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Date : 20180622


Dossier : T-1352-16

Référence : 2018 CF 651

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

HUSSAIN-UL-HAQUE

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  En février 2015, le demandeur, qui était employé par Air Canada Cargo à l’aéroport international Lester B. Pearson, a présenté au ministre des Transports une demande d’habilitation de sécurité en matière de transport (DHSMT). Le demandeur a besoin d’une habilitation de sécurité en matière de transport avant de pouvoir avoir accès aux zones réglementées de l’aéroport. Le 19 juillet 2016, la directrice générale, sûreté de l’aviation, qui exerçait des pouvoirs délégués au nom du ministre, a rejeté la demande. Elle a conclu que des renseignements sur le demandeur figurant dans un rapport de vérification des antécédents criminels (rapport de VAC) l’avaient amenée à « croire raisonnablement, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». C’était là le seul motif de refus de la DHSMT.

[2]  Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7.

[3]  La présente demande soulève deux questions principales : premièrement, la question de savoir si les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées et deuxièmement, la question de savoir si la décision de la directrice générale est raisonnable.

[4]  J’ai conclu que la présente demande devrait être accueillie. Je conclus que les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées. Cependant, à plusieurs égards, la décision dépend de conclusions qui ne sont pas raisonnablement étayées par les renseignements fournis à la directrice générale. Il en découle une décision qui n’est ni justifiée, ni transparente ou intelligible. Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la directrice générale est annulée.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

A.  Le processus de demande d’habilitation de sécurité en matière de transport (DHSMT)

[5]  Le défendeur a déposé un affidavit complémentaire décrivant en règle générale comment les DHSMT sont traitées.

[6]  L’obligation et le pouvoir d’accorder ou de refuser des habilitations de sécurité en matière de transport dans les aéroports désignés sont prévus dans la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), c A-2 (la Loi), et dans le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318 (le Règlement).

[7]  En matière de sécurité et de sûreté aériennes, certaines zones des aéroports ne sont accessibles qu’aux personnes autorisées. En règle générale, les personnes dont l’emploi exige qu’elles se trouvent dans des zones réglementées d’aéroports désignés doivent d’abord obtenir une habilitation de sécurité auprès du ministre.

[8]  L’article 4.8 du Règlement prévoit :

Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), c A-2

 

Aeronautics Act, RSC, 1985, c A-2

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

[9]  En application du paragraphe 3(1) de la Loi, l’expression « habilitation de sécurité » est définie comme une habilitation accordée au titre de l’article 4.8 à toute personne jugée acceptable sur le plan de la sûreté des transports. (security clearance – a security clearance granted under section 4.8 to a person who is considered to be fit from a transportation security perspective).

[10]  Après avoir obtenu une habilitation de sécurité, une personne peut faire faire une demande auprès de l’exploitant d’un aéroport désigné en vue d’obtenir une carte d’identité de zones réglementées. Cette carte autorise son titulaire à entrer dans les zones réglementées de l’aéroport.

[11]  L’article 4.3 de la Loi prévoit que le ministre peut déléguer un certain nombre de ses pouvoirs ou fonctions en vertu de la Loi. Le pouvoir d’accorder ou de refuser une habilitation de sécurité en matière de transport est généralement exercé par un haut fonctionnaire de Transports Canada conformément au Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [le Programme].

[12]  Un candidat à une habilitation de sécurité en matière de transport en matière d’aviation doit remplir et soumettre un formulaire de demande. Le demandeur doit, entre autres, fournir des renseignements biographiques, y compris ses adresses actuelles et passées, ses antécédents scolaires et professionnels, ses antécédents d’immigration et de voyage, ainsi que son état matrimonial (et les détails biographiques de son conjoint, le cas échéant).

[13]  Un demandeur doit également accepter de se soumettre à des vérifications complètes des antécédents. À cette fin, le demandeur doit donner son consentement écrit à la communication de divers types de renseignements à la GRC ou à Transports Canada. Cela comprend les renseignements provenant de « tous » les organismes d’application de la loi canadiens ou étrangers concernant les « antécédent(s) judiciaire(s), mise(s) en accusation, ordonnance(s) judiciaire(s) et tou[t][s] autre(s) renseignement(s) concernant [le demandeur] contenus dans tous les dossiers et banques de données accessibles et sous leur contrôle ». Ce consentement porte également explicitement sur la communication de « tout renseignement permettant de faire enquête sur les fréquentations [du demandeur] et, par le fait même, de vérifier si [le demandeur est] de bonnes mœurs ». (Ce qui précède est tiré du consentement signé par le demandeur en l’espèce en 2015). Les résultats de ces enquêtes sont compilés par la GRC dans un rapport de vérification des antécédents criminels [rapport de VAC] et communiqués au programme de filtrage de sécurité.

[14]  Si l’information contenue dans le rapport de VAC (ou d’autres vérifications des antécédents) soulève des préoccupations quant à l’admissibilité d’un candidat à une habilitation de sécurité en matière de transport, le directeur doit renvoyer le dossier à un Organisme consultatif créé en vertu de la Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [la Politique]. Ce dernier est présidé par le directeur et formé de personnes qui connaissent bien les objectifs du Programme d’habilitation de sécurité.

[15]  Avant que l’Organisme consultatif ne se penche sur la question, le demandeur est informé par lettre de l’information particulière reçue qui a soulevé des préoccupations quant à son admissibilité à l’obtention d’une habilitation de sécurité en matière de transport. Le demandeur est encouragé à fournir toute information pertinente quant à son admissibilité à obtenir une habilitation de sécurité en matière de transport, y compris les circonstances entourant les événements qui ont soulevé les préoccupations et toute circonstance ou explication atténuante. Le demandeur est également informé du rôle de l’organisme consultatif et des différents motifs à l’égard desquels l’organisme peut faire une recommandation au ministre, tel qu’il est énoncé à la section I.4 de la Politique.

[16]  Si l’Organisme consultatif décide que la présence du demandeur dans une zone réglementée d’un aéroport ne s’inscrit pas dans les objectifs du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, il peut recommander au ministre ou à son délégué de refuser de délivrer l’habilitation de sécurité en matière de transport.

[17]  À la réception de la recommandation de l’Organisme consultatif, le ministre et son délégué détermineront s’il faut accorder ou refuser la demande. Si l’habilitation de sécurité est refusée, un avis écrit est envoyé au demandeur et au responsable de la sécurité de l’aéroport.

B.  La DHSMT du demandeur

1)  Le rapport de VAC

[18]  À la suite des vérifications des antécédents effectuées après la réception de la DHSMT du demandeur par Transports Canada, un rapport de VAC a été préparé. Le rapport de VAC n’a pas été communiqué à Transports Canada. Au lieu de cela, son contenu a fait l’objet d’un résumé dans une lettre adressée à M. Guy Morgan, directeur, programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada, datée du 27 août 2015, de la part de l’inspecteur Stephen Verrette, officier responsable de la Section du filtrage sécuritaire [SFS] de la Direction des opérations techniques de la Gendarmerie royale du Canada [GRC].

[19]  D’après ce qui est indiqué dans la lettre de l’inspecteur Verrette, le rapport de VAC contenait, en résumé, les renseignements suivants : [traduction]

  • a) En octobre 2005, le demandeur a été accusé de possession de biens criminellement obtenus. Lui et une autre personne ont été découverts alors qu’ils tentaient de retirer de l’argent d’un guichet automatique de la Banque TD/Canada Trust en utilisant des cartes vierges dont les bandes magnétiques contenaient de l’information relative aux cartes de débit de la Banque TD/Canada Trust. Cette information avait été volée dans un « site d’écrémage » d’une station-service. Le demandeur a été découvert portant sur lui douze cartes et 1 000 $ en espèces. L’accusation portée contre le demandeur a été retirée en février 2007 [traduction] « pour des raisons inconnues de la SFS ».

  • b) En juin 2008, le demandeur et quelques amis ont été impliqués dans une altercation avec trois autres hommes dans un stationnement où le demandeur travaillait. La police a été appelée et a rencontré le demandeur, qui est désigné dans le rapport comme étant le plaignant. Le demandeur et ses amis ne voulaient pas porter d’accusation; ils voulaient seulement que ces autres personnes quittent la propriété. La lettre de l’inspecteur Verrette indique ceci : [traduction] « Le rapport ne précise pas s’il y a eu d’autres interventions policières lors de cet incident. » La lettre note également que l’un des « amis » du demandeur, mentionné ci-dessous, avait été impliqué dans cet incident.

  • c) En novembre 2010, le demandeur était un passager dans un véhicule avec trois autres personnes, sur qui la Police régionale de Peel a effectué un « contrôle de routine ». La lettre ne dit rien sur la raison de ce contrôle. La lettre indique cependant ceci : [traduction] « Le rapport ne précise pas s’il y a eu d’autres interventions policières dans cet incident ». La lettre note également que l’un des « amis » du demandeur, mentionné ci-dessous, avait été impliqué dans cet incident.

