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Date : 20180731


Dossier : IMM-5221-17

Référence : 2018 CF 803

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SIDRIT BUSHATI

EVA BUSHATI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Sidrit Bushati et son épouse Eva, sont des citoyens de l’Albanie. Ils sont arrivés au Canada en 2015 avec de faux passeports espagnols et ont demandé l’asile au point d’entrée. Ils disaient craindre d’être persécutés en Albanie parce que la famille de M. Bushati était mêlée à une vendetta.

[2]  La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté les demandes des demandeurs, en concluant qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La SPR a également conclu que leurs demandes étaient manifestement infondées.

[3]  En présentant cette demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), les demandeurs soutiennent que la SPR a enfreint leur droit à l’équité procédurale et que sa décision était déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’aucun fondement ne justifie l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Énoncé des faits

[5]  Les demandeurs soutiennent que la famille de Sidrit, la famille Bushati, est mêlée à une vendetta avec la famille Kotri. Ils prétendent que les Kotri appartiennent à une riche famille albanaise qui soutient le Parti socialiste. La famille Bushati, pour sa part, appuie le Parti démocrate d’Albanie.

[6]  Les demandeurs affirment que l’assassinat d’un membre de la famille Kotri est à l’origine de cette vendetta. Le meurtre, motivé par une certaine forme de tension politique, a été commis en 1998. À l’époque, un membre d’une autre famille, les Muca, a assumé l’entière responsabilité du meurtre. Les familles Muca et Kotri ont ensuite conclu une trêve.

[7]  Les demandeurs affirment que la famille Kotri a appris, en 2006, qu’un membre de la famille Bushati avait participé directement au meurtre commis en 1996, et cela a déclenché une vendetta entre les familles Kotri et Bushati. Selon Sidrit, cette vendetta l’a forcé à vivre dans la clandestinité et la situation s’est détériorée encore plus lorsque le Parti socialiste est arrivé au pouvoir. Sidrit dit avoir tenté à plusieurs reprises de quitter l’Albanie, mais sans succès. Les demandeurs se sont mariés en 2014 et, avec l’aide de l’oncle de Sidrit, ils ont fui l’Albanie et sont arrivés au Canada en 2015.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8]  Après avoir résumé les demandes d’asile, la SPR a établi que les liens et la crédibilité étaient les questions déterminantes. La SPR a reconnu que les demandeurs avaient établi un lien avec la Convention en raison du [traduction] « contexte d’animosité politique » entre les Partis démocrate et socialiste en Albanie, ainsi que de l’adhésion présumée des familles rivales à ces différents partis. La SPR dit avoir évalué la demande d’asile en regard de ce qu’elle a décrit comme le [traduction] « critère le moins élevé » prévu à l’article 96 de la LIPR.

[9]  En ce qui a trait à la question de la crédibilité, la SPR a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles sur plusieurs points. Elle a notamment relevé : 1) les incohérences entre le certificat de mariage des demandeurs, leur déposition orale et leurs déclarations au sujet de l’adresse de leur domicile; 2) les éléments de preuve incohérents au sujet des dates de leur cohabitation; 3) le défaut de mentionner les lieux où ils se sont réfugiés et le temps passé en Italie dans leur historique d’adresse; 4) les divergences quant à la date marquant le début de la vendetta; 5) la décision des demandeurs de retourner en Albanie, après avoir séjourné en Italie, malgré leur crainte alléguée et 6) la production d’un certificat de vendetta signé par une personne accusée de fabrication de faux documents.

[10]  La SPR a rejeté les explications des demandeurs au sujet des incohérences relevées. En ce qui concerne le certificat de vendetta – un élément de preuve que la SPR a décrit comme étant [traduction] « sans doute celui qui soulevait le plus de doute quant à la crédibilité des demandeurs », il a été mentionné que les demandeurs avaient été informés en juillet 2017 des préoccupations de la SPR au sujet des accusations de fabrication de faux documents qui pesaient contre la personne ayant produit ce document. La SPR a également souligné l’absence de tout autre élément de preuve documentaire sur la manière dont les accusations portées contre la personne ayant délivré le certificat avaient été réglées.

