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Date : 20180705


Dossier : IMM-1-18

Référence : 2018 CF 695

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

CANAN ATIM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, qui est citoyenne de la Turquie, demande le contrôle judiciaire d’une décision (décision) rendue le 4 décembre 2017 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui rejetait la demande présentée à la SAR pour faire rouvrir l’appel interjeté d’une décision négative de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR, appel qui a été rejeté par la SAR pour défaut de mise en état le 21 août 2017. Pour les raisons qui suivent, je n’ai pas été convaincu que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire (demande).

II.  Contexte

[2]  Dans son affidavit soumis à la SAR, déposé pour appuyer sa demande de réouverture, la demanderesse a déclaré qu’elle a été encouragée à embaucher un nouvel avocat pour l’aider dans le cadre de son appel de la décision négative de la SPR. Ainsi, bien qu’elle fût représentée devant la SPR par un avocat (premier avocat), elle a demandé l’aide d’un autre avocat (deuxième avocat) dans le cadre des procédures devant la SAR.

[3]  La demanderesse a déclaré qu’elle a rencontré le deuxième avocat le 9 juin 2017. Dans des messages texte datés du 13 juin 2017 (joints comme pièces à l’affidavit de la demanderesse), la tante de la demanderesse a avisé le deuxième avocat qu’elle avait tenté d’obtenir le dossier de la demanderesse du premier avocat, mais qu’elle a été avisée qu’il faudrait que le deuxième avocat lui envoie le consentement signé de la demanderesse. La tante de la demanderesse, qui envoyait le message en son nom, a indiqué que le délai avant l’appel était court et que la demanderesse était [traduction] « nerveuse ». Le deuxième avocat a répondu que la demanderesse devait passer à son cabinet ce jour-là et qu’elle devrait déposer l’avis d’appel en son propre nom, puisqu’il deviendrait son avocat [traduction] « lorsque l’aide juridique payera ou que vous me payerez ».

[4]  La demanderesse a déclaré que plus tard ce jour-là (le 13 juin 2017), elle a fourni au deuxième avocat son dossier et le numéro de certificat d’aide juridique, et qu’il a rempli les formulaires de l’avis d’appel, mais qu’il n’a pas mis son propre nom comme avocat dans les formulaires. La demanderesse a ensuite soumis son avis d’appel à la SAR le même jour.

[5]  Dans des messages textes datés du 21 juin 2017, le deuxième avocat a avisé la tante de la demanderesse que le financement de l’aide juridique avait été refusé et qu’il exigeait une provision de 2 500 $ au plus tard [traduction] « dimanche » (vraisemblablement le 25 juin 2017) pour mettre l’appel de la demanderesse en état [traduction] « à la date limite du 29 juin 2017 ». Il l’a également avisée que si la provision était remise en retard, son appel serait également mis en état en retard, ce qui nécessiterait de présenter une requête pour dépôt tardif. Le lendemain (le 22 juin 2017), la tante de la demanderesse a payé la provision au moyen d’un transfert de fonds par courriel.

[6]  Dans des messages texte datés du 23 juin 2017, la demanderesse a avisé le deuxième avocat qu’elle avait reçu une lettre de la SAR, ce à quoi il a répondu qu’il était au courant. Bien que cela ne soit pas clairement indiqué dans le dossier certifié du tribunal, il s’agissait vraisemblablement de la lettre de la SAR datée du 19 juin 2017, indiquant que le dossier d’appel de la demanderesse devait être déposé au plus tard le 4 juillet 2017.

[7]  Dans des messages texte datés du 3 juillet 2017, le deuxième avocat a demandé à la tante de la demanderesse si cette dernière devait recevoir d’autres éléments de preuve de sa famille, écrivant ceci : [traduction] « Je dois le savoir, car votre dossier doit être déposé mardi. Si nous attendons des éléments de preuve, ça va, mais nous devrons déposer le dossier en retard. Pouvez-vous indiquer par écrit que c’est ok d’attendre et s’il y a d’autres éléments de preuve! » La tante de la demanderesse a répondu [traduction] « ... voulez-vous que j’écrive à la SAR au sujet des nouveaux éléments de preuve? Je n’ai pas compris cette partie. » Le deuxième avocat a répondu ceci : [traduction] « J’ai simplement besoin que vous reconnaissiez que nous déposerons la nouvelle lettre que vous avez reçue en retard. Cela signifie que l’appel est en retard [...] Je vais déposer l’appel un jour ou deux après que vous m’ayez fourni la lettre de votre famille. Simplement pour vous faire une mise à jour sur le déroulement du dossier [...] Je dois être certain de ce qui se passe lorsque nous décidons de déposer un dossier en retard. »