  • d) En septembre 2011, le demandeur avait été identifié comme étant un passager dans un véhicule, accompagné d’un autre occupant, qui a été arrêté par la Police régionale de Peel pour une infraction non précisée au Code de la route. Le rapport indique qu’avant l’arrêt complet du véhicule, le demandeur [traduction] « s’est sauvé à pied ». Le demandeur a été décrit comme ayant consommé de l’alcool et comme étant [traduction] « peu coopératif avec la police ». Aucun autre détail n’a été donné. La lettre indique que [traduction] « [l]e rapport de police ne précise pas s’il y a eu d’autres interventions policières lors de l’événement. »

  • e) En août 2012, une personne identifiée comme étant le demandeur a tenté d’entrer au casino de Woodbine en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. La sécurité du casino l’a empêché d’entrer. La Police provinciale de l’Ontario est intervenue lors de cet incident. Le demandeur a expliqué à la police qu’il n’avait aucune pièce d’identité sur lui et qu’il avait emprunté celle d’un ami. Cet ami n’était pas présent au casino, mais rendait visite à des membres de sa famille à proximité. Le demandeur a été informé qu’il ne serait plus autorisé à fréquenter un casino en Ontario et un avis d’intrusion pour une période illimitée a été émis par la sécurité du casino de Woodbine. Aucune accusation criminelle n’a été portée.

  • f) Deux des personnes impliquées dans les incidents décrits ci-dessus ont un casier judiciaire. Plus particulièrement :

  1. Le sujet « A », qui a été impliqué avec le demandeur dans quatre de ces incidents, avait été reconnu coupable en 2013 d’utilisation non autorisée de données de carte de crédit et de méfait de moins de 5 000 $; et

  2. Le sujet « B », qui a été impliqué avec le demandeur dans l’un de ces incidents, avait été reconnu coupable entre 2006 et 2008 de possession d’une substance en vertu de l’annexe I, d’obstruction, de vol et de possession de biens criminellement obtenus.

[20]  Le contenu de la lettre de l’inspecteur Verrette a été communiqué au demandeur et repris essentiellement dans une lettre datée du 15 décembre 2015 que lui a adressée Christopher McQuarrie, chef, programmes de filtrage de sécurité à Transports Canada. Cette lettre indiquait également ce qui suit :

[traduction] Transports Canada vous encouragerait à communiquer toute information supplémentaire décrivant les circonstances entourant les accusations criminelles, les fréquentations et les incidents susmentionnés, ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes. 

2)  La réponse du demandeur au rapport de VAC

[21]  Le demandeur a fourni une réponse écrite à l’information contenue dans le rapport de VAC par courriel daté du 4 janvier 2016.

[22]  Le demandeur a déclaré ce qui suit relativement à l’incident de la Banque TD/Canada Trust en 2005 :

[traduction] En 2005, je venais de commencer à fréquenter le College Humber. Une aide financière en application du RAFÉO n’a pas été approuvée. J’ai dû contracter un prêt personnel auprès de la Banque Td [sic] pour payer le collège et faire des versements pour aller à l’école à temps plein. Je travaillais aussi à temps plein au restaurant McDonalds au salaire minimum pour essayer de payer mes études. J’étais jeune, stupide et j’avais besoin d’argent. Quelqu’un est venu me voir avec la possibilité de faire une grosse somme d’argent en une nuit et j’ai sauté sur l’occasion en pensant que cela réglerait mes problèmes financiers et que je serais capable de concentrer tous mes efforts sur mon éducation.

[23]  En ce qui concerne l’incident du stationnement de 2008, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction] En 2008, je travaillais au stationnement des vols directs où des gars saouls voulaient se rendre à leur hôtel en passant par le stationnement. Je leur ai dit que le stationnement était clôturé et qu’il n’y avait aucun passage permettant d’accéder à leur hôtel, et donc, qu’ils auraient à faire le tour du stationnement. Ils n’ont pas semblé aimer ça et ont commencé à vouloir se battre. Des policiers sont arrivés et les ont emmenés.

[24]  En ce qui concerne l’incident concernant l’arrêt du véhicule en novembre 2010, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction] Je ne sais pas quoi dire au sujet de l’incident de novembre 2010, car il n’y a rien dans le rapport qui permet de me rappeler à quel moment cela s’est produit ou ce qui s’est passé à ce moment-là.

[25]  Enfin, le demandeur a déclaré ce qui suit à propos de l’arrêt du véhicule en septembre 2011 et de l’incident survenu en août 2012 au casino de Woodbine :

[traduction] Quant à ce qui s’est passé en septembre 2011 et en août 2012, je n’ai aucune idée de ce que ce rapport indique. Aucun de ces incidents ne s’est jamais produit dans ma vie. Je ne me suis jamais sauvé des policiers en courant. Je ne bois pas. Je n’ai jamais eu d’incident au casino de Woodbine. Soit que vous me prenez pour quelqu’un d’autre, soit que quelqu’un d’autre a utilisé mon nom dans ces cas-là.

3)  Autres demandes de renseignements par Transports Canada

[26]  À la suite de la correspondance adressée par le demandeur, le 4 janvier 2016, Lesley Mott, surintendante, programmes de filtrage de sécurité à Transports Canada, a écrit à Pascal Poutot, son contact à la SFS de la GRC, pour demander des [traduction] « éclaircissements » concernant les incidents de septembre 2011 et d’août 2012. Après avoir exposé le contenu de la réponse du demandeur concernant ces incidents, Mme Mott a demandé s’il était possible de [traduction] « confirmer l’identité du demandeur concernant ces deux incidents ».

[27]  M. Poutot a fait parvenir la réponse suivante à Mme Mott par courriel le 5 janvier 2016 :

[traduction]

L’enquêteur a soigneusement vérifié à nouveau les deux rapports. Pour l’incident décrit au paragraphe 4 [l’incident de septembre 2011], les détails fournis par la police de Peel sont limités. Toutefois, le nom et le prénom du demandeur sont notés dans le rapport, ainsi que son ancienne adresse [...], sa date de naissance, son numéro de téléphone ainsi que le numéro de son permis de conduire, ce qui laisse entendre (sans confirmer) que la police l’a identifié avec une carte d’identité avec photo.

En ce qui concerne le paragraphe 5 [l’incident d’août 2012] du rapport de la section centrale de la Police provinciale de l’Ontario, l’homme a été identifié verbalement avec le prénom et le nom du demandeur, son ancienne adresse [...], sa date de naissance et son numéro de téléphone.

C’est tout ce que j’ai pour vous. J’espère que cela vous aidera.

Les caractères gras se trouvaient dans le courriel d’origine. J’ai omis les détails concernant l’adresse précédente du demandeur, mais je note que la même adresse à Hamilton a été indiquée relativement aux deux incidents.

[28]  Aucune autre enquête n’a été effectuée concernant les incidents de septembre 2011 ou d’août 2012.

4)  La recommandation de l’Organisme consultatif

[29]  L’Organisme consultatif a examiné le dossier du demandeur le 12 avril 2016. Il a formulé la recommandation suivante le même jour :

[traduction]

L’Organisme consultatif recommande de refuser d’accorder l’habilitation de sécurité en matière de transport au demandeur en raison de l’existence d’un rapport de police donnant des détails sur l’implication du demandeur dans des activités criminelles reliées au vol et sur son manque de respect pour l’autorité. L’Organisme consultatif a noté la fréquentation par le demandeur de deux (2) personnes ayant des casiers judiciaires. Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier a conduit l’Organisme consultatif à raisonnablement croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. En outre, les observations du demandeur ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper les préoccupations de l’Organisme consultatif.

5)  La décision finale à l’égard de la demande

[30]  Le 19 juillet 2016, Brenda Hensler-Hobbs, directrice générale, sûreté de l’aviation, a pris la décision finale en tant que déléguée du ministre de refuser d’accorder une habilitation de sécurité en matière de transport au demandeur.

[31]  Le compte rendu de décision énonce les motifs suivants de la décision, que j’ai exposés en entier :

[traduction]

La question est de savoir s’il y a lieu d’accorder ou de refuser une habilitation de sécurité en matière de transport (HSMT) à M. Haque, préposé d’escale à Air Canada à l’aéroport international Lester B. Pearson. Ma décision est énoncée ci-dessous et elle est fondée sur un examen du dossier, notamment les préoccupations portées à l’attention du demandeur dans la lettre qui lui a été envoyée en date du 15 décembre 2015, ses observations écrites, la recommandation de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport, de même que la Politique du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (PHST).

Les renseignements concernant l’accusation contre le demandeur pour possession de biens criminellement obtenus qui a été retirée et sa participation à des activités criminelles reliées au vol et son manque de respect pour l’autorité, ainsi que sa fréquentation de deux (2) personnes ayant des casiers judiciaires soulevaient des préoccupations quant à son jugement et sa fiabilité. Je note l’implication du demandeur dans plusieurs incidents entre 2005 et 2012, démontrant une tendance à la participation à des activités criminelles. Je note également l’incident survenu en 2005, dans lequel le demandeur a effectué des opérations illégales par carte de crédit et a été trouvé en possession de 1 000 $ en espèces. Cet incident exigeait un niveau de complexité, car il était délibéré et prémédité. Je note en outre que le demandeur a indiqué qu’il s’agissait d’une occasion de régler ses problèmes financiers et je me demande ce que le demandeur pourrait faire d’autre pour de l’argent s’il était en difficulté financière à l’avenir. En outre, je note les deux (2) incidents survenus en 2011 et en 2012, dans lesquels le demandeur s’est montré peu coopératif avec la police, ce qui démontre un manque de respect pour l’autorité. De plus, je note que même si les accusations remontent à plusieurs années, je les considère comme sérieuses. Je note les divergences entre la vérification des antécédents criminels et l’observation du demandeur, où il a déclaré avoir été victime d’une erreur sur la personne. Je note que la police a vérifié l’identité du demandeur à ce moment-là, ce qui m’amène à mettre en doute sa crédibilité. Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier m’amène raisonnablement à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur peut être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. J’ai examiné la déclaration fournie par le demandeur, mais les renseignements fournis ne suffisent pas à dissiper mes inquiétudes.

