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Date : 20180621


Dossier : IMM-5239-17

Référence : 2018 CF 650

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2018

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SEEVARATNAM MURUGAMOORTHY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Seevaratnam Murugamoorthy, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision (décision) d’un décideur principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (délégué du ministre). En raison de plusieurs condamnations criminelles au Canada au cours d’une période de 20 ans, le délégué du ministre a établi que le demandeur constituait un danger pour la sécurité publique et pourrait faire l’objet d’un renvoi du Canada en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  À l’audition de la présente affaire à Toronto le 13 juin 2018, les avocats de chacune des parties ont présenté leurs arguments sur la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire de la décision était théorique en raison de l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur vers le Sri Lanka en mars 2018. J’ai pris la décision à cet égard en délibéré et l’affaire a été ajournée dans l’attente des observations des avocats sur le bien-fondé de la demande.

[3]  Par les motifs qui suivent, je conclus au caractère théorique de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision en raison de l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur vers le Sri Lanka. La demande est rejetée.

I.  Aperçu

[4]  Le demandeur est arrivé au Canada en provenance du Sri Lanka et a présenté une demande d’asile. Il a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention et sa demande a été accueillie en 1991. Une longue liste de condamnations criminelles au Canada, depuis 1993, l’a empêché d’obtenir la résidence permanente. La plupart des activités criminelles du demandeur étaient de nature financière. De 2005 à 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a préparé trois rapports indiquant que le demandeur était interdit de territoire pour motifs de grande criminalité. Une ordonnance d’expulsion visant le demandeur a été rendue en février 2007, mais n’a pas été exécutée par l’ASFC. En 2014, le demandeur s’est vu signifier par l’ASFC un avis de l’intention de solliciter l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qu’il constituait un danger pour la sécurité publique au Canada et qu’il pouvait être refoulé en conformité avec l’alinéa 115(2)a) de la LIPR.

[5]  Le demandeur a présenté un certain nombre d’observations pour contester son renvoi du Canada, et a déposé ses observations finales le 22 juin 2017. Il a inclus dans ses observations une ample documentation sur la situation dans le pays. Les observations du demandeur exposent en détail son profil actuel en tant qu’homme tamoul qui a vécu au Canada pendant de nombreuses années au sein de la diaspora tamoule du Sri Lanka. Il fait valoir que son profil actuel l’exposerait à un risque important et inacceptable de persécution en cas de retour au Sri Lanka. Le demandeur invoque également des considérations d’ordre humanitaire (CH) à l’appui de son maintien au Canada.

[6]  La décision est datée du 16 octobre 2017. Le délégué du ministre a conclu que le demandeur pouvait être renvoyé du Canada en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Le délégué du ministre a d’abord dressé l’historique des condamnations criminelles du demandeur au Canada.  Sa conclusion de grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR n’est pas contestée à la lumière des antécédents criminels du demandeur au Canada au cours d’une période de 20 ans. Le délégué du ministre a ensuite passé en revue les risques auxquels le demandeur pourrait être exposé s’il retournait au Sri Lanka et a mis en balance les considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur avec l’obligation de protéger la société canadienne. Le délégué du ministre a déterminé que la nécessité de protéger le public canadien pesait en faveur du renvoi du demandeur et que le renvoi ne violerait pas les droits garantis au demandeur à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (Charte).

[7]  Les observations écrites du demandeur sur le bien-fondé de la présente demande sont centrées sur l’évaluation des risques menée par le délégué du ministre à l’égard de son profil actuel. Il fait valoir que le délégué du ministre a procédé à un examen très sélectif et vicié de la documentation sur la situation dans le pays au Sri Lanka. Le demandeur conteste aussi l’évaluation par le délégué du ministre des facteurs d’ordre humanitaire, notamment la forte relation forte et d’amour du demandeur avec sa femme et ses trois enfants au Canada, et son établissement au Canada.

[8]  Une ordonnance de renvoi du demandeur au Sri Lanka a été délivrée par l’ASFC en février 2018. La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi présentée par le demandeur a été rejetée par notre Cour le 14 mars 2018. Le demandeur a été renvoyé du Canada vers le Sri Lanka le 18 mars 2018.

[9]  Le 3 avril 2018, la Cour a accordé au demandeur l’autorisation de déposer la présente demande de contrôle judiciaire de la décision. 

