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Date : 20180705


Dossier : IMM-5018-17

Référence : 2018 CF 691

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

VERONIKA HAVLIKOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Veronika Havlikova, une citoyenne canadienne, demande le contrôle judiciaire du rejet de la demande de parrainage de son époux, Pavel Istok. M. Istok a admis dans sa demande de résidence permanente au bureau des visas de Vienne (bureau des visas) avoir été reconnu coupable d’un certain nombre d’infractions en République tchèque, mais a soutenu qu’il n’était toutefois pas interdit de territoire au Canada, conformément à l’alinéa 36(3)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), en raison de la radiation de son casier judiciaire en République tchèque. Par ailleurs, il a fait valoir qu’il devrait être exempté pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent des visas (agent) n’est pas d’accord avec M. Istok sur les deux points et a rejeté sa demande. Mme Havlikova demande l’annulation de la décision, mais je ne suis pas convaincu que je doive le faire pour les raisons suivantes.

II.  Contexte

[2]  M. Istok est un citoyen de la République tchèque d’origine ethnique rome qui est arrivé au Canada en 2007. Mme Havlikova est arrivée au Canada en 1997 en provenance de la République tchèque. Elle a obtenu le statut de réfugiée au Canada sur le fondement de son ethnie rome et a par la suite obtenu sa citoyenneté canadienne. Le couple s’est marié en avril 2010 et, plus tard cette année-là, a eu une fille qui est également une citoyenne canadienne.

[3]  M. Istok a soumis une demande d’asile qui a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 7 mars 2012. La SPR a déterminé que M. Istok était exclu de la définition de réfugié, conformément à l’article 98 de la LIPR et l’alinéa F b) de l’article premier de la Convention, car elle avait des raisons sérieuses de croire qu’il avait commis des crimes de droit commun en République tchèque.

[4]  En octobre 2012, Mme Havlikova a parrainé la demande de résidence permanente de M. Istok avec l’aide d’un consultant en immigration. Toutefois, cette demande a été rejetée en février 2014 au motif que M. Istok était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité.

[5]  Au cours de 2014, M. Istok a fait une demande de radiation de ses condamnations pénales en République tchèque. Un certificat de la Cour de comté de Bruntal, daté du 3 novembre 2014, a radié les condamnations.

[6]  En août 2015, M. Istok a présenté une seconde demande de visa de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial, parrainée par Mme Havlikova. Cette demande a encore une fois été préparée par un consultant en immigration.

[7]  M. Istok a reçu une lettre du bureau des visas datée du 23 décembre 2015 lui demandant de fournir, entre autres, une copie de tous les jugements contre lui, accompagnée de la décision de réhabilitation (radiation). Le consultant en immigration de M. Istok a répondu à la lettre le 25 janvier 2016, présentant les arguments suivants quant à la réhabilitation de M. Istok : [traduction]

Je soutiens que M. Pavel Istok a présenté une demande de réhabilitation le 3 avril 2014 (veuillez voir les pièces jointes) et sa réhabilitation lui a été accordée par le gouvernement de la République tchèque, qui est une démocratie parlementaire fonctionnelle dans le cadre de laquelle se tiennent des élections libres et régulières. Comme il a été gracié par le gouvernement de la République tchèque, toutes ses condamnations ont été radiées de la banque de données de la police. J’affirmerais que M. Pavel Istok n’est plus interdit de territoire au Canada []

[8]  Un rappel a été envoyé à M. Istok en mars 2016 lui demandant tous les jugements rendus contre lui. Le 14 avril 2016, le représentant de M. Istok a fourni au bureau des visas d’autres documents concernant la radiation de ses condamnations en République tchèque.

[9]  Le 1er août 2016, le bureau des visas a rédigé une lettre relative à l’équité procédurale à l’attention de M. Istok, l’avisant que, comme il n’avait pas fourni une copie de tous les jugements concernant ses infractions, une évaluation préliminaire a établi que sa radiation en République tchèque ne devrait pas être reconnue au Canada, exposant les détails en ces termes :

[traduction] J’ai pris en compte le fait que vous ne devriez pas être interdit de territoire étant donné que votre casier a été radié en 2014, conformément à l’alinéa 36(3)c) de la Loi. Cependant, après consultation de l’alinéa 105(1)c) du Code criminel de la République tchèque (le nouveau code, que j’ai trouvé en ligne en anglais [...]) en vertu duquel votre casier a été radié, je ne suis pas convaincu que ce processus équivaille à une suspension de casier au Canada. Notamment, je ne suis pas convaincu que le retrait automatique des convictions fondé sur le laps de temps écoulé et l’inexistence d’autres infractions criminelles soit semblable au processus de suspension de casier tel qu’il existe au Canada.

[10]  M. Isoka a alors retenu les services de son avocat actuel, qui a répondu en soumettant d’autres informations et documents le 29 septembre 2016. Le couple et les enfants de leurs relations antérieures vivent ensemble comme une famille au Royaume-Uni.

