordonner au responsable, à l’égard d’un obstacle réel ou potentiel, dans des eaux navigables mentionnées à l’annexe, autres que des eaux secondaires, d’immobiliser celui-ci, de l’enlever ou de le détruire selon ses instructions, si la situation existe depuis plus de vingt-quatre heures.

16 (1) The Minister may order the person in charge of an obstruction or potential obstruction in a navigable water — other than a minor water — that is listed in the schedule to secure, remove or destroy it in the manner that the Minister considers appropriate if the situation has persisted for more than 24 hours.

Lieu appartenant à Sa Majesté

Property belonging to Her Majesty

(2) Il peut ordonner à toute personne d’immobiliser, d’enlever ou de détruire des débris de bâtiment, un bâtiment, une épave ou toute chose qui se sont échoués, se sont jetés à la côte ou à la rive ou ont été abandonnés, en un lieu appartenant à Sa Majesté du chef du Canada, s’ils entravent depuis plus de vingt-quatre heures l’utilisation du lieu à des fins publiques fédérales.

(2) The Minister may order any person to secure, remove or destroy a wreck, vessel, part of a vessel or any thing that is cast ashore, stranded or left on any property belonging to Her Majesty in right of Canada and impedes, for more than 24 hours, the use of that property as may be required for the public purposes of Canada.

Non-respect de l’ordre

Failure to comply with order

(3) Si la personne qui reçoit l’ordre visé au paragraphe (1) ou (2) n’obtempère pas, le ministre peut faire exécuter l’ordre.

(3) If the person to whom an order is given under subsection (1) or (2) fails to comply with the order, the Minister may cause the order to be carried out.

Loi sur les textes réglementaires

Not a statutory instrument

(4) Il est entendu que l’ordre donné au titre du présent article n’est pas un texte réglementaire au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires.

(4) For greater certainty, an order given under this section is not a statutory instrument as defined in subsection 2(1) of the Statutory Instruments Act.

Les dispositions les plus importantes de la Loi sur le pilotage, LRC (1985), c P-14 sont les suivantes :

Interdiction — Zone de pilotage obligatoire

Prohibition where pilotage compulsory

25 (1) Sauf dispositions contraires des règlements généraux, il est interdit à quiconque d’assurer la conduite d’un navire à l’intérieur d’une zone de pilotage obligatoire à moins d’être un pilote breveté ou un membre régulier de l’effectif du navire et titulaire d’un certificat de pilotage pour cette zone.

25 (1) Except as provided in the regulations, no person shall have the conduct of a ship within a compulsory pilotage area unless the person is a licensed pilot or a regular member of the complement of the ship who is the holder of a pilotage certificate for that area.

Responsabilité du pilote envers le capitaine

Pilot responsible to master

(2) Le pilote breveté qui assure la conduite d’un navire est responsable envers le capitaine de la sécurité de la navigation du navire.

(2) A licensed pilot who has the conduct of a ship is responsible to the master for the safe navigation of the ship.

III.  Faits

A.  Les parties

[5]  La demanderesse, Jones Marine Group Ltd., est une entreprise de remorquage maritime qui possède et exploite une flotte de remorqueurs sur la côte de la Colombie-Britannique. Élément essentiel à la présente affaire, cette entreprise est propriétaire du remorqueur Samantha J, qui a coulé le 6 octobre 2014 [l’épave].

[6]  En application de l’article 16 de la Loi, le ministre défendeur a le pouvoir d’ordonner l’enlèvement d’un obstacle réel ou potentiel dans les eaux navigables. À l’époque, ce pouvoir du ministre avait été délégué à Ryan Greville, qui occupait alors le poste de gestionnaire régional par intérim à Transports Canada.

[7]  L’Administration portuaire de Nanaimo [APN], l’autre défendeur, a été constituée en application de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10, et est responsable de la navigation et de la sécurité à l’intérieur de sa zone portuaire. Cette zone comprend six mouillages pour navires océaniques de désignation fédérale, situés dans le chenal de Northumberland – le chenal séparant la ville de Nanaimo de l’île Gabriola, l’une des magnifiques îles Gulf de la Colombie-Britannique. Les mouillages sont désignés NA-01 à NA-06; l’épave a coulé dans la zone NA-01, comme l’indique l’annexe A jointe aux présents motifs (pièce n3 de l’affidavit Greville).

[8]  BC Pilots offre, sous contrat, des services de pilotage aux navires assujettis au Règlement sur le pilotage dans la région du Pacifique, CRC, c 1270, lequel exige qu’un pilote breveté soit présent à bord durant le déplacement ou le mouillage d’un navire dans un port.