II.  Contexte législatif

[10]  Les paragraphes 115(1) et 115(2) du Règlement sont ainsi libellés :

Principe du non-refoulement

Principle of Non-refoulement

 

Principe

Protection

 

115(1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

115(1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

Exclusion

Exceptions

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

III.  Analyse

[11]  La question du caractère théorique d’une demande devant la Cour engage un processus en deux volets (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 [Borowski]). Le premier volet est le point de départ évident : il consiste à examiner s’il y a encore un litige réel touchant les droits des parties au moment où la Cour est appelée à prendre une décision dans l’affaire. Si ce n’est pas le cas, la Cour refusera généralement d’entendre l’affaire en raison de son caractère théorique. La Cour conserve toutefois le pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire et doit considérer l’exercice de son pouvoir discrétionnaire avant de finalement décider de procéder ou non. La Cour suprême du Canada a décrit le processus comme suit :

[16] La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot “théorique” (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est “théorique” si elle ne répond pas au critère du “litige actuel”. Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

[12]  La Cour suprême a énuméré trois facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour se prononcer sur l’opportunité d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur le fond d’une demande de contrôle judiciaire qu’il considère théorique : l’existence d’un litige entre les parties, le souci de l’économie des ressources judiciaires et la nécessité pour les tribunaux de ne pas empiéter sur les fonctions législatives (Borowski, aux paragraphes 31 à 42). L’examen des facteurs n’est pas mécanique et la Cour suprême a reconnu que les facteurs peuvent être soupesés de façon différente dans un cas particulier.

[13]  La question du caractère théorique dans le contexte particulier du contrôle judiciaire d’une décision prise conformément à l’alinéa 115(2)a) de la LIPR a été examiné par la Cour d’appel fédérale et par notre Cour (Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 303 [Mohamed]; Es-Sayyid c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 309 [Es-Sayyid]). Dans l’affaire Mohamed, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[5] Nous sommes tous d’avis que l’appel est théorique, étant donné que l’appelant a déjà été renvoyé en Somalie après sa tentative infructueuse d’obtenir le sursis de la mesure de renvoi. À notre avis, il n’y a plus de litige actuel opposant les parties. Il est vrai que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre l’appel malgré son caractère théorique (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski)), mais nous n’estimons pas qu’il y a lieu d’exercer notre pouvoir discrétionnaire dans les circonstances de la présente affaire.

[14]  La Cour a examiné les facteurs Borowski et a conclu qu’il n’existait plus de litige entre les parties, « étant donné que la question soulevée en vertu de l’article 115 de la Loi était de savoir si l’appelant devait être renvoyé du Canada » (Mohamed, au paragraphe 6).

[15]  Dans l’affaire Es-Sayyid, notre Cour a cité la décision de l’arrêt Mohamed et a conclu que l’affaire dont elle était saisie était théorique. Le demandeur en cause a été renvoyé en Égypte à la suite d’une décision rendue en application de l’alinéa 115(2)a). Il avait vécu au Canada depuis l’enfance et contestait les conclusions relatives à la crédibilité et aux considérations d’ordre humanitaire faites par le délégué du ministre dans la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire. La Cour a fait référence aux trois facteurs établis par l’arrêt Borowski en refusant d’entendre l’affaire sur le fond puisqu’il n’y avait pas de circonstances spéciales justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Le juge Rennie, tel était alors son titre en cette Cour, a déclaré :

[16] […] Le contrôle judiciaire ne peut conférer au demandeur en l’espèce un avantage pratique, parce qu’il a déjà été renvoyé. Le litige entre les parties, à savoir si le demandeur peut être renvoyé du Canada sans égard à son statut, a disparu.

