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Date : 20180828


Dossier : IMM-1088-18

Référence : 2018 CF 866

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

MEIRONG LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 1er mars 2018 par un agent d’immigration du bureau des visas de Beijing, qui a refusé la demande de permis de travail et de visa de résident temporaire (VRT) pour entrées multiples de la demanderesse (collectivement, la demande).

II.  Énoncé des faits

[2]  La demanderesse est citoyenne de la Chine. Elle a travaillé comme adjointe administrative pour une société de communication sans fil dans la ville de Suzhou, en Chine, d’août 2003 à mai 2017. De mai 2017 à janvier 2018, la demanderesse a étudié à l’école de formation Success Solutions Career à Shenyang, en Chine, où elle a obtenu un diplôme d’aide familiale. En janvier 2018, la demanderesse travaillait comme bonne d’enfants à Suzhou, en Chine.

[3]  Vers le 21 janvier 2018, la demanderesse a présenté une demande de VRT par l’intermédiaire d’un avocat. Sur la demande, il était indiqué que l’emploi proposé consistait en un contrat de deux ans pour travailler comme aide familiale au domicile de Mme Sun Liang, à Vancouver.

[4]  La demande contenait des éléments de preuve attestant des études faites par la demanderesse et de ses qualifications. Ces éléments comprenaient une preuve de son baccalauréat (en Chine), ainsi que d’un programme de formation spécialisée de six mois menant à l’obtention d’un certificat d’aide familiale, dans le cadre duquel la demanderesse avait notamment cumulé 300 heures de formation pratique comme monitrice à la maternelle, entre le 12 juin et le 21 juillet 2017.

[5]  La demande précisait également que la demanderesse avait, par le passé, satisfait aux exigences canadiennes et étrangères en matière d’immigration. La demanderesse a présenté une copie du VRT pour entrées multiples au Canada qui lui avait été délivré pour une période de près de sept ans. Elle a aussi joint les timbres de son passeport indiquant de précédents voyages aller-retour entre la Chine et le Canada, en septembre 2016 et avril 2017.

[6]  L’employeur éventuel est une mère seule, qui a un enfant de 10 ans et qui a besoin d’une aide à domicile de 7 h à 11 h et de 15 h à 19 h, du lundi au vendredi. Le contrat énonce assez clairement l’horaire de travail de l’aide familiale; le travail consisterait à prendre soin de l’enfant, avant et après l’école, ainsi qu’à effectuer quelques légères tâches ménagères supplémentaires durant les heures d’école et à préparer des repas.

[7]  La demande incluait une copie de l’avis d’évaluation faite en 2016 de l’employeur éventuel, qui faisait mention d’un revenu d’emploi au Canada de plus de 30 000 $ CA, ainsi qu’un relevé de compte de la Banque de Montréal indiquant que l’employeur éventuel avait (en date du 14 novembre 2017) un solde de plus de 300 000 $ CA.

[8]  Le 21 décembre 2017, Service Canada a informé l’employeur éventuel de la demanderesse, Mme Liang, qu’Emploi et Développement social Canada (EDSC) avait conclu que sa demande d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) satisfaisait aux exigences du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

[9]  Vers le 1er mars 2018, l’agent a refusé la demande de VRT de la demanderesse. L’agent des visas n’était pas convaincu de l’authenticité de l’offre d’emploi, car il doutait que l’employeur soit capable financièrement de payer la demanderesse.

[10]  Dans les notes entrées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent a invoqué les motifs suivants pour refuser la demande :

[traduction] La demanderesse principale demande un permis de travail avec EIMT pour travailler comme aide familiale à domicile. La fille de la demanderesse principale a un permis d’études au Canada. Je doute que les employeurs [sic] aient la capacité financière requise pour payer la demanderesse principale. L’avis d’évaluation présenté fait état d’un faible revenu. Je note qu’un relevé de la Banque de Montréal indique une somme considérable; il n’est toutefois pas précisé d’où provient cet argent, ni s’il est encore disponible. La demanderesse principale ne travaille que depuis peu dans ce secteur d’emploi; je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une offre d’emploi authentique : demande refusée.

