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Date : 20180709


Dossier : IMM-5608-17

Référence : 2018 CF 711

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2018

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

ADEBOLA DIANE HAASTRUP

GLORIA AYOMIDE ARUBUOLA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT :

[1]  La demanderesse principale, Adebola Diane Haastrup, et sa fille mineure (demanderesse mineure), sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR ou le commissaire) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR), datée du 14 novembre 2017, par laquelle ont été rejetées leurs demandes d’asile en qualité de réfugiées au sens de la Convention ou de personnes à protéger en application des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Par les motifs qui suivent, je conclus que la SPR a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité et de la possibilité de refuge intérieur (PRI) et, par conséquent, que cette demande doit être accueillie.

Résumé des faits

[3]  Les demanderesses sont des citoyennes du Nigéria. La demanderesse principale allègue avoir subi de la violence de la part de son conjoint de fait, qui est le père de la demanderesse mineure. Elle affirme également qu’après la naissance de leur fille, son conjoint lui a dit qu’il avait l’intention de faire subir à la demanderesse mineure des mutilations génitales féminines, conformément à la tradition de sa famille à lui. La demanderesse principale a exprimé son désaccord et, quand son mari lui a dit que la mutilation génitale féminine aurait lieu le 23 juin 2012, les demanderesses ont fui au Canada et ont présenté des demandes d’asile peu après leur arrivée. En tant que « demandeurs d’asile faisant partie des anciens cas », leurs demandes ayant été renvoyées à la CISR avant le 15 décembre 2012, elles n’ont pas droit d’en appeler de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (Mathos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1050).

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SPR a entendu la demande le 14 novembre 2017 et a immédiatement rendu une décision verbalement, ses motifs écrits ont suivi.

[5]  La SPR a cerné la crédibilité et la PRI comme les questions qu’elle avait à examiner. Elle a déclaré qu’elle était préoccupée par le témoignage de la demanderesse. Plus précisément, lors d’un entretien avec une psychologue, la demanderesse principale a prétendu que son conjoint avait menacé de la tuer et de tuer la demanderesse mineure; cette menace n’a cependant pas été consignée dans le récit de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La SPR a conclu que la demanderesse principale a embelli son histoire lorsqu’elle a rencontré la psychologue et lorsqu’elle a livré son témoignage devant la SPR, quand elle a été interrogée en lien avec la menace de mort alléguée. De plus, bien que l’allégation concernant l’intention du père de faire subir des mutilations génitales féminines à la demanderesse mineure fût corroborée par une déclaration sous serment d’une amie de la demanderesse principale, cet affidavit était fondé uniquement sur de l’information fournie par la demanderesse principale. La SPR lui a accordé peu de poids pour cette raison et a souligné, en revanche, qu’il n’y avait pas de corroboration de la part de la famille de la demanderesse principale appuyant son allégation voulant que sa famille ait décidé d’intervenir en son nom auprès de membres de sa belle-famille, leur demandant de ne pas exiger de mutilations génitales féminines. La SPR a conclu qu’elle aurait raisonnablement dû disposer de ces éléments de corroboration de la part de la famille de la demanderesse principale. La SPR a également noté que la demanderesse principale avait dit à la psychologue qu’elle avait été agressée par un oncle dans son enfance, mais cela a également été omis dans le récit de son FRP. La SPR a déclaré que l’allégation selon laquelle le conjoint de la demanderesse principale et sa famille avaient exigé que la demanderesse mineure subisse des mutilations génitales féminines soulevait des préoccupations relatives à la crédibilité.

[6]  Cependant, la SPR a conclu que même si l’allégation de la demanderesse principale à propos de la demande de son époux était vraie, les demanderesses avaient une PRI viable à Abuja ou à Port Harcourt. Compte tenu de leur distance de Lagos, de la taille de la PRI proposée, et de la preuve documentaire indiquant que le fait pour une femme de se réinstaller à l’intérieur du pays ne représenterait pas de difficultés indues et qu’elle pourrait échapper aux menaces localisées des membres de sa famille, la SPR a conclu que les demanderesses pourraient déménager sans que le conjoint ou sa famille soient en mesure de les retrouver.