[8]  Dans des messages datés du 10 juillet 2017, la tante de la demanderesse a avisé le deuxième avocat que des éléments de preuve supplémentaires étaient prêts et qu’ils seraient envoyés par messagerie à son cabinet. Le deuxième avocat a répondu : [traduction] « Je peux déposer l’appel dans la semaine suivant la réception de cette lettre. » La demanderesse a déclaré qu’elle avait fourni au deuxième avocat les éléments de preuve supplémentaires envoyés par sa mère en Turquie, le 21 juillet 2017.

[9]  Un mois plus tard, le 21 août 2017 (un lundi), la tante de la demanderesse a fait parvenir un message texte au deuxième avocat : [traduction]  « Nous n’avons pas eu de nouvelles de vous depuis que nous vous avons vu. Vous nous aviez dit que vous nous diriez par courriel de quel type de lettre vous auriez besoin de moi ou [la demanderesse]. J’attends votre réponse avec impatience. Merci. » Le deuxième avocat a répondu qu’il travaillerait sur le dossier de la demanderesse [traduction] « demain ou mercredi ». D’autres messages texte, joints comme pièces à l’affidavit de la demanderesse, montrent que le deuxième avocat a, le 25 août 2018, demandé à la demanderesse de passer [traduction] « mardi à 14 h » (ce qui correspondrait au 29 août 2017), vraisemblablement à son cabinet. La tante de la demanderesse a répondu : [traduction] « Bien sûr, nous y serons. »

[10]  Cependant, le 28 août 2017, la demanderesse a reçu la décision de la SAR rejetant son appel pour défaut de mise en état. Le lendemain, elle est venue voir le deuxième avocat, qui lui a remis son argent. Elle explique qu’elle a ensuite communiqué avec un certain nombre d’avocats, dont une a pris 15 jours avant de l’aviser qu’elle ne pourrait s’occuper de son dossier. Elle a finalement retenu les services d’un autre avocat (troisième avocat), qui l’a représentée dans le cadre de sa demande auprès de la SAR pour faire rouvrir son appel.

[11]  La demanderesse n’a pas déposé d’observations écrites en soutien de la réouverture de sa demande. Le troisième avocat a simplement indiqué, dans sa demande, que les motifs justifiant une réouverture de l’appel de la demanderesse auprès de la SAR étaient « dans l’intérêt de la justice naturelle ». Comme il a été mentionné, en soutien de sa demande auprès de la SAR, la demanderesse a soumis un affidavit, en joignant comme pièces les messages texte entre sa tante et le deuxième avocat. Elle a également soumis un affidavit de sa tante, qui corroborait le récit de la demanderesse concernant ses interactions avec le deuxième avocat.

[12]  Le deuxième avocat a soumis trois séries de documents à l’appui de la requête de la demanderesse de rouvrir son appel devant la SAR, indiquant que ses troubles médicaux étaient la cause profonde du problème. Premièrement, dans une lettre adressée à la SAR, en date du 26 octobre 2017, il a indiqué que le retard dans le dépôt de l’appel n’était pas attribuable à la demanderesse, joignant une lettre de son médecin de famille indiquant qu’il présentait un « syndrome post-commotion aigu ».

[13]  Le deuxième avocat a ensuite soumis une autre lettre, le 6 novembre 2017, joignant une deuxième lettre médicale. Dans sa lettre de présentation, le deuxième avocat affirmait ce qui suit : [traduction]

Veuillez consulter la lettre médicale du spécialiste concernant les problèmes médicaux qui ont retardé le dépôt d’un appel pour la cliente susmentionnée.

L’avocat est actuellement en arrêt de travail pour deux semaines en raison de problèmes de santé. J’espère que la note médicale soumise explique l’atteinte à la justice naturelle qui est survenue et qui devrait amener la Section d’appel des réfugiés à rouvrir l’appel.

