Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180727


Dossier : IMM-4998-17

Référence : 2018 CF 788

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 27 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LIDYA PASHANOV

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de rejeter la demande de résidence permanente de Yurii Dekhovenko (M. Dekhovenko) fondée sur le parrainage de la demanderesse, Lydia Pashanov (Mme Pashanov), à titre de partenaire conjugal. La décision était fondée sur la conclusion selon laquelle Mme Pashanov et M. Dekhovenko n’entretenaient pas une relation conjugale, comme l’exige l’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

I.  Allégations de fait de la demanderesse

[2]  M. Dekhovenko et Mme Pashanov étaient des camarades de classe à Nalchik, en Russie, pendant leur jeunesse, et ils ont entretenu une relation amoureuse. Mme Pashanov a déménagé en Israël en 1972, et M. Dekhovenko a déménagé en Ukraine en 1993. Ils ont tous les deux été mariés avant; M. Dekhovenko s’est marié en 1978 et a divorcé en 1993, tandis que Mme Pashanov a été mariée à deux reprises. Elle a divorcé de son premier mari en 1982, en Israël, et de son deuxième mari en 2014, au Canada.

[3]  Mme Pashanov et M. Dekhovenko se sont retrouvés en ligne en décembre 2013, et ils sont retombés amoureux l’un de l’autre. Ils ont commencé à communiquer ensemble chaque jour, et ils continuent à le faire. Mme Pashanov vire régulièrement des fonds à M. Dekhovenko. La demande de parrainage de M. Dekhovenko afin qu’il obtienne son statut de résident permanent a été déposée le 5 octobre 2015. Mme Pashanov souffre de plusieurs troubles médicaux qui rendent tout voyage presque impossible. En mai 2016, le fils de Mme Pashanov a pris des dispositions pour qu’elle lui rende visite en Israël pour son anniversaire et qu’elle puisse se rendre à des rendez-vous médicaux. Pour faire une surprise à sa mère, le fils de Mme Pashanov a pris des dispositions pour que M. Dekhovenko soit présent afin qu’ils puissent se revoir pour la première fois depuis leur jeunesse.

[4]  Quelques jours après cette visite, M. Dekhovenko a été interrogé par un agent des visas dans le cadre de la demande de parrainage. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente, et cette décision initiale a fait l’objet d’un appel de novo devant la SAI.

II.  Décision de la SAI

[5]  L’article 117 du RIPR définit un partenaire conjugal comme un membre de la catégorie du regroupement familial qui peut agir à titre de parrain. Selon la définition de « partenaire conjugal », le parrain doit entretenir une relation conjugale avec la personne qu’elle parrainera, et cette relation doit durer depuis au moins un an. La SAI a indiqué que le terme « relation conjugale » n’est pas défini dans la loi, mais que la Cour suprême du Canada a présenté la liste non exhaustive de facteurs suivante dans l’arrêt M. c H., [1999] 2 CSC 3, au paragraphe 59 :

  1. logement commun;
  2. rapports personnels et sexuels;
  3. services;
  4. activités sociales;
  5. soutien financier;
  6. enfants;
  7. perception sociale du couple.

[6]  La SAI a aussi indiqué qu’une personne doit [traduction] « adopter une approche empreinte de souplesse pour déterminer s’il y a bel et bien une relation conjugale puisque les relations de couple varient et que les critères utilisés pour évaluer les relations doivent être modifiés pour les couples qui habitent dans des pays différents » : Leroux c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 403 [Leroux]. Dans la décision Leroux, la Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 23 : « Il n’en demeure pas moins que la prétendue relation conjugale doit comporter assez de caractéristiques associées à un mariage pour démontrer qu’elle constitue plus qu’un moyen d’entrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. »

[7]  La SAI a indiqué qu’il serait utile de tenir compte de l’origine et de l’évolution de la relation entre M. Pashanov et M. Dekhovenko. La SAI a tenu compte de leur relation amoureuse initiale, de la longue période pendant laquelle ils ont été séparés et de leurs retrouvailles en décembre 2013, lesquelles ont donné lieu à des communications quotidiennes et à des virements de fonds. La SAI a indiqué que la relation s’était poursuivie de cette façon et que Mme Pashanov et M. Dekhovenko ne s’étaient pas rencontrés en personne avant mai 2016. La SAI a aussi fait remarquer qu’ils n’habitaient pas le même logement, qu’ils n’avaient pas de compte bancaire en commun et que Mme Pashanov n’avait pas fait de M. Dekhovenko le bénéficiaire de son assurance.

