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Date : 20180129


Dossier : IMM-2289-17

Référence : 2018 CF 91

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLATUNDE TAIYE TAIWO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2018)

I.  Aperçu

[1]  Il est reconnu et compris que des jeunes gens, dès le début de leur carrière, prennent une direction différente et s’écartent des orientations pratiques et financièrement lucratives, mus par la défense des intérêts des défavorisés de la société. Si ce n’était pas le cas, qui défendrait la cause des défavorisés, si ce n’est pas aussi ceux qui ont des compétences en finances et combinent donc un ensemble d’études interdisciplinaires pour améliorer le sort des défavorisés de la société. Pour illustrer ce propos, pourquoi Bill Gates et la petite fondation Bill Gates, tout comme la petite fondation Warren Buffetts, se dévouent-ils à la cause des défavorisés? La preuve est très claire quant aux intentions du demandeur qui s’expliquent par les images qu’il a vues, les voix qu’il a entendues et l’appel auquel il dit avoir obéi, de faire don de lui-même à cette fin. Autrement, dans le cas du demandeur, il n’aurait pas lui-même pris cette direction; si ce n’est pas maintenant, quand; et si ce n’était pas lui, qui? Qui pourrait le faire? Si ce n’est pas quelqu’un, qui a clairement démontré dans la preuve, comme l’a fait le demandeur, quelles étaient ses intentions eu égard aux objectifs des études en question, qui a démontré la direction qu’il voulait prendre, pour aller de l’avant vers l’objectif d’améliorer le sort des défavorisés.

[2]  La Cour conclut que l’agent a fait abstraction des éléments de preuve produits par le demandeur à la lumière des intentions et des raisons que le demandeur avait données. Cela ne signifie pas que le demandeur ne s’impliquera pas dans les aspects financiers de son travail; cependant, il souhaite également s’engager pleinement dans la création d’une nouvelle entité pour améliorer la vie des personnes handicapées.

II.  Nature de l’instance

[3]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 9 mai 2017 par un agent d’immigration (l’agent) du Consulat général du Canada aux États-Unis à New York, rejetant la demande de permis de travail du demandeur.

III.  Les faits

[4]  Le demandeur est âgé de 40 ans et est un citoyen du Nigéria.

[5]  Le demandeur a été accepté à l’Université du Manitoba à Winnipeg au programme de maîtrise en Études de la condition des personnes handicapées d’une durée de deux ans et commençant en janvier 2018. Le demandeur est titulaire d’un diplôme en sociologie au Nigéria et travaille en tant que directeur financier depuis 2012 dans sa propre entreprise familiale.

[6]  Le demandeur a présenté une demande de permis d’études en septembre 2016. La demande a été rejetée par un agent des visas, principalement en raison de l’insuffisance des renseignements fournis par le demandeur dans son plan d’études et sa déclaration d’intention.

[7]  En septembre 2017, le demandeur a présenté une deuxième demande de permis d’études.

IV.  Décision

[8]  Le 9 mai 2017, l’agent a refusé la demande de permis d’études du demandeur parce qu’il a conclu que la demande ne satisfaisait pas aux exigences de la LIPR et de son Règlement. En application du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a conclu qu’il était possible que le demandeur ne quitte pas le Canada à l’échéance de son permis d’études en raison du but de sa visite.

[9]  Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) accompagnant la lettre de décision, l’agent a fourni les motifs qui suivent :

[traduction] Le demandeur n’a pas fourni de raisons impérieuses pour étudier au Canada; en particulier, il ne semble pas y avoir de logique liée à un plan d’études ou à la progression de carrière. La possibilité que le demandeur sollicite un permis d’études pour faciliter son entrée au Canada plutôt que pour parfaire sa formation soulève des réserves. Au vu des renseignements disponibles, je ne peux conclure que le demandeur quittera le Canada à la fin du séjour autorisé. Demande refusée.

V.  Questions

[10]  L’affaire soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en refusant d’accorder au demandeur un visa d’étudiant?