[11]  La SPR a admis les témoignages de Sidrit et de son cousin qui ont déclaré que la personne ayant délivré le certificat – un certain M. Shalani – n’avait pas été reconnu coupable, mais elle a ajouté que, [traduction] « lorsqu’on leur a demandé d’où ils tenaient ces renseignements », les témoins ont admis qu’ils les avaient obtenus d’autres personnes; il s’agit donc de renseignements de deuxième ou troisième main. La SPR a conclu que cette explication était insuffisante pour apaiser ses craintes que le document qui lui avait été remis avait été [traduction] « rédigé par une personne accusée de fabrication de faux documents du même type que ceux en cause ».

[12]  La SPR a donc conclu que le certificat de vendetta était un document frauduleux et que l’utilisation de ce document par les demandeurs minait leur crédibilité. La SPR a ensuite rejeté les demandes d’asile des demandeurs :

[traduction]

[...] compte tenu des conclusions défavorables quant à leur crédibilité, je conclus que les demandeurs ne sont généralement pas crédibles. Je suis d’avis que les demandeurs [...] manquent à tel point de crédibilité que je ne peux croire les arguments qu’ils invoquent à l’appui de leur demande d’asile. Je ne crois pas que les demandeurs soient mêlés à une vendetta, ni qu’ils risquent d’être persécutés en Albanie.

[13]  En rejetant leur demande d’asile et en concluant que leur demande était frauduleuse et manifestement infondée, la SPR a aussi rejeté un certain nombre de déclarations et un rapport de police. La SPR s’est basée sur le manque de crédibilité des demandeurs et sur leur capacité d’avoir accès à des documents frauduleux – comme en témoignent les faux passeports espagnols et le certificat de vendetta frauduleux qu’ils avaient pu obtenir – pour n’accorder aucun poids à ces déclarations.

[14]  En n’accordant aucun poids au rapport de police, la SPR a mentionné que ce rapport n’était qu’une répétition des allégations que la SPR avait déjà examinées. La SPR a conclu que les renseignements et allégations présentés à la police étaient les mêmes que ceux invoqués devant la SPR et que le fait de les présenter sous la forme d’un rapport de police ne les rendait pas plus crédibles.

IV.  Questions en litige

[15]  Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, les demandeurs soulèvent deux questions :

A.  La SPR a-t-elle enfreint les droits à l’équité procédurale des demandeurs? et

B.  La décision est-elle déraisonnable?

V.  Norme de contrôle

[16]  La cour de révision doit examiner les questions d’équité procédurale en regard de la norme de la décision correcte. Ce faisant, la cour doit déterminer, après avoir examiné l’ensemble des circonstances, si le processus utilisé était juste et équitable (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54 [CFCP]).

[17]   Les conclusions de fait et les conclusions de fait et de droit de la SPR, y compris celles concernant la crédibilité, doivent quant à elles être examinées en regard de la norme de la décision raisonnable (Nagornyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 215, au paragraphe 11).

VI.  Discussion

A.  La SPR a-t-elle enfreint les droits à l’équité procédurale des demandeurs?

[18]  Les demandeurs soutiennent que leurs droits en matière d’équité procédurale ont été violés parce que : 1) la SPR a exigé des éléments de preuve qui n’existent pas et qui ne peuvent exister; 2) les demandeurs n’ont pas été informés des arguments à réfuter; 3) la SPR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité d’Eva sur la base de déclarations faites par son mari au point d’entrée et 4) les demandeurs n’ont pas eu droit à une audition équitable.

[19]  En définitive, l’équité procédurale exige que le demandeur soit informé des arguments à réfuter et qu’il ait la possibilité d’y répondre adéquatement (CFCP, au paragraphe 56). Comme je l’explique ci-après, je suis d’avis que les demandeurs ont eu droit à une instruction juste et équitable.

1)  Demande d’éléments de preuve qui n’existent pas

[20]  En alléguant un manquement à l’équité procédurale, les demandeurs s’appuient, en partie, sur les conclusions défavorables de la SPR quant à leur crédibilité qui découlent de ce que la SPR a décrit comme de [traduction] « graves incohérences » dans les éléments de preuve portant sur la date des événements à l’origine de la vendetta. La SPR a noté que, lors de l’entrevue au point d’entrée, Sidrit a déclaré que le meurtre s’était produit en 2006, alors que, sur le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et dans le témoignage devant la SPR, il est mentionné que le meurtre a été commis en 1998. Sidrit a attribué ces incohérences à son état dépressif et au stress qu’il ressentait durant l’entrevue au point d’entrée.

