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Date : 20180710


Dossier : IMM-4949-16

Référence : 2018 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2018

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

NASTRAN YEGANEH, AMITIS KHANJANI

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demanderesses, Nastran Yeganeh et sa fille mineure Amitis Khanjani, toutes les deux citoyennes de l’Iran, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La demande de la fille dépend entièrement du succès de la demande de la mère demanderesse, à laquelle je référerai ci-après.

[2]  La SPR a conclu que les demanderesses n’avaient ni qualité de réfugiées au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger, selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La SPR a également conclu que la demande était manifestement infondée, empêchant d’interjeter appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR).

[3]  Le point déterminant dans le présent contrôle judiciaire est la conclusion de la SPR selon laquelle la demande de la demanderesse était manifestement infondée. L’élément essentiel de cette détermination découle d’une conclusion tirée par la SPR voulant que, contrairement à ce qu’elle a indiqué dans sa demande, la demanderesse n’a pas procédé à une hyménoplastie, qui est aussi appelée chirurgie visant la reconstruction de la virginité.

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que la conclusion de la SPR n’était pas raisonnable. Cette conclusion a entaché plusieurs autres conclusions, ultimement, la détermination manifestement infondée. Par conséquent, la décision globale de l’agent doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

II.  Intitulé modifié

[5]  Même si le défendeur est couramment désigné comme le Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Canada, en droit il demeure le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, au paragraphe 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LIPR), au paragraphe 4(1).

[6]  Par conséquent, dans le cadre de ce jugement, l’intitulé est modifié pour tenir compte du nom du défendeur à titre de Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III.  Contexte

[7]  La demanderesse est une ressortissante iranienne qui, au moment de l’audience de la SPR, avait été une sage-femme autorisée pendant 25 ans.

[8]  À l’école secondaire, la demanderesse a commencé à croire au christianisme, même si elle née en tant que musulmane. Elle a éventuellement commencé à se considérer elle-même comme chrétienne, fréquentant occasionnellement des maisons-églises en personne et par l’intermédiaire de Skype.

[9]  La participation de la demanderesse au christianisme a créé certaines difficultés entre elle et le directeur de l’hôpital où elle travaillait comme sage-femme. Éventuellement, elle a été contrainte d’abandonner son travail à l’hôpital. Elle a ouvert son propre cabinet de sage-femme en août 2001 qui faisait partie intégrante d’une clinique composée de médecins praticiens.

[10]  Bien que la demanderesse fournissait en grande partie des services de sage-femme, à deux occasions elle a procédé à la reconstruction de la virginité de patientes externes dans son bureau. À la seconde occasion, la fille qui devait subir l’opération a dit qu’elle avait peur et a mentionné à la demanderesse qu’elle était chrétienne. La demanderesse a alors utilisé une parabole de la Bible pour la réconforter. L’opération a été réalisée par la demanderesse le 17 avril 2016.

[11]  Environ 10 jours plus tard, la demanderesse est venue au Canada pour le mariage de sa sœur. Avant son départ de l’Iran, la demanderesse avait reçu un appel de la fille l’informant que sa famille avait appris qu’elle avait été opérée. Après avoir été mise au courant de ce fait, la demanderesse n’est pas retournée à sa clinique avant son départ pour le Canada.

[12]  Le 2 mai 2016, le frère de la fille s’est rendu à la clinique à la recherche de la demanderesse et a déclaré au personnel qu’il voulait la tuer. Par la suite, le frère est allé à la résidence de la demanderesse et a harcelé son époux. Lorsque le frère de la fille s’est rendu à nouveau à la résidence de l’époux de la demanderesse, il était accompagné par quelqu’un qui semblait être habillé comme un membre du Corps des gardes de la révolution iranienne. L’époux de la demanderesse s’est senti en danger et s’est installé dans la résidence de sa mère.

[13]  Après avoir été mise au courant des menaces, la demanderesse a décidé de rester au Canada et de présenter une demande d’asile. Elle a également commencé à fréquenter l’église au Canada une fois par semaine et à s’immerger plus amplement dans la foi chrétienne, allant jusqu’à décider de se faire baptiser.