  2. L’agent a-t-il commis un manquement à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de dissiper toute réserve qu’il avait quant aux préoccupations soulevées?

[11]  La Cour conclut que la norme d’examen applicable aux conclusions de fait tirées par un agent des visas qui doit trancher une demande de permis d’études est celle de la décision raisonnable (Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 19 [Dhillon]; Akomolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472, au paragraphe 9). « Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, il convient de faire preuve de déférence » et par conséquent, notre Cour ne peut intervenir que si la décision rendue n’appartient pas à la gamme des issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[12]  En tant qu’affaire liée à l’équité procédurale, la question de savoir si le demandeur s’est vu refuser la possibilité de défendre sa cause sera examinée selon la norme de la décision correcte (Khosa, précité, au paragraphe 43).

VI.  Dispositions pertinentes

[13]  Les dispositions suivantes de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) s’appliquent à la décision de l’agent.

Le paragraphe 11(1) de la LIPR :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Les alinéas 179b) et 216(1)b) du Règlement :

Visa de résident temporaire

Temporary Resident Visa

Délivrance

Issuance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

[…]

Délivrance du permis d’études

Issuance of Study Permits

Permis d’études

Study permits

216 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

216 (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

VII.  Observations des parties

A.  Observations du demandeur

[14]  Selon le demandeur, la décision de l’agent est déraisonnable à l’égard des lignes directrices et de la LIPR. Il est soutenu que l’agent a fait abstraction de la preuve en rejetant la demande de visa d’étudiant. La conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée n’est pas fondée, et l’agent n’a pas fourni de motifs à sa conclusion. Afin d’évaluer la bonne foi d’un étudiant, l’article 5.15 du manuel de politiques « OP 12 étudiants » (OP 12), de Citoyenneté et Immigration Canada indique :

La bonne foi de tous les étudiants doit être évaluée cas par cas; […] Si un agent veut tenir compte d’informations complémentaires, plus particulièrement de celles qui soulèvent des doutes ou des inquiétudes quant à la bonne foi du demandeur, il doit en informer ce dernier et lui offrir l’occasion de régler la question. Il incombe, comme toujours, au demandeur de prouver à l’agent qu’il n’a pas l’intention d’immigrer et qu’il est un visiteur de bonne foi qui quittera le Canada à la fin de ses études, aux termes de l’article R216(1)b). […] En évaluant une demande, un agent doit toujours prendre en considération :

• la durée du séjour au Canada;

• les moyens de subsistance;

• les obligations et les liens au pays d’origine;

• la probabilité que le demandeur [quitte] le Canada si une demande de résidence permanente est refusée;

• le respect des exigences de la Loi et de son Règlement.

[15]  En outre, le demandeur fait valoir que l’agent disposait d’éléments de preuve démontrant que le demandeur et sa famille venaient en vacances au Canada sans séjourner au-delà de la période de séjour autorisée. Le demandeur a visité le Royaume-Uni et les États-Unis sans séjourner au-delà de la période de séjour autorisée et sans complications avec les autorités de l’immigration. Le demandeur a présenté à l’agent des éléments de preuve (c.-à-d. des preuves de fonds) démontrant qu’il était en mesure de subvenir à ses besoins financiers au Canada et de payer ses frais de scolarité. Il devait en outre retourner dans son pays pour gérer son entreprise florissante à l’achèvement de son programme de deux ans au Canada. Il a également démontré entretenir des liens forts avec son pays de résidence (c.-à-d. sa femme et ses trois enfants au Nigéria). Puisque l’agent a omis de prendre ce facteur en considération, la décision devrait être annulée (Zuo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 88, au paragraphe 31; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1493, au paragraphe 18).

[16]  Selon le demandeur, l’agent n’a pas fourni suffisamment d’explications sur ses motifs de conclure que le demandeur n’était pas un véritable étudiant et ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie (Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 602, au paragraphe 34).

