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Date : 20180718


Dossier : IMM-5378-17

Référence : 2018 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2018

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

MENGZI YUAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er novembre 2017 par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en application des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La SPR a également conclu que la demande était manifestement infondée.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’ai déterminé que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, car la conclusion de la SPR, selon laquelle la demande était manifestement infondée, était déraisonnable.

Contexte

[3]  La demanderesse, Mengzi Yuan, est une citoyenne de la Chine. Elle allègue avoir commencé à pratiquer le Falun Gong en Chine en septembre 2013. En novembre 2013, les membres du comité de quartier lui ont rendu visite et ont parlé à ses parents des rumeurs sur sa pratique. Ses parents ont trouvé un agent pour aider la demanderesse à venir au Canada, ce qu’elle allègue avoir fait en décembre 2014, et a présenté une demande d’asile le 5 février 2015.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SPR a d’abord traité une question procédurale. Plus précisément, le fait que l’audition de la demande de la demanderesse avait débuté le 14 septembre 2017, mais qu’elle avait été ajournée avant son achèvement en raison d’un manque de temps. Par la suite, l’avocat de la demanderesse a demandé une vérification du service d’interprétation dispensé à l’audience. La vérification a été effectuée et le président de l’audience a conclu que le service d’interprétation ne respectait pas la norme. En conséquence, la tenue d’une audience de novo a été ordonnée. Au début de l’audience de novo le 23 octobre 2017, l’avocat de la demanderesse a allégué que le commissaire devrait se récuser, car il avait été entaché par les témoignages au cours de l’audience initiale. La demande de récusation a été rejetée et le commissaire a déclaré que les motifs rendus de vive voix à l’audience n’étaient pas répétés dans sa décision écrite. Il a déclaré qu’il avait pris en compte les observations écrites et orales de l’avocat de la demanderesse, mais déterminé qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant une crainte de partialité, du point de vue objectif d’une tierce personne, ni d’élément de preuve selon lequel la demanderesse n’obtiendrait pas une audience équitable (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice]).

[5]  En ce qui concerne la demande sur le fond, la SPR a jugé que la question déterminante était la crédibilité. Elle a tiré un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité, y compris l’incapacité de la demanderesse à se souvenir du nom de l’école qu’elle allègue avoir fréquentée pour étudier l’anglais depuis avril 2015. La SPR a remis en question l’absence d’éléments de preuve confirmant le voyage de la demanderesse au Canada. Cette dernière était incapable de soumettre des documents de voyage, comme un passeport, un itinéraire, un billet ou une carte d’embarquement, et a affirmé que tous ces documents avaient été donnés au passeur. La SPR a tiré une conclusion défavorable en raison de l’absence de documents, puisque ce type d’éléments de preuve confirme une fuite immédiate d’un lieu de persécution. Sans documents de voyage, il n’y a aucun moyen de déterminer avec certitude si la demanderesse est immédiatement partie ou si elle a passé du temps dans un pays tiers où elle n’était pas persécutée, ce qui atteste également de sa crainte subjective.

[6]  La SPR a également tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur le témoignage incohérent de la demanderesse en lien avec sa connaissance des documents frauduleux utilisés pour obtenir un visa canadien. La demanderesse allègue que ce n’est qu’à son arrivée au Canada qu’elle a constaté que sa demande comportait les noms de deux personnes qui n’étaient pas ses parents. Cependant, la SPR a rejeté cette allégation, faisant remarquer qu’avant d’avoir présenté sa demande pour entrer au Canada, les parents de la demanderesse, avec qui elle résidait, avaient eu recours au même passeur pour aider la demanderesse à présenter une demande de visa américain. La preuve de la demanderesse, en ce qui concerne ses trois tentatives infructueuses d’obtenir un visa aux États-Unis, montrait qu’elle comprenait que ces demandes étaient fondées sur des renseignements frauduleux. La SPR a conclu que la demanderesse a présenté une demande de visa canadien au moyen de documents frauduleux, à un moment où elle n’était pas recherchée par le Bureau de la sécurité publique (BSP) en Chine. Elle n’avait aucun motif justifiant son recours à la fraude dans ces circonstances.

[7]  La SPR a remis en question le témoignage de la demanderesse concernant sa pratique du Falun Gong en Chine. La demanderesse a affirmé avoir été initiée à cette pratique par une amie. Lorsqu’on lui a demandé pour quelle raison ce sont ses parents qui ont rédigé une lettre confirmant sa pratique authentique, et non son amie qui avait une connaissance directe de cette pratique, la demanderesse a répondu que, vu l’interdiction du Falun Gong en Chine, elle craignait de causer des ennuis à son amie. Elle n’a donc pas tenté de la joindre pour obtenir une lettre. La SPR a conclu que rien ne prouvait que l’amie de la demanderesse aurait été exposée à un risque et qu’il était insensé que la demanderesse puisse obtenir une lettre de ses parents, mais pas de son amie. La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur le défaut de la demanderesse d’obtenir un élément de preuve documentaire pour appuyer ses allégations.