En conséquence, je souscris à la recommandation de l’Organisme consultatif et je refuse d’accorder à M. Haque l’habilitation de sécurité en matière de transport.

[32]  La décision et les motifs ont été communiqués au demandeur, reprenant essentiellement les mêmes termes dans une lettre adressée par Mme Hensler-Hobbs datée du 19 juillet 2016.

III.  CADRES JURIDIQUE ET STRATÉGIQUE

A.  Introduction

[33]  Avant d’examiner le bien-fondé de cette demande, il est nécessaire d’examiner les cadres juridique et stratégique régissant les demandes d’habilitation de sécurité pour les aéroports désignés.

[34]  Bien que le pouvoir d’accorder ou de refuser une DHSMT trouve sa source dans la loi, la Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport joue un rôle important dans l’exercice de ce pouvoir. Malheureusement, la Politique souffre d’un manque de clarté en ce qui concerne la conclusion clé qui devait être tirée dans le cas du demandeur. Plus précisément, elle est ambiguë quant à la norme de preuve applicable. Je dois essayer de résoudre cette ambiguïté avant de pouvoir expliquer pourquoi j’ai conclu que la décision de la directrice générale était déraisonnable.

[35]  J’ai également conclu qu’il y avait une certaine incertitude dans la jurisprudence de notre Cour concernant les exigences en matière d’équité procédurale pour une demande initiale de HSMT. Je vais essayer de résoudre cette question également, afin que je puisse expliquer pourquoi j’ai conclu que les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées en l’espèce.

B.  La Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport

[36]  Il est bien établi qu’en s’acquittant de leurs responsabilités en matière de sécurité aérienne, le ministre et son délégué jouissent d’une grande latitude. Maintenir la sécurité des aéroports et empêcher toute interférence avec l’aviation civile sont manifestement des sujets de grand intérêt et de grande importance pour le public. Étant donné le risque de conséquences graves si la mauvaise personne obtient une habilitation de sécurité à l’aéroport, il a été dit qu’il était approprié que le ministre fasse preuve de prudence et penche du côté de la sécurité du public lorsqu’il décide si quelqu’un devrait ou non détenir une HSMT (Sargeant c. Canada (Procureur général), 2016 CF 893, au paragraphe 28 [Sargeant]; Dhesi c. Canada (Procureur général), 2018 CF 283, au paragraphe 18). Parallèlement, il est également reconnu que la décision d’accorder ou non une habilitation de sécurité est une question importante pour les demandeurs, car elle peut avoir une incidence sur la nature de leur travail, leurs chances d’avancement et leur sécurité financière (Farwaha c. Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2014 CAF 56, au paragraphe 92 [Farwaha]). En effet, lorsque l’emploi d’une personne dépend de l’obtention d’une habilitation de sécurité, les décisions relatives à cette autorisation revêtent une « immense importance pour cette personne » (Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 23 [Henri]). Il ne s’agit toutefois que d’un des facteurs à prendre en considération (ibid.).

[37]  La Loi ne limite pas expressément le pouvoir du ministre de déterminer qui a droit à une HSMT, mais son pouvoir discrétionnaire dans ce domaine n’est pas complètement non circonscrit. L’exercice de son pouvoir à l’égard des aéroports désignés est guidé par la Politique. La Politique énonce également certaines (et non la totalité) des procédures suivies pour évaluer les demandes, les suspensions ou les annulations de HSMT relatives aux aéroports.

[38]  L’objectif du Programme est au cœur de la Politique et des décisions relatives aux demandes de HSMT.

[39]  Conformément à l’article I.1 de la Politique, l’objectif du Programme est de prévenir les actes illégaux d’interférence avec l’aviation civile en donnant une HSMT uniquement à ceux qui répondent aux normes établies dans ce Programme.

[40]  En vertu de l’article I.4 de la Politique, l’objectif de ce Programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne :

  1. connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;
  2. connue ou soupçonnée d’être membre d’un organisme connu ou soupçonné d’être relié à des activités de menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;
  3. soupçonnée d’être étroitement associée à une personne connue ou soupçonnée :
  • o de participer aux activités mentionnées à l’alinéa (1);

  • o d’être membre d’un organisme cité à l’alinéa (2); ou

  • o être membre d’un organisme cité à l’alinéa (5).

  • o commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

  • o aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

  1. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :
  1. est connu ou soupçonné d’être ou d’avoir été membre d’une organisation criminelle ou d’avoir pris part à des activités d’organisations criminelles, tel que défini aux articles 467.1 et 467.11 (1) du Code criminel du Canada;
  2. est membre d’un groupe terroriste, tel que défini à l’alinéa 83.01(1)a) du Code criminel du Canada.

[41]  Comme il a été noté, la demande de HSMT du demandeur a été refusée en vertu de l’alinéa 4.

C.  Alinéa (4) de l’article I.4 de la Politique

[42]  Pour répéter par souci de commodité, l’alinéa I.4(4) énonce que l’un des objectifs de la Politique est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne qui, « selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » (non souligné dans l’original). Si cette conclusion est tirée à l’égard d’un demandeur, il y a lieu de refuser de délivrer une HSMT.

[43]  Le problème avec l’alinéa 4 est que la partie que j’ai soulignée semble combiner deux normes distinctes de preuve en anglais : les motifs raisonnables de croire « reasonably believes » et la croyance selon la prépondérance des probabilités « on a balance of probabilities ». Cela crée une certaine incertitude quant à la norme de preuve énoncée à l’alinéa 4. Est-il suffisant de refuser de délivrer une HSMT pour que le ministre ait des motifs raisonnables de croire qu’une personne « est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile »? Est-il nécessaire pour le ministre de croire que, selon toute vraisemblance, une personne « est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile »? La norme de preuve applicable doit être l’une ou l’autre d’entre elles; il ne peut s’agir à la fois des deux normes de preuve de façon cohérente. Alors que la dernière norme englobe la première, l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

[44]  Le libellé de l’alinéa 4 a de temps à autre donné lieu à l’avis selon lequel le fardeau de la preuve qu’il énonce est moins exigeant que la norme selon la prépondérance des probabilités parce que tout ce qu’on requiert de la part du décideur est une croyance raisonnable (voir, par exemple, Ho c. Canada (Procureur général), 2013 CF 865, au paragraphe 7; Salmon c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1098, au paragraphe 75 [Salmon]; Kaczor c. (Ministre des Transports), 2015 CF 698, au paragraphe 32; Wu c. Canada (Procureur général), 2016 CF 722, au paragraphe 51; et Ng c. Canada (Procureur général), 2017 CF 376, au paragraphe 50). Malgré le respect dû à ceux qui ne partagent pas ce point de vue, je ne puis souscrire à cette conclusion.

[45]  À mon avis, les normes de preuve moins exigeantes que la norme selon la prépondérance des probabilités sont bien connues et s’expriment facilement en utilisant des expressions usuelles (par exemple, voir la discussion sur les « motifs raisonnables de croire » dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 100, 2005 CSC 40, au paragraphe 114, et la discussion sur les « motifs raisonnables de soupçonner » dans Farwaha, aux paragraphes 75 et 95 à 97). Lorsqu’une norme de preuve moins exigeante que la norme selon la prépondérance des probabilités est prévue, ces expressions usuelles sont utilisées. C’est ce que démontrent d’autres parties de l’article I.4 lui-même, qui utilisent de manière répétée le critère disjonctif « connue ou soupçonnée ».

[46]  L’expression utilisée à l’alinéa 4 (qui semble être sui generis) doit donc avoir pour but de conférer un tout autre sens. Bien que l’expression « on a balance of probabilities » laissent entendre qu’il s’agit de la norme envisagée, les mots « reasonably believes » compliquent les choses. Heureusement, bien que la version anglaise de l’alinéa 4 soit ambiguë, la version française ne l’est pas (du moins, pas à cet égard). La partie pertinente de la disposition en français est « qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à [...] ». La croyance raisonnable n’est pas mentionnée. Au lieu de cela, la seule norme déterminée est la norme selon « les probabilités ». Bien que cela ne laisse pas sous-entendre expressément le critère de savoir s’il est plus probable qu’improbable que quelque chose se produise (en théorie, « les probabilités » pourraient varier de 0 % à 100 %), « les probabilités » dans la version française trouvent ainsi un sens commun dans les deux versions de cet alinéa. Je dois noter que les décisions de notre Cour qui ont adopté la norme de preuve de la « croyance raisonnable » ne traitent pas des différences entre les versions anglaise et française de l’alinéa 4.

[47]  En appliquant la règle du sens partagé, il est donc raisonnable de supposer que l’élément de preuve commun qu’est la prépondérance des probabilités qui se trouve tant dans la version anglaise que dans la version française de l’alinéa 4 est ce qui devait être la norme de preuve en l’espèce (voir, par exemple, la discussion sur cette règle dans le contexte de l’interprétation des lois dans Alexander College Corp c. Canada, 2016 CAF 269, au paragraphe 18). Cela résout l’ambiguïté de la version anglaise (et l’imprécision de la version française).