[17]  Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en concluant que [traduction] « le demandeur n’a pas fourni de raisons impérieuses pour étudier au Canada. En particulier il ne semble pas y avoir de logique liée à un plan d’études ou à la progression de carrière ». En fait, il est soutenu que le demandeur est détenteur d’un diplôme en sociologie, comme expliqué dans son affidavit ainsi que dans sa déclaration d’intention. Le demandeur a également expliqué comment s’est éveillé son intérêt pour l’étude des déficiences et pourquoi il veut étudier au Canada. Pour ces raisons, l’agent a omis d’expliquer pourquoi il a estimé que le programme allégué d’études au Canada n’était pas crédible (Ogbuchi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764, au paragraphe 12).

[18]  Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable que l’agent conclue que le demandeur n’est pas un étudiant authentique du fait qu’il cherche à acquérir des connaissances dans un domaine qui le passionne. « [L]’agent des visas a compétence, même dès la première demande d’un tel visa, pour examiner l’ensemble des circonstances, y compris l’objectif à long terme du demandeur » (Wong (Guardian) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1049 (QL), au paragraphe 13) [soulignement ajouté par le demandeur].

[19]  Enfin, le demandeur fait valoir qu’il a été victime d’un déni de justice naturelle, car il n’a pas eu l’occasion d’aborder les préoccupations de l’agent, comme énoncé dans la directive OP 12. L’agent n’a jamais informé le demandeur de ses préoccupations concernant le but de ses études au Canada, et concernant le lien entre le programme d’études du demandeur et la progression de sa carrière ou de ses études (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 25).

B.  Observations du défendeur

[20]  D’autre part, le défendeur affirme que la décision de l’agent est raisonnable. Le demandeur est diplômé en sociologie d’une université nigériane, et est devenu le directeur et le principal actionnaire d’une entreprise familiale au Nigéria. Contrairement à ce que le demandeur fait valoir, le défendeur soutient que l’agent n’a pas contesté la véracité des documents financiers du demandeur ni le fait qu’il avait déjà visité le Canada, ou qu’il avait des liens avec le Nigéria. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté de raisons impérieuses pour étudier au Canada, surtout parce qu’il ne semble pas y avoir de lien logique entre ses études et la progression de sa carrière. Le défendeur est d’accord avec les conclusions de l’agent selon lesquelles le demandeur n’a pas démontré de manière suffisante qu’il avait des raisons impérieuses d’étudier au Canada dans un domaine dans lequel il n’avait ni antérieurement étudié ni déjà travaillé.

[21]  Il est soutenu que dans Solopova, la Cour a confirmé qu’il était raisonnable que l’agent des visas conclue que les antécédents académiques du demandeur « ne correspondaient pas » à son domaine d’études envisagé au Canada (Solopova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, au paragraphe 25 [Solopova]). Notre Cour a également confirmé qu’il était raisonnable que l’agent des visas ait des doutes quant au schéma de carrière du demandeur (Noor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 442, aux paragraphes 9 et 10). Selon le défendeur, il était donc raisonnable que l’agent estime que le domaine d’études envisagé par le demandeur était incompatible avec ses antécédents en affaires, en dépit de ses explications. Il incombe au candidat qui présente une demande de permis d’études de convaincre l’agent des visas qu’il ou elle quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 570, au paragraphe 12).

[22]  Enfin, le défendeur soutient que l’agent n’a aucune obligation d’informer le demandeur de ses préoccupations avant de rendre une décision (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 52 [Singh]). Le demandeur a expliqué pourquoi il avait choisi d’étudier la condition des personnes handicapées considérant son diplôme en sociologie et son emploi dans les affaires. L’agent n’a cependant pas été convaincu qu’il était un étudiant véritable qui retournerait dans son pays de résidence à la fin de la période de séjour autorisée. Il incombe au demandeur de présenter à l’agent des visas tous les renseignements pertinents et la documentation complète et l’agent n’a pas l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente, et n’a pas à compléter la preuve du demandeur lorsque celle-ci fait défaut (Solopova, précité, aux paragraphes 38 et 41). Les agents sont présumés avoir considéré l’ensemble de la preuve et ne sont pas tenus de faire référence à chaque élément qui la compose (Solopova, précité, au paragraphe 28). Selon le défendeur, « la preuve fournie ne satisfait pas l’obligation fondamentale d’établir que le demandeur [quitte le Canada] à la fin du séjour autorisé » (De La Cruz Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784, au paragraphe 12 [De La Cruz Garcia]).