[11]  La demande de M. Istok a finalement été rejetée. La décision faisant l’objet du contrôle (décision) porte à la fois sur la lettre du bureau des visas en date du 16 février 2017, avisant M. Istok du rejet de sa demande, ainsi que sur les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), écrites entre août 2015 et février 2017. Mme Havlikova sollicite le contrôle judiciaire de la décision en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

III.  Analyse

[12]  Mme Havlikova soulève deux questions, que j’examinerai à tour de rôle. D’abord, elle soutient que l’agent a commis des erreurs de fait et de droit susceptibles d’examen dans l’analyse de l’alinéa 36(3)b) de la LIPR et que les motifs de la décision sur ce point sont inadéquats. Ensuite, Mme Havlikova allègue que l’agent a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’intérêt de son enfant née au Canada.

A.  L’analyse par l’agent de la radiation étrangère de M. Istok

(1)  Norme de contrôle

[13]  Mme Havlikova a fait valoir dans son mémoire que l’agent a commis une erreur de fait en considérant la preuve et, en conséquence, a commis une erreur de droit en n’appliquant pas l’alinéa 36(3)b) de la LIPR qui l’aurait empêché de conclure que M. Istok était interdit de territoire. Mme Havlikova allègue par ailleurs que l’agent a commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs éclairants ou convaincants.

[14]  D’autre part, le défendeur s’est appuyé sur S.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 515 [SA], pour soutenir son point de vue selon lequel une norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse d’un agent, conformément à l’alinéa 36(3)b) de la LIPR. Bien que SA précède Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la jurisprudence établie après Dunsmuir appuie également un examen selon la norme de la décision raisonnable : Asad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 141 [Asad]). Dans l’arrêt Asad, la Cour d’appel fédérale a noté que les conclusions au sujet du droit étranger tirées par les décideurs administratifs sont traitées comme des questions de fait, appliquant une « une grande retenue » à l’examen selon la norme de la décision raisonnable (au paragraphe 16). Bien que l’arrêt Asad portait sur l’interprétation de lois étrangères différentes de celles de l’affaire dont je suis saisi, ses principes concernant l’examen selon la norme de la décision raisonnable s’appliquent :

[25]  [...] on ne peut qu’admettre que l’agent en poste à l’étranger aura acquis une grande expertise dans le domaine ainsi que dans l’appréciation du droit étranger. Ici, l’interprétation des faits et la connaissance spécialisée dominent. Je n’ai donc aucune difficulté à conclure que, dans ce domaine, l’agent possède une plus grande expertise que les juges. Là encore, ce facteur milite en faveur de la retenue et, par conséquent, de la norme de la décision raisonnable.

[15]  De plus, je ne suis pas d’accord avec le point de vue initial de Mme Havlikova selon lequel la non-application par l’agent de l’alinéa 36(3)b) de la LIPR soulève une erreur de droit. Comme je l’explique plus en détail ci-dessous, l’agent a établi le critère correct à trois volets régissant l’analyse, comme l’établit la CAF dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, référence à l’autorisation de pourvoi [2001] C.S.C.R. no 622 (QL) [Saini]. L’application par l’agent du critère juridique aux faits est une question mixte de fait et de droit susceptible d’examen selon la norme de la décision raisonnable (Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, au paragraphe 12, citant Dunsmuir, au paragraphe 53). [traduction] L’examen selon la norme de la décision raisonnable s’applique également à l’interprétation par les agents des dispositions pertinentes de la LIPR, à leur loi constitutive (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, aux paragraphes 27 et 28).

[16]  Enfin, Mme Havlikova a tort en affirmant dans son mémoire que le caractère adéquat des motifs de l’agent soulève une question de droit. Le caractère adéquat des motifs ne permet pas à lui seul de casser une décision, mais il est plutôt inclus dans l’analyse du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble (Cetinkaya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 22). Les motifs résisteront à un examen approfondi s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 16 [Newfoundland Nurses]).

[17]  Par conséquent, les conclusions de l’agent concernant la loi de la République tchèque, l’application du critère dans Saini à ces conclusions, la détermination ultime selon laquelle l’alinéa 36(3)b) de la LIPR n’empêche pas l’interdiction de territoire de M. Istok et les motifs soumis pour cette conclusion sont tous assujettis à un examen selon la norme de la décision raisonnable : [traduction] Je dois être convaincu que la décision est justifiée, transparente et intelligible [...] et qu’elle entre dans la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir, au paragraphe 47).

(2)  Cadre législatif

[18]  Avant d’examiner le caractère raisonnable de l’analyse de l’agent, je voudrais d’abord exposer le cadre législatif de gouvernance. En résumé, l’alinéa 36(3)b) de la LIPR stipule qu’en cas de « grande criminalité », l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction pour laquelle une suspension du casier a été accordée en application de la Loi sur le casier judiciaire, LRC, 1985, c C-47. Cependant, notre jurisprudence a également établi qu’une réhabilitation accordée à l’étranger à l’égard d’infractions commises à l’extérieur du Canada peut être reconnue comme si elle avait été accordée au Canada aux fins de l’alinéa 36(3)b), où le critère à trois volets dans Saini est respecté, comme il est expliqué plus en détail ci-dessous.