[8]  Selon la lettre des parents de la demanderesse, ce n’est qu’en novembre 2013 qu’ils ont appris qu’elle pratiquait le Falun Gong, lorsque le comité de quartier les a abordés, après quoi la demanderesse a admis sa pratique à ses parents. La SPR a conclu que la connaissance par les parents de la pratique de la demanderesse était fondée uniquement sur ce qu’elle leur avait dit, et ils n’ont donné aucun détail sur ce que leur avait dit le comité de quartier. La SPR a conclu que la lettre n’étayait pas l’allégation de la demanderesse selon laquelle sa pratique du Falun Gong était authentique en Chine et, outre son témoignage, il n’y avait aucune preuve de sa pratique là-bas. En conséquence, la SPR a conclu qu’elle n’était pas une adepte authentique du Falun Gong en Chine.

[9]  En ce qui concerne la demande d’asile sur place de la demanderesse, la SPR a pris en compte deux lettres d’appui de deux autres adeptes au Canada qui ont rencontré la demanderesse dans le cadre de la pratique du Falun Gong. La SPR a constaté que la première lettre était datée du 20 mars 2015 et n’offrait que peu de soutien, car elle ne traitait pas de la pratique du Falun Gong par la demanderesse après cette date. La seconde lettre était datée du 9 septembre 2017, elle contenait peu de détails, ne portait pas sur la période de mars 2015 au 11 février 2016, moment où l’auteure a rencontré la demanderesse pour la première fois, et l’auteure ne s’est pas présentée à l’audience pour témoigner. La SPR a conclu que la lettre ne permettait pas d’affirmer que la demanderesse était une adepte authentique du Falun Gong et ne permettait d’expliquer en quoi l’auteure pouvait évaluer la demanderesse sur ce plan. La SPR n’a accordé aucun poids à cette lettre. La SPR a également pris en compte diverses photographies soumises par la demanderesse, mais a conclu que la preuve n’établissait pas que la demanderesse avait pratiqué le Falun Gong de façon continue pendant son séjour au Canada au cours des trois dernières années. La SPR a soutenu qu’elle n’était pas une adepte authentique du Falun Gong ni au Canada ni en Chine. De plus, rien ne prouvait que ses activités au Canada soient venues à l’attention des autorités en Chine. En conséquence, sa demande d’asile sur place a été rejetée.

[10]  Comme aucun élément ne prouve qu’il y ait eu fraude dans la présentation de la demande de visa au Canada effectuée à l’aide de documents frauduleux, à un moment où la demanderesse n’était pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution, la SPR a également conclu que la demande était manifestement infondée, conformément à l’article 107.1 de la LIPR.

Questions en litige et norme de contrôle

[11]  La demanderesse soutient que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le commissaire de la SPR a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle lorsqu’il a refusé de se récuser?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande était manifestement infondée?

[12]  La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (PG), 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 et 35) [Canadien Pacifique] qui, conformément aux conclusions, comprenaient la partialité; Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242, au paragraphe 17 [Nweke]; Butterfield c Canada (Procureur général), 2016 CF 777, au paragraphe 5; Khader c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 315, au paragraphe 28). Cependant, comme le fait remarquer le défendeur, la Cour d’appel fédérale a récemment affirmé que certaines questions procédurales, comme la partialité, ne peuvent en aucun cas être associées à une analyse de la norme de contrôle (Canadien Pacifique, aux paragraphes 33 à 56). En l’espèce, ce point n’a aucune incidence.

[13]  La norme de contrôle pour les conclusions touchant la crédibilité et les conclusions selon lesquelles une demande est manifestement infondée est celle de la raisonnabilité (Nanyongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 105, au paragraphe 8 (Nanyongo); Nagornyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 215, au paragraphe 11 (Nagornyak), citant Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, au paragraphe 25 [Warsame]; Nweke, au paragraphe 17).

Question préliminaire – Affidavit à l’appui

[14]  Je remarque également, comme question préliminaire, que le défendeur souligne dans ses observations écrites que la demanderesse ne soumet aucun affidavit à l’appui. Au lieu de cela, un affidavit de Laura Barbosa a été déposé, dans lequel cette dernière se décrit simplement comme une personne qui aide de temps à autre l’avocat de la demanderesse à effectuer le travail administratif. Le défendeur affirme que cet affidavit semble principalement reposer sur des propos que la déclarante aurait ouïs de l’avocat de la demanderesse, et donne l’impression que l’avocat témoigne par procuration, ce qui est une pratique irrégulière (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 100, au paragraphe 56). En conséquence, les paragraphes 15 à 17, 22 à 24, 26, 27 et 31 devraient être radiés ou ne recevoir aucune force probante. Cette question n’a pas été débattue à l’audience.