C.  Réponse :

[23]  Le demandeur fait valoir que les arguments du défendeur font écho à la décision de l’agent et à ses motifs énoncés dans les notes du SMGC.

[24]  Selon le demandeur, le défendeur fait fausse route en invoquant les affaires Solopova et De La Cruz Garcia.

[25]  Il ressort clairement de la documentation à l’appui de la demande de permis d’études et des observations écrites du demandeur dont dispose notre Cour que l’agent a commis une erreur dans sa décision. Le demandeur affirme qu’il a tout fait pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui pesait sur lui.

VIII.  Analyse

[26]  Par les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

A.  L’agent a-t-il commis une erreur en refusant d’accorder au demandeur un visa d’étudiant?

[27]  À la lumière des éléments de preuve produits par le demandeur et dont disposait l’agent, la Cour constate que l’agent a commis une erreur en refusant d’accorder au demandeur un visa étudiant en concluant que :

Il ne semble pas y avoir de logique liée à un plan d’études ou à la progression de carrière.

[28]  Même si les motifs de l’agent sont brefs, il ressort clairement de ses conclusions qu’elles sont en contradiction avec les éléments de preuve dont il disposait. Les agents des visas ont l’expertise d’accorder les demandes de permis d’études et ils sont présumés avoir tenu compte de toute la preuve qui leur a été présentée.

En effet, la Cour doit faire preuve de grande déférence à l’égard de l’agent qui a évalué les éléments de preuve. Bien que brefs, ses motifs démontrent suffisamment qu’il a dûment évalué la preuve présentée. Ils permettent également à la Cour de comprendre comment cette décision se trouve parmi la gamme des issues possibles. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les constatations de fait par l’agent, mais plutôt de déterminer si ces motifs soutiennent généralement ses conclusions. Il incombait au demandeur de convaincre l’agent qu’il quitterait le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Les conclusions de l’agent ne devraient pas être scrutées à la lettre. Il n’est pas nécessaire que l’agent fasse référence à chaque élément précis de la demande dans sa décision.

Alaje c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 949, au paragraphe 14.

[29]  Il avait néanmoins été porté à l’attention de l’agent que le demandeur avait étudié la sociologie pendant cinq ans (de 1995 à 2000) et qu’au cours de son travail en gestion financière, il déplorait la situation difficile des personnes handicapées dans la société et voulait aider ce segment de la population en revenant à ses racines en sociologie. Le demandeur a donc décidé qu’il voulait se donner lui-même à un segment de la société en perfectionnant ses connaissances dans un domaine qui pourrait lui permettre d’aider les handicapés, comme en font foi les éléments de preuve.

[30]  Il est reconnu et compris que des jeunes gens, dès le début de leur carrière, prennent une direction différente et s’écartent des orientations pratiques et financièrement lucratives, mus par la défense des intérêts des défavorisés de la société. Si ce n’était pas le cas, qui défendrait la cause des défavorisés, si ce n’est pas aussi ceux qui ont des compétences en finances et combinent donc un ensemble d’études interdisciplinaires pour améliorer le sort des défavorisés de la société. Pour illustrer ce propos, pourquoi Bill Gates et la petite fondation Bill Gates, tout comme la petite fondation Warren Buffetts, se dévouent-ils à la cause des défavorisés? La preuve est très claire quant aux intentions du demandeur qui s’expliquent par les images qu’il a vues, les voix qu’il a entendues et l’appel auquel il dit avoir obéi, de faire don de lui-même à cette fin. Autrement, dans le cas du demandeur, il n’aurait pas lui-même pris cette direction; si ce n’est pas maintenant, quand; et si ce n’était pas lui, qui? Qui pourrait le faire? Si ce n’est pas quelqu’un, qui a clairement démontré dans la preuve, comme l’a fait le demandeur, quelles étaient les intentions eu égard aux objectifs des études en question, qui a démontré la direction qu’il voulait prendre, pour aller de l’avant vers l’objectif d’améliorer le sort des défavorisés.