[19]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont rédigées comme suit :

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

[…]

[…]

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[…]

[…]

Application

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

[…]

[…]

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

 

(b) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on a conviction in respect of which a record suspension has been ordered and has not been revoked or ceased to have effect under the Criminal Records Act, or in respect of which there has been a final determination of an acquittal…

[20]  Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le casier judiciaire établit qu’une [...] personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale peut présenter une demande de suspension du casier à la Commission à l’égard de ce délit [...] Toutefois, le paragraphe 4(1) empêche une personne de [...] présenter une demande de suspension du casier avant [...] qu’une période de cinq à dix ans se soit écoulée à la suite de l’échéance d’une peine imposée pour l’infraction, c’est-à-dire :

Restrictions relatives aux demandes de suspension du casier

Restrictions on application for record suspension

4 (1) Nul n’est admissible à présenter une demande de suspension du casier avant que la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende, énoncée ci-après ne soit écoulée :

4 (1) A person is ineligible to apply for a record suspension until the following period has elapsed after the expiration according to law of any sentence, including a sentence of imprisonment, a period of probation and the payment of any fine, imposed for an offence:

a) dix ans pour l’infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation ou qui est une infraction d’ordre militaire en cas de condamnation à une amende de plus de cinq mille dollars, à une peine de détention de plus de six mois, à la destitution du service de Sa Majesté, à l’emprisonnement de plus de six mois ou à une peine plus lourde que l’emprisonnement pour moins de deux ans selon l’échelle des peines établie au paragraphe 139(1) de la Loi sur la défense nationale;

(a) 10 years, in the case of an offence that is prosecuted by indictment or is a service offence for which the offender was punished by a fine of more than five thousand dollars, detention for more than six months, dismissal from Her Majesty’s service, imprisonment for more than six months or a punishment that is greater than imprisonment for less than two years in the scale of punishments set out in subsection 139(1) of the National Defence Act; or

b) cinq ans pour l’infraction qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou qui est une infraction d’ordre militaire autre que celle visée à l’alinéa a).

(b) five years, in the case of an offence that is punishable on summary conviction or is a service offence other than a service offence referred to in paragraph (a).

[21]  Le paragraphe 4.1(1) énumère les circonstances dans lesquelles la Commission des libérations conditionnelles peut ordonner la suspension du casier :

Suspension du casier

Record suspension

4.1 (1) La Commission peut ordonner que le casier judiciaire du demandeur soit suspendu à l’égard d’une infraction lorsqu’elle est convaincue :

4.1 (1) The Board may order that an applicant’s record in respect of an offence be suspended if the Board is satisfied that

a) que le demandeur s’est bien conduit pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) et qu’aucune condamnation, au titre d’une loi du Parlement, n’est intervenue pendant cette période;

(a) the applicant, during the applicable period referred to in subsection 4(1), has been of good conduct and has not been convicted of an offence under an Act of Parliament; and

b) dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), que le fait d’ordonner à ce moment la suspension du casier apporterait au demandeur un bénéfice mesurable, soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

(b) in the case of an offence referred to in paragraph 4(1)(a), ordering the record suspension at that time would provide a measurable benefit to the applicant, would sustain his or her rehabilitation in society as a law-abiding citizen and would not bring the administration of justice into disrepute.

Fardeau du demandeur

Onus on applicant

(2) Dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), le demandeur a le fardeau de convaincre la Commission que la suspension du casier lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société.

(2) In the case of an offence referred to in paragraph 4(1)(a), the applicant has the onus of satisfying the Board that the record suspension would provide a measurable benefit to the applicant and would sustain his or her rehabilitation in society as a law-abiding citizen.

Critères

Factors

(3) Afin de déterminer si le fait d’ordonner la suspension du casier serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, la Commission peut tenir compte des critères suivants :

(3) In determining whether ordering the record suspension would bring the administration of justice into disrepute, the Board may consider

a) la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la durée de sa perpétration;

(a) the nature, gravity and duration of the offence;

b) les circonstances entourant la perpétration de l’infraction;

(b) the circumstances surrounding the commission of the offence;

c) les renseignements concernant les antécédents criminels du demandeur et, dans le cas d’une infraction d’ordre militaire, concernant ses antécédents à l’égard d’infractions d’ordre militaire qui sont pertinents au regard de la demande;

(c) information relating to the applicant’s criminal history and, in the case of a service offence, to any service offence history of the applicant that is relevant to the application; and

d) tout critère prévu par règlement.

(d) any factor that is prescribed by regulation.

[22]  Comme il est mentionné précédemment, le critère qui gouverne maintenant les analyses au titre de l’alinéa 36(3)b) de la LIPR a été établi dans Saini, dans lequel [l]’intimé est un citoyen de l’Inde qui a été déclaré coupable au Pakistan du détournement d’un avion de ligne indien. Il a purgé une peine d’emprisonnement de dix ans, puis il est venu au Canada. Une ordonnance d’expulsion le visant a été rendue, après quoi le demandeur a demandé une réhabilitation au gouvernement pakistanais qui lui a été accordée.

[23]  Dans Saini, la CAF a précisé qu’il faut procéder en deux étapes pour déterminer si une réhabilitation accordée à l’étranger devrait être reconnue au Canada pour les demandeurs qui seraient autrement interdits de territoire en vertu des lois régissant l’immigration au Canada.

[24]  Tout d’abord, le décideur doit examiner les conséquences d’une réhabilitation accordée à l’étranger dans le pays où elle a été accordée. Le demandeur doit prouver à la satisfaction du décideur que le contenu du droit étranger est une question de fait (Saini, au paragraphe 26).

