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Date : 20180731


Dossier : IMM-402-18

Référence : 2018 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET

DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

YOLANDA SABENI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 21 décembre 2017 (la décision) par laquelle il a été conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention. Le demandeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), lequel demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour une nouvelle décision.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande est rejetée parce que le ministre n’a pas démontré que la décision de la SPR est déraisonnable; soit en ce qui a trait à sa conclusion voulant que la défenderesse ait établi son identité comme ressortissante du Zimbabwe ou quant à sa conclusion selon laquelle la défenderesse avait établi une crainte fondée de persécution au Zimbabwe en raison de ses opinions politiques. Ces conclusions appartiennent à la gamme des issues acceptables au regard du droit et des éléments de preuve dont la SPR disposait.

II.  Contexte

[3]  La défenderesse est arrivée à un poste frontalier du Canada le 3 septembre 2017 en provenance des États-Unis, après avoir voyagé par avion de l’Afrique du Sud aux États-Unis. Elle était accompagnée de sa famille, composée de son conjoint de fait et de leurs deux enfants. Les quatre membres de la famille ont demandé l’asile à leur arrivée au Canada. Il ne semble pas être contesté que le conjoint de la défenderesse soit un résident permanent de l’Afrique du Sud, et que ses deux enfants soient des citoyens d’Afrique du Sud.

[4]  Le nom et la nationalité de la défenderesse sont matière à litige dans la présente demande. Lorsqu’elle s’est présentée à la frontière canadienne, elle était munie d’un passeport sud-africain au nom de Felicia Noluthanda Khumalo. Elle prétend cependant être citoyenne du Zimbabwe et se nommer Yolanda Sabeni.

[5]  La demande d’asile de la défenderesse est fondée sur des allégations de crainte du parti politique au pouvoir au Zimbabwe, l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique (le ZANU‑PF). Elle prétend qu’elle-même et sa famille ont été associées à l’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), et qu’elle a été agressée sexuellement par un fonctionnaire du gouvernement du ZANU-PF en 2005 lorsqu’elle avait 18 ans. Elle raconte qu’elle a ensuite fui l’Afrique du Sud et qu’un représentant du MDC l’a aidée à obtenir un passeport sud-africain sous un faux nom.

[6]  Le conjoint de la défenderesse a également présenté une demande d’asile fondée sur la crainte du ZANU-PF. Il affirme être un partisan du MDC et affirme avoir déménagé en Afrique du Sud en 2004 en raison des menaces proférées par le ZANU-PF à l’endroit des membres du MDC. Il a par la suite obtenu le statut de résident permanent en Afrique du Sud. Le couple s’est rencontré en 2005, peu après l’arrivée de la défenderesse en Afrique du Sud. Leurs enfants sont nés dans ce pays.

[7]  La décision de la défenderesse et de sa famille de quitter l’Afrique du Sud a été provoquée par un événement qui, selon eux, a eu lieu le 17 décembre 2016. Ils allèguent que trois hommes armés les ont séquestrés dans leur maison et leur ont dit de se coucher sur le plancher et de chanter des slogans du ZANU-PF. Ils ont quitté l’Afrique du Sud le 13 juillet 2017, à destination des États-Unis avant d’arriver au Canada le 3 septembre 2017, et de demander l’asile.

III.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[8]  Le ministre est intervenu et a participé à l’audition de la demande d’asile de la défenderesse et des membres de sa famille. Bien que la décision sous-jacente à la présente demande de contrôle judiciaire ait abordé les demandes de la défenderesse, de son conjoint et de leurs deux enfants, c’est seulement la décision touchant la défenderesse qui est contestée par le ministre. Par les motifs expliqués ci-dessous, la SPR a accepté la demande de la défenderesse, mais a rejeté les demandes des membres de sa famille.

A.  La demande de la défenderesse

[9]  La SPR a examiné chacune des demandes d’asile séparément. Elle a conclu que la défenderesse était crédible et a donc cru les allégations formulées à l’appui de sa demande. La SPR a fait remarquer que le témoignage de la défenderesse était simple et direct et qu’il n’y avait aucune incohérence ou contradiction importante entre son témoignage et les autres éléments de preuve qui n’ait pas été expliquée de façon satisfaisante.