[14]  La demanderesse craint qu’advenant un retour en Iran, on ne lui permettrait pas d’exercer sa religion, elle serait arrêtée pour avoir procédé à la reconstruction de la virginité et elle pourrait être exécutée pour s’être convertie.

[15]  Peu après l’audience, qui a eu lieu le 30 septembre 2016, la demanderesse a présenté des modifications et nouveaux renseignements au formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Avant la fin du mois d’août, la demanderesse avait demandé à son époux de fournir une lettre corroborante. Son époux lui a alors téléphoné et demandé si elle s’était convertie au christianisme (elle ne lui avait jamais dit qu’elle était secrètement chrétienne). Le 23 septembre 2016, la demanderesse a reçu un appel de son époux lui disant que deux jours plus tôt, il avait été assigné à comparaître au Palais de justice de Téhéran. À son arrivée, il y avait deux membres du Corps des gardes de la révolution iranienne et une troisième personne en civil qui ont demandé à l’époux de la demanderesse de révéler les allées et venues de cette-ci. Lorsqu’il a demandé quel crime elle avait commis, ils lui ont répondu qu’elle s’était convertie au christianisme, qu’elle avait exercé le prosélytisme et faisait face à une peine de mort. Au moment où l’époux de la demanderesse a nié ce dont on lui reprochait, ils ont mis en marche un magnétophone qui avait enregistré la conversation de la demanderesse avec la fille dans la clinique.

[16]  Comme il est mentionné ci-dessus, la SPR a écouté la demande de la demanderesse le 30 septembre 2016 et a rendu la décision faisant l’objet du réexamen (décision) le 28 octobre 2016.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[17]  La demanderesse a témoigné en persan. La principale question en litige présentée par son avocat concerne le fait que la SPR n’a pas tenu compte de la déclaration de l’interprète selon laquelle il n’existait pas de traduction anglaise pour certains termes médicaux et religieux. Néanmoins, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité à l’encontre de la demanderesse, car elle n’a pas nommé l’hymen comme la partie du corps visée dans l’opération de reconstruction de la virginité. Cette conclusion a donc donné suite à des conclusions sous-jacentes qui ont finalement mené à une détermination selon laquelle la demande de la demanderesse était manifestement infondée.

[18]  Il est acquis que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR quant à la crédibilité est celle de la décision raisonnable : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [Rahal], au paragraphe 22, 213 ACWS (3d) 1003.

[19]  Deux questions sont soulevées en l’espèce :

  1. La détermination de la SPR quant à la crédibilité était-elle raisonnable?

  2. La conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée était-elle raisonnable?

[20]  Comme j’ai constaté que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité qui rendent la décision déraisonnable, il est inutile de répondre à la seconde question.

[21]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].

[22]  Si les motifs, lorsque lus dans leur ensemble, « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, [...] les motifs répondent alors aux critères établis dans Dunsmuir » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

V.  Sections pertinentes de la décision

[23]  La SPR a rejeté la demande de la demanderesse parce qu’elle avait été déclarée manifestement infondée aux termes de l’article 107.1 de la LIPR au motif que la plus grande partie du récit de la demanderesse était faux et avait été inventé de façon frauduleuse dans le but de renforcer sa demande d’asile.

[24]  La SPR a tiré la conclusion critique selon laquelle la demanderesse n’a jamais procédé à une hyménoplastie, y compris le fait qu’elle n’a jamais procédé à celle qui a mené à la divulgation de son christianisme.

[25]  Cette conclusion a occasionné plusieurs conséquences que la décision désigne de la façon suivante :

[traduction]

[24]  Comme conséquence. . . Le tribunal conclut également que la demanderesse n’a pas récité de versets de la Bible avec la soi-disant jeune femme avant de procéder à la soi-disant hyménoplastie. Le tribunal conclut qu’il n’y avait pas de membre en colère de la famille d’une femme qui voulait se venger contre la demanderesse, seulement quelques jours après l’arrivée de la demanderesse au Canada. Le tribunal conclut que l’époux de la demanderesse n’avait pas été assermenté par la police. Le tribunal conclut que les autorités iraniennes ne sont pas à la recherche de cette demanderesse pour quelque raison que ce soit.