J’espère terminer un affidavit au cours des cinq prochains jours pour expliquer les événements plus en détail, toutefois, je suis actuellement en arrêt de travail et j’ai dû annuler plusieurs audiences devant la SPR. Je vais demander à une collègue de m’aider à rédiger un affidavit concernant le retard dans le dépôt qui, je l’espèce, devrait être terminé d’ici au vendredi 10 novembre 2017. Ce retard est attribuable à un arrêt de travail causé par le retour de symptômes post-commotion.

[orthographe respectant le texte original]

[14]  La lettre médicale jointe était datée du 3 novembre 2017 et a été rédigée par le directeur médical de la David L. MacIntosh Sport Medicine Clinic. La lettre indiquait que [traduction« [p]endant l’été 2017, [le deuxième avocat] présentait des maux de tête et une vision double en raison d’une période prolongée de travail ininterrompu. Ce problème a fait en sorte qu’il a dépassé la date limite pour soumettre une requête à la Section d’appel de réfugiés ».

[15]  Finalement, le deuxième avocat a soumis son propre affidavit, assermenté le 10 novembre 2017. Il affirmait présenter un syndrome post-commotion, dont les symptômes se sont exacerbés [traduction] « à la fin de l’été 2017 » et ont fait en sorte qu’il devait prendre plus de temps pour accomplir son travail. Il affirmait que [traduction] « cet ensemble de symptômes [était] responsable du retard dans le dépôt du dossier d’appel » dans le dossier de la demanderesse Il a également confirmé qu’il a omis d’aviser la SAR après que la demanderesse ait retenu ses services à titre privé.

[16]  Le deuxième avocat a ensuite expliqué que la tante de la demanderesse l’avait avisé qu’une lettre arrivée de Turquie pourrait être utile dans le cadre de l’appel de la demanderesse. Il a déclaré : (i) qu’il avait avisé la demanderesse qu’elle devrait justifier le retard dans le dépôt; (ii) qu’il n’y avait aucune garantie que la SAR accepterait l’appel soumis en retard; (iii) qu’il avait reçu ladite lettre de Turquie aux alentours du 24 juillet 2017; (iv) qu’il a ensuite eu de la difficulté à trouver un traducteur; (v) qu’il y a eu d’autres délais avant l’obtention des transcriptions officielles; (vi) que par la suite, son cabinet a été responsable des retards en raison de ces impondérables; (vii) que bien qu’il ait commencé à travailler au dossier avec sérieux, à ce stade, il travaillait lentement et avait de la difficulté à élaborer des arguments solides; (vii) qu’il regrettait le retard attribuable à son problème après le 24 juillet 2017; (ix) qu’il n’avait pris aucun paiement de la demanderesse pour le travail effectué et qu’il avait remboursé la provision versée immédiatement après avoir appris que l’appel avait été rejeté pour défaut de mise en état; et (x) qu’il n’avait toujours pas réintégré son travail à temps plein, en raison de la vision en double et des maux de tête.

[17]  La SAR a examiné les diverses observations, dont celles du deuxième avocat. Toutefois, le 4 décembre 2017, elle a rejeté la requête de la demanderesse de rouvrir l’appel conformément à l’article 49 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la SAR), qui concluait que la demanderesse n’avait pas établi qu’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle lorsque son appel a été rejeté pour défaut de mise en état.

[18]   Dans sa décision, la SAR a noté que le dossier d’appel était en retard de près de deux mois lorsque l’appel a été rejeté. Elle a examiné les messages texte entre la tante de la demanderesse et le deuxième avocat et a conclu qu’il [traduction] « était au courant des délais et demandaient se cesse des mises à jour sur le matériel qui devait arriver de Turquie ». La SAR a également noté qu’il n’y avait eu aucune communication avec la SAR avant le rejet de l’appel de la demanderesse, notamment en ce qui concerne toute demande de prorogation dans le but d’acquérir du nouveau matériel.

[19]  La SAR a reconnu que le deuxième avocat présentait un syndrome post-commotion et que cela avait des répercussions sur sa capacité à travailler. Toutefois, la SAR a noté que le deuxième avocat et la demanderesse (par l’intermédiaire de sa tante) ont continué à interagir après que l’avis d’appel de la demanderesse ait été déposé. La SAR a conclu qu’aucun renseignement précis n’a été fourni pour expliquer comment le problème médical du deuxième avocat avait affecté sa capacité de demander une prorogation ou pour aviser la demanderesse qu’il ne pourrait la représenter efficacement.