[10]  La SPR s’est d’abord penchée sur la question de l’identité de la défenderesse, concluant qu’elle avait établi, selon la prépondérance des probabilités, son identité comme ressortissante du Zimbabwe grâce à son témoignage et aux documents déposés, dont son certificat de naissance et des documents délivrés par son école. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR a pris note de la présentation du ministre voulant que le passeport sud-africain de la défenderesse constitue une preuve prima facie de sa nationalité sud-africaine, mais a retenu le témoignage de la défenderesse selon lequel elle l’avait obtenu frauduleusement, avec l’aide d’un homme associé au MDC. La SPR a également pris en compte les éléments de preuve documentaire indiquant que des pièces d’identité peuvent parfois être obtenues frauduleusement en Afrique du Sud, ce qui corroborait le témoignage de la défenderesse. La SPR a donc conclu que le passeport sud-africain était frauduleux.

[11]  La SPR a tenu compte de l’argument du ministre voulant que la défenderesse n’ait produit aucun document d’identité avec photo pour établir la nationalité zimbabwéenne qu’elle affirme posséder. La SPR a cependant jugé que son explication de cette lacune de la preuve était raisonnable, puisqu’elle a quitté le Zimbabwe à l’âge de 18 ans et n’avait pas à cet âge obtenu un passeport ou un permis de conduire. La SPR a également relevé une incohérence dans l’orthographe du nom zimbabwéen de la défenderesse de certains des documents (certains portaient le nom « Sabheni »). La SPR a cependant accepté son explication selon laquelle elle et les membres de la famille utilisent les deux orthographes, et qu’elle prononce son nom avec l’ajout de la lettre « h », mais que son vrai nom est écrit sans le « h ».

[12]  La SPR a également souligné qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’authenticité du certificat de naissance de la défenderesse, et qu’elle avait fourni beaucoup d’information crédible sur sa famille et sur sa vie au Zimbabwe. Elle a également été en mesure de fournir des détails sur sa scolarité au Zimbabwe, à propos de ses activités avec le MDC, et sur la géographie et la situation politique du pays. La SPR a examiné, et partagé, les préoccupations relatives à la crédibilité soulevées par le ministre à l’égard des certificats de décès des parents et de la sœur de la défenderesse. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, la SPR a conclu que les préoccupations relatives à la crédibilité ne suffisaient pas à justifier une conclusion défavorable à l’égard de l’identité de la défenderesse. La SPR a donc conclu qu’elle était une ressortissante du Zimbabwe.

[13]  Ayant conclu que le passeport sud-africain de la défenderesse était frauduleux, et qu’elle n’avait donc aucun statut juridique dans ce pays, la SPR a examiné si elle pouvait y obtenir le statut de résidente permanente grâce à son conjoint qui, comme la SPR l’avait conclu, était un résident permanent de l’Afrique du Sud. Tout en considérant que c’était une possibilité, la SPR a souligné qu’une telle demande serait assujettie au pouvoir discrétionnaire de l’administration et, étant donné qu’elle avait vécu sous une fausse identité en Afrique du Sud à l’aide de documents obtenus frauduleusement, la SPR a conclu qu’il était peu probable qu’elle obtienne la résidence permanente. La SPR n’a par conséquent évalué sa demande qu’à l’égard du Zimbabwe.

[14]  La SPR a conclu que la défenderesse avait établi qu’elle avait une crainte fondée de persécution fondée sur ses opinions politiques et son appartenance au MDC. La SPR a reconnu qu’elle était membre du MDC depuis 2002 et qu’elle avait été agressée sexuellement par un représentant du ZANU-PF en 2005. La SPR a également souligné le témoignage de la défenderesse à l’effet que tous les membres de sa famille étaient des sympathisants du MDC et son récit montrant que sa mère et une de ses sœurs avaient été privées de soins médicaux en raison de leur affiliation politique.

[15]  Bien que la défenderesse n’ait pas demandé l’asile en Afrique du Sud, la SPR a retenu son témoignage selon lequel elle ne savait rien de ce type de demande lorsqu’elle a fui le Zimbabwe à l’âge de 18 ans, et qu’elle était capable de vivre en Afrique du Sud en toute sécurité sous sa nouvelle identité. La SPR l’a également questionnée sur ses retours au Zimbabwe en 2013 et 2015. Les explications de la défenderesse ont encore une fois été considérées comme raisonnables par la SPR.