Décision au paragraphe 24.

[26]  Le motif pour lequel la SPR a conclu à la non-crédibilité de la demanderesse, à l’égard de son allégation voulant qu’elle aurait procédé à une hyménoplastie, vient du fait qu’elle était incapable de [traduction« nommer l’organe ou le tissu corporel qu’elle allègue avoir cousu... qui s’appelle en français l’hymen » : décision au paragraphe 15.

[27]  En réponse à une question de la SPR, la demanderesse a confirmé qu’elle avait étudié l’anatomie au moment de devenir sage-femme. La SPR a toutefois conclu qu’elle [TRADUCTION] « ne possédait pas les connaissances anatomiques de base requises pour donner une simple description de l’opération qu’elle allègue avoir effectuée » : décision au paragraphe 15.

[28]  La SPR a par ailleurs fait remarquer que [traduction« [m]ême si... ce n’était que la deuxième fois qu’elle procédait à cette opération, il est raisonnable de s’attendre à ce que [la demanderesse] soit capable d’expliquer la procédure et de nommer la partie de l’anatomie visée » : décision au paragraphe 15.

[29]  La SPR a ensuite conclu ce qui suit :

[traduction]

[16]  En conséquence, le tribunal conclut que la demanderesse n’a jamais procédé à une hyménoplastie, et que l’hyménoplastie que la demanderesse aurait soi-disant effectuée le 17 avril 2016 n’a jamais eu lieu.

VI.  Analyse

[30]  Il faut faire preuve d’une grande retenue envers les conclusions quant à la crédibilité de la SPR, mais le témoignage sous serment d’un demandeur est également présumé véridique en général en l’absence de contradictions : Rahal, aux paragraphes 42 et 44.

[31]  La SPR a longuement interrogé la demanderesse sur la procédure, mais la décision n’énonce aucune contradiction dans son témoignage concernant la réalisation de l’hyménoplastie. À cet égard, la présomption que son témoignage était véridique n’a pas été écartée.

[32]  De plus, la SPR peut rejeter un témoignage qu’elle juge non plausible. « Cette conclusion d’invraisemblance doit cependant être tirée de façon cohérente et en tenant compte des différences culturelles » : Rahal, au paragraphe 44. En l’espèce, je suis d’avis que, comme il est établi ci-après, la conclusion de la SPR, selon laquelle aucune hyménoplastie n’a été effectuée, n’était pas fondée sur une invraisemblance cohérente, compte tenu du témoignage de la demanderesse et de l’inexistence d’un mot équivalent en langue anglaise pour les termes médicaux en persan.

[33]  L’analyse de la SPR reposait sur le fait que le mot [traduction] « hymen » n’a pas été utilisé par le traducteur au moment de traduire la description fournie par la demanderesse de la partie du corps faisant l’objet de l’opération. Comme il a été mentionné précédemment, la soi-disant incapacité de la demanderesse à décrire la procédure opératoire revêtait une grande importance pour la SPR.

[34]  La transcription révèle qu’au moment où la SPR a tenté de déterminer le nom de la partie du corps visée par l’hyménoplastie, elle a demandé précisément quel était le [traduction« terme anatomique technique ». Lorsque l’interprète a indiqué que la demanderesse avait répondu [TRADUCTION] « le tissu externe du vagin », la SPR a demandé à l’interprète si elle avait un dictionnaire. La réponse de l’interprète était :

[traductionNon. Je ne sais pas exactement, elle... de quoi elle parle. Ce n’est peut-être pas ce type de mot. C’est peut-être un autre mot.

[35]  À ce moment-là, le dialogue suivant s’est déroulé entre la SPR et la demanderesse :

[traduction]

Commissaire : D’accord. Je vous demande donc de me dire quel est le mot anatomique utilisé pour décrire la... la partie du tissu humain que vous avez cousu dans cette procédure.