En application de la Loi sur le pilotage, LRC (1985), c P-14, les pilotes sont responsables de la sécurité de la navigation des navires.

[9]  L’APN considère que les pilotes de BC Pilots sont des experts dans le mouillage des navires océaniques en Colombie-Britannique et elle consulte régulièrement cette entreprise au moment de prendre des décisions concernant les mouillages.

B.  Avis d’enlèvement

[10]  L’épave se trouve dans la zone NA-01, qui sert au mouillage de navires océaniques de gros tonnage d’une longueur hors tout [LHT] maximale de 225 mètres [m]. L’épave n’occupe que 2° de la circonférence (360°) de la zone de mouillage.

[11]  Le 30 décembre 2014, le capitaine Dahlgren, directeur des opérations et directeur de port pour l’APN, a communiqué avec M. Greville afin de lui faire part de ses préoccupations au sujet de l’épave qui, selon lui, obstruait la navigation.

[12]  Après le naufrage de l’épave, le 6 octobre 2014, la zone NA-01 a été fermée temporairement, puis a été réouverte aux navires d’une LHT inférieure à 165 m.

Le 6 janvier 2015, déjà trois incidents, au cours desquels BC Pilots avait refusé de mouiller des navires océaniques dans la zone NA-01 à cause de la présence de l’épave, avaient été rapportés.

[13]  Le 20 janvier 2015, M. Greville a délivré un avis d’enlèvement en application de l’article 16 de la Loi [le premier avis d’enlèvement], précisant que l’épave devait être enlevée avant le 16 mars 2015.

[14]  Après réception du premier avis d’enlèvement, la demanderesse a envoyé une réponse écrite à M. Greville, l’informant que l’épave n’obstruait pas la navigation.

[15]  MM. Greville et Dahlgren se sont rencontrés pour discuter de la position de la demanderesse et, le 24 juillet 2015, M. Dahlgren a fait parvenir une lettre dans laquelle il expliquait pourquoi l’épave obstruait selon lui la navigation dans la zone NA-01 :

  • a) [traduction] L’épave se trouve dans le « cercle d’exclusion » du mouillage, ainsi que dans la route d’approche qui mène à deux terminaux en eau profonde dans le chenal de Northumberland, ce qui nous oblige à limiter la taille des navires dans la zone NA-01;

  • b) Les engins en eau profonde des combinaisons remorqueur-chaland pourraient accrocher l’épave à l’approche de l’unité d’amarrage le long de Gabriola Bluffs;

  • c) L’accrochage ou le déplacement de l’épave pourrait causer le rejet dans l’environnement de tout polluant encore présent.

[16]  Puis, le 6 octobre 2015, M. Greville a délivré un deuxième avis d’enlèvement exigeant l’enlèvement de l’épave avant le 31 décembre 2015 [le deuxième avis d’enlèvement], en y joignant la lettre de M. Dahlgren du 24 juillet 2015.

[17]  Le 19 octobre 2015, la demanderesse a fait parvenir sa réponse à M. Greville, par l’entremise de Merle McKenzie. Dans cette réponse, M. McKenzie faisait valoir que l’épave se trouvait à un emplacement et à une profondeur tels que les risques pour la navigation étaient extrêmement faibles et que l’enlèvement de l’épave présentait plus de risque pour l’environnement que son maintien en place.

[18]  M. McKenzie a joué un rôle inhabituel dans la suite des événements. M. McKenzie était agent parajuridique et gestionnaire du groupe de transport maritime au sein du cabinet d’avocats Bull Housser & Tupper LLP de Vancouver. Il s’est présenté à M. Greville comme étant le représentant de l’assureur de la demanderesse. Même s’il n’était pas l’avocat de la demanderesse, il semble avoir joué un rôle s’apparentant à celui d’un avocat auprès de la demanderesse.

[19]  Le 23 octobre 2015, M. Greville a tenu une téléconférence avec MM. McKenzie et Dahlgren pour discuter des préoccupations de M. Dahlgren, mais n’ont pu parvenir à une entente.

[20]  Enfin, le 30 octobre 2015, le président de BC Pilots a informé MM. Greville, McKenzie et Dahlgren que BC Pilots estimait que l’épave constituait un risque important pour la navigation et que la LHT des navires devrait être limitée à 180 m à cause de l’aire d’évitage du mouillage.

[21]  En novembre 2015, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire du deuxième avis d’enlèvement, dans laquelle elle alléguait que le risque d’accrochage était trop faible pour être préoccupant, une position qui était corroborée par l’affidavit d’un expert, Marc McAllister.