[21]  La SPR a rejeté l’explication de Sidrit, précisant qu’elle n’était corroborée par aucun [traduction] « élément de preuve médical, psychologique ou psychiatrique attestant de l’état d’esprit du demandeur ». Les demandeurs allèguent qu’il était impossible de produire des éléments de preuve sur l’état d’esprit de Sidrit au moment de l’entrevue et qu’exiger une telle preuve corroborante constituait un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas de cet avis.

[22]  L’état d’esprit de Sidrit durant l’entrevue au point d’entrée est une question que les demandeurs ont soulevée durant l’audience devant la SPR. La SPR a indiqué que la date du meurtre était un élément central de la demande d’asile, que les incohérences sur cette question constituaient une [traduction] « une erreur très importante » et que le demandeur semblait avoir répondu à toutes les autres questions durant l’entrevue au point d’entrée. Après avoir défini, examiné et soupesé ces facteurs en regard des explications fournies, la SPR a conclu [traduction] « que les explications n’étaient pas crédibles ». La SPR a soulevé la question et a donné aux demandeurs la possibilité d’y répondre. Le rejet des explications fait appel au caractère raisonnable et non à l’équité procédurale.

2)  Absence de notification des arguments à réfuter

[23]  Les demandeurs citent Sarker c Canada (Citizenship and Immigration), 2014 CF 1168 [Sarker] dans leur jurisprudence et allèguent qu’ils n’ont pas été informés des arguments à réfuter, car : 1) la SPR n’a pas mentionné l’absence de preuve médicale sur l’état mental de Sidrit durant l’audience et 2) qu’ils ne savaient pas qu’ils devaient réfuter la présomption de la protection offerte par l’État en Italie, un pays dont ils n’ont pas demandé la protection.

[24]  Dans Sarker, la question de l’identité n’a pas été soulevée durant l’audience et le demandeur a expressément été informé que son identité n’était pas en litige. Les faits diffèrent en l’espèce. En l’espèce, les demandeurs ont été informés des préoccupations de la SPR au sujet de l’incohérence de la preuve sur la date du meurtre allégué, et on leur a donné la possibilité de dissiper ces préoccupations. Pour expliquer ce fait, les demandeurs ont soulevé la question de l’état mental. Il leur incombait de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer cette allégation et, comme je l’ai mentionné précédemment, il était loisible à la SPR de conclure qu’ils ne s’étaient pas acquittés de cette obligation.

[25]  Les demandeurs ont soulevé la question des risques en Italie, en lien avec la protection offerte par l’État dans ce pays. C’est donc aux fins d’examiner ces risques allégués que la SPR a entamé une discussion sur la protection de l’État. Même si la SPR n’était peut-être pas tenue d’examiner cette question, je suis d’avis qu’elle n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en le faisant. Les demandeurs n’ont pas été pris au dépourvu par une question que la SPR a soulevée et examinée de son propre chef.

3)  Conclusions défavorables au sujet de la crédibilité

[26]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a injustement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’Eva à cause de déclarations faites par Sidrit au point d’entrée. Cet argument est dénué de fondement. Les demandeurs ont été informés dès le début de l’audience que leur crédibilité était en litige et le dossier montre clairement qu’Eva a adopté l’exposé de faits de Sidrit pour appuyer sa demande d’asile.

4)  Déni d’une audience équitable

[27]  Les demandeurs allèguent en outre qu’ils ont été privés d’une audience équitable, car la SPR a constamment refusé d’accepter leurs explications concernant des questions déterminantes de leur demande. Là encore, cet argument est dénué de fondement. La SPR a pris acte des explications et des observations présentées par les demandeurs, mais elle a choisi de ne pas les accepter. Même si l’on peut prétendre que ces conclusions de la SPR étaient déraisonnables, il ne s’agit pas d’une question d’équité.

[28]  Dans leurs observations, les demandeurs mentionnent une discussion en privé entre la SPR et l’interprète au sujet des adresses des demandeurs en Albanie, notant [traduction] « qu’il s’agit vraisemblablement d’un manquement à la justice naturelle ».