Demanderesse : Non. Il n’y a pas d’autre nom. Il s’agit de l’entrée du vagin et... oui, c’est comme un rideau qui se présente à l’entrée du vagin sous les petites lèvres. Sous les petites lèvres. En dessous. Je veux dire, sous les petites lèvres.

Commissaire : D’accord. C’est un... c’est un tissu situé sous les petites lèvres. Est-ce bien ça?

Demanderesse : Je... sous les petites lèvres se trouve l’entrée du vagin. Et ce tissu attestant la virginité est autour des... des parois du vagin, les deux côtés. Autour... oui. C’est... et la... forme est différente d’une personne à l’autre. Certaines... certaines d’entre elles sont souples, ce qui leur permet de prendre de l’expansion et de se refermer après une relation sexuelle, mais ce n’est pas toujours le cas.

Commissaire : D’accord. Je voulais juste... Je voulais juste le nom. Je vous demande seulement un nom. Donc, avez-vous autre chose à ajouter... sur cette... sur cette question concernant l’anatomie?

Demanderesse : Je n’ai rien d’autre...

Commissaire : D’accord.

Demanderesse : ... à l’esprit pour le moment.

[points de suspension dans la transcription originale]

[36]  Précédemment, la SPR avait interrogé la demanderesse sur la procédure opératoire en soi. Elle a précisé qu’elle durait environ deux heures. Après avoir expliqué qu’un anesthésique local est utilisé, lequel elle a administré, la demanderesse a décrit la procédure de la façon suivante :

[traduction] Et ensuite, nous utilisons le fil pour les points. Et... et ensuite nous essayons de réunir les tissus qui ont déjà été endommagés et se désagrègent.

[37]  Comme le démontrent déjà les exemples précédents, la demanderesse a correctement décrit l’emplacement de l’hymen, soit à l’entrée du vagin. Elle a également correctement précisé qu’il s’agit d’un tissu situé sous les petites lèvres. Les mots qu’elle a utilisés ont été traduits par l’interprète comme [traduction] « rideau » ou « rideau de virginité. » À mon avis, ce langage est plus descriptif que le terme technique [traduction« hymen » de la langue anglaise, lequel ne suggère aucun renseignement quant à l’emplacement de la partie du corps en question ou à sa fonction. Il semble toutefois que la SPR voulait un mot précis unique pour décrire le tissu en question.

[38]  En rejetant les réponses de la demanderesse concernant le nom du tissu et la procédure, la SPR a implicitement présumé que le mot [traduction] « hymen » existe en persan et que l’interprète aurait dû fournir le mot [traduction« hymen » dans la traduction anglaise des réponses de la demanderesse aux questions de la SPR sur la procédure et le nom du tissu ou de l’organe en cause.

[39]  La transcription montre cependant que la SPR n’a pas pris en compte un commentaire très important qu’a fait l’interprète lors de l’audience. À un moment, la SPR avait demandé à la demanderesse quels étaient les livres de la Bible qu’elle avait lus. Elle les a nommés, soit [traduction« Matar (ph) » et « Lohah (ph) ». La SPR a demandé à l’interprète s’il était possible de traduire cette réponse. L’interprète a répondu ce qui suit :

[traductionNon. Il n’existe pas de traduction pour les termes médicaux et les termes religieux.

[40]  Ce commentaire de l’interprète est semblable à celui fait plus tôt qui a été susmentionné en référence, selon lequel, après avoir confirmé qu’elle n’a pas de dictionnaire, l’interprète affirme qu’elle ne sait pas de quoi la demanderesse parle et qu’il s’agissait peut-être d’un autre mot ou d’un autre type de mot. À ce moment-là, la SPR aurait dû se rendre compte que la traduction des termes médicaux du persan à l’anglais était un exercice imprécis. Dans ces conditions, il n’était pas raisonnable que la SPR détermine que la demanderesse ne pouvait pas nommer le nom de la partie du corps ou décrire la procédure. Il semble qu’elle était en mesure de faire les deux dans sa langue natale.