[22]  Entre le 1er janvier 2016 et la mi-mars 2016, au moins 15 incidents, au cours desquels BC Pilots a refusé de mouiller des navires océaniques dans la zone NA-01 à cause de la présence de l’épave, ont été signalés à l’APN.

[23]  Les parties ont obtenu une suspension du contrôle judiciaire pour offrir au ministre défendeur la possibilité de réexaminer le deuxième avis d’enlèvement.

[24]  M. McAllister a rencontré des représentants de Transports Canada et, en mai 2016, il leur a soumis un mémoire dans lequel il décrivait en détail la méthodologie qu’il avait utilisée pour conclure que l’épave ne présentait pas de risque.

[25]  En mai et juin 2016, lors de rencontres entre le président de BC Pilots et M. Greville, BC Pilots a informé M. Greville que, malgré le mémoire de M. McAllister, la position de BC Pilots demeurait inchangée : le déplacement de la zone de mouillage NA-01 n’était pas une solution viable et les calculs de M. McAllister, quant au nombre de maillons requis pour la chaîne d’ancre à NA-01, étaient erronés.

[26]  Entre cette période et la réunion du 6 octobre 2016 qui a mené à la décision, M. Greville a reçu un autre mémoire de M. McAllister qui répétait que l’épave ne posait pas de risque. M. Greville a consulté à nouveau M. McAllister, l’APN, BC Pilots et un autre fonctionnaire de Transports Canada spécialisé en mouillage; il leur a remis le dernier mémoire de M. McAllister et convoqué la réunion du 6 octobre 2016.

[27]  Dans l’intervalle, M. Greville a reçu un Rapport d’une situation maritime comportant des risques portant sur un incident survenu en octobre 2015, au cours duquel le câble de remorquage d’un des remorqueurs de la demanderesse avait accroché un objet au fond de l’océan, à proximité de l’épave, ce qui avait fait chavirer le remorqueur.

[28]  Les événements entourant la réunion du 6 octobre constituent un facteur clé dans l’allégation de la demanderesse concernant le manquement à l’équité procédurale. Ils sont aussi pris en compte dans la discussion sur le caractère raisonnable de la décision.

[29]  Il ne fait aucun doute à la lecture du dossier que la réunion se voulait une dernière tentative pour voir si l’on pouvait arriver à concilier l’opinion d’expert de BC Pilots, qui estimait que l’épave obstruait la navigation, et celle de McAllister au nom de la demanderesse qui alléguait que l’épave n’était pas un obstacle – ou du moins que les risques pourraient être gérés.

[30]  La réunion du 6 octobre a porté sur les éléments suivants :

  • La description faite par BC Pilots des diverses façons dont une chaîne d’ancre pouvait accrocher l’épave, ainsi que des risques d’accrochage des câbles de remorquage du fait que la zone est souvent utilisée par des remorqueurs de gros chalands et de chalands de billes. Les parties ne s’entendaient pas quant à savoir si certains de ces renseignements constituaient véritablement de nouveaux renseignements ou si ce n’était que de simples variations sur le même thème du risque d’accrochage des câbles de remorquage.

  • La description de l’APN des incidents où des navires se sont vu refuser l’accès à la zone NA-01, ainsi qu’une discussion de l’incident d’accrochage survenu en octobre 2015.

  • Une discussion sur les navires déplacés de la zone NA-01 qui ont été forcés de mouiller ailleurs, et la réaction en chaîne qui en a résulté sur la disponibilité nationale des mouillages.

  • Une discussion sur le fait que, même si le risque d’accrochage était faible, la gravité de tels incidents était élevée.

[31]  Le procès-verbal a été distribué après la réunion; s’exprimant au nom de la demanderesse, M. McKenzie a indiqué que, sauf de rares exceptions, le procès-verbal traduisait l’essentiel des discussions et qu’ils [traduction] « attendaient les instructions ». La LHT maximale de 165 m jugée acceptable par BC Pilots a été confirmée.

[32]  À la fin octobre, M. Dahlgren a informé M. Greville que trois navires océaniques s’étaient vu refuser le mouillage dans la zone NA-01 à cause de la restriction relative à la taille des navires dans cette zone, et que le mouillage global des navires de gros tonnage dans le port et les zones adjacentes avait été réduit.

[33]  Vu les éléments précités, M. Greville a conclu pour la troisième fois, dans la décision rendue le 9 novembre 2016, que l’épave constituait un obstacle réel ou potentiel à la navigation dans la zone NA-01, en contravention de l’article 16 de la Loi, et il a délivré un troisième avis d’enlèvement exigeant l’enlèvement de l’épave avant le 31 décembre 2016 [le troisième avis d’enlèvement].