[20]  Finalement, la SAR a également noté que la demanderesse n’a pas fait de déclaration quant à l’inaptitude de son avocat relativement au traitement de son appel et n’a pas non plus demandé de contrôle judiciaire (vraisemblablement du rejet de son appel par la SAR).

III.  Les thèses des parties

[21]  La demanderesse soutient que la SAR disposait d’éléments de preuve démontrant qu’elle n’était pas responsable du manquement de mettre l’appel en état, mais que le problème découlait plutôt du syndrome post-commotion du deuxième avocat. Elle souligne que la SAR a formellement conclu que les troubles de santé du deuxième avocat avaient affecté sa capacité à travailler. La demanderesse fait valoir que, par conséquent, la décision de la SAR est déraisonnable.

[22]  En termes de jurisprudence, la demanderesse soutient que, premièrement, l’incompétence de l’avocat peut équivaloir à un manquement au principe de justice naturelle, en s’appuyant sur la décision Balazs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 596. La demanderesse soutient ensuite qu’en raison de l’incompétence du deuxième avocat, elle a été privée de la possibilité de faire valoir ses arguments devant la SAR. Par ailleurs, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Mathon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 28 FTR 217 (Cour fédérale du Canada – Section de première instance) pour faire valoir qu’elle ne devrait pas avoir à assumer les conséquences des erreurs du deuxième avocat, plus particulièrement à la lumière du fait qu’elle a toujours eu l’intention d’interjeter appel et qu’elle a exercé la plus grande prudence.

[23]   La demanderesse soutient qu’une décision d’un tribunal administratif peut être annulée lorsque (i) l’avocat était incompétent, (ii) le résultat de la décision aurait été différent, n’eût été l’incompétence de l’avocat, et (iii) il est possible de rectifier la situation sans que la partie opposée ne subisse un préjudice. Elle cite un certain nombre d’affaires soutenant cette proposition, dont Lahocsinszky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 275, Muhammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 828 et Construction Gilles Paquette Ltée c Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 RCS 299 (CSC)). La demanderesse s’appuie également sur la décision plus récente rendue dans Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626 [Zhu], qui résume le droit dans ce domaine comme suit :

[39]  Dans l’arrêt Galyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, le juge Russell a décrit le critère pour traiter les allégations d’assistance inefficace ou inadéquate de l’avocat :

[84]  Il est généralement reconnu que si un demandeur souhaite établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point, il doit :

a. corroborer l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre;

b. établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

c. établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence.

Voir, par exemple, Memari, précitée, Nizar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, et Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305.

(Voir également Badihi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 64, aux paragraphes 17-18; et Guadron, au paragraphe 18).

40]  Il doit être établi que, premièrement, les actes ou omissions allégués du représentant relèvent de l’incompétence et, deuxièmement, qu’une erreur judiciaire en a résulté (G.D.B., au paragraphe 26). Il incombe au demandeur de prouver à la fois le volet de la compétence et du préjudice du critère pour démontrer un manquement à l’équité procédurale (Guadron, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit être assez précise et clairement étayée par les éléments de preuve (Shirwa, au paragraphe 12; Memari, au paragraphe 36).

[41]  Comme l’a mentionné le juge Mosley dans la décision Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605 [Jeffrey]) :

[9] […] La partie qui invoque l’incompétence doit établir qu’elle a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actions ou omissions du conseil incompétent. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été les erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente

(Voir également Calderon, au paragraphe 11.)

[24]  Pour sa part, le défendeur s’appuie également sur la jurisprudence résumée aux paragraphes qui précèdent de la décision Zhu; il soutient que la demanderesse n’a pas démontré qu’il y a eu manquement au principe d’équité procédurale sur la base de l’incompétence du deuxième avocat.

[25]  Premièrement, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas avisé le deuxième avocat de la présente demande, ce qui, affirme-t-il, est exigé par le Protocole procédural de la Cour fédérale, daté du 7 mars 2014, concernant les allégations formulées contre les avocats. Ce protocole prévoit, en partie, ce qui suit :

Toute demande mise en état qui soulève des allégations contre l’ancien avocat ou l’ancien représentant autorisé doit être signifiée à ce dernier, et une preuve de cette signification doit être produite à la Cour.