[25]  Ensuite, le décideur doit déterminer si la réhabilitation accordée à l’étranger devrait être traitée comme une suspension du casier canadien (auparavant appelée un pardon) pour préserver un demandeur qui serait autrement interdit de territoire. Pour faire cette détermination, la CAF énumère un critère à trois volets : 1) le système juridique du pays étranger doit, dans son ensemble, être essentiellement similaire à celui du Canada; 2) l’objet, le contenu et les effets du texte de loi étranger en question doivent être semblables au droit canadien; 3) il ne doit exister aucune raison valable de ne pas reconnaître l’effet du droit étranger (Saini, au paragraphe 28).

[26]  En ce qui concerne le premier critère de Saini, la CAF soutient que « [...] les deux systèmes juridiques reposent sur des fondements analogues et partagent des valeurs semblables » (Saini, au paragraphe 29, citant Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Burgon [1991] 3 CF 44 (Cour fédérale du Canada – Section d’appel), au paragraphe 39). Les systèmes juridiques n’ont pas besoin d’être identiques, mais « [i]l doit toutefois exister une forte ressemblance entre les deux systèmes sur le plan de leur structure, de leur histoire, de leur philosophie et de leur application avant que la loi étrangère soit reconnue dans ce contexte. » (Saini, au paragraphe 29). De plus, le demandeur doit normalement prouver la similitude au moyen d’éléments de preuve (Saini, aux paragraphes 30 et 45). Par ailleurs, les éléments de preuve doivent également être invoqués pour démontrer la deuxième exigence – en l’espèce, une similitude entre l’objet, le contenu et l’effet des dispositions législatives précises faisant l’objet d’une comparaison (Saini, aux paragraphes 31 à 40). Au titre de la troisième exigence selon laquelle il ne doit exister aucune raison valable de ne pas reconnaître la réhabilitation accordée à l’étranger, la CAF a indiqué que :

[41]  [...] les non-citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer. Je tiens à souligner que le droit de l’immigration canadien ne saurait être assujetti aux lois d’un autre pays, même lorsque les lois de ce pays étranger sont analogues aux nôtres. Il existe malgré tout des situations dans lesquelles, en droit de l’immigration canadien, il faut refuser de reconnaître les lois d’un pays étranger qui ressemblent fortement aux nôtres.

[…]

[47]  [...] Les réhabilitations accordées à l’étranger ne devraient être reconnues que dans de rares cas [...] où il serait injuste de ne pas donner effet aux lois semblables d’un pays semblable qui accordent un pardon absolu aux individus pour les crimes qu’ils ont commis. Le troisième volet du critère garantit que, s’il existe une raison valable de refuser de reconnaître une réhabilitation accordée à l’étranger, le candidat à l’immigration peut et doit toujours être considéré comme ayant été « reconnu coupable » [...]

En particulier, la CAF a reconnu que la « gravité de l’infraction » devrait être considérée comme un facteur du troisième volet du critère (Saini, au paragraphe 44).

[27]  La question de savoir si une réhabilitation accordée à l’étranger devrait être reconnue pour empêcher l’application des alinéas 36(1)b) ou c) de la LIPR est rarement citée devant cette cour. Elle a été examinée dans Sicuro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 461 [Sicuro], Magtibay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 397 et SA, susmentionné dans mon analyse de la norme de contrôle. Ces trois affaires diffèrent quant aux faits de l’affaire dont je suis saisi. Cependant, il convient de souligner que, dans Sicuro, le juge Mosley a soutenu, en se fondant sur Saini, qu’il n’y a  « pas de droit automatique ni de droit absolu » pour qu’une réhabilitation accordée à l’étranger soit reconnue comme une réhabilitation canadienne (au paragraphe 28).

(3)  Analyse faisant l’objet du contrôle

[28]  Comme il ressort clairement des notes du SMGC et de la lettre relative à l’équité procédurale du 1er août 2016, l’agent a effectué un examen préliminaire de la demande de M. Istok en août 2016, constatant qu’il semblait y avoir des motifs raisonnables de croire que M. Istok était interdit de territoire au Canada aux termes des alinéas 36(1)b) ou 36(2)b) de la LIPR. L’agent a ensuite examiné les trois facteurs dans Saini.

[29]  En ce qui concerne la première exigence dans Saini, l’agent a reconnu que la République tchèque est une démocratie, précisant toutefois qu’elle a été classée au 37e rang selon l’« Index des perceptions de la corruption » publié par Transparency International, alors que le Canada était classé au 9e rang. Bien que l’agent ait reconnu que l’index mesure des facteurs qui excédent ceux du système judiciaire de la République tchèque, l’agent a également constaté qu’il y avait des différences importantes entre l’efficience et l’efficacité des systèmes judiciaires des deux pays.

[30]  Conformément à la deuxième exigence dans Saini, l’agent a alors pris en compte l’objet, le contenu et l’effet des dispositions pertinentes du Code criminel tchèque, à savoir : [traduction]

CHAPITRE VI

RADIATION DES CONDAMNATIONS

Article 105 Conditions de radiation

(1) La Cour doit radier une condamnation si, après l’exécution ou la renonciation de la peine ou après l’échéance du délai de prescription de l’exécution de la peine, le condamné a mené une vie honnête sans interruption pendant au moins

a) quinze ans, en cas de condamnation à une peine exceptionnelle,

b) dix ans, en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’au plus cinq ans,

c) cinq ans, en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’au plus un an,

d) trois ans, en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’au plus un an ou à une peine de bannissement,

e) un an, en cas de condamnation à une peine de confinement à domicile, de confiscation de biens, de confiscation d’une chose ou d’autres valeurs liquidatives, d’interdiction de séjour, d’interdiction de participer à des événements sportifs, culturels et autres événements sociaux, ou d’amendes pour une infraction criminelle volontaire.

