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Date : 20180710


Dossier : IMM‑636‑18

Référence : 2018 CF 718

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 10 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ROSEMARY ANENIH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le ou vers le 10 mai 2017, la demanderesse, qui vit au Nigéria, a présenté une demande de permis de travail afin de travailler comme gardienne d’enfants au Canada. Dans une décision datée du 10 janvier 2018 [la décision], un agent des visas [l’agent] de la Section des visas du haut‑commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse, au motif qu’elle n’avait pas démontré qu’elle serait en mesure d’exercer adéquatement un emploi de gardienne d’enfants.

[2] Les notes de l’agent sont rédigées ainsi :

[traduction]

[…] La demandeure travaille comme éducatrice en service de garde dans une école primaire. Je constate que, pour occuper ce poste, elle doit avoir des connaissances en matière de garde d’enfants, être capable de s’occuper d’enfants et de les nourrir, et aimer les enfants. La demandeure a seulement une formation de niveau secondaire. La demandeure travaillait auparavant comme coiffeuse. Je constate que la demandeure ne semble pas avoir d’expérience à titre d’aide familiale à domicile et qu’elle possède seulement de l’expérience en tant qu’assistante dans un centre d’éducation. Rien ne prouve que la demandeure a pris soin d’enfants dans un environnement où elle était la seule adulte présente. Je ne suis pas convaincu que la demandeure répond aux exigences de l’emploi en question […]

[3] La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire [la demande] en conformité avec le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, pour contester le caractère raisonnable et équitable de la décision de l’agent.

[4] J’ai rejeté la demande à l’audience, parce que je suis d’avis que la décision est à la fois raisonnable et équitable. Ayant indiqué que des motifs suivraient, mes motifs écrits sont énoncés ci‑dessous.

II. La question préliminaire

[5] Le défendeur soutient que certains paragraphes de l’affidavit ainsi que du mémoire des faits et du droit de la demanderesse contiennent ou mentionnent des éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent, et que la Cour ne devrait donc pas en tenir compte.

[6] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel les éléments de preuve qui aurait pu être présentés au décideur, mais qui ne l’ont pas été, sont inadmissibles (Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 (au para 7); Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 (aux para 13‑28)), et je conclus que de tels éléments de preuve inadmissibles figuraient effectivement dans l’affidavit de la demanderesse et étaient mentionnés dans son mémoire.

[7] Le défendeur affirme en outre que la Cour ne devrait pas tenir compte de certains autres paragraphes de l’affidavit et du mémoire de la demanderesse, parce qu’ils contiennent à tort un argument. Je suis d’accord. Bien que le défendeur n’ait invoqué aucun précédent pour étayer sa position, je suis convaincu qu’un affidavit doit se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, comme le prévoit le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. La Cour peut radier toute partie d’un affidavit qui renferme une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Sharma c Chemin de fer Canadien Pacifique, 2016 CF 135 au para 19).

III. Analyse

i. Le caractère raisonnable de la décision

[8] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve qu’elle lui avait présentés. En s’appuyant sur des extraits de l’annonce du poste de gardienne d’enfants publiée en ligne par son employeur éventuel, elle affirme que les fonctions de cet emploi ressemblent beaucoup à ses tâches d’éducatrice en service de garde. Plus précisément, elle prétend que sa lettre de recommandation et la description de ses tâches dans son curriculum vitæ contredisent l’affirmation de l’agent selon laquelle elle est une [traduction] « assistante dans un centre d’éducation ». Elle prétend également que la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’a jamais supervisé des enfants toute seule n’est pas étayée par la preuve au dossier.

[9] Bien qu’elle invoque ces arguments concernant le caractère raisonnable de la décision, la demanderesse affirme également, en s’appuyant sur la décision Ozdemir c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CAF 331 (au para 7) [Ozdemir], que le fait que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve présentés constitue une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, la demanderesse interprète erronément la décision Ozdemir, qui traite de l’obligation qu’a un décideur de motiver sa décision et qui, de toute façon, a été rendue bien avant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, qui est l’arrêt de principe sur le caractère suffisant des motifs.