[26]  Deuxièmement, le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a pas établi que le deuxième avocat a agi de manière incompétente. Il soutient que le deuxième avocat a expliqué à la demanderesse que son dossier d’appel serait déposé en retard en raison de nouveaux éléments de preuve arrivant de Turquie, ce que la demanderesse a reconnu. Le défendeur souligne qu’au moment où la demanderesse a envoyé ses nouveaux éléments de preuve (non traduits) au deuxième avocat, le dossier d’appel accusait déjà un retard de deux semaines. Ce retard s’est accentué davantage en raison de la traduction du matériel, ce qui, soutient le défendeur, était une exigence de la SAR connue de la demanderesse.

[27]  Le défendeur soutient également que, selon les éléments de preuve au dossier, les problèmes médicaux du deuxième avocat ne sont devenus pertinents qu’après le 24 juillet 2017, essentiellement après que la demanderesse lui ait fourni de nouveaux éléments de preuve. Plus précisément, comme le souligne le défendeur, le deuxième avocat soutient que la maladie l’a empêché de traiter le dossier de la demanderesse avec compétence après le 24 juillet 2017 seulement, alors que le dossier d’appel présentait déjà un retard de bien plus que deux semaines.

[28]  Le défendeur fait valoir ensuite que, quoi qu’il en soit, la demanderesse n’a pas établi que le résultat de cet appel aurait été différent, n’eût été l’incompétence du deuxième avocat. Il soutient que la demanderesse n’a pas soumis à la Cour les nouveaux éléments de preuve qu’elle a reçus de Turquie et que sans ces documents, elle ne peut démontrer que le résultat de [traduction« l’audience initiale » aurait été différent.

[29]  Finalement, le défendeur mentionne l’alinéa 49(7)a) des Règles de la SAR, qui prévoit que la SAR doit répondre à la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun, et souligne que la demanderesse en l’espèce a attendu plus de deux mois avant de demander une réouverture.

IV.  Norme de contrôle

[30]  Dans la décision Khakpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 25 [Khakpour], le juge Gleeson a conclu qu’une décision de la SAR de refuser de rouvrir un appel en application du paragraphe 49(6) des Règles de la SAR est examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable, sans égard au fait que les Règles de la SAR prennent aussi en considération le principe de la justice naturelle (aux paragraphes 19 à 21). La norme de décision raisonnable s’applique puisque (i) la décision de la SAR est une question mixte de droit et de fait, et que (ii) la SAR tire profit de la présomption de déférence dans les questions se rapportant à l’interprétation de sa loi constitutive (Khakpour, aux paragraphes 20 et 21). La décision Khakpour a été suivie dans Aguirre Renteria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 996 (au paragraphe 12) [Aguirre]).

[31]  Ainsi, je dois déterminer si la décision de la SAR de ne pas rouvrir l’appel de la demanderesse est raisonnable. En d’autres termes, je dois être convaincu que la décision de la SAR est transparente, intelligible et justifiée, et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.  Analyse

[32]  Dans ce contrôle judiciaire, les deux parties formulent la question en litige comme étant celle de savoir si le deuxième avocat était incompétent. Toutefois, il y a une distinction importante à faire entre la question dont je suis saisi et les cas [TRADUCTION] « d’incompétence de l’avocat » cités par les parties. La demanderesse n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAR de rejeter son appel pour défaut de mise en état. Si elle l’avait fait, la tâche de la Cour aurait consisté à déterminer, selon la norme de la décision correcte, si la conduite du deuxième avocat constituait un manquement aux règles de justice naturelle.

[33]  Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce. Après le rejet de son appel, la demanderesse a présenté une requête à la SAR pour rouvrir son dossier, soutenant que la maladie de son deuxième avocat a donné lieu à un manquement aux règles de justice naturelle. Après avoir entièrement tenu compte de ses observations, la SAR a rendu une décision négative fondée sur la preuve et les arguments qui lui ont été présentés et a conclu qu’aucun manquement au principe de justice naturelle n’a été démontré. Cette décision est maintenant visée par la présente demande de contrôle judiciaire et la tâche de la Cour, à la lumière des motifs dans les décisions Khakpour et Aguirre, consiste à déterminer si la décision de la SAR résiste à un examen selon la norme du caractère raisonnable. Autrement dit, ce n’est pas mon travail de me prononcer sur la compétence du deuxième avocat.