III.  Questions en litige

[11]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent des visas a-t-il enfreint les règles d’équité procédurale en concluant que l’offre d’emploi n’était pas authentique?
  2. L’agent des visas a-t-il commis des erreurs de droit?
  3. La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle applicable au refus d’un agent des visas d’accorder un VRT est celle de la décision raisonnable.

[13]  La norme de contrôle qui s’applique aux questions qui concernent des erreurs de droit et l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 4).

V.  Discussion

A.  L’agent des visas a-t-il enfreint les règles d’équité procédurale en concluant que l’offre d’emploi n’était pas authentique?

[14]  La demanderesse soutient que l’agent ne leur a pas donné la possibilité, à elle et à son employeur éventuel, de répondre aux préoccupations concernant les finances de l’employeur.

[15]  La demanderesse cite les guides opérationnels du défendeur et le processus en cinq étapes pour évaluer l’admissibilité d’un demandeur à obtenir un permis de travail :

  • a) Déterminer si l’activité que le demandeur veut mener au Canada est un travail;

  • b) Déterminer si un permis de travail est requis;

  • c) Déterminer la bonne foi de l’employeur et son admissibilité à embaucher des ressortissants étrangers;

  • d) Déterminer si le ressortissant étranger est admissible à l’obtention d’un permis de travail;

  • e) Déterminer s’il existe quelque critère interdisant la délivrance d’un permis de travail.

[16]  Les deux premières étapes ne sont pas en litige en l’espèce.

[17]  Les seuls critères en litige concernent les ressources financières de l’employeur et sa capacité à payer la demanderesse, ainsi que l’admissibilité de la demanderesse à un permis de travail.

[18]  Sur ce dernier point, l’agent a tenu compte de [traduction] « l’entrée apparemment récente de la demanderesse sur le marché des aides familiales à domicile ».

[19]  Bien qu’une EIMT favorable ait été délivrée à l’employeur éventuel de la demanderesse, l’autorisant à offrir un emploi d’aide familiale à la demanderesse pour une période de deux ans, l’agent a conclu que cette offre n’était pas sérieuse.

[20]  Le défendeur allègue que la décision de l’agent repose sur la capacité financière de l’employeur de payer la demanderesse et non sur la capacité de la demanderesse d’effectuer le travail d’aide familiale à domicile, et qu’une EIMT favorable n’est pas un facteur déterminant de la manière dont un agent des visas doit exercer son pouvoir discrétionnaire.

[21]  Bien que le défendeur ait raison lorsqu’il affirme i) que la loi n’oblige pas la tenue d’une entrevue pour vérifier la situation financière de l’employeur éventuel; ii) que le devoir d’agir équitablement envers les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du spectre et iii) que la demanderesse pourrait présenter une nouvelle demande de permis de travail, l’agent ne peut pas, sans motif raisonnable, attaquer la preuve sur la capacité financière de payer le salaire de la demanderesse alors que les éléments de preuve semblent clairement indiquer le contraire, et ne peut pas non plus ne pas donner la possibilité, par écrit ou autrement, à la demanderesse ou à l’employeur éventuel de réfuter les préoccupations de l’agent sur ce point, lorsque le refus repose sur ce seul motif. Au mieux, l’agent a tiré des inférences défavorables relativement à la capacité financière en se basant sur de simples conjectures. La décision enfreint les règles d’équité procédurale et est déraisonnable (Morillo de Ocampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 447, au paragraphe 14).

B.  L’agent des visas a-t-il commis des erreurs de droit?

[22]  Bien que je n’aie pas à trancher cette question, étant donné ma conclusion précitée concernant l’équité procédurale et le caractère déraisonnable de la décision, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur de droit.

C.  La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

[23]  Pour les motifs précités relativement à l’équité procédurale, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1088-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1088-18

 

INTITULÉ :

MEIRONG LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 août 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Deanna Okun-Nachoff

Pour la demanderesse

Brett Nash

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea Immigration Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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