[48]  Même si je conclus que l’adverbe « raisonnablement » dans la version anglaise de l’alinéa 4 n’ajoute rien au critère, cela ne veut pas dire que le caractère raisonnable de la croyance du décideur n’est pas important. C’est tout le contraire. Toute décision rendue par le ministre ou son délégué doit être raisonnable, ce qui comprend tirer des conclusions raisonnables à partir des renseignements disponibles. Toutefois, à mon avis, il s’agit d’une exigence générale de la loi par opposition à un élément du critère particulier que le ministre applique en application de l’alinéa 4 de la Politique.

[49]  En plus de la formulation maladroite de la version anglaise de l’alinéa 4, une autre source possible de confusion au sujet de la norme de preuve est le fait en cause – à savoir si le demandeur est une personne qui est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. La question à laquelle le ministre doit répondre n’est pas de savoir si un demandeur agira ainsi, mais seulement s’il peut agir ainsi. Il s’agit d’une question de possibilités, et non de probabilités (Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 20; MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29; Sargeant, au paragraphe 29). L’idée d’une possibilité établie selon la prépondérance des probabilités est pour le moins paradoxale. Néanmoins, cela ne change pas la norme selon laquelle ce fait doit être établi. La façon dont une personne pourrait agir à l’avenir pourrait bien être facilement établie dans un cas donné. Si tel est le cas, c’est en raison de la nature du fait en cause (une possibilité) et non en raison d’un assouplissement de la norme de preuve selon la prépondérance des probabilités.

[50]  Dans ses observations écrites, le défendeur a laissé entendre qu’une « norme de preuve relativement faible » s’appliquait en application de l’alinéa 4. Toutefois, lorsque le défendeur a été questionné avec insistance, il était prêt à accepter que la norme de preuve soit fondée sur la prépondérance des probabilités.

[51]  Cette norme de preuve est discernable dans les arrêts de notre Cour. Par exemple, dans MacDonnell, le juge Sean Harrington a déclaré : « La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu ‘commettra’ un acte qui ‘constituera’ un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il ‘aidera ou incitera’ toute autre personne à commettre un acte qui ‘constituerait’ une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit ‘sujet’ à le faire » (au paragraphe 29). De même, dans Mohamed c. Canada (Procureur général), 2017 CF 271, la juge Susan Elliott a fait observer que le ministre « décide, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne qui demande une HST ou le renouvellement de celle-ci, [TRADUCTION] « peut être sujette ou incitée » à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » (au paragraphe 35). De plus, dans Chambers c. Canada (Procureur général), 2017 CF 698, le juge Glennys McVeigh a déclaré que la Politique « est de nature prospective, le décideur devant prédire, suivant la prépondérance de la preuve, si un candidat peut être enclin ou incité à commettre un acte susceptible de constituer une ingérence illicite dans le transport aérien civil » (au paragraphe 18).

[52]  À mon humble avis, ces affirmations reflètent l’interprétation correcte de l’alinéa 4.

[53]  En conclusion sur ce point, ce que l’alinéa I.4(4) de la Politique oblige de la part du ministre ou de son délégué à déterminer est la question de savoir si, selon toute vraisemblance, le demandeur d’une HSMT est une personne sujette ou qui peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Cela résout l’ambiguïté de la version anglaise en ce qui concerne la norme de preuve et rend le critère applicable cohérent entre les versions anglaise et française.

[54]  Dans la présente affaire, l’Organisme consultatif et le directeur général reprennent textuellement le libellé anglais de l’alinéa 4 en formulant d’une part la recommandation et en rendant d’autre part la décision. Aucun des deux n’offre une analyse du sens de la disposition qui pourrait m’amener à conclure qu’ils avaient une compréhension différente de celle-ci. Par conséquent, je présume que le critère que j’ai exposé ci-dessus est celui qu’ils ont appliqué pour évaluer le dossier du demandeur.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[55]  Il est bien établi qu’une décision de refuser une HSMT est en règle générale susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Henri, au paragraphe 16). En application de cette norme, la cour de révision examine la décision quant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle détermine « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Dans un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, il n’appartient pas au tribunal de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux éléments de preuve ou de substituer la conclusion que lui-même juge préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61) [Khosa]).

[56]  Il est également bien établi que les questions d’équité procédurale dans ce contexte sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Henri, au paragraphe 16).

[57]  En l’espèce, comme on le verra plus loin, la question de l’équité procédurale consiste à déterminer si le demandeur avait droit à une divulgation plus complète que ce qu’il a reçu. Rien dans le dossier n’indique que quiconque a décidé si des renseignements supplémentaires devraient être divulgués au demandeur. Ce n’est pas une critique. Au contraire, je signale simplement qu’il est factice de parler d’une norme de contrôle appliquée à une décision concernant la présente instance.

[58]  Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la tâche de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur a satisfait au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances : (Khosa, au paragraphe 43). On peut se demander s’il est utile de parler d’une norme de contrôle appliquée à des questions d’équité procédurale (voir Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général) 2018 CAF 69, au paragraphe 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]) Dans la mesure où c’est le cas, la norme de la décision correcte veut dire que la Cour ne fera pas preuve de déférence à l’égard de la procédure adoptée par le ministre; au lieu de cela, la Cour entreprendra sa propre analyse (Rossi c. Canada (Procureur général), 2015 CF 961, au paragraphe 20).

V.  DISCUSSION

A.  Équité procédurale

1)  Quels sont les critères requis?

[59]  Les exigences en matière d’équité procédurale en ce qui a trait aux habilitations de sécurité en matière de transport sont souvent qualifiées de « minimales ». Cela découle du fait que le fait de détenir une HSMT est un privilège et non un droit, et on ne peut donc pas légitimement s’attendre à ce qu’une HSMT soit émise (Agosti c. Canada (Transports), 2016 CF 1410, au paragraphe 32 [Agosti]).

[60]  Il existe une certaine incertitude dans la jurisprudence quant à ce que constituent ces exigences « minimales » lorsqu’une personne demande une HSMT pour la première fois. On a suggéré que le seul degré d’équité exigé à l’égard d’un premier demandeur est que le ministre rende une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée ou rendue de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. Il semble que cette suggestion ait été faite pour la première fois dans la décision Motta c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 27 (QL), 180 FTR 292, au paragraphe 13. Elle a été reprise de temps à autre depuis (voir, par exemple, Varn c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1132, au paragraphe 45; Laframboise c. Canada (Procureur général), 2017 CF 832, au paragraphe 19; Chambers c. Canada (Transports), 2017 CF 698, au paragraphe 32; Pouliot c. Canada (Transports), 2012 CF 347, au paragraphe 9 [Pouliot]; Kahin c. Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2010 CF 247, aux paragraphes 13 à 16; Irani c. Canada (Procureur général), 2006 CF 816, aux paragraphes 21 à 22).

[61]  Si je comprends bien, en fait, Motta laisse entendre que le seul droit procédural dont jouit un premier demandeur est de recevoir une décision qui n’est pas substantiellement erronée. À mon humble avis, cela a pour effet de confondre l’examen de la procédure et l’examen sur le fond. Il s’agit là, bien entendu, de deux questions distinctes. Comme l’a récemment observé la Cour d’appel fédérale [traduction] : « L’examen de la procédure et l’examen quant au fond servent des objectifs différents en droit administratif. Bien qu’il y ait chevauchement, le premier examen met l’accent sur la nature des droits en cause et les conséquences pour les parties concernées, tandis que le second examen met l’accent sur la relation entre le tribunal et le décideur administratif [...] » (Chemin de fer Canadien Pacifique, au paragraphe 55). De plus, comme le souligne la juge L’Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22 [Baker], « les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur ». Les opinions incidentes exprimées dans Motta n’adoptent pas du tout cette compréhension de l’équité procédurale.

[62]  Il est possible que cette situation particulière ait été le résultat d’efforts visant à distinguer les personnes qui avaient obtenu une HSMT, et qui étaient maintenant confrontées à sa suspension, son annulation ou à un refus de renouvellement, des premiers demandeurs. Il a été dit que la perte d’un emploi en raison de la perte d’une habilitation de sécurité est plus importante que la simple perte de la possibilité d’accepter un nouvel emploi en raison d’un refus d’une habilitation de sécurité. Les exigences en matière d’équité procédurale étaient donc considérées comme légèrement plus rigoureuses dans ce cas que dans le cas d’un premier demandeur [bien qu’elles aient été considérées comme demeurant « minimales » (Pouliot, au paragraphe 10)]. Il a été reconnu qu’une personne confrontée à la perte d’une habilitation de sécurité a le droit de connaître les faits allégués contre elle et a le droit de présenter des observations écrites à l’égard de ces faits (Farwaha, au paragraphe 118; Henri, au paragraphe 28). Pour maintenir la distinction entre cette personne et un premier demandeur, qui était réputé avoir droit à quelque chose de moindre, il faudrait conclure (du moins implicitement) que le premier demandeur n’avait donc pas le droit de connaître les faits allégués contre lui ou de faire des observations à l’égard de ceux-ci.

[63]  À mon avis, ce raisonnement invalide même les droits procéduraux « minimaux » des premiers demandeurs. Bien que j’estime que Motta ne devrait plus être suivi à cet égard, il n’est pas nécessaire de le préciser, car il a été dépassé par la pratique actuelle du ministre, qui traite à la fois les nouveaux demandeurs et les personnes déjà détentrices d’une habilitation de sécurité de la même façon. Comme l’arrêt Baker l’indique, les pratiques réelles du décideur sont un facteur important dans la détermination des exigences relatives à l’équité procédurale (Baker, au paragraphe 27).