[15]  Le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit explicitement que « [l]es affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle [...] ». Aux termes du paragraphe 81(2), « [l]orsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables ». Aux termes de l’article 82, « [s]auf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit ». De plus, selon l’article 12 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, l’affidavit déposé à l’occasion de la demande d’autorisation doit se limiter au témoignage que son auteur pourrait donner s’il comparaissait comme témoin devant la Cour (voir Antakli c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 356, au paragraphe 10).

[16]  En l’espèce, Mme Barbosa ne signale pas qu’elle est une employée de l’avocat de la demanderesse, elle ne déclare pas que les faits présentés dans l’affidavit se limitent à sa connaissance personnelle ni que l’affidavit repose sur une croyance et la source ou le fondement de cette croyance. Je suis de l’avis du défendeur selon lequel Mme Barbosa semble avoir déposé un affidavit qui porte sur des renseignements qui lui ont été fournis par l’avocat de la demanderesse sur des événements qui se sont déroulés aux audiences de la SPR. Cela dit, les paragraphes contestés, dans leur ensemble, énoncent les renseignements qui ressortent du document, comme le fait que la SPR a examiné l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong à l’audience du 14 septembre 2017 (paragraphe 15), et que l’avocat de la demanderesse n’a pas commencé son interrogatoire de la demanderesse lors de cette audience avant son ajournement (paragraphe 16). Certains paragraphes ajoutent un lustre aux procédures décrites, par exemple, lors de l’audience du 23 octobre 2017, la SPR a « à peine » interrogé la demanderesse à propos des activités du Falun Gong (paragraphe 26), et dans ses observations écrites, l’avocat de la demanderesse [traduction] « a exprimé avec vigueur son insatisfaction » vis-à-vis du refus du commissaire de la SPR de se récuser. Dans la mesure où les paragraphes ajoutent un tel lustre, ou expriment des questions qui ne ressortent pas du dossier, je ne leur accorde aucune importance.

Question 1 : Le commissaire de la SPR a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle lorsqu’il a refusé de se récuser?

[17]  La demanderesse affirme que le commissaire a entendu un témoignage substantiel lors de l’audience du 14 septembre 2017 qui était entaché par une interprétation problématique. Le commissaire a fait abusivement fi de la demande voulant qu’il se récuse de l’audience de novo, enfreignant ainsi le droit de la demanderesse à la justice naturelle et à l’équité procédurale. De plus, la demanderesse affirme également que la conduite du commissaire à l’audience de novo n’était pas conforme à l’apparence d’équité. En particulier, à la seconde audience, le commissaire s’est concentré sur des questions accessoires plutôt que sur la question centrale et déterminante, c’est-à-dire l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong, sur laquelle elle avait été longuement interrogée à la première audience. La demanderesse affirme que ces circonstances étaient contraires au principe selon lequel « [...] la justice doit être rendue et elle doit l’être de façon manifeste » (Tunian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1209, au paragraphe 14). Elle affirme également que la conclusion du commissaire selon laquelle la demande était manifestement infondée appuie l’apparence d’iniquité.

[18]  Le défendeur affirme que le critère juridique à appliquer pour conclure à l’existence d’une « [...] crainte raisonnable de partialité » est décrit dans Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259, au paragraphe 60 [Wewaykum]. Le critère est rigoureux : la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question. La demanderesse ne respecte pas ce critère.

[19]  Dans R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 31 [SRD], la Cour suprême du Canada a affirmé que le critère de la crainte raisonnable de partialité est celui qui a été énoncé par le juge de Grandpré, en motifs dissidents, dans Committee for Justice, aux pages 394 et 395. Dans cette affaire, le juge de Grandpré a affirmé que « [...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. » Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question [...] de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » De plus, les motifs d’une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux et la partialité ne peut être le fait d’une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » (Committee for Justice, à la page 394; RDS, au paragraphe 31).

[20]  Dans Wewaykum, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il s’agit du critère à appliquer au moment d’examiner si un juge aurait dû se récuser en se fondant sur une allégation de crainte raisonnable de partialité. La norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux, et un examen qui est essentiellement un cas d’espèce (voir les paragraphes 60, 66, 76 et 77). La partie qui fait valoir une partialité doit satisfaire à un critère rigoureux et la présomption ne peut être réfutée que par une démonstration « sérieuse » reposant sur une « preuve concluante » en ce sens (voir SRD aux paragraphes 113, 114 et 117; Blank c Canada (Justice), 2017 CAF 234, au paragraphe 3; Badawy c Waldemar, 2016 CAF 162, au paragraphe 6; Es-Sayyid c Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2012 CAF 59, aux paragraphes 35 et 39; Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, aux paragraphes 1 et 2).