[34]  En gardant ces commentaires à l’esprit, je passe aux arguments des parties, dont un grand nombre portent, selon moi, sur une hypothèse erronée que je procède à une analyse de premier niveau de l’incompétence du deuxième avocat, au lieu de procéder à un contrôle judiciaire du refus de la SAR de rouvrir l’appel au motif du comportement contesté du deuxième avocat.

[35]  Premièrement, compte tenu de la nature de ces procédures, j’estime que la demanderesse n’était pas tenue d’aviser le deuxième avocat du présent contrôle judiciaire. L’incompétence d’un avocat n’est pas un motif de contrôle judiciaire dans les questions soumises à la Cour. La demanderesse prétend plutôt que la SAR a mal interprété la preuve qui lui a été présentée en concluant que la maladie du deuxième avocat n’avait pas donné lieu à un manquement au principe de justice naturelle. Par ailleurs, la SAR a examiné les trois séries d’observations du deuxième avocat, dont son affidavit et les lettres médicales soumises en réponse à la demande de la demanderesse de rouvrir son appel.

[36]  Je ne suis pas d’accord avec le défendeur que le retard dans le dépôt de la requête de réouverture de la demanderesse a eu une influence sur le présent contrôle judiciaire, puisque la SAR n’en a pas tenu compte sans ses motifs. Je ne suis pas non plus d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse devait soumettre à la Cour les nouveaux éléments de preuve obtenus de Turquie. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse n’a pas à démontrer que ces documents auraient eu un effet important sur l’évaluation par la SAR de la conclusion négative de la SPR. Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire consiste plutôt à examiner les éléments soumis à la SAR et à déterminer si la décision était raisonnable conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[37]  De même, et contrairement aux observations du défendeur, la demanderesse n’est pas tenue, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, de démontrer que le deuxième avocat était incompétent. Ce qui importe, c’est de déterminer si la SAR a pris une décision raisonnable, à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, que la maladie du deuxième avocat n’a pas entraîné de manquement du principe de justice naturelle au sens de l’article 49 des Règles de la SAR. De même, une grande partie de la jurisprudence citée par la demanderesse est peu utile dans le cadre du présent contrôle judiciaire, puisque la Cour ne détermine pas elle-même si le deuxième avocat était incompétent, et ni ces dossiers ni leurs principes sous-jacents n’ont été soumis à la SAR afin qu’elle puisse les examiner.

[38]  En ce qui concerne la décision faisait l’objet du contrôle, je ne suis pas convaincu qu’elle était déraisonnable. La SAR a examiné avec diligence la preuve et accepté le fait que la maladie du deuxième avocat avait affecté son travail, mais a déterminé qu’aucune des allégations ou des explications de la demanderesse ne portait sur le fait qu’elle a dépassé la date d’échéance initiale pour déposer son dossier d’appel pour mettre son appel en état. Ses arguments portaient entièrement sur les événements survenus après le 24 juillet 2017, bien après que la date d’échéance du dépôt de l’appel devant la SAR. Bien que l’avocat de la demanderesse ait déclaré, dans le présent contrôle judiciaire, que la demanderesse n’a jamais été avisée par le deuxième avocat qu’il existait un risque que son appel soit rejeté pour manque de mise en état, une fois de plus, cet argument n’a pas été soumis à la SAR et ne peut être utilisé maintenant pour contester la décision (Dougal & Co Inc c Canada (Procureur général), 2017 CF 1075, au paragraphe 24).

[39]  Par conséquent, je suis d’avis qu’il était loisible à la SAR de refuser la requête de la demanderesse de rouvrir l’appel à la lumière des éléments de preuve et des arguments présentés et en fonction de son application de ces éléments de preuve et de ces faits aux principes de droit (c.-à-d. les Règles de la SAR). Je reconnais qu’il s’agit d’une issue difficile pour la demanderesse qui, en tout temps, selon le dossier, semblait sincèrement souhaiter poursuivre cet appel. Toutefois, après avoir considéré tous les aspects de cette question à l’intérieur des paramètres du rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, je n’ai pas été convaincu que la décision de la SAR n’appartient pas aux issues possibles raisonnables.

VI.  Conclusion

[40]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1-18

 

INTITULÉ :

CANAN ATIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

John Cintosun

 

Pour la demanderesse

 

Maria Burgos

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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