[31]  La Cour conclut que l’agent a fait abstraction des éléments de preuve produits par le demandeur à la lumière des intentions et des raisons que le demandeur avait données. Cela ne signifie pas que le demandeur ne s’impliquera pas dans les aspects financiers de son travail; cependant, il souhaite également s’engager pleinement dans la création d’une nouvelle entité pour améliorer la vie des personnes handicapées.

[32]  Dans le cas en l’espèce, les explications concernant le changement de carrière du demandeur auraient dû suffire à dissiper les doutes de l’agent. Le demandeur a d’abord étudié en sociologie de 1995 à 2000, même si de 2004 à 2012, il a occupé les postes d’agent financier et directeur financier. En 2012, le demandeur est devenu le directeur financier de Tropical Spectrum BDC Ltd., une entreprise familiale détenue par le demandeur lui-même, et dans laquelle il détient la majorité des actions. L’entreprise est actuellement encore en exploitation, et il a été reconnu que c’est l’épouse du demandeur, comme indiqué dans sa déclaration sous serment de soutien financier qui dirigera la société pendant l’absence de son mari. À la lumière de toute la preuve, il était donc déraisonnable que l’agent soulève des préoccupations quant à la volonté du demandeur d’obtenir une maîtrise en Études de la condition des personnes handicapées au Canada, bien que le demandeur ait passé plus de dix ans dans le domaine des affaires. La volonté du demandeur, selon son témoignage, n’est pas orientée dans le sens du caractère raisonnable de la décision de l’agent. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

Solopova, précité, au paragraphe 28.

C’est le cas, dans cette affaire, puisque l’agent a bel et bien ignoré l’ensemble des éléments de preuve.

[33]  En outre, il était déraisonnable que l’agent conclue que le demandeur n’aurait pas quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

B.  L’agent a-t-il commis un manquement à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de dissiper toute réserve qu’il avait quant aux préoccupations soulevées?

[34]  Enfin, la Cour partage pleinement l’avis du défendeur selon lequel l’agent n’avait aucune obligation d’informer le demandeur de ses préoccupations avant de rendre une décision (Singh, précité, au paragraphe 52). L’agent n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale. Il incombe au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (Dhillon, précité, au paragraphe 41). Les préoccupations de l’agent ont été suscitées par l’abondance d’éléments de preuve que le demandeur a lui-même présentés. L’agent n’a pas eu à examiner d’information externe, ce qui l’aurait obligé à aviser le demandeur de ses préoccupations. Le demandeur connaissait toute la documentation dont disposait l’agent.

Si un agent a l’intention de fonder sa décision sur de l’information extrinsèque dont le demandeur n’est pas au courant, ce dernier devrait avoir l’occasion de dissiper chez l’agent les réserves découlant de cette preuve (Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 7). Cependant, lorsque la préoccupation naît de documents fournis par le demandeur, et c’est le cas en l’espèce, il n’existe aucune obligation de fournir l’occasion de donner une explication, étant donné que le fournisseur de l’information est réputé connaître le contenu des documents (Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 198 CFPI 56, au paragraphe 12, citant Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 CFPI 266).

(Hakimi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 657, au paragraphe 22.

[35]  Je conclus qu’à la lumière des éléments de preuve mis à la disposition de l’agent, sa décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

IX.  Conclusion

[36]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2289-17

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre agent aux fins de nouvel examen. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2289-17

 

INTITULÉ :

OLATUNDE TAIYE TAIWO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)(PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

LE 25 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Rasaq Ayanlola

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rohi Law Firm

Scarborough (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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