[21]  La simple allégation de la demanderesse, selon laquelle un manquement à l’équité procédurale survient en raison d’un soi-disant « traitement condescendant » des arguments de l’avocat à l’égard de la requête en récusation présentée au commissaire, ne peut avoir gain de cause, sans plus. La véritable question consiste à déterminer s’il existait une crainte raisonnable de partialité lors de l’examen de novo par le même commissaire. À cet égard, la demanderesse affirme, encore au moyen d’une simple allégation, que puisque son témoignage a subi un préjudice en raison de la mauvaise qualité de l’interprétation lors de la première audience, le commissaire aurait dû se récuser lors de l’audience de novo. La demanderesse affirme que, selon la transcription, au moment de se présenter devant le commissaire, son avocat a affirmé que l’audience de novo devrait être présidée par un commissaire qui n’est pas entaché par l’audience ayant fait l’objet de l’interprétation de mauvaise qualité jumelée au témoignage, et que le commissaire, qui avait entendu l’affaire lors de la première audience, peut s’être formé une opinion, puisqu’il avait terminé son interrogatoire au moment de l’ajournement.

[22]  Après avoir examiné les transcriptions des deux audiences, je remarque qu’à la première audience, le commissaire a interrogé la demanderesse sur ses connaissances du Falun Gong en ce qui concerne les cinq exercices et versets qui s’y rattachent, et a également demandé à la demanderesse de lui faire une démonstration. À la fin de l’interrogatoire par le commissaire, la demanderesse a informé son avocat qu’elle effectue normalement ses exercices sur de la musique et se sentait étrange et mal à l’aise de les exécuter sans accompagnement. L’avocat a demandé au commissaire si la demanderesse pourrait apporter de la musique à la reprise de l’audience et lui présenter de nouveau les exercices. Le commissaire a refusé la demande, faisant valoir qu’il est bien connu que les demandeurs se feraient poser des questions sur les exercices, et qu’il ne permettrait pas une reprise.

[23]  Lors de la seconde audience, le commissaire n’a pas posé ces mêmes questions. À un certain moment au cours de l’audience, l’avocat est intervenu, se disant préoccupé parce que le commissaire posait de nouvelles questions qui n’avaient pas été posées lors de la première audience, ce à quoi le commissaire a répondu en rappelant à l’avocat qu’il s’agissait d’une audience de novo. L’avocat a répondu que le commissaire ne mettait pas l’accent sur ce qu’il jugeait être la principale question, soit l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong. Le commissaire a déclaré qu’il poserait les questions qu’il voulait poser et que, ensuite, l’avocat aurait l’occasion de poser ses propres questions. Au cours de l’interrogatoire par l’avocat, celui-ci a demandé à la demanderesse d’énumérer les exercices, leurs buts et les versets qui s’y rattachent, puis d’effectuer un exercice.

[24]  Lorsque l’avocat lui a demandé si elle souhaitait dire quelque chose au commissaire, elle a déclaré avoir mal exécuté les mouvements lors de la première audience et qu’elle espérait que cela ne modifierait ou n’influencerait pas la décision du commissaire au cours de la seconde audience. Son avocat a alors déclaré que c’était le point qu’il voulait faire ressortir et la raison même pour laquelle il avait demandé au commissaire de se récuser, car dans l’esprit de la demanderesse, les audiences sont rattachées. Le commissaire a informé la demanderesse qu’elle pouvait être certaine que rien de ce qui avait été dit au cours de la dernière audience n’influencerait sa décision; la preuve découlant de la première audience n’était pas en sa possession et n’avait aucune incidence sur l’audience de novo. Il a déclaré qu’après la dernière audience, il avait ordonné une vérification et conclu que l’interprétation n’était pas équitable pour la demanderesse et ne reflétait pas précisément ce qu’elle avait dit, ce qui expliquait pourquoi ils avaient tout repris depuis le début.

[25]  Je remarque que l’attestation de l’analyse de l’interprétation, c’est-à-dire la vérification, est exposée en détail et, entre autres, énonce que l’interprète avait des difficultés avec la terminologie propre au Falun Gong, qu’il ne pouvait pas interpréter un terme courant du chinois continental, soit « comité de quartier », et que la prestation de l’interprète créait de la confusion, car l’interprète posait parfois ses propres questions et fournissait ses propres explications ou commentaires tout en exécutant son interprétation. Le fait que le commissaire était d’accord avec la tenue d’une vérification et, se fondant sur les conclusions, avait convenu que le témoignage de la demanderesse livré à la première audience n’avait pas été traduit avec précision, et avait ordonné la tenue d’une audience de novo, a, en effet, réparé les erreurs. L’avocat de la demanderesse a affirmé que le commissaire ne pouvait pas prétendre n’avoir jamais entendu le témoignage livré à la première audience, cela est vrai, mais il pouvait ne pas en tenir compte et fonder sa décision uniquement sur le dossier qu’il avait entre les mains à l’audience de novo, ce qu’a fait le commissaire. Élément important, à mon avis, la demanderesse ne précise pas de façon concrète en quoi le témoignage livré à la première audience est devenu préjudiciable, plutôt que simplement inexact, en raison de la mauvaise interprétation.