[7]  La SPR a conclu que la proposition de PRI était raisonnable dans les circonstances. La demanderesse principale a 14 années de scolarité, de l’expérience de travail dans la vente de chaussures et de sacs à main, et l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les demanderesses continuent de jouir du soutien de leur famille, qui s’opposait à l’exigence de sa belle-famille de faire subir l’excision à la demanderesse mineure. Le coût élevé de la vie dans les centres urbains comme Abuja pourrait être atténué en vivant en périphérie dans des villages ruraux, ce qui serait beaucoup moins cher.

[8]  La SPR a déclaré qu’elle avait examiné tous les éléments de preuve, y compris le rapport psychologique, et a indiqué qu’elle avait des préoccupations quant à ce rapport. La SPR a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que les demanderesses risquent la persécution si elles retournaient au Nigéria et s’installaient dans l’une des PRI proposées. La SPR a donc conclu que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger et a rejeté leurs demandes.

Questions en litige et norme de contrôle

Les demanderesses ont cerné plusieurs questions litigieuses, mais à mon avis, elles se résument comme suit :

  1. Est-ce que l’évaluation de la crédibilité effectuée par la SPR était raisonnable?

  2. Est-ce que l’analyse de la PRI effectuée par la SPR était raisonnable?

[9]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité est la norme de la décision raisonnable; voir la décision Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (CAF), au paragraphe 4; Arslan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 252, au paragraphe 30; Aissa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156, au paragraphe 56). De même, le caractère raisonnable est la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la SPR relative à l’existence d’une PRI (Figueroa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au paragraphe 13; Kayumba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 138, au paragraphe 12).

Analyse

[10]  Les arguments des demanderesses sont longs et répétitifs, et ont une large portée. Plus important encore, ils sous-tendent que la SPR a fait fi des éléments de preuve contradictoires pertinents, soit le rapport de la Dre Vanessa Redditt, docteure en médecine, daté du 13 novembre 2017 (rapport Redditt). Entre autres, le rapport Redditt abordait la préoccupation de la SPR voulant que l’évaluation faite précédemment par la Dre J. Pilowsky, psychologue, datée du 12 septembre 2012 (rapport Pilowsky) conclue à l’existence du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) sur la seule foi d’une brève entrevue sans qu’aucun test de dépistage n’ait été effectué. De plus, la conclusion du rapport Redditt, selon laquelle la demanderesse principale souffrait de dépression grave, contredisait la conclusion de la SPR voulant que l’état psychologique de la demanderesse principale ne compromette pas sa pleine participation à l’audience. Le rapport Redditt aurait dû être pris en compte lors de l’évaluation de son témoignage, de sa demande d’asile, et dans l’application du deuxième volet du critère relatif à la PRI. Les demanderesses soutiennent également que la SPR a omis d’examiner et d’appliquer les Directives no 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives sur le genre), qui donnent précisément instruction aux commissaires de la CISR d’être sensibles à des questions telles que les agressions sexuelles.

[11]  Les demanderesses affirment en outre que la SPR a de façon déraisonnable reproché à la demanderesse principale de ne pas avoir mentionné dans le récit de son FRP qu’elle avait été violée dans son enfance par son oncle. Les demandes d’asile des demanderesses n’étaient pas fondées sur la crainte de cet oncle. Leurs demandes d’asile étaient fondées sur des faits différents et alléguaient un autre agent de persécution à un moment différent. Au cours du témoignage de la demanderesse principale, la SPR a qualifié cette omission d’« importante ». Pourtant, dans sa décision, la SPR n’a pas expliqué pourquoi cette omission était importante ou pertinente à la crainte de la demanderesse principale relative à la violence conjugale ou à la crainte de voir sa fille subir des mutilations génitales féminines.