[…]

(3) Si le condamné a fait preuve, après exécution ou renonciation de la peine ou après que le délai de prescription de l’exécution de la peine soit échu, par son très bon comportement, qu’il a été corrigé, la Cour peut, conformément aux intérêts protégés par le Code criminel, radier la condamnation à la demande du condamné ou d’une personne autorisée à offrir une garantie selon laquelle elle complétera la correction du condamné, également avant que soit échue la période stipulée au paragraphe 1.

[…]

(5) Si d’autres peines ont été imposées en parallèle à un contrevenant, la condamnation ne peut être radiée, sauf si la période de radiation de la peine pour laquelle le Code criminel établit la période la plus longue pour la radiation est échue.

[…]

Article 106 Effets de la radiation

Si une condamnation a été radiée, le contrevenant doit être considéré comme s’il n’avait jamais été condamné.

[Non souligné dans l’original]

[31]  L’agent a fait observer que, selon ces dispositions, un tribunal de la République tchèque ne pourrait pas refuser de radier une condamnation, et ce, si la période précisée est échue et le demandeur n’a fait l’objet d’aucune autre condamnation, en raison du mot « doit » au paragraphe 105(1).

[32]  L’agent a ensuite examiné le document de la Cour de Bruntal daté du 3 novembre 2014, radiant les condamnations de M. Istok, et a fait remarquer que la Cour a pris uniquement en compte a) l’écoulement de cinq années, b) le fait que M. Istok avait été condamné d’aucune autre infraction au cours de ces années, c) un rapport de police daté du 13 octobre 2014 indiquant que M. Istok n’avait pas de casier en lien avec une activité criminelle. L’agent a conclu que la Cour de Bruntal n’a eu d’autre choix que de radier les condamnations de M. Istok, puisque les conditions de l’alinéa 105(1)c) étaient satisfaites.

[33]  L’agent a comparé l’alinéa 105(1)c) du Code criminel tchèque aux dispositions de suspension du casier de la Loi sur le casier judiciaire. L’agent a consulté le Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des membres de la Commission des libérations conditionnelles, soulignant que les membres ont pris en compte de multiples facteurs quant à la « bonne conduite » dont il est question à l’alinéa 4.1(1)a) de la Loi sur le casier judiciaire.

[34]  De plus, l’agent a fait valoir que l’analyse d’un membre de la Commission des libérations conditionnelles, effectuée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, ne se limitait pas à évaluer la « bonne conduite », mais aussi le « bénéfice mesurable » de la suspension du casier, la réhabilitation du demandeur, et si l’accord d’une suspension de casier risquerait de discréditer l’administration de la justice. Chose importante, l’agent a conclu que la Commission des libérations conditionnelles peut refuser d’accorder une suspension du casier, même si la période précisée est arrivée à échéance et le demandeur n’a été condamné d’aucune autre infraction, et qu’une suspension du casier peut être révoquée. Selon l’agent, tous ces points diffèrent considérablement des considérations de radiation de la Cour de Bruntal dans l’affaire de M. Istok.

[35]  En conséquence, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables pour ne pas reconnaître la radiation tchèque des infractions aux termes des lois canadiennes. Cependant, pour assurer une plus grande équité, l’agent a décidé de demander des informations à M. Istok. Après avoir examiné les informations et documents de M. Istok, l’agent a repris l’analyse de sa demande, entreprenant une analyse plus approfondie des condamnations de M. Istok en République tchèque qu’il est inutile de résumer aux présentes puisqu’elles ne sont pas contestées. Je me contenterai de dire que, conformément aux notes du SMGC, M. Istok a été condamné à un minimum de huit infractions pénales en République tchèque, dont cinq étaient des infractions équivalentes aux fins des dispositions de la LIPR en cas de « grande criminalité », et que sa peine d’emprisonnement était, au total, d’une durée d’environ cinq ans.

[36]  En examinant si la radiation tchèque des condamnations de M. Istok devrait être reconnue au Canada, l’agent s’est penché en premier lieu sur des éléments de preuve précis soumis par M. Istok, et a conclu que ses documents ne répondaient pas aux préoccupations soulevées précédemment. L’agent a confirmé la conclusion précédente, selon laquelle un tribunal tchèque doit radier une condamnation pénale si les conditions de l’alinéa 105(1)c) du Code criminel sont respectées, ce qui est un processus très différent de celui de nature hautement discrétionnaire qui a été entrepris par la Commission des libérations conditionnelles en vertu de la Loi sur le casier judiciaire pour décider s’il doit accorder une suspension de casier. L’agent fait également valoir que les dispositions de la Loi sur le casier judiciaire sont plus sévères que celles du Code criminel tchèque, puisque la Loi sur le casier judiciaire permet deux types de délais – cinq ou dix ans – incluant l’acte d’accusation donnant lieu à une période d’attente de dix ans. De plus, l’agent a souligné que certaines infractions dans le régime du Canada sont totalement inadmissibles dans le cas d’une suspension du casier.