[16]  Après avoir fait référence aux éléments de preuve documentaire comme étant compatibles avec la peur alléguée par la défenderesse, malgré le récent changement à la présidence du Zimbabwe, la SPR a conclu que la défenderesse avait établi une crainte fondée de persécution. La SPR a brièvement examiné si la défenderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État zimbabwéen et la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur, mais a conclu que ni l’une ni l’autre de ces questions n’interdisait l’acceptation de sa demande.

B.  La demande du conjoint

[17]  L’exclusion par application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés constituait la question déterminante de la demande du conjoint de la défenderesse. La SPR l’a trouvé crédible et a cru les allégations formulées à l’appui de sa demande. Elle a cependant tenu pour acquis qu’il était résident permanent de l’Afrique du Sud et a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État en Afrique du Sud et qu’il pouvait y vivre de façon sécuritaire. La SPR a par conséquent conclu que l’époux de la défenderesse était exclu de la protection. Elle a néanmoins examiné sa demande à l’égard du Zimbabwe et a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.

[18]  Pour en arriver à cette dernière conclusion, la SPR a fait référence au témoignage du conjoint dans lequel ce dernier a affirmé qu’il ne pensait pas que les autorités du Zimbabwe le recherchaient ou qu’il serait exposé à un risque s’il retournait au Zimbabwe. Il est même retourné au Zimbabwe de nombreuses fois au fil des ans, et y a vécu pendant quelques mois, sans rencontrer quelque problème que ce soit avec les autorités. Il a également été en mesure de renouveler son passeport et sa carte d’identité zimbabwéens.

C.  Les demandes des enfants

[19]  La SPR a reconnu que les enfants sont des citoyens d’Afrique du Sud. Elle a examiné l’analyse de la disponibilité pour le conjoint de la défenderesse de la protection de l’État en Afrique du Sud afin de l’appliquer également aux enfants et, en tenant compte du fait qu’aucun effort pour se prévaloir de la protection dans ce pays n’avait été fait, la SPR a conclu que les demandeurs d’asile mineurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. La SPR a décidé qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[20]  Le ministre soumet les questions suivantes à la Cour :

  1. La SPR a-t-elle erré en concluant que la défenderesse avait établi son identité en tant que ressortissante du Zimbabwe?

  2. La SPR a-t-elle erré en concluant que la défenderesse avait établi une crainte fondée de persécution au Zimbabwe en raison de ses opinions politiques?

[21]  Il n’est pas controversé entre les parties, et je suis d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen par la Cour des questions soulevées par le ministre.

V.  Analyse

A.  La SPR a-t-elle erré en concluant que la défenderesse avait établi son identité en tant que ressortissante du Zimbabwe?

[22]  Le ministre fait valoir que la SPR a commis une erreur en examinant l’identité de la défenderesse, et en préférant son témoignage et ses documents d’identité tertiaires zimbabwéens à son passeport (avec les visas délivrés par les États-Unis et l’Allemagne), à sa carte nationale d’identité et à son permis de conduire sud-africains. Le ministre s’appuie sur la jurisprudence reconnaissant qu’il existe une présomption prima facie que le détenteur d’un passeport est citoyen du pays d’émission (Becirevic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 447, au paragraphe 8; Abedalaziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1066, au paragraphe 42; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kabunda, 2015CF 1213, au paragraphe 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Inarukundo, 2015 CF 314 [Inarukundo], aux paragraphes 7 et 8).

[23]  Comme le fait cependant remarquer la défenderesse, la présomption expliquée dans ces décisions est réfutable. Dans le cas présent, la SPR a examiné l’observation du ministre voulant que le passeport sud-africain constitue un élément de preuve prima facie établissant que la défenderesse était une ressortissante d’Afrique du Sud. Mon interprétation de la décision est que la SPR a conclu que la défenderesse avait réfuté la présomption.