[16]  Le demandeur fait valoir que la question de savoir si sa demande est théorique doit être évaluée à la lumière des enseignements de la jurisprudence de notre Cour touchant des demandes d’asile au titre de l’article 96 de la LIPR. La Cour a décidé dans ces cas qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’est pas théorique à la suite du renvoi du Canada du demandeur (Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1234 (Rosa); Magyar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 750; Mrda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49). Dans l’affaire Rosa, le juge en chef a conclu que la demande dont il était saisi n’était pas théorique malgré le fait que le demandeur ait été expulsé du Canada. Il a fait une distinction entre les cas précédents dans lesquels la décision sous-tendant la demande de contrôle judiciaire était une décision concernant un examen des risques avant renvoi (ERAR). Le juge en chef a déclaré ce qui suit :

[34] À mon avis, un important facteur tant de l’arrêt de la CAF que de la décision rendue par le juge Martineau en première instance (Solis Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 663, c’est que l’article 112 précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ». Il en va de même pour la décision Sogi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 108, au paragraphe 31, où le juge Noël a déclaré ceci : « [...] [S]i la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une détermination ne soit faite sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint. Il s’agit de la raison pour laquelle l’article 112 de la LIPR précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada. » Ces affaires, comme celles qui sont citées au paragraphe 32 ci‑dessus, étaient toutes des contrôles judiciaires de décisions rendues par un agent d’ERAR au titre des articles 97 et 112 de la LIPR.

[35] Lors du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à l’issue d’un ERAR, il serait peu utile de renvoyer l’affaire à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision parce que le demandeur ne se trouverait plus « au Canada », comme l’exigent ces dispositions. Dans ce contexte, il devient vite apparent que le contrôle judiciaire serait sans objet (Solis Perez, précité).

[36] Ce n’est toutefois pas le cas du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SPR au titre de l’article 96. L’article 96 n’exige pas expressément que le demandeur d’asile se trouve encore au Canada au moment du réexamen. En l’absence d’énoncé clair dans la LIPR à l’effet du contraire, je rejette la thèse du défendeur selon laquelle la SPR n’a pas compétence pour réexaminer une demande au titre de l’article 96 quand le demandeur a déjà été renvoyé du Canada en bonne et due forme, même si la Cour détermine que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande. En effet, certains précédents de la Cour indiquent le contraire (Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999], 2 CF 432, au paragraphe 29; Magusic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (IMM-7124-13), 22 juillet 2014 (non publiée), aux paragraphes 10 et 11 [Magusic]; voir également Thamotharampillai, c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756, au paragraphe 16).

[17]  À mon avis, il convient de faire une distinction entre, d’une part, l’affaire Rosa et les causes où est examiné le caractère théorique des demandes de contrôle judiciaire de décisions rendues au titre de l’article 96 et, d’autre part, les décisions rendues à la suite d’ERAR et au titre de l’alinéa 115(2)a). Le juge en chef a fait cette mise au point dans l’affaire Rosa dans le cadre de son analyse des causes types d’ERAR. La même analyse s’applique aux causes impliquant l’alinéa 115(2)a). Le point central des décisions concernant une ERAR ou l’alinéa 115(2)a) est le renvoi de l’individu du Canada. Le processus engagé par un avis de danger au titre de l’alinéa 115(2)a) et les circonstances de l’individu en cause diffèrent substantiellement du processus et des circonstances liés à un demandeur d’asile en application de l’article 96.

[18]  La qualité de réfugié du demandeur au sens de la Convention n’est en l’espèce pas en cause. Cette décision a été rendue en 1993. Le demandeur est cependant tombé sous le coup de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR en raison de son comportement criminel systématique s’étendant sur une longue période au Canada. L’alinéa 115(2)a) exprime une exception au principe de non-refoulement et permet au gouvernement du Canada d’envisager le renvoi d’une personne ayant antérieurement acquis la qualité de réfugié au sens de la Convention. Bien que l’alinéa ne prescrive aucune exigence d’évaluation des risques auxquels un individu pourrait être exposé à la suite de son renvoi, une telle évaluation doit être effectuée pour s’assurer qu’aucun renvoi ne porte atteinte aux droits de l’intéressé garantis à l’article 7 de la Charte. Le but de l’évaluation des risques au sens de l’alinéa 115(2)a) est analogue à celle effectuée dans une ERAR et doit être conduite avant le renvoi. Le renvoi du Canada de l’individu a le même impact sur une instance en cours de contrôle judiciaire que l’application de l’alinéa 115(2)a) ou qu’une décision d’ERAR. Une fois que le renvoi de l’individu a été exécuté, la procédure devient théorique parce que la question centrale, à savoir si l’individu doit faire l’objet d’un renvoi du Canada en bonne et due forme, ne tient plus.