[37]  Pour préciser cette distinction, l’agent a attiré l’attention sur le Manuel des politiques décisionnelles, lequel amène la Commission des libérations conditionnelles à prendre en compte de nombreux facteurs au moment de décider si elle doit accorder une suspension du casier. Par opposition, le document de la Cour de Bruntal, qui est court et ne comprend qu’une page d’analyse, n’a pas démontré la même « rigueur » que celle à laquelle on pourrait s’attendre d’une Commission des libérations conditionnelles. Ainsi, l’agent a conclu que le deuxième facteur dans Saini n’a pas été satisfait dans les faits de la demande de M. Istok.

[38]  En ce qui concerne le dernier facteur dans Saini – c’est-à-dire s’il existe une raison valable de ne pas reconnaître une réhabilitation accordée à l’étranger – l’agent fait observer que la sévérité de l’historique criminel de M. Istok constituait une raison valable de ne pas reconnaître sa radiation. L’agent a souligné que certains des jugements à l’égard de ses condamnations désignait un manque de remords, et que ses longs séjours en prison n’ont pas semblé avoir réduit son risque de récidive. L’agent a par ailleurs souligné que, selon les faits de cette affaire, M. Istok ne serait pas en mesure de convaincre le Ministre de sa réhabilitation, conformément à l’alinéa 36(3)c) de la LIPR, et qu’il existait des motifs de mettre en doute qu’il aurait pu recevoir une suspension du casier au Canada.

(4)  Le caractère raisonnable de l’analyse de l’agent

[39]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Havlikova a allégué que, en République tchèque, une condamnation n’est pas « automatiquement » radiée après un laps de temps écoulé et en l’absence d’autres condamnations pénales. Mme Havlikova renvoie au paragraphe 105(1) du Code criminel tchèque, dans lequel il est précisé qu’un tribunal tchèque « doit radier une condamnation si […] le condamné a mené une vie honnête sans interruption […] (sic) » au cours des périodes précisées (cinq ans dans l’affaire de M. Istok), et au paragraphe 105(3), lequel indique ce qui suit :

Si le condamné a fait preuve, après exécution ou renonciation de la peine ou après que le délai de prescription de l’exécution de la peine soit échu, par son très bon comportement, qu’il a été corrigé, la Cour peut, conformément aux intérêts protégés par le Code criminel, radier la condamnation à la demande du condamné ou d’une personne autorisée à offrir une garantie selon laquelle elle complétera la correction du condamné, également avant que soit échue la période stipulée au paragraphe 1.

[40]  Ainsi, Mme Havlikova allègue que le libellé du paragraphe 105(3) explique clairement que le Code criminel tchèque « exige beaucoup plus que le simple écoulement d’un laps de temps et le non-récidivisme » pour qu’un casier judiciaire soit radié.

[41]  Mme Havlikova a présenté ce même argument à l’agent, qu’il a examiné, concluant que le paragraphe 105(3) renvoie aux situations dans lesquelles un individu aimerait que ses condamnations soient radiées avant les délais précisés au paragraphe 105(1). L’agent a fait observer qu’il était ainsi compréhensible qu’un comportement particulièrement exemplaire soit exigé en application du paragraphe 105(3), étant donné que l’individu chercherait à persuader la Cour que la radiation était justifiée avant que soit échu le laps de temps normal.

[42]  Je suis entièrement d’accord avec l’analyse de l’agent. Comme il n’y a aucune indication dans le casier selon laquelle M. Istok a demandé une radiation en application du paragraphe 105(3) du Code criminel tchèque, cette disposition ne l’aide aucunement dans l’examen visant à déterminer si sa radiation devrait être reconnue au Canada.

[43]  Mme Havlikova renvoie cette cour à deux éléments de preuve qui ont été présentés à l’agent. Le premier est l’extrait suivant d’un document daté de 2011 et rédigé par l’Institute of Criminology and Social Prevention (Institut de criminologie et de prévention sociale) qui, selon Mme Havlikova, est une division du ministère de la Justice tchèque, intitulé « Criminal Justice System in the Czech Republic » (Le système de justice pénale en République tchèque) :

Une Cour peut absoudre un contrevenant s’il a enfreint la loi (přečin), ce qu’il regrette, et s’il démontre de façon convaincante un effort de s’amender et, si, quant à la nature et au sérieux de la transgression et au comportement antérieur du contrevenant, on peut raisonnablement s’attendre à ce que la simple audience de l’affaire devant une Cour suffira à sa réforme de même qu’à la protection de la société.

[44]  L’agent a particulièrement examiné cet extrait dans les notes du SMGC et a constaté qu’il n’a aucune incidence sur l’analyse. Je suis d’accord. Cela apparaît clairement à la lecture de cet extrait dans le contexte qu’il se rattache aux articles 46 et 47 du Code criminel tchèque, ce qui permet à une Cour de renoncer à une peine avec ou sans condition. Dans les notes du SMGC, l’agent a comparé le contenu à des libérations conditionnelles et non conditionnelles des lois pénales canadiennes. Autrement dit, cet extrait ne correspond pas aux propositions de Mme Havlikova, et n’a aucun lien avec la situation de son époux, car il n’a pas été absous.

