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Date : 20180831


Dossier : IMM-5523-17

Référence : 2018 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SALEEM KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Saleem Khan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 novembre 2017 par Michelle Langelier, commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en application du paragraphe 109(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), accueillant la demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Ministre) d’annuler la qualité de réfugié au sens de la Convention conférée au demandeur par l’ancienne Section de la détermination pour les réfugiés (SDRC) le 8 décembre 1997 (décision).

[2]  Il est important de noter d’emblée que le demandeur a admis qu’il a fait de fausses déclarations et a fait preuve de réticence à l’égard de renseignements quand il a présenté sa demande d’asile en mai 1996. En particulier, le demandeur n’a pas divulgué aux autorités canadiennes qu’il avait séjourné hors de son pays avant de venir au Canada, qu’il avait utilisé une fausse identité et déclaré une fausse nationalité, qu’il avait déjà demandé l’asile en Allemagne, et qu’il avait un casier judiciaire en Allemagne.

[3]  La SPR a conclu que le demandeur avait fait des fausses déclarations concernant des faits importants se rapportant à des questions pertinentes à sa première demande d’asile auprès de la SDRC et qu’il a obtenu le statut de réfugié en conséquence des fausses déclarations. La SPR a conclu que la SDRC, selon la prépondérance des probabilités, aurait considéré qu’il y avait de sérieuses raisons de penser que le demandeur serait exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 (Convention), en ce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il a commis, à l’extérieur du Canada, un crime grave de droit commun avant d’entrer au Canada.

[4]  Le demandeur soutient que la SPR n’a pas respecté les principes de justice naturelle en refusant d’accorder une remise de l’audience et en faisant preuve de partialité à son égard. Le demandeur soutient également que la SPR a erré de plusieurs façons dans son évaluation des éléments de preuve dont elle disposait.

[5]  Aucun des arguments du demandeur n’est fondé. En fin de compte, le demandeur ne peut pas éviter les conséquences d’avoir fait de graves fausses déclarations concernant des faits importants en 1996 qui, s’ils avaient été divulgués à la SDRC, auraient été fatals à sa demande d’asile. La demande est en conséquence rejetée.

II.  Les faits

[6]  Le demandeur est entré au Canada le 30 avril 1996 muni d’un faux passeport belge sous le nom de Sattar Khan et a revendiqué le statut de réfugié. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), signé le 13 mai 1996, le demandeur a déclaré que son nom était Saleem Khan, qu’il n’avait jamais utilisé un autre nom, qu’il était né à Karachi, au Pakistan le 30 décembre 1959, qu’il n’avait jamais été marié, qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’un crime ou d’une infraction dans un autre pays, et qu’il n’avait pas demandé l’asile dans un autre pays.

[7]  En se fondant sur les allégations contenues dans son FRP, notamment son appartenance politique au Mouvement Muttahida Qaumi (Muttahida Qaumi Movement – MQM) et sur l’allégation d’avoir été ciblé à la suite de l’assassinat de son père en 1995, la SDRC a accordé au demandeur le statut de réfugié le 17 novembre 1997. Le 23 janvier 1998, Citoyenneté et Immigration Canada a reçu la demande de résidence permanente du demandeur répétant les mêmes renseignements qu’il avait indiqués dans le FRP, notamment qu’il n’avait jamais été condamné ou accusé d’un crime dans aucun autre pays.

[8]  En 2001, le ministre a reçu dans des lettres anonymes de dénonciation de l’information contredisant une grande partie des déclarations du demandeur dans sa demande d’asile. Les lettres non signées indiquent que, contrairement à l’affirmation de M. Khan en 1996, il était en fait marié et avait utilisé différents noms dans différents pays, tels que Arshad Khan au Pakistan, Sharif Khan en Allemagne, Muhammed Khan aux États-Unis et Saleem Khan au Canada. Selon les sources anonymes, le demandeur a demandé l’asile en Allemagne sous le nom de Sharif Khan, et prétendait être un citoyen de l’Afghanistan. Il est de plus allégué que le demandeur a été arrêté en Allemagne en 1985 ou 1986 pour trafic d’héroïne. Après avoir purgé une peine de trois ans de prison, il a été expulsé vers le Pakistan. Les auteurs de ces lettres indiquent aussi qu’à un moment donné, le demandeur est entré aux États-Unis sous le nom de Muhammad Khan et a fait un virement de 5,9 millions de dollars américains du Canada au Pakistan, de l’argent issu du trafic de drogue.