[41]  En revenant sur les principes établis dans Rahal, le témoignage de la demanderesse ne contenait aucune incohérence concernant l’hyménoplastie. Le fondement sur lequel la SPR a conclu que la demanderesse n’a pas effectué une hyménoplastie ne repose pas sur une invraisemblance cohérente. Les mots anglais fournis découlaient de la tentative de l’interprète à traduire les termes médicaux persans utilisés par la demanderesse, et auxquels la SPR s’est déraisonnablement objectée.

[42]  Le résultat est que la conclusion de la SPR sur la crédibilité relative à l’hyménoplastie est déraisonnable. En conséquence, en l’espèce, la décision dans son ensemble est déraisonnable et doit être annulée, puisque cette conclusion était l’élément essentiel pour le reste de la décision.

[43]  La décision est annulée et la demande de la demanderesse est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen.

VII.  Opinion incidente

[44]  Par mesure distincte de prudence, je remarque que la SPR avait l’intention de prendre [traduction« connaissance d’office du fait que l’exercice de la médecine et des disciplines connexes ne peut pas fonctionner si des dossiers clairs et uniformes ne sont pas créés et conservés. » Cette connaissance d’office a mené à une détermination selon laquelle [traduction« [l’]allégation de la demanderesse qu’il est courant en Iran de ne pas tenir de dossiers sur les procédures médicales ne nécessitant pas d’anesthésie générale n’est pas crédible. » : décision au paragraphe 8.

[45]  En tirant cette conclusion fondée sur la connaissance d’office, la SPR a mal formulé les éléments de preuve. Le témoignage de la demanderesse ne mentionnait pas que les dossiers n’étaient pas conservés parce qu’un anesthésique général n’était pas utilisé, elle n’a pas fait de témoignage à propos d’un anesthésique général. Elle a déclaré qu’un anesthésique local avait été utilisé. Elle a de plus témoigné que ce type de procédure était ce qu’ils appelaient une opération [traduction« debout », car la patiente est repartie [TRADUCTION] « en marchant » après l’opération. Aucun dossier médical n’est tenu, car il s’agit d’[TRADUCTION] « opérations mineures ». Lorsque la SPR a mis en doute les propos de la demanderesse en lui demandant si c’était le cas dans l’ensemble de l’industrie (médicale) de ne pas conserver de dossiers pour les procédures visant des patients externes, sa réponse n’a pas été liée spécifiquement au type d’anesthésique utilisé au cours de l’opération, mais uniquement au fait qu’aucun dossier n’est conservé quand la personne se présente une seule fois.

[46]  La connaissance d’office a notamment comme but de dispenser de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. La Cour suprême du Canada a affirmé que « le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : 1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; 2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable [références retirées] » : R. c. Find, 2001 CSC 32, au paragraphe 48, [2001] 1 RCS 863.

[47]  La Cour suprême a également affirmé que la portée permise de la connaissance d’office varie selon la nature de la question examinée; « la preuve d’un fait touchant de près au c_ur (sic) du litige [...] peut être soumise à des exigences plus sévères que celle d’un fait général qui en est plus éloigné. » : R. c Spence, 2005 CSC 71, au paragraphe 60, [2005] 3 RCS 458.

[48]  La question de savoir si la demanderesse a exécuté une procédure médicale était au cœur du litige examiné par la SPR. Étant donné que la SPR a mal interprété l’élément de preuve sur la tenue des dossiers et que l’explication de la demanderesse était plausible, il n’était pas approprié en l’espèce de fonder une décision sur la connaissance d’office. C’est particulièrement vrai lorsque la connaissance d’office s’applique à des méthodes professionnelles d’un pays étranger dont les systèmes religieux, politiques et professionnels sont généralement très différents de ceux du Canada et sur lesquels la RSP n’a pas mentionné qu’elle possédait de connaissances personnelles.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4949-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Le nom du défendeur est remplacé par le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La présente demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4949-16

 

 

INTITULÉ :

NASTARAN YEGANEH, AMITIS KHANJANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juillet 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

Pour lES demanderesseS

 

Meva Motwani

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour lES demanderesseS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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