[12]  Les demanderesses ont également réitéré leurs arguments sur le fond de la décision et l’ont interprétée comme une violation de leur droit d’être entendues et, par conséquent, comme une violation de leurs droits à la justice naturelle, mais à mon avis, cela est dénué de fondement. Les questions sont toutes traitées de manière appropriée dans le contexte d’une évaluation du caractère raisonnable de la décision de la SPR.

[13]  Et, si beaucoup d’observations écrites et verbales ont été avancées par les demanderesses et par le défendeur dans la présente affaire, à mon avis, le caractère raisonnable de la conclusion de la SPR relative à la crédibilité se résume à la question de savoir si la SPR s’est appuyée sur une omission non pertinente en rendant sa conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[14]  L’analyse de la crédibilité qu’a effectuée la SPR est brève et ne comprend que trois conclusions. L’omission de l’allégation de menace de mort dans le récit du FRP, un manque de preuves corroborant l’intention du conjoint d’avoir recours à la mutilation génitale féminine, et l’omission dans le récit du FRP de faire référence à l’allégation d’agression sexuelle de la demanderesse principale dans son enfance. La SPR peut à bon droit tirer des inférences négatives relatives à la crédibilité des omissions qu’un demandeur commet dans son FRP et qui sont au cœur de la demande (Aragon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 144, aux paragraphes 21 et 22). Dans ce cas-ci, la menace de mort alléguée proférée à l’endroit des demanderesses par le conjoint de la demanderesse principale dans un contexte de violence conjugale était centrale et pertinente à l’allégation des demanderesses. En conséquence, alors que le témoignage sous serment d’un demandeur est présumé être vrai à moins qu’il y ait des raisons de douter de sa véracité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, au paragraphe 5 (CA)), cette omission a soulevé un doute quant à la crédibilité de la demanderesse principale, et il était alors raisonnable que la SPR recherche un élément de preuve corroborant l’intention de son conjoint de soumettre la demanderesse mineure aux MGF (Bhagat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1088, au paragraphe 9).

[15]  Cependant, puisque la SPR a conclu que la demanderesse principale a dit à la psychologue qu’elle avait été agressée dans son enfance par son oncle, mais a omis de le mentionner dans le récit de son FRP, je suis incapable d’établir au vu des motifs de la SPR ou du dossier pourquoi cette omission était importante ou pertinente à la demande des demanderesses. La transcription de l’audience jette peu de lumière sur ce point. Le commissaire a demandé à la demanderesse principale si son conjoint l’avait agressée avant leur mariage. Elle a répondu que ce n’était pas le cas. Le commissaire lui a alors demandé si elle avait subi des agressions avant son mariage. Elle a répondu qu’elle en avait subies. Lorsqu’on lui a demandé de quelle manière, elle a déclaré que lorsqu’elle était petite, un membre de la famille l’avait violée. Le commissaire a souligné que cela avait été mentionné à la psychologue, mais pas dans le récit de son FRP. Elle a répondu que c’était quelque chose qui était difficile à vivre, et la transcription indique que l’interprète est intervenu pour indiquer que la demanderesse principale avait de la difficulté à [traduction] « trouver les mots ». Le commissaire lui a dit de prendre son temps, mais que l’allégation de viol [traduction] « est importante » et n’avait pas été mentionnée dans son récit. Elle a répondu que le problème était qu’en raison de la douleur et du traumatisme [traduction] « elle n’a pas pu ... c’est difficile à exprimer ». Le commissaire a alors demandé si le traumatisme était plus profond que les conséquences de l’agression que lui aurait fait subir son conjoint; elle a répondu que c’était la même chose. Il semble que le commissaire ait déduit de cet échange que parce que la demanderesse principale avait été en mesure de parler du traumatisme provoqué par la violence conjugale dans son récit, alors elle aurait dû pouvoir parler de l’agression sexuelle qu’elle a subie dans l’enfance.