[8]  La SAI a tenu compte de l’explication de Mme Pashanov selon laquelle ses troubles médicaux avaient limité sa capacité à rencontrer M. Dekhovenko en personne. Cependant, la SAI a aussi mentionné que les éléments de preuve médicale ne précisaient pas que la demanderesse ne pouvait pas voyager. Par ailleurs, Mme Pashanov a bel et bien voyagé en mai 2016. La SAI a reconnu que des dispositions particulières avaient été prises pour ce voyage, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas d’explication raisonnable au fait que des dispositions similaires n’ont pas pu être prises avant ou après ce voyage. Selon la SAI, quand Mme Pashanov a décidé de se rendre en Israël, sans savoir que son fils avait pris des dispositions pour que M. Dekhovenko y soit aussi, elle n’a apparemment déployé aucun effort pour que celui-ci se rende en Israël pour la rencontrer. À ce moment-là, M. Dekhovenko s’était vu refuser à trois reprises un visa de résident temporaire pour entrer au Canada; par conséquent, la façon dont M. Dekhovenko et Mme Pashanov auraient pu se rencontrer autrement n’a pas été clairement établie.

[9]  Ces demandes de visa rejetées (toutes présentées en 2014) ont soulevé une autre préoccupation pour la SAI. Aucune d’entre elles ne mentionnait la relation conjugale alléguée avec Mme Pashanov. En fait, M. Dekhovenko s’était identifié comme célibataire dans les demandes. Chacune de ces demandes mentionnait un désir de venir au Canada pour rendre visite à sa tante et à sa famille. La SAI était très préoccupée par le fait que cette tante était en réalité la mère de Mme Pashanov. Il convient de mentionner que la demande de parrainage indique explicitement qu’aucun membre de la famille de M. Dekhovenko n’habite au Canada.

[10]  L’explication de M. Dekhovenko selon laquelle il ne voulait pas rendre la situation plus compliquée étant donné que Mme Pashanov n’était pas encore divorcée n’a pas convaincu la SAI. La SAI a aussi noté une incohérence entre la préoccupation alléguée de M. Dekhovenko au sujet de l’instance de divorce de Mme Pashanov et le fait qu’il ne connaissait pas le moment où elle a divorcé, pas même l’année.

[11]  La SAI a noté des incohérences dans les éléments de preuve en ce qui concerne l’évolution de la relation entre M. Dekhovenko et Mme Pashanov et le moment où ils sont devenus des partenaires conjugaux. La SAI a demandé pourquoi, s’ils s’étaient fiancés en 2014 comme ils l’affirmaient, ils ne s’étaient pas mariés quand ils se sont rencontrés en Israël en 2016. Ils ont répondu qu’ils étaient de confession religieuse différente et que de tels mariages n’étaient pas autorisés en Israël. Cette explication n’a pas convaincu la SAI étant donné qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui. La SAI a aussi conclu que la description de M. Dekhovenko de leur relation au moment où il a présenté la demande de résident temporaire était au mieux celle d’une relation amoureuse, et non celle d’une relation conjugale.

[12]  La SAI a rejeté la preuve selon laquelle il y avait régulièrement des communications et des virements de fonds entre M. Dekhovenko et Mme Pashanov puisque ces communications et ces virements auraient pu s’expliquer par leur relation familiale plutôt que par une relation conjugale. La SAI a aussi fait remarquer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des retrouvailles entre Mme Pashanov et M. Dekhovenko en décembre 2013. Par ailleurs, les éléments de preuve relatifs à l’évolution de la relation par la suite n’ont pas convaincu la SAI.

III.  Questions en litige

[13]  La demanderesse affirme que :

  1. la SAI a mal interprété des éléments de preuve pertinents ou en a fait fi;
  2. la SAI a réalisé une analyse microscopique des témoignages, des hypothèses et des conjectures;
  3. la SAI a incorrectement appliqué les facteurs utilisés pour évaluer la relation conjugale;
  4. M. Dekhovenko et elle ont été privés de l’équité procédurale en raison d’erreurs commises par l’interprète.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[14]  Le fait que la norme de contrôle utilisée pour la majorité des questions soit celle de la décision raisonnable ne semble pas être contesté : décision Leroux, au paragraphe 16. L’exception touche la question de l’équité procédurale, laquelle est assujettie à la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12.

B.  Défaut de tenir compte des éléments de preuve

[15]  La demanderesse allègue que la SAI a fait fi les éléments de preuve suivants :

  1. ses antécédents médicaux;
  2. les motifs religieux qui ont empêché M. Dekhovenko et elle de se marier en Israël.