[64]  Dans la pratique actuelle, les droits de participation suivants sont applicables aux titulaires de HSMT potentiels et existants :

  • Les deux candidats sont informés dans la mesure où la loi autorise la divulgation des renseignements qui ont suscité des inquiétudes quant à leur admissibilité à détenir une HSMT;
  • Les deux sont informés des critères permettant de déterminer si une personne est apte à détenir une HSMT;
  • Les deux ont la possibilité de faire des observations écrites et de fournir des renseignements sur ce qui suscite des préoccupations;
  • Dans les deux cas, les observations écrites ou les renseignements fournis par la personne sont pris en compte par l’Organisme consultatif avant de faire une recommandation au ministre ou à son délégué;
  • Dans les deux cas, les observations écrites ou les renseignements fournis par la personne sont examinés par le ministre ou son délégué avant qu’une décision finale soit rendue.

[65]  Ces procédures cadrent bien avec les quatre autres facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, y compris l’importance de la décision pour la personne visée et la valeur que ses observations peuvent ajouter au processus décisionnel (voir Baker, aux paragraphes 23 à 26, Henri, aux paragraphes 18 à 28). Certaines décisions de notre Cour ont reconnu que, malgré ce qui a été suggéré dans la décision Motta, même un premier demandeur a le droit de connaître les faits allégués à son encontre et il doit avoir l’occasion de faire des représentations sur ces faits et son aptitude à recevoir une habilitation de sécurité (Quan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1181, au paragraphe 33; Agosti, au paragraphe 33). Je suis d’accord.

[66]  Puisque le demandeur sollicitait sa première HSMT, il n’est pas nécessaire pour moi d’examiner s’il peut toujours y avoir des cas où une personne confrontée à la perte d’une habilitation de sécurité a droit à un plus haut niveau d’équité procédurale qu’un premier demandeur. Aux fins de l’espèce, il suffit de conclure que le demandeur avait droit aux protections énoncées ci-dessus.

2)  Les exigences en matière d’équité procédurale ont-elles été respectées?

[67]  Si j’écarte pour l’instant le courriel du 5 janvier 2016, je n’ai aucune hésitation à conclure que les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées en l’espèce.

[68]  Premièrement, le demandeur a été avisé des points qui suscitent des préoccupations et s’est vu offrir l’occasion de les régler par écrit. Il faut dire que la teneur du rapport de VAC (du moins tel qu’il a été résumé par l’inspecteur Verrette) laisse beaucoup à désirer, question sur laquelle je reviendrai plus loin. Néanmoins, l’information que le programme de filtrage de sécurité a reçue de la GRC a été communiquée au demandeur de façon précise et complète. De plus, la lettre que le demandeur a reçue, énonçant les points suscitant des préoccupations, l’aurait aidé à comprendre les critères qui seraient appliqués pour déterminer son admissibilité, lui permettant ainsi de fournir des renseignements pertinents et des observations s’il le désirait. De plus, la lettre indiquait le nom et les coordonnées de Mme Mott dans le cas où le demandeur souhaitait discuter de sa demande. Même si le demandeur n’a pas accepté cette offre, il ressort du dossier certifié du tribunal [DCT] certifié que Mme Mott connaissait personnellement sa demande.

[69]  Le demandeur a fourni une réponse écrite portant sur les points suscitant des préoccupations qui lui avaient été signalés. Bien que sa réponse ait été relativement brève, il s’agissait là d’un point que le demandeur avait lui-même choisi. Le demandeur a soutenu lors de la plaidoirie qu’il croyait qu’il aurait l’occasion de présenter d’autres arguments. Bien que cela puisse très bien être le cas, rien dans les communications de Transports Canada ne l’aurait amené à penser cela et, inversement, le demandeur n’a donné à Transports Canada aucune raison de penser qu’il avait autre chose à ajouter à ce moment-là.

[70]  Enfin, tel qu’il ressort du résumé écrit de la discussion du dossier du demandeur par l’Organisme consultatif, ce dernier a pris en considération tous les renseignements versés au dossier, y compris les observations du demandeur. Dans ses motifs, la directrice générale confirme également qu’elle a tenu compte de tous les renseignements versés au dossier, y compris les observations du demandeur. Il n’y a rien dans les motifs ou dans le DCT qui m’amène à douter que c’était le cas.

[71]  La seule question restante est de savoir si le contenu du courriel du 5 janvier 2016 aurait dû être communiqué au demandeur avant qu’une décision ne soit prise au sujet de sa demande. Le demandeur soutient que cette information l’aurait aidé à répondre aux préoccupations soulevées par le rapport de VAC. Bien que je ne doute pas de la sincérité de la demande du demandeur, je trouve que les renseignements contenus dans le courriel ne lui auraient pas été utiles. J’en arrive à cette conclusion pour trois motifs.

[72]  Premièrement, le courriel ne comportait aucune nouvelle allégation factuelle. Le demandeur avait été averti par la lettre du 15 décembre 2015 qu’il avait été identifié comme ayant été impliqué dans les incidents de 2011 et de 2012. Bien que le courriel contienne des détails supplémentaires sur les renseignements enregistrés en relation avec ces identifications, il reprend essentiellement l’allégation importante suivante : le demandeur a été identifié comme étant une partie en cause dans les deux incidents. De plus, le courriel n’incluait pas de renseignements relatifs à d’autres incidents dont le demandeur n’aurait pas eu connaissance. Les circonstances « laissaient d’emblée apparaître » les raisons de la crainte pour la sécurité (le cas échéant) du demandeur dans la lettre du 15 décembre 2015 (Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357, au paragraphe 33 [Meyler]; Sargeant, au paragraphe 51). Le courriel n’a rien ajouté à cela.

[73]  La deuxième considération est la position du demandeur à l’égard des incidents de 2011 et de 2012 : il a catégoriquement nié être impliqué dans l’un ou l’autre d’entre eux. Il était confiant à ce sujet parce qu’il savait qu’il n’avait jamais fait les choses qui ont été décrites – il n’avait jamais fui la police et il n’avait jamais essayé de se faire passer pour quelqu’un d’autre afin d’entrer au casino de Woodbine. Cela peut être mis en contraste avec sa position concernant l’arrêt du véhicule en 2010, où il a déclaré qu’avec les rares détails fournis, il ne pouvait tout simplement pas s’en souvenir et, par conséquent, il ne pouvait rien offrir en réponse. Des détails supplémentaires sur cet incident auraient pu aider le demandeur à lui rafraîchir la mémoire. Les détails supplémentaires dans le courriel concernant les incidents de 2011 et 2012 ne l’auraient pas ainsi aidé.

[74]  Troisièmement, bien qu’il ait vu le courriel dans le DCT, le demandeur n’a pas pu montrer comment les renseignements qu’il contenait auraient pu l’aider de quelque autre façon. Le demandeur avait été averti qu’il avait été identifié comme ayant été impliqué dans les incidents de 2011 et de 2012. Il a soutenu qu’il n’avait pas été impliqué dans l’un ou l’autre de ces incidents. Cela l’a amené à proposer deux explications à Transports Canada : soit qu’il avait été pris pour quelqu’un d’autre dans les vérifications des antécédents, soit que quelqu’un d’autre avait usurpé son identité. Bien que la lettre du 15 décembre 2015 ne lui ait pas fourni beaucoup de détails concernant les incidents, elle lui a donné quelque chose à partir duquel il pouvait commencer à faire des recherches si tel était son choix (par exemple, les dates approximatives des incidents, l’emplacement de l’un d’entre eux et les services de police impliqués). Les renseignements contenus dans le courriel n’ont rien ajouté à ce dont il disposait déjà qui aurait pu contribuer à ses efforts pour trouver des preuves à l’appui de sa position concernant les deux incidents.

[75]  Les circonstances de l’affaire peuvent donc être mises en contraste avec le genre de dissimulation essentielle examinée dans DiMartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, aux paragraphes 36 à 43; Xavier c. Canada (Procureur général), 2010 CF 147, aux paragraphes 8 à 14; Meyler, aux paragraphes 29 à 40; et Farah c. Canada (Procureur général), 2016 CF 935, aux paragraphes 55 à 66 [Farah]. Bien sûr, cela ne veut pas dire que le type d’information contenue dans le courriel peut ne pas être important dans d’autres circonstances. Comme l’a fait observer le juge Elliott dans la décision Farah, la nature et la quantité d’information qui doit être divulguée pour garantir l’équité procédurale « varieront toujours en fonction du contexte » (au paragraphe 62).

[76]  À mon avis, le vrai problème avec l’information contenue dans le courriel du 5 janvier 2016 réside dans la façon dont il a été interprété par la directrice générale. Cela, toutefois, concerne le caractère raisonnable de la décision et non l’équité procédurale. J’aborde cette question ci-dessous.

[77]  Par conséquent, je conclus que les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées.

B.  La décision de la directrice générale est-elle raisonnable?

[78]  Le défendeur reconnaît que la décision souffre de plusieurs failles, mais soutient que le refus de délivrer une HSMT peut raisonnablement être appuyé par une seule considération, soit l’implication avouée du demandeur dans une tentative infructueuse en 2005 de voler de l’argent à un guichet automatique de la Banque TD/Canada Trust en utilisant des cartes bancaires trafiquées. La difficulté pour le défendeur est que la directrice générale s’est appuyée sur plusieurs autres considérations en plus de celle-ci pour refuser la demande. En effet, elle a expressément lié l’incident de 2005 à plusieurs de ces autres considérations, concluant qu’il y avait [traduction] « une tendance à la participation à des activités criminelles » de la part du demandeur. Quoi qu’il en soit, même si elle se suffit à elle-même, l’évaluation par la directrice générale de l’incident de 2005 n’est pas raisonnablement étayée par les renseignements dont elle dispose. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je ne peux conclure que la décision qu’elle a prise est raisonnable.