[45]  Voici les prochains extraits de Mme Havlikova provenant d’une opinion juridique préparée par la société d’immigration tchèque Grobelny & Skripsky :

Si, après avoir purgé sa peine [...], le condamné prouve par son bon comportement qu’il est réhabilité, la Cour peut, aux termes du paragraphe 105(3) du Code criminel, tout en prenant en compte les intérêts protégés par le Code criminel, radier la condamnation à la demande du condamné [...]

[46]  Les auteurs se rapportent au paragraphe 105(3) du Code criminel tchèque, et l’agent a adéquatement décidé que cette disposition ne s’appliquait pas et ne s’applique pas à M. Istok. En fait, à la fin du paragraphe des extraits de Mme Havlikova, les auteurs de cette opinion juridique confirment le point de vue adopté par l’agent – c’est-à-dire qu’une Cour tchèque doit radier une condamnation en application du paragraphe 105(1) [situation qui s’applique à M. Istok] si les conditions de cette disposition sont respectées. Les auteurs affirment ce qui suit dans leur opinion : [traduction]

[...] à la demande du condamné ou d’une personne autorisée à offrir une garantie selon laquelle elle complétera la réhabilitation du condamné, même avant que soit échue la période stipulée. La Cour doit agir ainsi de façon sélective seulement, par comparaison avec les situations où toutes les conditions ci-dessus sont satisfaites, et que, à la demande du condamné, la Cour est obligée de radier la condamnation.

[Non souligné dans l’original.]

[47]  L’agent a tenu compte de l’opinion juridique de Grobelny & Skripsky. En plus de souligner qu’elle n’était pas datée et ne fournissait aucune comparaison entre les systèmes canadien et tchèque, l’agent a conclu que l’opinion juridique ne contredisait pas la comparaison des deux systèmes effectuée par l’agent. Je suis d’accord.

[48]  Enfin, bien que cet argument n’ait pas été soulevé devant l’agent dans les divers documents écrits de M. Istok, ni dans les documents écrits présentés à cette cour, l’avocat de Mme Havlikova a déclaré à l’audience que l’utilisation du mot « également » au paragraphe 105(3) signifie que cette disposition doit être lue en association avec le paragraphe 105(1), de sorte que les régimes de réhabilitation du Canada et de la République tchèque sont en fait semblables.

[49]  D’abord, comme je l’ai mentionné, cet argument créatif n’a pas été adressé à l’agent. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec les allégations du défendeur lors de l’audience selon lesquelles l’utilisation du mot « également » au paragraphe 105(3) est probablement le résultat d’une traduction maladroite de la législation tchèque.

[50]  Par conséquent, je ne peux pas être d’accord avec l’argument de Mme Havlikova qui affirme qu’après examen de la preuve et des arguments présentés à l’agent, on constate que les « mêmes critères » sont utilisés à l’alinéa 105(1)c) du Code criminel tchèque pour accorder une radiation que ceux de la Loi sur le casier judiciaire du Canada. L’agent n’a pas non plus omis de tenir compte de l’importance de la preuve résumée ci-dessus en concluant que la radiation des condamnations en République tchèque ne devrait pas être reconnue au Canada aux fins de l’alinéa 36(3)b) de la LIPR.

[51]  En conséquence, je conclus que l’analyse de l’agent visant à déterminer si la radiation de M. Istok en République tchèque devrait être reconnue au Canada a été raisonnable.

[52]  Enfin, je constate que les parties ne s’entendaient pas lors de l’audience pour dire si les conclusions de l’agent se limitaient au deuxième volet du critère dans Saini, ou si elles étaient tirées des volets un et trois. Selon moi, ce débat n’est pas pertinent, car Saini décrit un critère conjonctif. Les conclusions claires de l’agent en application du deuxième volet du critère étaient raisonnables, et sont donc fatales dans l’affaire de M. Istok.

(5)  Le caractère adéquat des motifs de l’agent

[53]  Mme Havlikova a suggéré dans les documents écrits, sur lesquels elle s’est fondée au cours de l’audience, que l’agent n’a pas expliqué pour quelle raison le processus de radiation établi par la loi pénale tchèque ne ressemblait pas suffisamment au processus d’accord d’une suspension du casier établi par la Loi sur le casier judiciaire du Canada. Elle a soutenu que l’agent n’a pas fourni de motifs éclairants ou convaincants, dont les notes du SMGC, pour appuyer la conclusion.

[54]  Il s’agit d’un argument dénué de fondement. Comme il est décrit plus haut, les notes du SMGC de l’agent sont longues, détaillées et exhaustives. Le critère pertinent a été appliqué et chaque élément de preuve a été examiné de façon indépendante. Je conclus que la norme établie dans Dunsmuir, et ensuite clarifiée dans Newfoundland Nurses, a été amplement satisfaite – c’est-à-dire, les notes du SMGC sont intelligibles, justifiées et transparentes, et je peux comprendre les motifs, les explications et la logique de l’agent.

B.  Analyse des motifs d’ordre humanitaire par l’agent

(1)  Norme de contrôle

[55]  Mme Havlikova allègue que l’agent a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de son enfant née au Canada dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, je le répète, je ne suis pas convaincu que la question soulevée par Mme Havlikova justifie un examen selon la norme de la décision correcte, et son avocat a reconnu ce point de vue à l’audience (voir, de façon générale, Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]).