[29]  Cependant, la transcription de l’audience révèle que le sujet de cette conversation a été communiqué à l’avocat des demandeurs au début de l’audience et que l’avocat n’a soulevé aucune objection ni préoccupation. Même si les décideurs devraient s’abstenir d’avoir des discussions en privé avec les interprètes sur des éléments pertinents de l’affaire dont ils sont saisis, les demandeurs n’ont soulevé aucun argument à ce sujet devant la SPR – comme ils auraient dû le faire – pour indiquer que cette discussion constituait un manquement à l’équité procédurale. Cette question a été soulevée devant la Cour, mais aucun argument de fond n’a été présenté à l’appui. Je n’ai donc pas examiné la question plus à fond, notamment compte tenu du fait que le contenu de la conversation a été communiqué à l’avocat des demandeurs dès le début de l’audience.

[30]  La SPR n’a pas enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale.

B.  La décision est-elle déraisonnable?

1)  Conclusions défavorables au sujet de la crédibilité

[31]  Les éléments de preuve des demandeurs abondent d’incohérences, de divergences et d’omissions :

  1. Incohérences quant à leur adresse de résidence en Albanie – les demandeurs ont indiqué deux adresses distinctes et leur certificat de mariage en mentionne une troisième;

  2. Divergences quant à la date à laquelle Eva est déménagée de Tepe à Salo Halili – trois années différentes ont été mentionnées;

  3. Divergences quant à la date du meurtre ayant déclenché la vendetta entre les familles – est-ce 1998 ou 2006?

[32]  Les demandeurs font valoir que la SPR a déraisonnablement rejeté leurs explications au sujet de chacune de ces divergences. Je ne suis pas de cet avis.

[33]  Les contradictions, omissions et divergences dans les éléments de preuve d’un demandeur d’asile sont depuis longtemps reconnues comme des éléments pouvant étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 135 NR 300, 1991 CarswellNat 851, au paragraphe 14 (WL Can) (CAF); Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 241, aux paragraphes 16 à 18).

[34]  En l’espèce, la SPR a fait ressortir les incohérences et les omissions dans la preuve. La SPR a pris acte des explications des demandeurs et les a examinées et, dans chaque cas, elle a énoncé les motifs pour lesquels elle rejetait ces explications. Les demandeurs invoquent des arguments selon lesquels une inférence ou une conclusion différente et plus favorable s’offrait à la SPR. Cependant, comme le souligne l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, il est bien établi que :

[47]  [...] certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.

[35]  Je ne crois pas que les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de chaque demandeur étaient déraisonnables. Je conclus également qu’il était raisonnablement loisible à la SPR, en se basant sur chacune de ces conclusions, de mettre en doute la crédibilité des demandeurs.

2)  Certificat de vendetta

[36]  Outre les conclusions défavorables quant à leur crédibilité mentionnées précédemment, les demandeurs contestent la conclusion de la SPR selon laquelle le certificat de vendetta produit était frauduleux. Là encore, je ne peux conclure que cette conclusion est déraisonnable.

[37]  Les préoccupations de la SPR viennent du fait que la personne ayant délivré ce certificat avait été accusée de fabrication de faux certificats de vendetta en Albanie et que cette personne avait déclaré, en 2011, qu’elle cesserait de produire des certificats. Les demandeurs ont été informés avant l’audience des préoccupations de la SPR quant à l’authenticité de ce document.

[38]  En réponse aux préoccupations de la SPR, Sidrit et son cousin ont témoigné que les accusations de fabrication de faux documents portées contre M. Shalani avaient été abandonnées, mais aucun des deux témoins n’a pu expliquer comment ils avaient été informés de ce fait. En l’absence d’éléments de preuve précisant le statut de la personne ayant délivré le certificat, et compte tenu des éléments de preuve indiquant que cette personne avait cessé de délivrer des certificats en 2011, il était raisonnablement loisible à la SPR de parvenir à la conclusion qu’elle a formulée.

3)  Les éléments de preuve du cousin permettaient-ils d’établir la demande d’asile?