[16]  En ce qui concerne ses antécédents médicaux, la demanderesse cite la preuve médicale provenant de médecins relativement à ses troubles de santé, ainsi que les dispositions particulières que son fils a dû prendre pour qu’elle puisse se rendre en Israël. Je ne suis pas convaincu que la SAI a mal interprété l’un ou l’autre des éléments de preuve ou en a fait fi. Elle a formulé des commentaires sur ces éléments de preuve, mais a conclu qu’ils ne démontraient pas qu’elle n’aurait pas pu voyager avant ou après son voyage en Israël. Selon moi, cette conclusion est raisonnable.

[17]  La SAI a aussi tenu compte de l’argument selon lequel Mme Pashanov et M. Dekhovenko ne pouvaient pas se marier en Israël. La SAI a aussi conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour appuyer cet argument. À mon avis, cette conclusion était aussi raisonnable.

C.  Analyse microscopique, hypothèses et conjectures

[18]  La demanderesse conteste la conclusion défavorable tirée par la SAI du fait que M. Dekhovenko ignorait la date à laquelle son divorce avait été prononcé en 2014. La demanderesse critique la conclusion de la SAI selon laquelle si elle et M. Dekhovenko entretenaient réellement une relation conjugale et qu’ils avaient communiqué quotidiennement ensemble pendant plusieurs années, ils auraient discuté de son divorce et M. Dekhovenko aurait su en quelle année il avait été prononcé. La demanderesse allègue qu’il n’était pas raisonnable pour la SAI de tirer une telle conclusion sur la nature des conversations du couple.

[19]  À mon avis, il était raisonnable que la SAI tire une telle conclusion puisque M. Dekhovenko lui-même a cité l’instance de divorce comme motif pour expliquer le fait qu’il n’avait pas mentionné Mme Pashanov dans ses demandes de résident temporaire. La SAI avait de nombreuses raisons de s’attendre à ce que M. Dekhovenko connaisse la date du divorce de la demanderesse.

D.  Facteurs utilisés pour évaluer la relation conjugale

[20]  Les parties ont convenu de la liste des facteurs pertinents reproduite au paragraphe  [5] ci-dessus, ainsi que de la nécessité d’adopter une approche souple quand les partenaires habitent dans des pays différents.

[21]  La demanderesse passe en revue les facteurs pertinents et explique de quelle façon ils auraient dû favoriser la reconnaissance d’une relation conjugale. Cependant, ces arguments ne représentent rien de plus qu’une demande de réévaluation des facteurs qui ont déjà été reconnus et pris en compte par la SAI. Ce n’est pas là le rôle de la Cour. La demanderesse souligne les quelques éléments qui n’ont pas été explicitement examinés par la SAI, mais rien qui semble avoir été négligé.

[22]  À mon avis, les éléments de preuve appuient la conclusion de la SAI selon laquelle Mme Pashanov et M. Dekhovenko n’ont pas entretenu une relation conjugale pendant au moins un an avant le dépôt de la demande de parrainage en octobre 2015. Il était raisonnable que la SAI s’attende à avoir des éléments de preuve sur l’évolution de la relation entre décembre 2013, moment où le couple a prétendument repris contact, et octobre 2014, soit un an avant le dépôt de la demande de parrainage. Il était aussi raisonnable pour la SAI de conclure que les éléments de preuve à cet égard étaient insuffisants. Par ailleurs, compte tenu des incohérences susmentionnées, la SAI avait de nombreux motifs de ne pas accorder de poids au témoignage du couple.

E.  Question relative à l’interprète

[23]  La demanderesse allègue que la SAI a trouvé des incohérences dans les éléments de preuve relatifs à ses retrouvailles avec M. Dekhovenko en raison d’erreurs commises par l’interprète. L’argument selon lequel la décision de la SAI devrait être annulée pour ce motif n’a pas été bien élaboré, que ce soit par écrit ou oralement.

[24]  Je statue sur cet argument en tenant compte du fait que les commentaires de la SAI qui étaient prétendument attribuables à une mauvaise interprétation avaient été formulés seulement après que l’absence d’éléments de preuve sur les soi-disant communications entre Mme Pashanov et M. Dekhovenko avait été mentionné. Je conclus que les conclusions sur les incohérences relatives à la nature soulevées en l’espèce étaient secondaires. Je note aussi que la SAI était au courant des défis posés par l’interprète. Je ne suis pas convaincu que de tels défis ou de telles erreurs d’interprétation ont eu une incidence importante sur la décision de la SAI.

V.  Conclusions

[25]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande devrait être rejetée.

[26]  Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4998-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4998-17

 

INTITULÉ :

LIDYA PASHANOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Zainab Jamal

 

Pour la demanderesse

 

Melissa Mathieu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zainab Jamal

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.