[34]  L’évaluation des incidences sur la navigation, qui fait partie des motifs de la décision, s’énonce comme suit :

[traduction]

L’épave du remorqueur Samantha J entrave considérablement la navigation aux fins du mouillage des navires océaniques dans le port de Nanaimo. Aucune mesure d’atténuation n’a été proposée. Un avis d’enlèvement a été délivré le 20 janvier 2015 en application du paragraphe 16(1) de la Loi. Après examen de la correspondance reçue des représentants du promoteur et des autres recherches menées par l’APN et le Programme de protection de la navigation (PPN), un autre avis a été délivré le 5 octobre 2015.

À la suite d’une rencontre avec BC Pilots, l’APN et les représentants le 6 octobre 2016, et après avoir pris en compte les renseignements pertinents, il a été conclu que, bien que la probabilité qu’un navire océanique engage sa chaîne d’ancre soit faible, les conséquences qui en résulteraient, le cas échéant, seraient importantes et pourraient causer de graves dommages au navire et à l’environnement. Un nouvel avis d’enlèvement a été délivré le 9 novembre 2016.

IV.  Questions en litige

[35]  Deux questions principales sont soulevées :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

  2. La décision était-elle raisonnable?

L’admissibilité des éléments ajoutés au dossier est également discutée plus en détail, en lien avec ces deux questions.

V.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[36]  Les parties conviennent, et je partage leur avis, que la question de l’équité procédurale doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[37]  Les parties ne s’entendent toutefois pas sur la norme de contrôle applicable à l’examen du bien-fondé de la décision. Je suis d’avis que le ministre (ou son délégué) dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la délivrance d’une ordonnance d’enlèvement et aux mesures qui peuvent être prises dans le cadre de ce processus, comme en témoigne le libellé « [l]e ministre peut » aux paragraphes 16(1) et (2) de la Loi. On ne peut toutefois pas conclure simplement, de façon discrétionnaire, qu’un objet constitue un « obstacle »; la conclusion doit être raisonnable. L’étendue des pouvoirs permettant d’établir l’existence d’un obstacle est vaste, car cet exercice relève de la loi constitutive du ministère et porte sur un domaine dans lequel les fonctionnaires du ministère possèdent une certaine expérience, voire une expertise. En l’espèce, le délégué bénéficiait d’une expertise indépendante fondée sur l’expérience et les opinions de BC Pilots. La norme de contrôle devant s’appliquer est donc celle de la décision raisonnable, laquelle commande notamment que l’on fasse preuve de déférence envers l’évaluation des risques faite par le ministre et les mesures correctives imposées.

B.  Autres éléments de preuve

[38]  La question de l’admissibilité des éléments ajoutés au dossier n’a pas fait l’objet de plaidoiries exhaustives; cependant, comme ces éléments ont été inclus dans les observations écrites et que l’avocat s’est basé sur ses observations écrites et sur sa plaidoirie détaillée, cette question doit être examinée.

[39]  Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse a, le 16 novembre 2016, déposé un mémoire par l’entremise de M. McAllister. Manifestement, M. Greville n’était pas en possession de ce mémoire au moment où il a rendu la décision.

[40]  Ce mémoire visait deux objectifs : a) il cherchait à démontrer que, si la demanderesse avait eu droit de réponse après la réunion du 6 octobre, elle aurait pu présenter des arguments valables pour réfuter ce qui avait été dit durant cette réunion et b) il visait à présenter d’importants éléments de preuve attestant du caractère déraisonnable de la décision.

[41]  Ce mémoire du 16 novembre présente l’analyse et les opinions de M. McAllister au sujet du procès-verbal de la réunion d’octobre et rend compte de son désaccord avec les opinions et déclarations formulées lors de cette réunion qu’il juge comme sans fondement. Sa conclusion est quelque peu nouvelle – à savoir que la zone NA-01 n’était pas un mouillage sécuritaire en soi, parce que la sécurité des navires était compromise – que l’épave soit présente ou non – à cause des conditions mêmes qui pouvaient faire en sorte qu’un navire accroche l’épave.

[42]  Même si l’on peut utiliser de « nouveaux éléments de preuve » pour démontrer les effets d’un manquement à l’équité procédurale, il faut d’abord établir qu’un tel manquement existe : voir l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licencing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 NR 297.

[43]  Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que la demanderesse n’avait pas droit de réponse et que, même si elle l’avait, elle ne l’a pas exercé avec suffisamment de diligence pour que cela constitue un manquement à l’équité procédurale.