[26]  L’essentiel des observations de l’avocat de la demanderesse était que le commissaire s’est concentré sur des questions accessoires plutôt que sur la question centrale et déterminante, c’est-à-dire l’identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong. L’avocat affirme qu’à la première audience, la demanderesse avait été longuement interrogée à cet égard, tandis qu’à l’audience de novo, le commissaire a à peine effleurée cette question. Lorsqu’on lui a demandé de quelle façon cela démontrait une crainte raisonnable de partialité, l’avocat a affirmé que la conduite du commissaire, selon laquelle il avait posé ces questions à la première audience, mais pas à l’audience de novo, démontrait de la partialité. De plus, étant donné que le témoignage de la demanderesse livré à la première audience était entaché par des difficultés d’interprétation, il aurait été sensé que le commissaire pose les mêmes questions à l’audience de novo, mais il a inexplicablement négligé de le faire. Et, bien que l’avocat ait posé lui-même ces questions à la demanderesse à l’audience de novo, le commissaire n’a pas tenu compte de ce témoignage dans sa décision. Par ailleurs, le centre d’intérêt du commissaire sur les questions accessoires et son approche zélée à l’égard de la preuve ont établi qu’il s’était déjà formé une opinion et cherchait à miner le dossier de la demanderesse.

[27]  Par ces observations, il se peut que l’avocat de la demanderesse ne suggère pas simplement qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité, mais plutôt que la conduite du commissaire établit une partialité réelle. Cependant, comme la demanderesse a exprimé ses observations dans le contexte d’équité qui semble avoir été respectée, je traiterai la question sur ce fondement. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans Wewaykum, dans le contexte d’une discussion sur les circonstances dans lesquelles les parties ont reconnu qu’il n’y avait pas de partialité réelle :

66  Enfin, lorsque les parties concèdent qu’il y avait absence de partialité réelle, elles suggèrent peut-être que le fait de s’interroger sur l’existence ou l’absence de partialité réelle n’est tout simplement pas la bonne question à se poser. En l’espèce, comme dans la plupart des cas, les parties invoquent l’aphorisme formulé par le lord juge en chef Hewart selon lequel [traduction] « il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais également que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue » (The King c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, p. 259). En d’autres mots, dans les affaires où l’on plaide l’inhabilité du décideur, la question pertinente n’est pas de savoir si, dans les faits, le juge a fait preuve de partialité consciente ou inconsciente, mais si une personne raisonnable et bien renseignée craindrait qu’il y ait eu partialité. En ce sens, la crainte raisonnable de partialité n’est pas seulement le substitut d’un élément de preuve non disponible, ou un moyen de preuve permettant d’établir la probabilité de l’existence de partialité inconsciente, mais elle est également la manifestation d’une préoccupation plus générale à l’égard de l’image de la justice. Comme l’a dit lord Goff dans l’arrêt Gough, précité, p. 659, [traduction] « il existe un intérêt public impérieux commandant de maintenir la confiance dans l’intégrité de l’administration de la justice ».

[Souligné dans l’original.]

[28]  La transcription de l’audience de novo expose clairement que la demanderesse elle-même craignait que son mauvais rendement au cours de la première audience ait une incidence sur la décision devant être rendue après l’audience de novo. Cependant, le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité ne sera pas appliqué par la « personne de nature tatillonne ». Naturellement, la demanderesse correspondrait à cette catégorie dans ces circonstances, et le critère n’est donc pas satisfait simplement en raison de ses préoccupations.

[29]  De plus, il était loisible au commissaire de choisir les questions qu’il souhaitait poser à la demanderesse. Comme il l’a fait valoir, il s’agissait d’une audience de novo et, en conséquence, il n’était pas contraint de tenter de reproduire la première audience. De plus, la jurisprudence suggère qu’on ne saurait assimiler les connaissances religieuses à la foi, et la qualité et la quantité des connaissances religieuses  pour prouver la foi sont invérifiables (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503, au paragraphe 16). Autrement dit, les connaissances religieuses ne peuvent pas nécessairement être assimilées à l’authenticité des croyances d’un demandeur. Bien que l’on puisse s’attendre à un certain niveau de connaissances, la sincérité des croyances est ce qui importe sur le plan juridique (Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 18; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1020, au paragraphe 18. Ainsi, le commissaire n’était pas contraint d’appliquer ce critère ou de l’appliquer de la manière qu’aurait préférée l’avocat de la demanderesse.

[30]  Cela dit, je reconnais que le fait de ne pas poser les mêmes questions à la demanderesse sur ses connaissances du Falun Gong pourrait, en effet, donner l’impression que le commissaire ôtait à la demanderesse la possibilité qu’elle avait sollicitée de « se reprendre » et qui lui avait été refusée à la fin de l’interrogatoire par le commissaire à la première audience. Je soulignerais également que, cependant, lorsque le commissaire a tenté de poser une différente question concernant ses connaissances religieuses – lequel des cinq exercices consiste à se débarrasser du karma et de la jalousie – l’avocat s’est opposé à la question, soutenant qu’elle était trompeuse, car il n’y avait aucun exercice qui procure ce résultat et a déclaré que, selon lui, c’était une question piège. La demanderesse a ainsi dûment répondu qu’il n’était pas nécessaire de pratiquer tous les cinq exercices pour obtenir ce résultat.