(2)  Analyse faisant l’objet du contrôle

[56]  Dans son argumentation devant l’agent, M. Istok a demandé d’être exempté des exigences habituelles de la LIPR en raison des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1). Se fondant sur Kanthasamy, M. Istok avance que l’analyse des motifs d’ordre humanitaire est axée sur une « évaluation des difficultés », et allègue qu’il était clairement dans l’intérêt supérieur de l’enfant du couple née au Canada que la famille réside au Canada. Il a indiqué dans ses allégations que Mme Havlikova avait le statut de réfugié au sens de la Convention de la République tchèque et que la famille vivait actuellement au Royaume-Uni, mais qu’elle avait de la difficulté à s’adapter à la vie là-bas en raison d’ [TRADUCTION] « importants préjugés à l’égard des étrangers en général et des gens d’origine rome en particulier ». M. Istok a fait allusion au référendum du « Brexit », et a suggéré que la question d’immigration avait joué un rôle important à cet égard.

[57]  Bien qu’il n’y ait pas fait allusion dans ses informations datées du 29 septembre 2015, M. Istok a également soumis une lettre au bureau des visas datée du 27 janvier 2015 du Dr R. M. Gorczynski, un médecin et enseignant dans les départements de la chirurgie et de l’immunologie à l’Université de Toronto et à l’Hôpital de Toronto. Le Dr Gorczynski a mentionné dans sa lettre qu’il était le médecin de Mme Havlikova depuis plus de deux ans, que la séparation entre Mme Havlikova et M. Istok causait à ses enfants et à elle-même un [traduction] « stress émotionnel important » et qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucun doute qu’il était dans l’intérêt supérieur de [la] famille de se retrouver réunie au Canada ».

[58]  L’analyse des motifs d’ordre humanitaire effectuée par l’agent est contenue dans les notes du SMGC. L’agent a commencé par résumer l’argumentation de M. Istok, y compris son allégation que la famille s’adaptait difficilement au Royaume-Uni. Cependant, l’agent a fait remarquer que M. Istok n’avait pas précisé le genre de difficultés auxquelles était confrontée la famille là-bas. L’agent a souligné l’absence de documents supplémentaires prouvant que la famille ne pouvait s’épanouir au Royaume-Uni, et a fait remarquer que ce pays ressemblait en de nombreux points au Canada. De même, l’agent a noté que M. Istok n’a fourni aucun élément de preuve que sa famille avait fait l’objet d’un traitement injuste au Royaume-Uni en raison de son ethnie rome.

[59]  En ce qui concerne le référendum du « Brexit », l’agent a estimé qu’il est inapproprié de supposer que la famille pourrait être forcée de quitter le Royaume-Uni, mais qu’une telle possibilité n’était pas imminente. L’agent a conclu que, à titre d’épouse d’un citoyen de l’Union européenne, Mme Havlikova pourrait résider avec M. Istok là-bas sans problème, et qu’il y avait au moins un autre pays, dont la langue parlée est principalement l’anglais, qui s’offre à eux s’ils devaient quitter le Royaume-Uni.

[60]  Finalement, l’agent a conclu que, même s’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de M. Istok de vivre avec ses deux parents, ce dernier n’avait pas démontré de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une exemption en vertu de la LIPR.

(3)  Le caractère raisonnable de l’analyse de l’agent

[61]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Havlikova soutient que l’agent avait traité de façon expéditive la demande de M. Istok en faveur d’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire, et qu’il ne s’était pas penché sur l’intérêt supérieur de l’enfant du couple née au Canada. Mme Havlikova allègue qu’il est clairement dans l’intérêt supérieur de sa fille que M. Istok réside avec la famille au Canada, soit le pays de nationalité de sa fille. Elle se fonde sur Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2003] 2 CF 555 (Cour fédérale du Canada – Section d’appel) [Hawthorne], dans laquelle le juge Décary soutient que « le non-renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant » (au paragraphe 5), et que l’agent doit décider « du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant » (au paragraphe 6).

[62]  Je suis convaincu que l’analyse des motifs d’ordre humanitaire résiste à un examen selon la norme du caractère raisonnable. Comme l’affirme le défendeur en l’espèce, « l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception » et « ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement » (Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 15 [Semana]). Je suis également d’accord avec le défendeur sur le fait que M. Istok a le fardeau de fournir suffisamment d’éléments de preuve afin d’établir que l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire est justifiée (Semana, au paragraphe 16). À la lumière des notes du SMGC, il apparaît clairement que chacun des arguments de M. Istok a été pris en considération de façon appropriée. Comme il est reconnu dans Hawthorne et dans d’autres affaires, l’intérêt supérieur de l’enfant favorisera habituellement un non-renvoi du Canada. En l’espèce, M. Istok n’a simplement pas fourni des éléments de preuve suffisants pour justifier une exemption pour motifs d’ordre humanitaire.

IV.  Conclusion

[63]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5018-17

LA COUR rend le JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5018-17

 

INTITULÉ :

VERONIKA HAVLIKOVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 juin 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Howard C. Gilbert

 

Pour la demanderesse

 

Ian Hicks

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard C. Gilbert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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