[24]  Le ministre soutient que cette conclusion était déraisonnable puisqu’il n’y avait aucune indication que les documents de l’Afrique du Sud ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité, et notre Cour a jugé que la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux (Inarukundo, aux paragraphes 7 et 8). La SPR a cependant conclu que le passeport sud-africain était frauduleux, en s’appuyant non seulement sur la preuve documentaire démontrant que des pièces d’identité peuvent parfois être obtenues frauduleusement en Afrique du Sud, mais aussi sur le témoignage de la défenderesse selon lequel elle avait obtenu frauduleusement les pièces d’identité avec l’aide d’un homme associé au MDC.

[25]  Les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité revêtent une importance capitale pour étayer cette conclusion. La SPR a estimé que la défenderesse était crédible et a cru son témoignage. La crédibilité constitue l’essentiel de la compétence de la SPR, et la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de telles conclusions, et rien ne justifie en l’espèce que la Cour modifie l’évaluation de la SPR voulant que la défenderesse soit un témoin crédible. La SPR n’a pas conclu que le passeport était frauduleux en raison d’un manque de caractéristiques de sécurité. Je n’interprète d’ailleurs pas la décision comme une indication que le passeport n’était pas, au moins dans sa forme, un passeport authentique. Le fait est plutôt que la SPR a retenu le témoignage de la défenderesse voulant que le passeport ait été obtenu des autorités sud-africaines de manière frauduleuse sous une fausse identité grâce à l’intervention de l’homme associé au MDC.

[26]  En contestant la décision de la SPR, le ministre soutient également qu’elle a analysé de façon déraisonnable les incohérences que comportaient les documents dans l’orthographe du nom de la défenderesse. Le ministre soutient que l’explication de la défenderesse quant à cette incohérence n’était pas logique, puisqu’elle a initialement déclaré qu’elle épelait son nom « Sabeni » et que ses frères et sœurs utilisaient « Sabheni », mais a par la suite déclaré qu’elle épelait son nom « Sabheni » même si « Sabeni » apparaissait sur ses documents officiels. J’ai examiné les parties de la transcription dont parle le ministre et je ne trouve rien de déraisonnable dans les conclusions de la SPR concernant cette question. Bien qu’il ait été loisible à la SPR de relever une incohérence dans le témoignage de la défenderesse, et d’en tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, sa décision d’accepter les explications de la défenderesse quant au fait que les deux épellations sont utilisées dans sa famille et qu’il y a une différence entre l’orthographe qu’elle utilise et celle qui apparaît sur ses documents officiels appartient aux issues acceptables.

[27]  Le ministre a également souligné d’autres incohérences parmi les éléments de preuve dont la SPR disposait, notamment à propos de l’âge auquel la défenderesse a fui le Zimbabwe, de ses activités avec le MDC en Afrique du Sud, des occasions où elle est retournée au Zimbabwe, et des difficultés à obtenir des soins médicaux vécues par les membres de sa famille, difficultés attribuables à leur appartenance au MDC. Encore une fois, bien que certains de ces points auraient pu appuyer des conclusions défavorables, je ne trouve rien dans ces éléments de preuve qui mine l’évaluation favorable par la SPR de la crédibilité de la défenderesse.

[28]  Le ministre fait valoir que les documents zimbabwéens comprenaient des certificats de décès de membres de la famille de la défenderesse, dont deux portent un timbre provincial qui est antérieur à la date d’enregistrement du décès. Interrogée à ce sujet lors de l’audience devant la SPR, la défenderesse a indiqué que cela pourrait être le résultat d’une erreur d’écriture, mais elle n’a fourni aucune autre déclaration ou aucun affidavit de son frère, qui avait obtenu les documents, à l’appui de cette explication. Encore une fois, l’évaluation de la SPR de cette question appartient aux issues acceptables. La SPR n’a pas fait fi de cette préoccupation. Elle a expressément examiné la question, et était d’accord avec le ministre que cela soulevait des préoccupations relatives à la crédibilité, mais a conclu, en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve, que ces préoccupations ne justifiaient pas une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la défenderesse.

[29]  En conclusion, en ce qui a trait à cette question, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de la SPR relatives à l’identité de la défenderesse.

B.  La SPR a-t-elle erré en concluant que la défenderesse avait établi une crainte fondée de persécution au Zimbabwe en raison de ses opinions politiques?

