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Date : 20180731


Dossier : T-431-16

Référence : 2018 CF 805

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DAN PELLETIER

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Dan Pelletier (le demandeur) a intenté une action contre Sa Majesté la Reine (la défenderesse) pour un programme dans lequel la défenderesse, ses agents et ses intermédiaires sont présumés avoir rejeté des particules toxiques dans l’espace aérien canadien. La défenderesse y a répondu par une requête en jugement sommaire et une requête en radiation. Le demandeur demande maintenant à la Cour d’accorder l’autorisation d’admettre l’affidavit de monsieur J. Marvin Herndon (M. Herndon) (l’affidavit Herndon) daté du 4 mai 2018, dans le cadre de la réponse du demandeur à la requête en jugement sommaire et à la requête en radiation. Pour les motifs qui suivent, je refuse d’accorder l’autorisation d’admettre l’affidavit Herndon.

II.  Contexte de la demande

A.  Les prétentions

[2]  Le juge LeBlanc a résumé la demande du demandeur dans la décision Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 aux paragraphes 2 et 3, et par conséquent, je ne propose pas de la reproduire ici. Toutefois, comme la déclaration a été modifiée depuis lors, il est utile de résumer brièvement la demande.

[3]  Le demandeur propose un recours collectif contre la défenderesse pour la pulvérisation de substances dans l’atmosphère au moyen [TRADUCTION] « d’aéronefs d’injection d’aérosols. » Il prétend que ces aéronefs ont rejeté des particules blanches dans l’atmosphère, lesquelles sont visibles et ont été observées dans le ciel du sud de l’Alberta. Selon le demandeur, le rejet serait toxique et pourrait être absorbé dans le corps humain. Notamment, le demandeur affirme que le programme est à l’origine des troubles neurologiques, de la détresse respiratoire et d’une exposition accrue au rayonnement ultraviolet, ou qui y contribue. Les activités de pulvérisation seraient menées par le personnel de l’armée canadienne ou des parties autorisées ou engagées par l’armée canadienne. Selon l’affirmation du demandeur, l’objectif de la pulvérisation est de manipuler les conditions météorologiques, les phénomènes tectoniques, de mener des expériences biologiques et d’en faire une arme de guerre. Le demandeur soutient également que la défenderesse participe à l’activité de pulvérisation pour [TRADUCTION] « influencer le point de vue et la capacité de raisonnement de la population par des moyens chimiques ou électromagnétiques (déclaration modifiée, paragraphe 19) ». Il allègue les délits de négligence, de nuisance et d’intrusion.

[4]  Le demandeur sollicite une réparation sous la forme d’une déclaration selon laquelle les activités de rejets aériens présumées sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés, une ordonnance enjoignant à la défenderesse de cesser immédiatement ses activités aériennes et des dommages-intérêts punitifs, majorés et exemplaires d’un montant supérieur à 50 000 $.

B.  L’affidavit Herndon

[5]  M. Herndon affirme être un scientifique interdisciplinaire et président et chef de la direction de Transdyne Corporation à San Diego, en Californie. Il déclare que depuis son domicile à San Diego, il a observé des aéronefs en train de pulvériser presque tous les jours et que les rejets sont identiques ou similaires à ceux qui ont été observés et enregistrés par le demandeur. Selon lui, le rejet est très probablement composé des mêmes substances nocives et toxiques. Il décrit les activités de pulvérisation comme une forme de pollution atmosphérique délibérée et note que la pollution par les particules fines est associée à un certain nombre de maladies.

[6]  M. Herndon explique que sa préoccupation concernant le rejet de particules l’a amené à publier des recherches scientifiques évaluées par des pairs sur le sujet. Dix articles de ce genre sont joints à son affidavit à titre de pièce B, dont deux qui, selon lui, ont [TRADUCTION] « été retirés dans des circonstances douteuses, suspectes et litigieuses, et ce, malgré [ses] objections » (affidavit Herndon, paragraphe 14). Bien qu’il ait demandé des explications pour ces retraits, il n’a pas reçu les critiques textuelles de ses recherches.