[31]  En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle le commissaire se concentrait sur des questions accessoires plutôt sur l’[traduction] « identité de la demanderesse en tant qu’adepte du Falun Gong » (Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 [Rasheed]), je remarque que le commissaire a tiré un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité. À mon avis, même si l’une ou l’ensemble des questions étaient déraisonnables, cela fait preuve d’une erreur susceptible de révision, non pas de partialité. De plus, dans Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la notion juridique de partialité évoque également des circonstances qui amènent un observateur raisonnable et informé à croire que le décideur a été influencé par une considération extrinsèque ou injustifiée (au paragraphe 57). Me fondant sur le dossier et la décision, je ne suis pas convaincue que, dans cette affaire, le commissaire ait fondé sa décision sur des considérations illégitimes. Au lieu de cela, la demanderesse aurait préféré que le commissaire se concentre sur d’autres éléments de preuve.

[32]  En conclusion, après avoir examiné la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a établi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le commissaire, consciemment ou non, n’a pas rendu ou ne pouvait pas rendre une décision juste et qu’il a donc commis une erreur en refusant de se récuser.

Question 2 : La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande était manifestement infondée?

[33]  La demanderesse affirme que la conclusion de la SPR, selon laquelle sa demande était manifestement infondée, était déraisonnable, car elle ne répond pas au critère juridique applicable aux demandes manifestement infondées, ce que le législateur a assimilé à des demandes clairement frauduleuses. Une simple conclusion de crédibilité défavorable ne suffit pas à justifier une demande manifestement infondée. C’est la demande en soi qui doit être frauduleuse (Nagornyak, aux paragraphes 14 et 15). La demanderesse affirme que les motifs de la SPR ne soutiennent pas la conclusion selon laquelle sa demande est clairement frauduleuse.

[34]  Elle affirme également que la SPR s’est livrée à une attaque zélée contre son témoignage et la documentation à l’appui, et a indûment centré son évaluation sur des questions accessoires. À cet égard, pour ce qui est de déterminer si son témoignage en lien avec son voyage au Canada était authentique ou non, cela n’était pas un fondement valide de crédibilité défavorable sur son identité en tant qu’adepte du Falun Gong. Son voyage au Canada était une question accessoire et la SPR a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de Rasheed, au paragraphe 18. L’absence de passeport ne concernait pas non plus l’identité en tant qu’adepte du Falun Gong. De plus, la SPR n’a pas tenu compte de la présomption de véracité qui devrait être accordée au témoignage de la demanderesse. Elle a déraisonnablement exigé un élément de preuve corroborant auprès d’une amie de la demanderesse en Chine et a rejeté l’explication plausible de la demanderesse pour ne pas avoir cherché à obtenir ladite lettre. La SPR était également zélée et injustement condescendante à l’égard de la lettre des parents de la demanderesse, ainsi que des photographies et des lettres soumises à l’appui de sa demande d’asile sur place, et n’a pas tenu compte de son témoignage sur les activités du Falun Gong au Canada et la démonstration de ses connaissances des principes et pratiques du Falun Gong.

[35]  Pour sa part, le défendeur soutient que les conclusions de crédibilité tirées par la SPR étaient raisonnables. La SPR a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité qui minaient tous les aspects de la demande de la demanderesse, notamment : elle n’a pas soumis de preuve de ses activités du Falun Gong en Chine; elle n’a pas établi pour quelle raison elle voulait obtenir un visa au Canada et a soumis un élément de preuve non crédible sur ses activités au Canada; son défaut de présenter un élément de preuve de son voyage au Canada; l’authenticité de sa croyance à l’égard du Falun Gong; l’utilisation de la fraude pour obtenir un visa canadien à un moment où la fraude ne lui était d’aucune aide, et aucun élément ne prouvait que ses activités au Canada retiendraient ou avaient retenu l’attention des autorités chinoises. Le défendeur souligne que la demanderesse a recouru à la fraude pour obtenir son visa canadien à un moment où elle n’était pas confrontée à un risque sérieux de persécution. Cette fraude se rattache directement aux circonstances quant au motif pour lequel elle a quitté la Chine, à la façon dont elle s’y est prise pour le faire et à la question de savoir si elle était réellement recherchée par les autorités chinoises. Le fait qu’elle n’avait aucun motif qui justifiant son recours à la fraude pour obtenir un visa canadien a amené raisonnablement la SPR à conclure que sa demande était manifestement infondée (Warsame, au paragraphe 30; Nanyongo, au paragraphe 18).

[36]  L’article 107.1 de la LIPR vise les demandes manifestement infondées :

La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle-ci est clairement frauduleuse.