[30]  Le ministre fait valoir que la SPR a reconnu que la défenderesse avait une crainte fondée de persécution au Zimbabwe en raison de ses opinions politiques sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[31]  Des éléments de preuve démontraient que la défenderesse était retournée au Zimbabwe en 2013 et en 2015, ce qui pourrait être pertinent à l’évaluation de sa crainte subjective. Le ministre soutient que son témoignage comportait des incohérences quant à ces retours, puisqu’elle a d’abord affirmé qu’elle se sentait invincible grâce à sa nouvelle identité, mais a par la suite indiqué qu’elle avait parfois peur et que le fait de vivre sous une fausse identité causait des difficultés. Le ministre a également souligné que la défenderesse voyageait avec son conjoint, et que le couple soupçonnait l’Organisation centrale du renseignement du Zimbabwe de faire enquête sur lui (CIO). J’ai examiné les extraits de la transcription de l’audience dont parle le ministre. Je trouve peu d’incohérence dans les éléments de preuve, lesquels selon moi expliquent que bien que la défenderesse ait reconnu qu’il y avait un risque, elle se sentait plus en sécurité avec sa nouvelle identité. Dans l’analyse de cette question, la SPR a fait référence à l’explication de la défenderesse, notamment au fait que les visites au Zimbabwe avaient pour but d’apporter à son frère de la nourriture pour sa famille et d’accompagner son mari à une cérémonie culturelle, et a retenu l’explication de la défenderesse voulant qu’elle estimait qu’il était sécuritaire de retourner au Zimbabwe pour de courtes périodes de temps. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

[32]  Le ministre soutient également que la décision est difficile à concilier avec la conclusion de la SPR selon laquelle le conjoint de la défenderesse n’avait pas réussi à établir une crainte fondée de persécution au Zimbabwe. Le ministre signale que le conjoint a dans son témoignage exprimé une crainte des autorités du Zimbabwe parce qu’il faisait l’objet d’une enquête par la CIO à cause de ses activités politiques avec le MDC en Afrique du Sud, et parce que sa tante est une militante bien connue et députée du MDC au parlement. La preuve entourant la situation des deux demandeurs n’était cependant pas la même. Comme l’a expressément souligné la SPR, le conjoint de la défenderesse a affirmé qu’il ne pensait pas que les autorités du Zimbabwe le recherchaient ou qu’il s’exposait à un risque en y retournant. En fait, il était retourné au Zimbabwe à de nombreuses reprises, et y avait même vécu pendant quelques mois, sans avoir de problèmes avec les autorités. Une justification intelligible explique que la SPR ait rendu des conclusions différentes à l’égard des deux demandeurs, et le rejet de la demande du conjoint ne mine pas le caractère raisonnable de la décision favorable de la SPR à l’égard de la demande de la défenderesse.

[33]  Enfin, le ministre fait valoir que la défenderesse a fui le Zimbabwe il y a plus de 12 ans et qu’elle ne sait pas si le représentant du ZANU-PF qui l’avait agressée était encore en vie. Le ministre soutient que la SPR a omis d’aborder dans ses motifs l’effet du passage du temps ou le fait qu’alors que la défenderesse s’appuie sur l’association de son nom de famille au MDC, les autres membres de la famille n’ont pas eu de problèmes au Zimbabwe, malgré leur nom et leur soutien à des activités du MDC. Même si je suis d’accord avec le ministre que la décision ne comporte pas une analyse de ces questions en particulier, je ne crois pas que cela justifie de modifier la décision. Il est de droit constant que la SPR est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle était saisie, et j’estime que ces éléments de preuve ne reflètent aucune incohérence avec les conclusions de la SPR suffisante pour écarter cette présomption. Les questions soulevées par le ministre auraient pu constituer le fondement d’une décision différente de la SPR, mais la décision de la SPR appartient à la gamme des issues acceptables.

[34]  N’ayant trouvé aucune raison de conclure que la décision est déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-402-18

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-402-18

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c YOLANDA SABENI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2018

Jugement et motifs :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 31 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Maia McEachern

Pour le demandeur

Malvin J. Harding

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Malvin J. Harding

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la défenderesse

 

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