[44]  L’examen de ces « nouveaux » éléments de preuve montre qu’ils sont conjecturaux et qu’ils constituent une répétition d’éléments présentés antérieurement. S’ils étaient admis, ils indiqueraient en quoi consistait le dossier de la preuve dont M. Greville avait été saisi. Je ne peux appuyer l’argument selon lequel les faits comportent des lacunes ou ils sont erronés. Les éléments de preuve sur ce qui a été présenté à M. Greville sont plus que suffisants. L’affidavit ne peut être admis pour la simple raison qu’il démontrerait en quoi consistait le dossier présenté à M. Greville.

[45]  L’affidavit est en grande partie un témoignage d’opinion et, dans certains cas, c’est une plaidoirie. Bien que le premier soit admissible, s’il était devant M. Greville, le deuxième ne l’est pas. Il est difficile de séparer ce qui pourrait être admissible de ce qui ne l’est pas.

[46]  Quant au témoignage d’opinion, même si M. McAllister était apte à donner son opinion, ce témoignage n’aide pas sensiblement la demanderesse. Cette affaire repose en grande partie sur une divergence d’opinions entre M. McAllister et BC Pilots. Il était loisible à M. Greville de favoriser une opinion au détriment d’une autre. Le fait d’admettre certains éléments de l’affidavit n’indique pas pourquoi il était déraisonnable pour M. Greville de choisir une opinion plutôt qu’une autre. Les portions de l’affidavit exposant l’opinion de M. McAllister sont admissibles pour les motifs énoncés au paragraphe 45, c’est-à-dire pour établir la divergence d’opinions.

[47]  Par conséquent, je conclus que les éléments de preuve supplémentaires sont admissibles aux fins limitées indiquées; ils ne sont toutefois guère utiles pour la demanderesse.

C.  Manquement à l’équité procédurale

[48]  La demanderesse fait valoir que le ministre n’a pas offert un processus équitable, en ne lui donnant pas un préavis adéquat, en ne lui donnant pas une occasion raisonnable de répondre aux éléments de preuve présentés et en rendant une décision fondée sur un dossier incomplet. La demanderesse parle également d’« entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire » et d’« attentes légitimes ».

[49]  En examinant le « contenu de l’obligation d’équité procédurale », la Cour doit tenir compte de la nature du processus et des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker]. La demanderesse fait valoir que le processus devait essentiellement s’apparenter à une instruction devant un tribunal, où la demanderesse présente ses arguments, puis les défendeurs exposent les leurs, après quoi la demanderesse a un droit de réplique. Il ne s’agit toutefois pas du cadre procédural approprié pour trancher la présente affaire.

[50]  Les cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker sont soit neutres, soit favorables à la position du défendeur en faveur d’un processus procédural moins rigoureux, à l’exception de la nature du régime législatif en raison de l’absence d’appel prévu par la loi à l’égard des décisions rendues en application de l’article 16. La nature de la décision qui n’a pas de processus établi, l’importance de la décision qui est dictée par la sécurité et l’intérêt public et qui prévoit l’enlèvement, à titre préventif, d’un obstacle potentiel, l’absence d’attentes légitimes, ainsi que la déférence qui est due au ministre quant à la procédure à suivre sont autant de facteurs qui militent en faveur de protections procédurales de moindre niveau.

[51]  La Loi laisse au ministre le soin d’établir la procédure à suivre. Durant les deux ans pendant lesquels la question de l’épave a été débattue, aucune allusion n’a été faite quant au type de processus auquel la demanderesse disait avoir droit.

Il s’agit d’une décision administrative extrajudiciaire dans le cadre de laquelle M. Greville devait interpréter et appliquer la loi constitutive du ministère et se fier à l’expertise de son ministère ou à l’expertise disponible pour examiner la question de la sécurité maritime, y compris tout risque potentiel pour la sécurité. Il ne s’agit pas d’un processus continu d’argumentation et de débat.

[52]  Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, la décision revêt une importance sur le plan de la sécurité publique. Les frais liés à l’enlèvement de l’épave pour la demanderesse (qui n’ont jamais été quantifiés) seraient un facteur qui influeraient peu sur l’importance globale de la décision.

[53]  Je ne puis trouver aucun fondement suffisant pouvant justifier quelque « attente légitime ». Le défendeur n’a fait aucune « promesse » quant au processus et certainement rien qui puisse laisser croire à un droit de réplique. Le seul élément pouvant être invoqué par la demanderesse, c’est la lettre de Transports Canada du 19 août 2016 dans laquelle le ministère lui accordait deux semaines pour présenter de nouveaux éléments de preuve.