III.  Position du demandeur

[7]  Le demandeur demande l’autorisation d’admettre l’affidavit Herndon comme preuve d’expert. Les faits que l’affidavit Herndon cherche à établir sont que les rejets aériens a) constituent un acte de pollution atmosphérique délibérée et b) que les rejets figurant dans les photographies du demandeur sont constitués de matières nocives et toxiques (observations écrites du demandeur, paragraphe 4). Si elle est accordée, la requête permettra également aux articles de revues rédigés ou corédigés par M. Herndon de faire partie du dossier de requête du demandeur à l’égard de la requête en radiation et la requête en jugement sommaire.

[8]  Le demandeur rappelle qu’il n’a pas reçu d’affidavit Herndon lorsqu’il a été demandé en juin 2016, mais que M. Herndon a accepté de le faire en avril 2018. Il déclare que M. Herndon ne vient pas du Canada et a des exigences professionnelles importantes en matière de temps et rappelle au tribunal de la nature délicate et dépendante du facteur temps de la demande en question. Le demandeur souligne en outre que l’affidavit commandé a été transmis à la défenderesse dès sa réception le 4 mai 2018. Le demandeur se fonde sur la décision de la Cour dans Ab Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2000 CanLII 15409 [Ab Hassle] pour la jurisprudence selon laquelle, dans de telles circonstances, l’autorisation de déposer une preuve d’expert supplémentaire peut être accordée.

[9]  Enfin, la demanderesse note que l’inclusion de l’affidavit Herndon ne devrait pas porter préjudice à la défenderesse parce qu’elle en a pris connaissance et qu’elle a la possibilité de l’évaluer et de mener un contre-interrogatoire à ce sujet si elle le souhaite.

IV.  Position de la défenderesse

[10]  La défenderesse soutient que l’affidavit Herndon contient une opinion qui ne satisfait pas aux conditions de recevabilité de la preuve d’expert. En se fondant sur l’arrêt de Cour suprême du Canada dans White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23 [White Burgess] au paragraphe 19, il soutient que l’inclusion tardive de la preuve d’expert dans le dossier de requête du demandeur ne devrait être autorisée que si cette preuve est fiable, nécessaire et suffisamment utile à l’instruction du procès. Il soutient également que, dans le cadre d’une requête en vue de présenter des éléments de preuve supplémentaires, la partie qui présente la requête doit en outre établir les circonstances exceptionnelles qui justifient l’inclusion des éléments de preuve contrairement à l’ordonnance de la Cour sur les échéances : Ab Hassle, au paragraphe 15.

[11]  La défenderesse soutient que l’affidavit Herndon n’est pas pertinent. Elle fait remarquer que la déclaration modifiée traite des allégations de pollution dans l’espace aérien canadien, touchant le public canadien et l’environnement canadien. L’affidavit Herndon, quant à lui, parle d’une hypothèse fondée sur des données recueillies à l’extérieur du Canada. Pour cette raison, la défenderesse prétend qu’il n’y a pas de lien avec le Canada.

[12]  La défenderesse soutient aussi que l’affidavit Herndon n’est pas nécessaire. Elle soutient que le document ne contient aucune preuve ou opinion à l’appui des allégations du demandeur contre l’Armée canadienne.

[13]  La défenderesse soutient que l’affidavit contient des ouï-dire inadmissibles. Citant le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), la défenderesse affirme que les affidavits présentés à l’appui d’une requête en jugement sommaire doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, et lorsque l’affidavit est fondé sur la croyance, le déclarant doit identifier la source de renseignements et expliquer pourquoi il se fonde sur ces renseignements. Elle n’est pas d’accord avec le fait que M. Herndon affirme être convaincu (c’est-à-dire que la pulvérisation de rejets qu’il a observée est la même ou similaire à celle documentée par lui ou par ses coauteurs) sans aucun fait pertinent dont il a une connaissance personnelle.

[14]  De plus, la défenderesse soutient que M. Herndon n’est pas un expert dûment qualifié parce que son affidavit n’était pas accompagné d’un certificat conforme à la formule 52.2, comme l’exigent les Règles. Elle remet aussi en question la fiabilité des travaux scientifiques sur lesquels se fonde l’opinion de M. Herndon.