[79]  Si je comprends bien les motifs de la directrice générale, elle a invoqué les cinq considérations suivantes pour refuser d’accorder une HSMT au demandeur :

  1. l’incident de la Banque TD/Canada Trust de 2005;

  2. [traduction] « plusieurs incidents » entre 2005 et 2012 [traduction« démontrant une tendance à la participation à des activités criminelles » de la part du demandeur;

  3. l’implication du demandeur dans deux incidents dans lesquels il s’est montré [traduction] « peu coopératif avec la police, ce qui démontre un manque de respect pour l’autorité »;

  4. des divergences entre le rapport de VAC et les observations du demandeur, qui ont amené la directrice générale à mettre en doute la crédibilité du demandeur;

  5. la « fréquentation » par le demandeur de deux personnes ayant des casiers judiciaires.

[80]  À mon humble avis, l’évaluation par la directrice générale de ces facteurs, considérés individuellement et cumulativement, était déraisonnable.

1)  L’incident de la Banque TD/Canada Trust de 2005

[81]  Les circonstances de l’incident de 2005 sont résumées ci-dessus.

[82]  La directrice générale a tiré trois conclusions expresses ou implicites relativement à cet incident. Premièrement, cet incident [traduction] « exigeait un niveau de complexité, car il était délibéré et prémédité ». Deuxièmement, étant donné que le demandeur a reconnu qu’il y avait vu une occasion de régler ses problèmes financiers, la directrice générale s’est demandé [traduction] « ce que [le demandeur] pourrait faire d’autre s’[il] était en difficulté financière à l’avenir ». Troisièmement, même si l’accusation remonte à plusieurs années, elle était sérieuse.

[83]  Je dois noter que j’ai tiré le troisième facteur d’une interprétation généreuse des motifs de la directrice générale. En fait, celle-ci déclare que les accusations (pluriel) remontaient à plusieurs années, mais elles étaient sérieuses. Le demandeur n’a jamais fait face qu’à une seule accusation. De plus, interprété dans son contexte, le commentaire de la directrice générale sur les accusations semble se rapporter aux incidents de 2011 et de 2012, même si aucun d’entre eux n’a donné lieu à des accusations. Donnant à la directrice générale le bénéfice du doute, je suis disposé à interpréter son commentaire comme faisant référence à l’incident de 2005. De ce point de vue, il lui était raisonnablement loisible de tirer une conclusion selon laquelle l’accusation remontait à plusieurs années, mais était sérieuse compte tenu de l’information dont elle disposait. Cependant, on ne peut pas en dire autant de ses autres conclusions concernant l’incident de 2005.

[84]  Premièrement, à mon avis, la conclusion selon laquelle cet incident [traduction« exigeait un niveau de complexité, car il était délibéré et prémédité » était déraisonnable. Il faut rappeler que l’accusation de possession de biens criminellement obtenus a été retirée. Aucune conclusion n’a été tirée à l’encontre du demandeur à ce sujet. Dans les cas où une accusation criminelle aboutit à une déclaration de culpabilité, des admissions ou des conclusions de fait auront été faites ou rendues. En règle générale, elles peuvent être invoquées dans des procédures ultérieures. Cependant, lorsqu’une accusation criminelle est retirée, il peut être beaucoup plus difficile pour un décideur dans une procédure ultérieure de déterminer ce qui s’est passé qui a donné lieu à l’accusation. Les faits sous-jacents et les circonstances de l’espèce sont loin de faire l’unanimité. Un décideur qui se trouve dans une position semblable à celle de la directrice générale doit par conséquent agir avec prudence lors de l’examen des accusations retirées. Le constat de police qui se retrouve dans un rapport de VAC pourrait être un compte rendu complet et précis ou non de ce qui s’est passé.

[85]  En l’espèce, le demandeur n’a pas contesté l’exactitude du constat de l’incident de 2005 dans le rapport de VAC. La difficulté avec les conclusions de la directrice générale est qu’elles vont bien au-delà de ce que l’information dont elle disposait était raisonnablement capable de soutenir. Si la conduite du demandeur a pu être [traduction] « délibérée » et non accidentelle, et si elle a pu être [traduction] « préméditée » en ce sens que le demandeur a probablement accepté de prendre part à l’opération avant de se rendre à la banque, l’information dont disposait la directrice générale n’étaye pas raisonnablement la conclusion selon laquelle l’incident [traduction] « exigeait un niveau de complexité » (quoi que cela puisse vouloir dire). L’opération dans son ensemble était sans aucun doute complexe, mais le demandeur a déclaré que sa seule participation s’était résumée à tenter de n’utiliser qu’une seule fois les cartes au guichet automatique, à l’invitation de quelqu’un d’autre. On pourrait considérer cette participation comme assez simple, surtout si l’on considère la facilité avec laquelle le demandeur a été arrêté. En dehors du constat et des commentaires du demandeur sur l’incident, la directrice générale ne disposait d’aucun autre renseignement. La directrice générale n’était pas tenue d’accepter le compte rendu de l’incident du demandeur; toutefois, en l’absence de toute information à l’appui, un rôle plus important que ce que le demandeur a admis avoir joué ne peut raisonnablement lui être attribué.

[86]  Deuxièmement, simplement « se demander » ce que le demandeur pourrait faire d’autre pour de l’argent s’il se retrouvait en difficulté financière ne satisfait pas aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification. Même si une conclusion définitive selon laquelle cet incident démontrait que le demandeur présentait un risque inacceptable d’abuser d’une habilitation de sécurité ne peut être inférée de cette constatation indirecte, l’information dont disposait la directrice générale n’étaye pas raisonnablement cette conclusion. L’incident remontait à plusieurs années (près de 15 années se sont écoulées depuis). Le demandeur était un jeune homme à l’époque. Et rien n’indique qu’il se soit mal comporté depuis en réponse à des pressions financières.

[87]  Troisièmement, dans ses motifs, la directrice générale cite à la fois l’accusation retirée de possession de biens criminellement obtenus (l’incident de 2005) et [TRADUCTION] la « participation à des activités criminelles reliées au vol et le manque de respect pour l’autorité » comme soulevant des préoccupations quant à [traduction] « son jugement et sa fiabilité ». J’aborde ci-dessous le prétendu [traduction] « manque de respect pour l’autorité » du demandeur. Quant à son implication dans des activités criminelles [traduction] « reliées au vol », le seul incident de ce genre était celui de 2005. Soit que la directrice générale a mal interprété l’information dont elle disposait, soit qu’elle a doublé le poids qu’elle a accordé à un seul incident. Bien que l’incident de 2005 joue contre l’admissibilité du demandeur à une HSMT, il ne peut raisonnablement être pris en compte deux fois.

2)  Une tendance à la participation à des activités criminelles entre 2005 et 2012

[88]  Reconnaissant peut-être que l’incident de 2005 ne pouvait à lui seul justifier le refus d’accorder une HSMT au demandeur, la directrice générale l’a expressément lié à une « tendance » à des activités criminelles s’étendant sur huit ans. À mon avis, cette conclusion est également déraisonnable.

[89]  L’information dont disposait la directrice générale indiquait que le demandeur avait été impliqué dans une affaire où une accusation criminelle avait été portée, soit l’incident de 2005. Bien qu’il soit possible de voir les incidents de 2011 et de 2012 comme impliquant également des activités criminelles (peut-être des infractions d’entrave au travail des policiers et de supposition de personne respectivement), la police ne semble pas les avoir vus de cette façon à ce moment-là. (La question de savoir si la directrice générale a raisonnablement conclu que le demandeur était réellement impliqué dans l’un ou l’autre de ces incidents est une question distincte.) Une autre explication de la part de la directrice générale est requise pour justifier ses conclusions selon lesquelles plusieurs autres activités criminelles ont été commises après l’incident de 2005, mais également comment trois incidents distincts pris ensemble forment une « tendance ». Quant aux autres contacts du demandeur avec la police, en 2008, c’est lui qui était le plaignant et, en 2010, il était tout simplement un passager dans un véhicule dont au moins un des occupants était un jeune homme racialisé (le demandeur) qui a été arrêté par la police régionale de Peel pour une raison inconnue.

[90]  En résumé, les renseignements ne permettent pas raisonnablement de conclure que, entre 2005 et 2012, le demandeur avait été impliqué dans [traduction] « plusieurs incidents [...] démontrant une tendance à la participation à des activités criminelles ».

3)  La non-coopération avec la police et le manque de respect pour l’autorité.