[39]  Les demandeurs font aussi valoir que, 1) puisque la SPR n’a formulé aucune conclusion précise au sujet de la crédibilité du cousin et 2) que le cousin a témoigné que sa famille était venue au Canada en raison d’une présumée vendetta, par ailleurs toujours existante, le fondement de la demande avait été établi. Je ne suis pas de cet avis.

[40]  La SPR n’a pas expressément mis en doute la crédibilité du cousin, mais il ne fait aucun doute, à la lecture de la décision, que la SPR : 1) n’a pas accepté les éléments de preuve du cousin concernant la personne ayant délivré le certificat de vendetta; 2) a conclu que ce certificat était frauduleux, malgré le témoignage contraire du cousin; et 3) a conclu que [traduction] « les demandeurs n’avaient pas réussi à produire quelque élément de preuve crédible ou digne de confiance attestant de l’existence réelle de la vendetta alléguée ». Il s’agit clairement d’un rejet des éléments de preuve du cousin. Lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, comme je dois le faire, il apparaît clairement que la SPR n’a pas accepté les éléments de preuve du cousin. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, la crédibilité du cousin n’était pas sans faille.

4)  Se réclamer à nouveau de la protection de leur pays

[41]  Les demandeurs soutiennent qu’il était également déraisonnable de la part de la SPR de conclure que leur décision de retourner en Albanie, après avoir séjourné en Italie, minait la crédibilité de leur demande d’asile. À cet égard, je suis d’accord avec les observations du défendeur et j’y souscris. Le défaut de présenter une demande d’asile dans un pays signataire de la Convention relative au statut des réfugiés et le fait de retourner dans son pays d’origine peuvent être pris en compte dans l’appréciation de la crainte subjective d’un demandeur (Kabengele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 197 FTR 73, 2000 CanLII 16629, au paragraphe 41 (TD)). En l’espèce, il était raisonnable pour la SPR de conclure que la décision des demandeurs de retourner en Albanie, après avoir séjourné en Italie, mine la crédibilité de leur demande d’asile.

5)  Analyse indépendante de la preuve supplémentaire

[42]  Enfin, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse indépendante de la preuve supplémentaire produite à l’appui de leur demande d’asile. Les demandeurs soutiennent : 1) que la SPR ne pouvait rejeter des éléments de preuve en se basant sur des conclusions précédentes relatives à la crédibilité sans procéder au préalable à une forme quelconque d’analyse indépendante de ces éléments de preuve; 2) que le simple fait d’avoir accès à des documents frauduleux n’annule pas l’obligation d’analyser la preuve; et 3) que la jurisprudence montre qu’écarter des déclarations d’amis et de membres de la famille parce que ces déclarations sont intéressées est une erreur.

[43]  Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 [Sellan], la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit :

[3]  [...] Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[44]  En l’espèce, je conclus que la décision montre clairement que la SPR a examiné la nature des éléments de preuve contenus dans les déclarations et dans le rapport de police. En examinant la preuve supplémentaire, la SPR a cherché à déterminer si les éléments de preuve documentaire étaient indépendants et crédibles. Elle a conclu qu’ils ne l’étaient pas et a énoncé les motifs de sa conclusion. L’approche de la SPR est conforme à celle adoptée dans Sellan.

[45]  La jurisprudence a établi que le critère à remplir pour conclure qu’une demande d’asile est manifestement infondée est élevé (Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018, CF 155, au paragraphe 45). Pour conclure qu’une demande d’asile est manifestement frauduleuse aux termes de l’article 107.1 de la LIPR, le décideur doit déterminer si les supercheries et les mensonges touchent à un aspect important de la demande (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 596, au paragraphe 30). En l’espèce, la SPR a formulé de nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, et chacune portait sur des aspects importants de la demande d’asile présentée. Dans les circonstances, je ne peux conclure que la SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs manquaient de crédibilité et que leur demande était manifestement infondée.

VII.  Conclusion

[46]  Je conclus que la décision de la SPR reflète les éléments requis de transparence, d’intelligibilité et de justification du processus décisionnel et que le résultat appartient aux issues raisonnables possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande est rejetée.

[47]  Les parties n’ont pas relevé de question importante de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5221-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5221-17

 

INTITULÉ :

SIDRIT BUSHATI et EVA BUSHATI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

Pour les demandeurs

 

Christopher Crighton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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