[16]  Toutefois, comme l’ont souligné les demanderesses, l’agression sexuelle infligée dans l’enfance par un oncle n’était pas le fondement de leurs demandes d’asile. L’oncle n’était pas l’agent de persécution. En conséquence, il est difficile de comprendre pourquoi le commissaire voulait souligner que la demanderesse principale avait parlé de l’agression à la psychologue, mais ne l’a pas mentionné dans le récit de son FRP, et pourquoi dans le paragraphe suivant des motifs, le commissaire déclare qu’il avait des inquiétudes quant à la crédibilité de ses allégations selon lesquelles le conjoint et de la demanderesse principale et sa famille exigeaient que la demanderesse d’âge mineur subisse les mutilations génitales féminines. Le défendeur a soutenu devant moi que parce que le commissaire avait conclu que la demanderesse principale avait embelli son histoire concernant la menace de mort que son conjoint aurait proférée, le fait qu’elle n’ait pas mentionné l’agression sexuelle dans l’enfance dans le récit de son FRP était considéré par le commissaire comme un nouvel embellissement et, par conséquent, justifiait une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cependant, ce n’est pas ce que dit le commissaire et, encore une fois, l’agression sexuelle n’est ni pertinente à la demande des demanderesses ni importante en l’espèce.

[17]  Puisque les motifs de la SPR n’expliquent pas pourquoi l’omission de divulguer l’agression sexuelle dans l’enfance dans le récit du FRP de la demanderesse principale est pertinente à la demande qui nous occupe, et parce que ce n’est pas perceptible dans le dossier non plus, ses motifs ne sont pas transparents, intelligibles ou justifiés (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) et sont abusifs. De plus, cette préoccupation apparemment non pertinente entache la crédibilité des conclusions de la SPR concernant l’omission de la menace de mort dans le FRP. Il en est ainsi parce qu’il n’est pas possible de savoir le poids que la SPR a accordé à sa préoccupation non pertinente relative à l’omission de l’allégation d’agression sexuelle dans l’enfance par rapport à l’allégation de menace de mort, et qu’il n’est pas non plus possible de savoir si elle aurait tout de même atteint la même conclusion cumulative défavorable quant à la crédibilité si elle n’avait pas tenu compte de la première allégation.

[18]  Cela dit, j’ajouterai également qu’il n’est pas non plus évident, à la lecture des motifs, que la SPR a bien tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, car les motifs ne le précisent pas et ne se rapportent qu’au fait d’avoir [traduction] « certaines préoccupations ». De plus, il n’aurait pas été nécessaire de mener une analyse de la PRI si les demanderesses n’étaient pas crédibles.