[91]  La directrice générale a noté que le demandeur avait été impliqué dans deux incidents (en 2011 et en 2012) où il s’était montré « peu coopératif avec la police, ce qui démontre un manque de respect pour l’autorité ». En fait, ce n’est que durant l’incident de 2011 que le demandeur a été décrit comme [traduction] « peu coopératif avec la police ». Le directeur général semble avoir mal interprété l’évaluation de ces incidents par l’Organisme consultatif, à savoir : [traduction] « L’Organisme consultatif a noté deux (2) incidents survenus en 2011 et en 2012, dans lesquels le demandeur s’est montré peu coopératif avec la police : en 2011, soit l’incident avec la police, et en 2012, au casino de Woodbine, démontrant alors un manque de respect pour l’autorité. » Même si c’est ce que la directrice générale voulait dire, cette conclusion n’est pas raisonnablement étayée par l’information dont elle disposait. La simple affirmation dans un rapport de police que quelqu’un s’est montré [traduction] « peu coopératif avec la police », sans que le rapport contienne une quelconque indication de la raison pour laquelle la police pensait ainsi, n’a aucune valeur. En ce qui concerne l’incident de 2012, les renseignements laissent entendre qu’une fois pris en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, le demandeur s’est montré entièrement coopératif avec la sécurité du casino de Woodbine et la police. Rien n’indique qu’il ait agi de façon irrespectueuse envers les autorités pendant cet incident. D’autre part, si la personne en question n’était pas le demandeur, cette personne pourrait être à juste titre décrite comme ayant été [traduction] « peu coopérative » et [traduction] « irrespectueuse » envers la sécurité du casino de Woodbine Casino et la police, parce qu’elle leur avait fait de fausses déclarations sur son identité. Bien sûr, si c’est ce qui s’est passé, cela n’a aucune incidence sur l’admissibilité du demandeur à détenir une HSMT.

4)  Les incidents de 2011 et de 2012

[92]  Le raisonnement de la directrice générale concernant les incidents de 2011 et de 2012 semble avoir été le suivant. La police avait vérifié l’identité du demandeur lors des deux incidents. Le demandeur a nié avoir été impliqué dans l’un ou l’autre. Cela a donné lieu à des divergences entre le rapport de VAC et les observations du demandeur. Ces divergences ont à leur tour amené la directrice générale à mettre en doute la crédibilité du demandeur.

[93]  S’il est valable, ce raisonnement pourrait justifier le refus d’une DHSMT. Cependant, à mon avis, le raisonnement de la directrice générale découle d’une mauvaise compréhension des renseignements concernant ces incidents.

[94]  Tel qu’il a été indiqué ci-dessus, à la suite des observations du demandeur, Transports Canada a fait d’autres demandes auprès de la GRC au sujet des deux incidents. Plus précisément, Mme Mott a demandé à M. Poutot s’il était possible de [traduction] « confirmer l’identité du demandeur concernant ces deux incidents ». M. Poutot semble avoir compris que Mme Mott demandait si la police avait confirmé l’identité du demandeur à ce moment-là. Sa réponse fut un « oui » catégorique. En ce qui concerne l’incident de 2011, il a déclaré que les renseignements contenus dans le dossier [traduction] « laissaient entendre » (sans confirmer) que la police avait identifié le demandeur avec une pièce d’identité avec photo. En ce qui concerne l’incident de 2012, l’information contenue dans le dossier indiquait que le demandeur avait été identifié [traduction] « verbalement ».

[95]  Les incidents de 2011 et de 2012 étaient importants. Si le demandeur était impliqué dans l’un ou l’autre, ou dans les deux, cela pourrait laisser une mauvaise impression de son caractère et de son jugement. La question de savoir si la police avait confirmé l’identité du demandeur était donc importante compte tenu du fait que le demandeur avait nié catégoriquement avoir été impliqué dans l’un ou l’autre des incidents. Si tel était le cas, cela contredirait le déni du demandeur et viendrait soutenir les préoccupations quant à la question de savoir s’il devait obtenir une HSMT. La directrice générale a conclu que la police avait [traduction] « vérifié » l’identité du demandeur. Pour ce motif, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur et à son admissibilité à obtenir une HSMT.

[96]  Après avoir examiné l’information contenue dans le DCT, à mon avis, la directrice générale a mal interprété les renseignements dont elle disposait lorsqu’elle a déclaré que la police avait [traduction] « vérifié » l’identité du demandeur au moment des faits. La seule information qui porte directement sur la question est le courriel de M. Poutot et ce n’est pas exactement ce qu’il dit.

[97]  En ce qui concerne l’incident de 2011, il semble que le rapport de VAC ne dit rien sur le fait que la police avait confirmé l’identité de la personne à ce moment-là. Au lieu de faire cette affirmation, M. Poutot indique que quelqu’un (apparemment un enquêteur de la GRC anonyme) a examiné le rapport de police et a conclu à partir du fait que plusieurs détails précis y ont été consignés que la personne s’était identifiée elle-même avec une pièce d’identité avec photo. Bien que ce soit une explication possible de la présence des détails dans le rapport de police, il ne s’agit pas de la seule explication. Une autre explication qui me vient à l’esprit est que la personne s’est identifiée verbalement en donnant, disons, seulement un nom et une adresse municipale et les autres renseignements contenus dans le rapport ont été tirés d’une base de données de la police. M. Poutot n’aborde pas cette possibilité et n’explique pas pourquoi l’information n’est pas tout autant compatible avec cette explication. Quoi qu’il en soit, la directrice générale ne semble pas avoir compris que ce que M. Poutot indiquait était que l’information ne faisait que [traduction] « laisser entendre » que la personne s’était identifiée avec une pièce d’identité avec photo, mais cela n’avait pas été confirmé. (Il est intéressant de noter que le code postal consigné comporte une erreur évidente – LBS 2M8 – ce qui pourrait indiquer qu’il n’a pas été tiré d’une pièce d’identité avec photo émise par le gouvernement.)

[98]  En ce qui concerne l’incident de 2012, le courriel de M. Poutot semble indiquer que le rapport de police original indiquait que la personne s’était identifiée [traduction« verbalement » – autrement dit, sans présenter de pièce d’identité. Cela serait cohérent avec les circonstances historiques de cet incident, où la personne avait tenté d’usurper l’identité de quelqu’un d’autre parce qu’elle n’avait pas sa propre pièce d’identité. Mais on est loin d’affirmer que quelqu’un qui s’identifie « verbalement » permet de « confirmer » ou de « vérifier » son identité. Si, par exemple, la personne avait fourni de façon indépendante un nom, une date de naissance, une adresse complète et un numéro de téléphone et que ces renseignements concordaient avec ceux de la base de données de la police, cela indiquerait que la personne est bien celle qu’elle prétend être. Mais si seulement quelques détails ont été fournis de façon indépendante, et les autres renseignements ont été ajoutés par la police à partir d’une base de données, une identification [traduction] « verbale » aurait beaucoup moins de valeur probante. Sans savoir quels renseignements ont été fournis de façon indépendante et ce que la police a obtenu ailleurs, il est tout simplement impossible de savoir quelle valeur probante donner à l’identification « verbale » en l’espèce. (En fait, la même erreur dans le code postal a également été consignée relativement à cet incident, ce qui laisse supposer que les deux inscriptions provenaient d’une source commune, peut-être une base de données de la police dans laquelle des renseignements erronés ont été saisis par erreur.)

[99]  À la lumière des observations du demandeur, Mme Mott s’intéressait à juste titre à la question de savoir si la police avait confirmé l’identité du demandeur au cours de l’un ou l’autre incident. Alors que M. Poutot a tenté de nuancer ses réponses à la question de Mme Mott, à mon avis, son courriel a fini par cacher un fait essentiel : rien n’indiquait directement que l’identité du demandeur avait été [traduction] « confirmée » par la police à ce moment-là. La directrice générale a peut-être également été induite en erreur par l’Organisme consultatif sur ce point. L’Organisme consultatif affirme dans le compte rendu de sa discussion que la GRC avait « confirmé » que le nom, la date de naissance et l’ancienne adresse du demandeur [traduction« avaient été confirmés dans les rapports de police ». La GRC avait en effet confirmé que d’autres détails étaient présents dans les rapports de police. L’information disponible, cependant, est loin de démontrer que ces points avaient été [traduction« confirmés » au moment des incidents.

[100]  Il convient de noter que, dans le cas des deux incidents, la GRC tentait d’interpréter des documents préparés par d’autres services de police au sujet d’incidents dans lesquels elle n’avait pas participé. Rien n’indique que le bureau de la SFS de la GRC ait communiqué avec quiconque ayant une connaissance directe de l’un ou l’autre des incidents afin de voir si cette personne pouvait l’éclairer davantage sur ce qui s’était passé.

[101]  Je me sens obligé d’observer qu’il s’agit là d’une situation inacceptable. La directrice générale avait une décision importante à prendre lors de l’examen d’une DHSMT. Cette décision est importante pour le demandeur personnellement. La décision est également importante pour la sécurité de l’aviation civile et pour le public en général. Une information précise et exacte est essentielle à l’intégrité du processus. Tout dépendant de quoi il en retourne, l’information contenue dans les dossiers de la police a une grande valeur probante quant à l’admissibilité d’une personne à détenir une HSMT. Mais au moment où l’information sur un incident dans les dossiers de la police est parvenue au décideur, de nombreuses étapes avaient été supprimées de l’incident initial. Comme le montre la présente cause, le risque d’erreurs et de malentendus augmente à chaque étape.

[102]  Pour résumer, le raisonnement de la directrice générale concernant les incidents de 2011 et de 2012 se fonde sur une hypothèse erronée. Contrairement à ce qu’elle croyait, les renseignements dont elle disposait n’indiquent pas que la police a « vérifié » l’identité du demandeur dans les deux cas. Au mieux, il n’y a aucun moyen de savoir si cela s’est produit ou non. Les conclusions de la directrice générale, selon lesquelles il y avait des « divergences » entre la déclaration du demandeur et le rapport de VAC d’où, par conséquent, la remise en question de la crédibilité du demandeur, sont donc déraisonnables.

5)  Fréquentation de personnes ayant des casiers judiciaires

[103]  La directrice générale s’est également fondée sur le fait que le [traduction] « jugement et la fiabilité » du demandeur suscitaient des préoccupations relativement à sa fréquentation de deux personnes ayant un casier judiciaire.