[37]  La  conclusion tirée par la SPR selon laquelle une demande est manifestement infondée a une conséquence très importante pour le demandeur parce qu’elle écarte toute possibilité d’interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés (SAR) :

110 (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

[...]

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

[...]

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

[...]

[38]  La jurisprudence n’abonde pas sur l’article 107.1. Dans Warsame, le juge Roy a déclaré ce qui suit :

[26]  Dans la présente espèce, la question de l’identité du demandeur d’asile est en fait subsumée sous la décision par laquelle la SPR a déclaré la demande d’asile clairement frauduleuse. La SPR, avant de conclure que la demande d’asile était manifestement infondée, a constaté que le demandeur n’avait pas rempli les conditions que prévoit l’article 106 de la LIPR. Autrement dit, la demande d’asile est clairement frauduleuse parce que la SPR est arrivée à la conclusion que le demandeur avait fait de fausses déclarations sur des questions touchant au cœur même de cette demande, notamment sur son identité.

[27]  Le législateur a décidé d’exiger que la demande d’asile soit « clairement frauduleuse » pour qu’il s’ensuive des conséquences déterminées. Il faut en déduire que c’est la demande d’asile elle-même qui doit être jugée frauduleuse, et non par exemple le fait que le demandeur aurait utilisé de faux documents pour sortir du pays d’origine ou entrer au Canada. Une fois qu’il a présenté sa demande d’asile, le demandeur doit se conduire de manière irréprochable, et les déclarations qu’il fait à l’appui de cette demande doivent être exactes, sinon elles pourraient être retenues contre lui. En d’autres termes, les mensonges par lesquels une personne essaierait d’obtenir l’asile pourraient rendre sa demande d’asile frauduleuse. C’est la demande d’asile en soi qui doit être frauduleuse.

[...]

[30]  Pour qu’une demande d’asile soit dite frauduleuse, il faut que le demandeur ait déclaré qu’une situation est d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’est pas. Mais ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet. À mon sens, une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu.

[31]  Si le terme « frauduleuse » dénote la nécessité d’assertions inexactes ou de la dissimulation d’un fait important dans le but d’induire une autre personne à agir à son détriment, j’aurais tendance à penser que le terme « clairement » (clearly) concerne le degré de fermeté de la conclusion. Par exemple, le Black’s Law Dictionary, West Group, 7e éd., définit la [traduction] « norme de la décision manifestement (clearly) erronée » comme la norme suivant laquelle [traduction] « un jugement peut être infirmé si la cour d’appel a la ferme conviction qu’il est entaché d’une erreur ». De même, pour qu’une demande d’asile soit clairement frauduleuse, il faut à mon avis que le décideur ait la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie. Les mensonges d’importance secondaire ou antérieurs à la présentation de la demande d’asile ne semblent pas remplir cette condition.

[39]  Dans Warsame, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité et que ses certificats de naissance et de mariage étaient frauduleux. Le juge Roy a conclu qu’il était loisible à la SPR de conclure à la fausseté de l’exposé circonstancié afférent à la demande d’asile du demandeur qui s’est révélé défectueux au point de pouvoir être considéré comme frauduleux. Le juge Roy a affirmé que la demande d’asile était clairement frauduleuse, parce que la SPR est arrivée à la conclusion que le demandeur avait fait de fausses déclarations sur des questions touchant au cœur même de cette demande, notamment sur son identité.

[40]  Dans Nanyongo, le juge Fothergill a conclu que les nombreuses conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, dont seulement certaines sont remises en question dans la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi, étaient suffisantes pour appuyer la détermination que la demande était manifestement infondée.

[41]  En l’espèce, les observations de la demanderesse sur cette question ne sont pas, d’après moi, clairement axées sur la question de savoir si la conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée était raisonnable. Je suis d’accord avec la demanderesse, c’est-à-dire que son identité personnelle n’avait pas été mise en doute, même si elle est venue au Canada au moyen de faux documents. Il est également vrai que l’utilisation ou la destruction de faux documents de voyage sur les instructions d’un agent a été considérée comme accessoire et d’une valeur très limitée aux fins de l’évaluation de la crédibilité en général. Cela s’explique par le fait que, bien souvent, les personnes qui fuient leur pays pour éviter d’être persécutées n’ont pas de documents de voyage réguliers en main et agissent selon les directives de l’agent par peur et vulnérabilité. De plus, la franchise à propos de documents de voyage a peu d’effet direct sur la question de savoir si une personne est une réfugiée (Rasheed). Toutefois, comme le fait remarquer la SPR dans ses motifs, il existe également une jurisprudence qui spécifie que dans certaines circonstances, la SPR est justifiée de tirer une conclusion défavorable si le demandeur d’asile ne présente aucun document de voyage qui permettrait de confirmer son itinéraire.