[9]  En avril 2003, le ministre a reçu de l’information des d’autorités allemandes par Interpol confirmant que les empreintes digitales du demandeur, Saleem Khan, étaient identiques à celles relevées en Allemagne chez un individu nommé Sayeed Sharif né le 30 décembre 1949 à Kabul-Merbchkot en Afghanistan. Les empreintes digitales avaient été prises lorsque Sayeed Sharif a été accusé de falsification de documents et de violation de la Loi sur les stupéfiants. Sa demande d’asile en Allemagne a été rejetée le 31 décembre 1993. La base de données d’Interpol indiquait que Sayeed Sharif était visé par une ordonnance de renvoi et par un mandat délivré le 17 février 1997. Il a été reconnu comme un citoyen afghan utilisant le pseudonyme Saleem Khan et dont la date de naissance était le 30 décembre 1959.

[10]  En 2005, le ministre a présenté une requête en annulation de la qualité de réfugié du demandeur. Cette requête a été retirée en 2008; il n’est cependant pas clair pour quelle raison cette requête a été retirée.

[11]  En janvier 2007, le demandeur a déposé une deuxième demande de résidence permanente au Canada, dans laquelle il était indiqué qu’il avait utilisé le nom « Sharif Syed » dans le passé, qu’il avait été condamné et incarcéré en Allemagne en 1983, et qu’il avait résidé en Allemagne de 1980 à 1985 où il avait présenté une demande d’asile. De plus, le demandeur a laissé un espace vide en réponse à une question concernant l’appartenance ou l’association à des organisations. Il faut se rappeler que, dans sa première demande en 1996, le demandeur s’était vu accorder la qualité de réfugié en raison de son affiliation politique au MQM.

[12]  Le ministre a reçu de nouveaux renseignements de la part des autorités du Pakistan en février 2011 indiquant que le demandeur était connu au Pakistan sous le nom d’Arshad Iqbal. Cet individu a été arrêté en 1994 pour possession d’héroïne et s’est évadé en 1995. Un mandat d’arrestation lancé contre Arshad Iqbal en 2010 serait toujours en vigueur. Le demandeur, qui est impliqué dans le trafic international de drogue et réside à Toronto sous le nom de Saleem Khan, aurait en outre envoyé 5 millions de dollars américains du Canada au Pakistan. Les autorités pakistanaises ont également confirmé que Saleem Khan est vivant et voyage grâce à de faux documents.

[13]  La requête actuelle en annulation de la qualité de réfugié du demandeur a été déposée en septembre 2013. Le ministre a sollicité non seulement l’annulation de la qualité de réfugié conférée au demandeur en 1997, comme sollicité dans la demande antérieure retirée en 2005, mais aussi qu’il soit exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile au motif de perpétration de graves crimes de droit commun en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

III.  L’audience devant la SPR

[14]  La procédure devant la SPR a été retardée par plusieurs remises. L’audience prévue en novembre 2014 a été remise après que le demandeur eut contesté la validité des documents présentés par le ministre et il a présenté des documents jetant un doute sur la thèse selon laquelle il serait Arshad Iqbal.

[15]  Une autre audience était prévue le 30 avril 2015. Trois jours avant l’audience, l’avocat du demandeur a présenté une demande de remise au motif qu’il n’était pas disponible à cette date et que l’état de santé du demandeur ne lui permettait pas de se préparer à l’audience. Une note d’un médecin de Colombie-Britannique a été produite à l’appui de la demande. La SPR a accordé une remise. Dans une autre lettre reçue par la SPR le 29 avril 2015, l’avocat du demandeur indiquait que les problèmes de santé du demandeur étaient plus graves que ce que l’on avait initialement cru. L’avocat a indiqué qu’un avis médical concernant cette question serait envoyé, mais aucun document n’a jamais été présenté. L’audience a été reportée au 26 octobre 2017, et un préavis de deux mois a été envoyé aux parties.

[16]  Deux jours avant la nouvelle audience, l’avocat du demandeur a sollicité une autre remise au motif que son client était en « situation de crise » et était incapable de lui donner des instructions. Le ministre s’est opposé à la requête étant donné l’absence d’éléments de preuve démontrant l’état du demandeur.