[104]  Il ne fait aucun doute que la fréquentation par une personne d’une autre ayant un casier judiciaire peut avoir une valeur probante quant à l’admissibilité de cette personne à détenir une HSMT. Cependant, l’importance d’une telle fréquentation dépendra des circonstances individuelles de l’affaire, notamment : la nature des infractions au dossier; la nature de la relation entre les deux personnes; si l’associé avait un casier judiciaire au moment où le demandeur le fréquentait; si le demandeur savait qu’un casier judiciaire était en cause à ce moment-là; et la question de savoir si la fréquentation a continué après que le demandeur a eu connaissance du casier judiciaire et, dans l’affirmative, pourquoi. Il faut donc prendre soin d’examiner toutes les circonstances avant de tirer des conclusions.

[105]  La simple déclaration de la directrice générale selon laquelle la fréquentation par le demandeur de deux personnes ayant des casiers judiciaires soulevait, entre autres, des inquiétudes quant à [traduction] « son jugement et sa fiabilité » manquait de transparence, car elle ne donnait aucune indication quant aux circonstances particulières de l’espèce. Lorsqu’on va au-delà de ses motifs à l’égard des renseignements contenus dans le DCT, cela ne fait qu’augmenter l’opacité de sa décision.

[106]  Premièrement, l’une de ces personnes, le sujet « A », n’a obtenu un casier judiciaire qu’en 2013. Le rapport de VAC indiquait apparemment que le sujet « A » était « impliqué avec le demandeur » dans quatre des incidents décrits dans le rapport, mais ni la lettre de l’inspecteur Verrette ni le résumé du rapport fournis au demandeur n’indiquent lequel. Étant donné que cinq incidents au total ont été décrits et que l’un d’entre eux (l’incident de 2012 au casino de Woodbine) ne concernait apparemment que le demandeur, il semblerait que le sujet « A » avait été impliqué dans tous les autres incidents mentionnés dans le rapport de VAC. La signification de tout cela deviendra très rapidement apparente.

[107]  Le demandeur n’a soulevé aucune préoccupation quant à l’état de la divulgation concernant le sujet « A » et je n’ai aucune raison de penser qu’il a été empêché d’aborder cet aspect de l’affaire. Ce qui est important de retenir est que tous les incidents dans lesquels le demandeur était « impliqué » avec le sujet « A » se sont produits avant 2013. Rien n’indique que le demandeur a continué à s’associer avec le sujet « A » après que ce dernier eut reçu un casier judiciaire. Ces faits potentiellement déterminants ne sont pas traités ni par la directrice générale ni par l’Organisme consultatif.

[108]  Deuxièmement, les choses sont encore moins satisfaisantes en ce qui concerne l’autre associé allégué, le sujet « B ». Le résumé du rapport de VAC fourni à Transports Canada par l’inspecteur Verrette (et divulgué au demandeur) déclare simplement que le sujet « B » était « impliqué » avec le demandeur dans l’un des incidents décrits dans le rapport. Il ne dit pas lequel (probablement pour protéger les intérêts privés de tiers). Cependant, il est nécessaire d’essayer de déterminer lequel des cinq incidents est pertinent, car chacun d’entre eux est distinct et la nature de la fréquentation porte sur le caractère raisonnable du recours de la directrice générale à ce facteur.

[109]  Sans le rapport initial de VAC, le mieux que je puisse faire est de recourir à un processus d’élimination en utilisant l’information dont je dispose (et vraisemblablement dont disposait la directrice générale) pour voir si je peux déterminer lequel des cinq incidents il s’agissait :

  • Il ne peut s’agir de l’incident de la Banque TD/Canada Trust en 2005 parce que le dossier indique qu’il n’y avait que deux personnes en cause, le demandeur et le sujet « A ».

  • Cela ne peut pas avoir été l’incident du stationnement de 2008 parce que le sujet « A » doit avoir été présent et la lettre de l’inspecteur Verrette déclare : [traduction] « L’un des amis du demandeur dans cet incident est indiqué au paragraphe 6 ci-dessous [...] » (non souligné dans l’original – le paragraphe 6 étant l’endroit où sont établis les casiers judiciaires des sujets « A » et « B »).

  • Cela ne peut pas avoir été l’incident concernant l’arrêt du véhicule de 2010 parce que le sujet « A » doit avoir été présent et la lettre de l’inspecteur Verrette déclare : [traduction] « L’un des amis du demandeur dans cet incident est indiqué au paragraphe 6 ci-dessous » (non souligné dans l’original).

  • Il ne peut s’agir de l’incident concernant l’arrêt de véhicule de 2011 parce que le dossier indique qu’il n’y avait que deux personnes dans le véhicule et que l’un d’entre eux devait être le sujet « A » (l’autre personne étant prétendument le demandeur).

  • Cela ne peut pas avoir été l’incident de 2012 parce que la personne qui aurait été prétendument le demandeur semble avoir été au casino de Woodbine seul cette nuit-là.

[110]  En bref, ce processus élimine en réalité toutes les possibilités, laissant le mystère persister quant à la nature de la fréquentation par le demandeur du sujet « B ». Ce problème sérieux lié aux renseignements concernant le sujet « B » n’est pas traité par la directrice générale ni par l’Organisme consultatif.

[111]  Compte tenu de ces lacunes tant dans les motifs de la directrice générale que dans le dossier sous-jacent, la décision de la directrice générale de se fonder sur la fréquentation par le demandeur des sujets « A » et « B » est déraisonnable.

6)  Conclusion

[112]  En résumé, avec une seule exception, l’évaluation par la directrice générale des facteurs sur lesquels elle s’est appuyée pour refuser la DHSMT est entachée d’erreurs susceptibles de révision. Cette exception constitue la participation avérée du demandeur à la tentative de vol du guichet automatique de la Banque TD/Canada Trust en 2005. Comme l’a fait remarquer la directrice générale, il s’agissait d’une affaire sérieuse. S’agissant d’un acte de malhonnêteté motivé par des besoins financiers, cet incident, même s’il remonte à plusieurs années, a une valeur potentiellement probante quant à l’admissibilité du demandeur à détenir une HSMT. Chose importante, cependant, la directrice générale n’a pas conclu que cet incident l’avait amenée à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était une personne sujette ou qui peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Au lieu de cela, elle a expressément lié l’incident à d’autres considérations dans sa décision. Elle s’est également appuyée sur plusieurs autres facteurs non reliés pour refuser la demande. Ma tâche consiste à examiner la décision que la directrice générale a rendue en tenant compte des motifs qu’elle a fournis et du dossier dont elle était saisie. Ces motifs et ce dossier sont insuffisants de la manière dont j’ai discuté ci-dessus. Cela étant dit, si je devais considérer l’incident de 2005 de façon isolée et comme seul fondement de la décision, j’estimerais que la conclusion, selon laquelle cet incident a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était une personne sujette ou qui peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, est déraisonnable. Le défaut de la directrice générale de se pencher sur la question de savoir si cet incident isolé est une véritable mesure du caractère actuel du demandeur ferait en sorte que la décision serait dépourvue de toute justification, transparence et intelligibilité. Par conséquent, je ne serais pas en mesure de comprendre pourquoi la directrice générale a rendu cette décision et je ne serais pas en mesure de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

C.  Dépens

[113]  Le demandeur s’est représenté dès le début de sa DHSMT jusqu’à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire.

[114]  Le demandeur n’a pas demandé de dépens dans son avis de demande de contrôle judiciaire. Lors de l’audition de la demande, il a confirmé qu’il ne demandait pas de dépens. Sa seule préoccupation concerne le refus de lui délivrer une HSMT.

[115]  Je devrais également noter que l’intimé a très justement demandé au plus une adjudication symbolique des dépens dans l’éventualité où la demande serait rejetée et n’a même pas insisté sur la question des dépens.

[116]  Dans les circonstances, je ne crois pas que la présente affaire justifie une adjudication de dépens.

VI.  CONCLUSION

[117]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la directrice générale, sûreté de l’aviation, datée du 19 juillet 2016 est annulée.

[118]  Compte tenu du fait que la demande originale a été soumise il y a plus de trois ans et que le processus décisionnel bénéficierait probablement de renseignements plus détaillés et d’observations de la part du demandeur, je n’ordonne pas que cette demande soit réexaminée. Au lieu de cela, le refus de délivrer une HSMT ayant été annulé, le demandeur est libre de présenter une nouvelle DHSMT s’il le souhaite. Si le demandeur présente une nouvelle demande, celle-ci peut être étayée par tous les renseignements et observations qu’il souhaite présenter. Je note également que le demandeur s’est montré véritablement surpris que des renseignements concernant une accusation retirée il y a près de 15 ans se soient retrouvés dans la présente cause. S’il présente une nouvelle demande, le demandeur sera libre de soulever toute objection qu’il jugera utile de soulever à l’information qui pourrait être présentée au ministre ou à son délégué lorsque l’affaire sera à nouveau examinée. Enfin, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis le début de la présente affaire, j’espère que le ministre traitera toute nouvelle demande aussi rapidement que les circonstances et les considérations d’équité le permettent.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1352-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la directrice générale, sûreté de l’aviation, datée du 19 juillet 2016, est annulée.
  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1352-16

 

INTITULÉ :

HUSSAIN-UL-HAQUE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Hussain-Ul-Haque

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Stewart Phillips

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

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