[15]  Enfin, la défenderesse dit que même si l’affidavit Herndon satisfait à tous les critères de recevabilité susmentionnés, la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour admettre le document. Elle affirme qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles dans cette affaire et que le refus antérieur de M. Herndon de fournir un affidavit ne satisfait pas au seuil élevé de circonstances exceptionnelles.

V.  Analyse

[16]  Le demandeur a fourni peu d’arguments qui justifieraient l’admission de l’affidavit Herndon. Son argument est essentiellement double : 1) l’affidavit Herndon ne lui a pas été précédemment transmis et 2) l’admission de l’affidavit Herndon n’est pas préjudiciable à la défenderesse. Aussi vraies que puissent être ces thèses, elles ne constituent pas un critère juridique. Comme la Cour suprême du Canada l’a décrit dans l’arrêt White Burgess au paragraphe 23, je commencerai plutôt par analyser les quatre critères de recevabilité énoncés dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 CSC 9 : la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. Si ces conditions sont remplies, le critère exige que je compare les risques et les avantages potentiels de l’admission de la preuve : White Burgess au paragraphe 24.

[17]  La demande d’autorisation du demandeur échoue de toute évidence à la première étape de l’examen. Comme il a été mentionné précédemment, une des exigences est qu’un expert soit dûment qualifié, ce qui n’a manifestement pas été fait en l’espèce. Durant la plaidoirie, l’avocat du demandeur a fait valoir que le fait d’empêcher l’admission de l’affidavit Herndon en raison de l’absence de la formule 52.2 consiste à privilégier la forme par rapport au fond. Je ne suis pas de cet avis. La formule 52.2 joue un rôle important en veillant à ce qu’un témoin expert comprenne et respecte ses obligations envers la Cour. En l’absence d’un tel formulaire, rien ne me permet de conclure que M. Herndon comprend et déclare sous serment de respecter cette obligation. Pour ce seul motif, les exigences minimales n’ont pas été satisfaites et le témoignage est irrecevable.

[18]  Je suis particulièrement motivé par cette préoccupation à la lumière de l’opinion catégorique présentée dans l’affidavit Herndon. Il affirme que les similitudes des pulvérisations aériennes dans les photographies du demandeur sont [TRADUCTION] « tellement frappantes et non équivoques qu’à [son] avis, la seule explication raisonnable des similitudes frappantes et non équivoques est de conclure que les traînées de géoingénierie sont de la même forme et du même type que les traînées de géoingénierie nocives et toxiques qu’il a [lui-même] observées au-dessus de [son] de son domicile à San Diego [Non souligné dans l’original.] » (affidavit Herndon, paragraphe 17). Si la Cour accepte le témoignage d’opinion scientifique exprimé en des termes aussi généraux - qui tire effectivement des conclusions sur la composition chimique des traînées sur la base d’un simple examen de photographies, elle devrait être convaincue que l’expert fournissant cette opinion comprend parfaitement ses obligations envers la Cour.

[19]  Je suis aussi d’accord avec la position de la défenderesse quant à la pertinence du témoignage. Ayant déjà conclu que la demande du demandeur d’admettre l’affidavit Herndon ne répondait pas à un critère minimal, je n’ai pas besoin d’analyser l’autre critère à remplir. Il suffira d’affirmer que la demande du demandeur allègue l’existence d’un programme de pulvérisation aérienne au Canada, a et qu’aucune des recherches publiées par M. Herndon ne semble avoir recueilli des éléments de preuve dans ce pays. Pour cette raison, je ne suis pas convaincu de sa pertinence.

VI.  Conclusion

[20]  La requête du demandeur est rejetée. La demande d’autorisation d’admettre l’affidavit Herndon est rejetée. L’affidavit Herndon ne doit pas faire partie du dossier du demandeur en réponse à la requête en jugement sommaire et la requête en radiation de la défenderesse.

[21]  La défenderesse a demandé des dépens dans la présente requête. Ayant eu gain de cause, elle les aura.


ORDONNANCE dans le dossier T-431-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête est rejetée.

  2. Les dépens de la requête sont adjugés à la défenderesse.

« Shirzad Ahmed »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T-431-16

INTITULÉ :

DAN PELLETIER c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

Le 31 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Henry Juroviesky

Tony Vacca

Pour le demandeur

Jacob Pollice

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crane LLP

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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