[19]  Dans l’affaire Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 646, un cas qui est postérieur à la décision Rosa, madame la juge Strickland a examiné la question du caractère théorique dans le contexte du contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR. Le demandeur a été expulsé du Canada. La juge Strickland a invoqué l’affaire Solis Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663, également un cas d’ERAR, et a conclu que l’affaire dont elle était saisie était théorique. Elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire invoquant les facteurs de l’arrêt Borowski, et citant la décision Mekuria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 304 (Mekuria). Dans l’affaire Mekuria, l’existence d’un litige ne l’emportait pas sur le principe de l’économie judiciaire et du fait que la Cour ne pouvait accorder une réparation pratique puisque l’objet d’une ERAR, était d’effectuer une évaluation des risques avant renvoi.

[20]  Les décisions de l’arrêt Mohamed et de l’affaire Es-Sayyid demeurent un facteur déterminant dans l’examen du premier volet de l’analyse établie dans l’affaire Borowski. L’instance de 2003 citée par le demandeur, Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 795, bien que pertinente, a été supplantée par les causes plus récentes. J’estime que la présente demande est théorique et j’aborde maintenant le deuxième volet afin de décider si je dois entendre la demande sur le fond.

[21]  Le demandeur fait valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre et déterminer le bien-fondé de cette demande. Afin de décider si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire, j’ai examiné les causes impliquant une ERAR ou l’alinéa 115(2)a) citées dans le présent jugement et dans lesquelles les tribunaux ont conclu au caractère théorique malgré que certains demandeurs aient pu remettre en question l’évaluation des risques effectuée dans leur cas. J’ai lu la décision du délégué du ministre de façon rigoureuse et je n’ai rien trouvé d’exceptionnel dans la décision qui pourrait justifier l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Aucune observation au dossier ou de la part du demandeur ne suggère que les mesures prises par le défendeur dans le cadre du processus de renvoi aient été prises autrement que dans le seul but de s’affranchir en bonne et due forme de ses obligations en application de la LIPR.

[22]  Le demandeur a invoqué le fait que notre Cour a refusé de surseoir au renvoi du demandeur et que le même juge de la Cour a accordé l’autorisation d’introduire la présente demande. Le demandeur fait valoir que la Cour, ce faisant, a jugé que la décision posait problème au point de justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Je ne suis pas de cet avis. Le libellé de l’ordonnance refusant de surseoir au renvoi stipule expressément que, pour les fins de la requête en sursis [traduction] « la Cour procédera sans statuer sur l’existence d’une question sérieuse ».

[23]  Le demandeur a également renvoyé la Cour au guide opérationnel ENF 28 (ENF 28) publié par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Il soutient que le chapitre 7.16 de l’ENF 28 suggère que les demandes de réexamen d’un avis de danger au titre de l’alinéa 115(2)a) ne seront pas suspendues malgré le renvoi de l’individu en question. À mon avis, le libellé du chapitre n’étaye pas clairement la position du demandeur.

[24]  Je comprends la préoccupation du demandeur. Il a obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision devant notre Cour. Entre-temps, le ministre, conformément aux obligations légales que lui imposent la LIPR, a procédé au renvoi du demandeur au Sri Lanka, la question précisément en litige entre les parties. J’estime cependant que les circonstances de l’espèce ne justifient pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Il ne subsiste aucun rapport contradictoire. La question en litige entre les parties, à savoir le renvoi du demandeur, ne tient plus. L’affaire ne soulève pas de questions juridiques d’importance générale qui justifierait de perdre de vue le principe de l’économie judiciaire. Enfin, la Cour ne peut accorder aucune réparation pratique (réexamen de l’évaluation des risques) parce que le demandeur a été renvoyé. À mon avis, il n’y a pas de circonstances particulières qui distinguent la présente affaire des causes mettant en jeu l’alinéa 115(2)a) dont notre Cour et la Cour d’appel ont refusé d’examiner le bien-fondé en raison de leur caractère théorique.

IV.  Conclusion

[25]  En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. En outre, il n’y a pas de circonstances justifiant l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire d’entendre le bien-fondé de la demande. En conséquence, la demande est rejetée.

[26]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune question grave de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5239-17

LA COUR STATUE QUE la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Elizabeth Walker »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5239-17

 

INTITULÉ :

SEEVARATNAM MURUGAMOORTHY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE :

XXXX

 

COMPARUTIONS :

Robert Isreal Blanshay

 

Pour le demandeur

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blanshay Law

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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