[10] Je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse soulève des questions qui appellent l’application de la norme de la décision raisonnable, qui requiert que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47). De plus, comme le fait remarquer le défendeur, les décisions discrétionnaires rendues par les agents des visas méritent une grande retenue (Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25 au para 19).

[11] En gardant ces principes à l’esprit, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que la décision est raisonnable. Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait que l’agent a mentionné que la demanderesse était une [traduction] « assistante » porte un coup fatal à la décision, car l’agent a correctement établi que la demanderesse travaillait comme éducatrice en service de garde au début de ses notes. De plus, la demanderesse a fourni très peu de renseignements à l’agent au sujet de son travail d’éducatrice en service de garde et ne lui a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu’elle avait déjà pris soin d’enfants sans qu’on la supervise. Il était donc raisonnable que l’agent conclue, compte tenu de la preuve présentée, que l’expérience de la demanderesse à titre d’éducatrice en service de garde n’était pas équivalente aux tâches d’un poste de gardienne d’enfants à temps plein.

[12] En outre, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse demande en fait à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve et d’en arriver à une conclusion différente, ce qui n’est pas le rôle de la Cour (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 61).

ii. L’équité procédurale

[13] La demanderesse prétend ensuite que, par souci d’équité procédurale, l’agent devait lui permettre de répondre à sa conclusion selon laquelle elle n’avait jamais pris soin d’enfants dans un environnement où elle était la seule adulte présente. La demanderesse affirme qu’il s’agit d’une « conclusion subjective », en s’appuyant sur la décision Campbell Hara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263 [Campbell] :

[23] La Loi ne prévoit pas de droit à l’entrevue, mais l’équité procédurale exige qu’un demandeur se voit donner l’occasion de dissiper les doutes d’un agent en certaines circonstances (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, au paragraphe 35). Cette obligation peut exister, par exemple, si un agent s’appuie sur une preuve extrinsèque pour se forger une opinion, ou s’il arrive par ailleurs à une conclusion subjective, alors que le demandeur n’avait aucun moyen de savoir qu’elle serait utilisée contre lui : Li, au paragraphe 36.

[14] La demanderesse s’appuie également sur l’arrêt Sapru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 35 (au para 31), pour soutenir qu’elle aurait dû se voir donner une « possibilité équitable » de répondre à toutes les préoccupations de l’agent. Elle affirme que cette question est assujettie à la norme de la décision correcte, et je suis d’accord pour dire qu’il s’agit de la norme à appliquer (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paras 33‑56).

[15] Toutefois, je souligne que le degré d’équité procédurale auquel la demanderesse a droit dans ce contexte est minimal (Kindie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 850 au para 5). De plus, je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse selon lequel les préoccupations de l’agent constituaient une « conclusion subjective », alors que la demanderesse n’avait aucun moyen de savoir qu’elle serait utilisée contre elle, comme c’était le cas dans l’affaire Campbell. En l’espèce, les préoccupations de l’agent se rapportaient directement aux éléments de preuve que la demanderesse lui avait présentés, à savoir (i) ses antécédents professionnels et (ii) les exigences de son emploi éventuel de gardienne d’enfants. Dans son appréciation, l’agent n’a pas intégré un élément subjectif qui sortait du cadre de la preuve limitée qui a été produite, ou du régime législatif que devait respecter l’agent.

[16] Sur ce dernier point, l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], prévoit que le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger lorsque « l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ». Comme les doutes de l’agent se rapportaient directement aux conditions énoncées dans le Règlement, et le régime législatif en général, l’agent n’avait pas l’obligation de faire connaître ces doutes à la demanderesse (Ayyalasomayajula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 248 au para 18).

IV. Conclusion

[17] La demande sera rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑636‑18

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑636‑18

 

INTITULÉ :

ROSEMARY ANENIH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 juillet 2018

 

jugement et motifs :

le juge DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 10 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Idowu Ohioze

 

pour la demanderesse

 

Galina Bining

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew Law Office

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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