[42]  En l’espèce, la SPR a conclu que les documents de voyage étaient [traduction] « essentiels » et a rejeté l’explication de la demanderesse [traduction] « pour les motifs exposés ». Cependant, il n’est pas évident, d’après la discussion antérieure de la SPR, quels étaient ses motifs pour refuser son explication selon laquelle le passeur qui lui a fourni les documents lui aurait dit de les détruire. Au lieu de cela, la SPR semblait se concentrer sur l’importance et l’utilité des documents, et semble avoir fondé sa décision sur ces aspects, plutôt que de préciser pourquoi l’explication de la demanderesse n’avait pas été acceptée. Ainsi, cette situation n’est pas celle d’une demanderesse qui, en raison de sa situation, était incapable d’accéder à ses documents de voyage. Elle n’a pas fui de façon précipitée, et sa maison et ses biens n’ont été ni détruits ni volés. En effet, elle avait fait trois tentatives antérieures, en utilisant des documents frauduleux, pour obtenir un visa et entrer aux États-Unis avant de réussir à obtenir un visa d’étudiant pour le Canada, encore une fois, au moyen de documents frauduleux.

[43]  La conclusion de la SPR, selon laquelle la demanderesse avait sciemment utilisé des documents frauduleux pour demander un visa d’étudiant, n’était pas non plus déraisonnable. Cependant, l’essentiel de cette conclusion voulant que la demande soit manifestement infondée semble être que, au moment où elle a pris ses arrangements, la demanderesse n’était pas recherchée par le BSP en Chine. Comme elle ne fuyait pas la persécution, elle ne possédait aucun motif justifiant l’utilisation de moyens frauduleux pour obtenir un visa. À cet égard, la SPR a déclaré que, puisqu’il avait été démontré qu’il y avait eu fraude dans la demande de visa au Canada, des documents frauduleux ayant été utilisés au moment où la demanderesse ne faisait pas l’objet d’un risque sérieux de persécution, elle a également conclu que la demande était manifestement infondée.

[44]  En l’espèce, je suis préoccupée par le fait que c’est au moyen de documents frauduleux que la demanderesse a à entrer au Canada. Elle a reconnu qu’ils étaient frauduleux, mais que son identité n’avait pas été mise en doute. De cette façon, la fraude pour obtenir la demande de visa d’étudiant n’avait guère de lien avec son allégation de persécution; elle n’était pas au cœur de la question. Et comme peu de poids avait été accordé à ses autres documents à l’appui, ces derniers n’ont pas été considérés comme frauduleux. Elle n’a pas non plus frauduleusement allégué qu’elle était poursuivie par le BSP quand elle a quitté la Chine. Elle a plutôt allégué que le comité de quartier avait fait courir des rumeurs sur sa pratique du Falun Gong auprès de ses parents. Ainsi, il était loisible à la SPR de conclure, comme elle l’a fait, que ces faits ne constituent pas un risque sérieux de persécution. Toutefois, dans mon esprit, cela est différent de conclure que la demande en soi était entièrement frauduleuse. Et bien que les décisions Warsame et Nanyongo pourraient être citées pour suggérer qu’il était loisible à la SPR de fonder sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée sur le cumul de ses conclusions quant à la crédibilité, j’avoue ma crainte, du moins en l’espèce, que ces éléments équivalent à une demande clairement frauduleuse, par opposition à l’absence de minimum de fondement. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la SPR n’avait pas fondé sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée sur le cumul de ses conclusions quant à la crédibilité.

[45]  Comme l’a déclaré la juge Heneghan dans Brindar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1216, au paragraphe 11, une conclusion défavorable sur la crédibilité n’est pas synonyme de demande frauduleuse. La juge Heneghan a soutenu que, dans l’affaire dont elle était saisie, les motifs de la SPR n’illustraient pas que cette dernière était consciente de cette distinction. En conséquence, l’importance accordée par la SPR à l’article 107.1 était déraisonnable. Je ferais également remarquer que cette Cour a précédemment établi que le critère pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement d’une demande d’asile, le seuil à franchir, conformément au paragraphe 107(2) de la LIPR, est rigoureux (voir Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, aux paragraphes 18 et 19; Boztas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 139, au paragraphe 11). À mon avis, un seuil aussi élevé devrait s’appliquer à la conclusion selon l’article 107.1 voulant que la demande soit manifestement infondée.

[46]  En l’espèce, les motifs de la SPR n’ont consacré qu’une seule phrase à sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée. Comme dans Brindar, je ne suis pas convaincue que cela démontrait que la SPR a fait la distinction entre une demande clairement frauduleuse et une demande qui est fondée sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité, ou encore qu’elle a adéquatement expliqué le fondement de cette conclusion. En conséquence, la conclusion de la SPR n’est pas justifiée, transparente et intelligible, et ne respecte pas la norme de raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Bien que le résultat final puisse en fin de compte être le même, je renvoie l’affaire pour réexamen au motif que la conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-5378-17

 

INTITULÉ :

MENGZI YUAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juin 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Lori Hendriks

 

Pour le défendeur

 

Mark Rosenblatt

 

Pour la demanderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

Mark Rosenblatt

Avocat

Pour la DEMANDERESSE

 

 

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