[54]  Il n’y a donc eu aucune observation sur laquelle la demanderesse pourrait se fonder pour justifier un droit de réponse après la réunion du 6 octobre, ou de laquelle un tel droit pourrait être inféré. Les interactions au cours de ces deux années ont été variables, mais il n’y a eu aucune conduite « claire, nette et explicite » établissant une attente légitime quant à la procédure à suivre : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 95 et 96, [2013] 2 RCS 559.

[55]  Si la demanderesse voulait un droit de réponse, elle aurait dû prendre des mesures raisonnables pour l’obtenir ou tout au moins faire connaître sa position. Elle n’a rien fait de la sorte.

[56]  L’allégation d’attente légitime doit donc être rejetée.

[57]  En ce qui a trait à l’équité du processus, après avoir examiné le type de décision qui devait être rendue, les éléments de preuve en litige et la nature des opinions divergentes, je conclus que le processus était équitable.

La demanderesse a droit à un processus équitable, mais non à un processus sans fin.

[58]  La réunion du 6 octobre était manifestement une dernière tentative en vue de parvenir à quelque forme de règlement en discutant de la réponse de la demanderesse au réexamen de M. Greville. La demanderesse avait été informée dès le 19 août 2016 qu’une nouvelle ordonnance d’enlèvement serait délivrée à moins que de nouveaux éléments de preuve soient présentés dans les deux semaines à venir. Elle savait que la question était sur le point d’être tranchée, puisqu’elle-même avait contribué au processus en demandant la tenue d’une réunion avec l’APN et BC Pilots pour examiner le plus récent mémoire de M. McAllister afin de [traduction] « faire avancer le dossier ».

[59]  La demanderesse connaissait les questions en litige, les éléments de preuve au dossier et les divergences d’opinions. Elle savait que le défendeur craignait que la chaîne d’ancre des navires au mouillage n’accroche l’épave. Il s’agissait d’un problème technique qui dépendait de la longueur de la chaîne, du nombre de maillons et de l’aire d’évitage du navire. Il ne s’agissait pas d’une question nouvelle.

[60]  Il n’y a eu substantiellement aucun nouveau renseignement présenté lors de la réunion d’octobre, les discussions n’ayant porté que sur les divers scénarios au cours desquels la chaîne d’ancre pourrait accrocher l’épave. Or, les variations sur un thème établi ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve, et rien n’indique que la demanderesse a été prise par surprise ou n’a pu répondre aux questions soulevées lors de cette réunion.

[61]  Le mémoire du 16 novembre 2016 de M. McAllister n’est d’aucune utilité pour appuyer l’allégation de manquement à l’équité de la demanderesse. Ce mémoire décrit le litige continu qui oppose la demanderesse et BC Pilots, ainsi que les allégations de la demanderesse quant au caractère insuffisant ou inadéquat de la preuve.

[62]  La demanderesse a beaucoup insisté, dans sa correspondance consécutive à la réunion d’octobre, sur la mention « nous attendons les instructions ». Cela ne suffit toutefois pas, à mon avis, pour justifier quelque droit de réponse. Cet énoncé est vague et ne précise aucun cadre temporel. Si la demanderesse croyait avoir ce droit ou souhaitait le revendiquer, il lui incombait de préciser ce qu’elle entendait faire et à quel moment.

[63]  Une partie ne peut tergiverser en faisant valoir ce qu’elle prétend être un droit, notamment lorsqu’il était manifeste que la question était sur le point d’être tranchée. La demanderesse a eu 33 jours entre la réunion d’octobre et la décision pour répondre, mais elle est demeurée silencieuse.

[64]  M. Greville n’était nullement tenu d’attendre la réponse de la demanderesse. La demanderesse a eu toute possibilité de se faire entendre. Elle connaissait les arguments à réfuter et a eu amplement l’occasion d’aborder les questions visées par le réexamen.

[65]  Les positions des parties étaient bien connues, et rien n’indiquait que ces positions allaient changer.

Dans les processus de ce genre, il arrive un moment où une décision doit être rendue. Les questions étaient claires et je ne vois rien d’inéquitable ou de déraisonnable dans le fait que M. Greville ait exercé le pouvoir de statuer sur l’affaire au moment où il l’a fait.