[19]  En ce qui concerne le rapport Redditt, je conclus que la SPR n’a pas examiné l’information livrée dans le rapport. Un certain contexte à la présentation de la preuve documentaire, notamment du rapport Redditt, est digne de mention. Au début de l’audience, l’avocate des demanderesses a cherché à présenter des éléments de preuve documentaire. Le commissaire a demandé pourquoi la demanderesse principale faisait cette proposition à ce moment précis et a fait fi des efforts de l’avocate visant à expliquer la situation. La demanderesse principale a expliqué qu’il avait été long d’obtenir l’affidavit, qu’elle avait dû répéter sa demande au déposant qui n’était pas réceptif. Le commissaire a trouvé cela très peu plausible. Le commissaire a alors demandé pourquoi les certificats de scolarité étaient déposés en retard. La demanderesse principale a répondu qu’elle les avait présentés il y a longtemps. Le commissaire a répliqué qu’ils n’étaient arrivés que le 10 novembre, quelques jours avant l’audience. La demanderesse principale a déclaré qu’elle ne comprenait pas pourquoi. On a alors demandé une explication à l’avocate des demanderesses. Elle a expliqué que la demanderesse principale lui avait apporté les certificats de scolarité et les certificats de naissance il y a longtemps. Ensuite, l’évaluation psychologique Pilowsky a été reçue en 2012. L’avocate des demanderesses a déclaré que le dépôt tardif était une erreur de sa part parce qu’elle avait l’intention de déposer tous les documents ensemble et a attendu d’obtenir l’affidavit avant de déposer les autres documents. En ce qui a trait aux nouveaux documents divulgués, le rapport médical n’a été télécopié à son bureau qu’à 16 h 10 le jour précédant l’audience. Le commissaire a demandé si l’avocate faisait référence à l’évaluation par la Dre Pilowsky et l’avocate a répondu que ce n’était pas le cas. Le commissaire a demandé pourquoi il n’avait pas vu le rapport Pilowsky jusqu’à ce jour; l’avocate a donné la même réponse et présenté des excuses. Le commissaire a accepté ses excuses, mais a déclaré qu’elle était une avocate expérimentée et avait « retenu » toute la documentation jusqu’à l’audience. Le commissaire a pris une pause de 20 minutes et à son retour, il a déclaré qu’il avait lu les documents. Les documents ont ensuite été identifiés et consignés au dossier, y compris le rapport et Pilowsky et le rapport Redditt.

[20]  L’audience a été très brève. Le commissaire n’a posé aucune question à propos des rapports Pilowsky et Redditt ou de l’un ou l’autre des autres éléments de preuve documentaire. À la suite des représentations de l’avocate de la demanderesse, à 11 h, le commissaire s’est retiré pendant 10 minutes, puis est revenu et a rendu sa décision oralement.

[21]  La décision ne fait aucune mention du rapport Redditt. Dans le cadre de son examen du deuxième volet du critère relatif à la PRI, le commissaire a déclaré qu’il avait examiné tous les éléments de preuve, « y compris le rapport psychologique ». Le commissaire a mentionné que le rapport psychologique faisait moins de trois pages et était entièrement fondé sur les déclarations qu’avait faites la demanderesse principale à la psychologue. Il mentionne également que la psychologue a fait un diagnostic de SSPT sans avoir réalisé aucun test, mais à la suite d’un bref entretien. Le commissaire a également déclaré que le rapport franchissait la ligne entre l’opinion professionnelle et le plaidoyer. Quant à savoir si la demanderesse principale souffrait de dépression et d’anxiété, le commissaire a reconnu que cela pouvait être le cas et a fait observer que ces préoccupations sont largement partagées par tous ou par la plupart des demandeurs qui se présentent devant la SPR. Et, bien qu’émotionnellement fragile, la demanderesse principale était en mesure de participer à l’audience et que [traduction] « rien ne démontre à la présente audience que le diagnostic de la psychologue vous défende d’apporter votre pleine participation ».

[22]  Le rapport Redditt abordait cependant plusieurs des préoccupations exprimées par le commissaire à l’égard du rapport Pilowsky. Par exemple, il a souligné que la demanderesse principale était suivie par la clinique pour réfugiés CrossRoads Refugee Clinic depuis le 5 octobre 2012. Elle avait auparavant été suivie par des collègues de la Dre Redditt et est devenue patiente de la Dre Redditt le 13 juin 2017. La demanderesse principale a eu six consultations avec la Dre Redditt. Ainsi, le rapport Redditt n’était pas fondé sur une seule consultation comme ce fut le cas du rapport Pilowsky. Le rapport Pilowsky est cité par la Dre Redditt, qui a déclaré que depuis qu’elle avait commencé à la voir, la demanderesse principale souffrait de problèmes de santé mentale. La Dre Redditt a noté que sur le questionnaire sur la santé du patient (QSP-9), qu’elle décrit comme un outil de dépistage validé pour la dépression clinique, la demanderesse principale avait obtenu une note de 26 points sur un maximum de 27 points, indiquant un trouble dépressif majeur. Ainsi, le rapport Redditt faisait état d’un test de dépistage, alors que l’absence de dépistage constituait une préoccupation du commissaire à l’égard du rapport Pilowsky. La Dre Redditt a déclaré qu’étant donné la gravité de ses symptômes, elle a prescrit un antidépresseur à la demanderesse principale et l’a dirigée vers des services de counselling. Et, bien qu’elle eut été sur la liste d’attente, la demanderesse principale avait récemment commencé des séances de counselling avec une thérapeute de l’organisme communautaire Access Alliance Multicultural Health and Community Services.