[66]  Dans l’arrêt Nanoose Conversion Campaign c. Canada (Ministre de l’Environnement), 141 FTR 54, 1997 CarswellNat 2448 (WL Can), au paragraphe 22 (TD), conf. par (2000) 184 FTR 84 (CAF), l’analyse de la Cour appuie la capacité du ministre de se fier à l’opinion de BC Pilots. BC Pilots est un organisme expert indépendant, spécialisé dans la navigation intérieure, le mouillage et l’accostage. On peut difficilement penser à un organisme plus compétent à qui demander conseil.

[67]  L’argument voulant que M. Greville ait fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en souscrivant à l’avis de BC Pilots n’est pas fondé. La consultation d’autrui n’entrave pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire, à moins qu’il y ait défaut de faire preuve d’un jugement indépendant à la suite de ces consultations : Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 780, [2001] 4 CF 591 (TD).

[68]  Dans Holland c. Canada (Procureur général), 188 FTR 305, 2000 CarswellNat 5998 (WL Can) (TD), la Cour, dans le contexte du vaste pouvoir discrétionnaire du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada [GRC], a indiqué qu’il est acceptable de solliciter les conseils d’autrui, tant que la décision finale est le fait de l’autorité compétente. Les commentaires de la Cour au paragraphe 23 s’appliquent également en l’espèce :

Vu le but visé par le législateur et le large pouvoir discrétionnaire dont le commissaire est investi en la matière, la Cour n’interviendra que dans les rares cas où il est clair que la volonté du législateur a été ignorée, les cas où d’autres considérations ont pesé indûment dans la balance, ou encore les cas où il y a eu grave iniquité procédurale. En l’espèce, il ressort du dossier que le commissaire a consulté d’autres parties et a compté sur certains responsables au sein de la G.R.C. pour lui soumettre des éléments d’information relatifs à la demande en question. À mon avis, il n’y a pas limitation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire tant que la décision finale est le fait de l’autorité compétente. Le commissaire de la G.R.C. a de nombreuses responsabilités. Il est raisonnable de sa part de se faire assister des membres de la G.R.C. pour s’acquitter de ces responsabilités [...].

[69]  M. Greville était investi d’un pouvoir discrétionnaire comparable et, dans l’exercice de ce pouvoir, il a sollicité les conseils non seulement de BC Pilots, mais aussi d’autres fonctionnaires de Transports Canada spécialisés en sécurité maritime, du Council of Marine Carriers, de l’APN et de M. McAllister.

[70]  Il incombe au décideur de soupeser la preuve, ce qu’il a manifestement fait. Tant que la conduite que décideur est raisonnable, il est loisible à celui-ci de privilégier une opinion ou un point de vue plutôt qu’un autre, sans que cela constitue une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[71]  Il est mal à propos pour la demanderesse d’invoquer un processus et un dossier de preuve comparables à ceux d’un tribunal. Ainsi qu’il a été indiqué dans Pure Spring Co c. Minister of National Revenue, [1946] Ex CR 471, 1946 CarswellNat 18 (WL Can), au paragraphe 38 (Ex Ct Can), un décideur administratif peut se fonder sur de multiples sources de renseignements :

[traduction]

[À] mon avis, il ressort très clairement de la jurisprudence et de la doctrine que le ministre, lorsqu’il prend une décision de nature discrétionnaire en vertu du par. 6(2), n’est pas tenu d’avoir à l’esprit les mêmes considérations que celles qui guident le tribunal qui doit rendre une décision judiciaire; loin d’être obligé de ne tenir compte que des faits pouvant être établis ou de la preuve admissible, il peut obtenir des renseignements de toute source qu’il estime digne de foi; il peut appliquer ses propres connaissances ou encore celles des fonctionnaires de son ministère auxquels il a confiance et il peut profiter des conseils de ces derniers; à l’égard de toute matière que le Parlement lui a confiée en exclusivité, il est libre d’agir comme le ferait le Parlement lui-même; il peut se servir de son propre jugement et, ainsi, se fier à son « intuition laquelle, développée au fil des années, surpasse l’analyse », comme l’a dit le juge Homes; il peut mettre à contribution tous les éléments qui lui permettront de définir et de mettre en œuvre de son mieux la politique que le Parlement lui a confiée.

[72]  Ainsi qu’il a été mentionné dans la discussion sur le caractère raisonnable de la décision, M. Greville peut se fier aux éléments de preuve de l’APN et de BC Pilots, sans qu’il y ait contre-interrogatoire, à condition que ces éléments de preuve soient pertinents et fiables. M. Greville a le droit de se fier à son expérience et à son jugement pour retenir certains conseils et en rejeter d’autres.

[73]  La Cour conclut donc qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale dans le rendu de la décision.

D.  Raisonnabilité

[74]  La majeure partie des faits pertinents à l’appui de la décision a été examinée dans la section intitulée Manquement à l’équité procédurale.