[23]  Bien que le défendeur affirme qu’il faut présumer que le commissaire a examiné le rapport Redditt, et qu’il a également déclaré avoir tenu compte de tous les éléments de preuve, je remarque qu’il s’agissait d’une déclaration générale à la fin de laquelle il a explicitement mentionné le rapport psychologique, mais pas le rapport médical. Comme indiqué ci-dessus, le commissaire s’est indigné du fait que le rapport Pilowsky n’était fondé que sur une seule brève consultation et qu’aucun test n’avait été fait, le rapport Redditt indique l’utilisation d’un outil de dépistage et confirme que des médicaments et du counselling ont été prescrits et utilisés. Je ne peux donc que conclure que le commissaire, dans sa hâte, a fait fi du rapport Redditt.

[24]  Même si l’on peut soutenir que le rapport Redditt peut ne pas avoir été particulièrement pertinent dans l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse principale étant donné que les préoccupations de la SPR relatives à la crédibilité étaient soulevées par le récit du FRP qu’elle avait rempli en 2012, et non pas par sa capacité à témoigner à l’audience, l’omission d’examiner le rapport dans la conduite de l’analyse de la PRI constituait une erreur susceptible de révision.

[25]  Le critère relatif à la PRI comporte deux volets : premièrement, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI; et deuxièmement, que les conditions existant dans cette partie du pays sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y trouver refuge (Abdalghader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 581, au paragraphe 22 (« Abdalghader »), citant Chowdhury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1210, au paragraphe 22; Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 RCF 706, aux paragraphes 4, 6 et 7 (CA)).

[26]  Le second volet du critère relatif à la PRI est un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause (Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 673, au paragraphe 74 (« Ramachanthran »), citant Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 RCF 589 (CA)). Notre Cour a conclu que la preuve psychologique est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si la PRI est raisonnable; on ne peut en faire fi (Olalere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, au paragraphe 51 et 52 (« Olalere »); Cartagena c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289, au paragraphe 11).

[27]  À mon avis, le rapport Redditt aurait pour le moins dû être pris en compte lors de l’évaluation de la situation particulière de la demanderesse principale et de sa capacité de déménager, puisqu’il abordait et résolvait plusieurs préoccupations soulevées par le commissaire eu égard au rapport Pilowsky et apportait des éléments de preuve médicale. L’omission de le faire constituait une erreur susceptible de révision et rend l’analyse de la PRI menée par la SPR déraisonnable.

[28]  Étant donné que l’analyse du commissaire relative à la crédibilité et à la PRI a été, pour les raisons ci-dessus, déraisonnable, il n’est pas nécessaire que j’aborde les autres questions soulevées par les demanderesses dans leurs présentations. Je note, cependant, qu’après avoir lu la transcription de l’audience, il n’est pas du tout évident pour moi que le commissaire a compris ou appliqué les Directives sur le genre dans son approche à l’égard d’une demanderesse alléguant avoir subi à la fois de la violence conjugale et une agression sexuelle dans la petite enfance.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5608-17

LA COUR :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-5608-17

 

DOSSIER :

IMM-5608-17

 

INTITULÉ :

ADEBOLA DIANE HAASTRUP, GLORIA AYOMIDE ARUBUOLA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE :

Le 9 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Suzanne M. Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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