[75]  La demanderesse soutient a) que la restriction relative à la LHT est arbitraire; b) que les mesures d’atténuation disponibles n’ont pas été examinées; c) que les dangers liés à l’enlèvement de l’épave n’ont pas été pris en compte et d) que la perte de revenus pour l’APN est un facteur qui a influé sur la décision.

[76]  Je suis d’avis que les motifs justifiant la décision du défendeur étaient plus que suffisants. La décision doit être examinée en regard du vaste pouvoir discrétionnaire que possède le ministre de déterminer ce qui constitue un « obstacle réel ou potentiel ». Il n’est pas nécessaire que l’obstacle obstrue ou gêne la navigation; il peut également s’agir d’un obstacle qui rend plus difficile ou dangereuse la navigation.

[77]  Au moins cinq éléments de preuve appuient la décision :

  • la restriction des mouillages et les cas où des pilotes n’ont pu entrer dans la zone NA-01;

  • les éléments de preuve de BC Pilots et de l’APN concernant l’accrochage réel de l’épave;

  • le propre incident signalé par la demanderesse concernant l’accrochage évité de justesse dans la zone de l’épave;

  • les divergences entre les scénarios et les conseils de M. McAllister, d’une part, et ceux de l’APN et de BC Pilots, d’autre part;

  • les refus de BC Pilots d’utiliser la zone de mouillage en 2015 et 2016.

[78]  Même si les éléments de preuve indiquent que le risque d’accrochage était faible, l’impact aurait été grand. L’évaluation des incidences sur la navigation a conclu notamment que l’épave représentait une entrave importante à la navigation et qu’il y avait un risque que les chaînes d’ancre des navires océaniques s’accrochent.

[79]  Il était parfaitement raisonnable pour M. Greville de se fier aux conseils de BC Pilots et de tenir compte de la réticence de ces pilotes à utiliser le mouillage. Même si la demanderesse a laissé entendre que l’opposition signifiée par l’APN et, partant, les conseils formulés par l’APN à M. Greville, étaient dictés par une perte de revenus (comme si les préoccupations de la demanderesse quant au risque et aux coûts liés à la remontée de l’épave n’avaient pas influencé sa propre position), rien n’indique que l’une ou l’autre position aurait occasionné des gains ou des pertes pour BC Pilots. Il n’y avait aucune raison de ne pas accepter d’emblée la conclusion de BC Pilots. Qui plus est, il s’agit d’une attaque déloyale à l’encontre de l’APN, qui n’est fondée que sur de simples conjectures. M. Greville a nié sous serment avoir pris en compte les pertes de revenu de l’APN, et la demanderesse n’a produit aucune preuve attestant du contraire. Cette allégation est d’une inexactitude éhontée.

[80]  Rien ne prouve que la restriction de la LHT soit une décision arbitraire. Cette restriction découle des préoccupations exprimées par l’APN en sa qualité de directrice du port et par BC Pilots quant à la sécurité du mouillage.

[81]  Aucun élément de preuve n’indique que M. Greville a refusé d’examiner les mesures d’atténuation ou qu’il en a fait abstraction. Outre la présomption que les questions pertinentes ont été prises en compte, la discussion des diverses options et opinions, y compris la longueur de la chaîne, s’apparente à une mesure d’atténuation. De plus, aucune mesure d’atténuation efficace n’a été proposée, et M. Greville ne peut être pris en défaut pour avoir tiré cette conclusion.

[82]  Enfin, il est inexact de dire que M. Greville n’a pas tenu compte des coûts et des risques associés à l’enlèvement de l’épave. Plus précisément, dans la lettre du 9 novembre 2016 accompagnant le troisième avis d’enlèvement, M. Greville a reconnu les dangers associés à l’enlèvement de l’épave et il a offert de collaborer avec la demanderesse pour convenir de la méthodologie à utiliser et du calendrier des travaux.

[83]  Par conséquent, à la lumière de tous les éléments versés au dossier, la Cour conclut que la décision est raisonnable.

VI.  Conclusion

[84]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2136-16

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge
ANNEXE A





COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-2136-16

 

INTITULÉ :

JONES MARINE GROUP LTD. c. LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS et L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE NANAIMO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 29 et 30 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Shelley Chapelski

Erica Grant

 

Pour la demanderesse

 

Marja K. Bulmer

Kathleen Hamilton

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

 

Jason Herbert

Emily Snow

POUR LE DÉFENDEUR,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE NANAIMO

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

 

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR,

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE NANAIMO

 

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