[17]  À l’audience, l’avocat du demandeur a fait entendre deux témoins à l’appui de l’allégation selon laquelle le demandeur était à Vancouver et dans l’impossibilité de se présenter, pour des raisons médicales. L’épouse du demandeur et un ami, qui était pharmacien au Pakistan, ont déclaré qu’ils avaient visité le demandeur en septembre 2017 et que, lors de la visite, le demandeur était agité, disait des sottises, était paranoïaque et répétait constamment que des gens voulaient le tuer. Les deux témoins ont déclaré que le demandeur prenait des médicaments; aucun d’entre eux ne savait cependant quels médicaments lui avaient été prescrits. Les deux témoins ont affirmé qu’ils ne connaissaient pas l’adresse du demandeur ni son numéro de téléphone, et n’avaient pu entrer en contact avec lui que par l’intermédiaire d’un [traduction« Indien » qui vivait à Vancouver. La SPR a conclu que les deux témoins n’étaient pas crédibles et, puisque l’incapacité du demandeur ne pouvait être démontrée ni aucun autre empêchement d’assister à l’audience, a rejeté la demande de remise. Les motifs détaillés ont été rendus de vive voix à l’audience et sont exposés aux paragraphes 20 à 24 de la décision.

[18]  L’avocat du demandeur a alors présenté une autre demande de remise au motif qu’il n’était pas prêt à procéder. L’avocat a déclaré qu’il s’était seulement préparé à demander une remise, mais ne s’était pas préparé à défendre l’affaire en instance. L’avocat a affirmé qu’il voulait faire entendre trois témoins. La SPR a rejeté la demande de remise invoquant le fait que l’avocat avait eu amplement le temps de préparer son dossier et avait également rejeté la proposition de la SPR d’entendre les témoignages par téléphone.

[19]  L’avocat du demandeur a alors demandé à la commissaire de la SPR de se récuser de l’affaire, arguant qu’elle s’était conduite de manière [traduction] « extrêmement belliqueuse » envers lui. L’avocat du demandeur a soutenu que la commissaire l’avait constamment interrompu sur un ton impoli, n’avait pas bien écouté les témoins, et n’avait pas agi de façon équitable. L’avocat a en outre accusé la commissaire de la SPR d’avoir été brusque à son endroit et de s’être comportée de façon impolie envers lui dans le passé.

[20]  Appliquant le critère relatif à la partialité énoncé dans Committee for Justice and Liberty et al c Office national de l’énergie et al, [1978] 1 RCS 369, 1976 CSC 2 (CanLII), la SPR a rejeté la requête en récusation, jugeant que la demande de récusation était arbitraire et non fondée de façon crédible. L’audience a ensuite commencé, sans qu’aucun témoin ne soit appelé par les parties.

[21]  Comme indiqué précédemment, la SPR a accueilli la demande du ministre d’annuler la qualité de réfugié qui avait été conférée au demandeur par la SDRC et de l’exclure de la protection accordée aux demandeurs d’asile en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

IV.  Questions en litige

[22]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève quatre questions qui seront examinées l’une à la suite de l’autre.

  1. La décision de la SPR de rejeter les demandes de remise de l’audience présentées par le demandeur était-elle contraire à l’équité procédurale ou constituait-elle un manquement aux principes de justice naturelle?

  2. La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en refusant de se récuser pour motif de partialité?

  3. La décision de la SPR d’annuler la qualité de réfugié du demandeur et de l’exclure de la protection accordée aux demandeurs d’asile en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention était-elle déraisonnable?

  4. La décision de la SPR d’annuler la qualité de réfugié du demandeur au motif que le demandeur n’est pas Saleem Khan était-elle déraisonnable?

V.  Norme de contrôle

[23]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de contrôle applicable à un manquement aux principes de justice naturelle, dont la récusation d’un décideur en raison d’allégations de partialité, est la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

[24]  La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions de la SPR d’annuler la qualité de réfugié du demandeur et de l’exclure de la protection accordée aux demandeurs d’asile au motif qu’il n’est pas Saleem Khan et en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention (Frias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 753, au paragraphe 9). Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si la décision de la SAR est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

VI.  Analyse

A.  La décision de la SPR de rejeter les demandes de remise de l’audience présentées par le demandeur était-elle contraire à l’équité procédurale ou constituait-elle un manquement aux principes de justice naturelle?

[25]  Le demandeur soutient qu’il faut lui accorder le bénéfice du doute quant à sa demande de remise pour des raisons d’ordre médical étant donné que deux témoins ont témoigné de son état psychologique à l’audience et ont déclaré qu’il était incapable de suivre le cours des procédures. Le demandeur soutient que la SPR n’a donné aucun motif valable de refuser de reporter l’audience et qu’elle a violé son droit à l’équité procédurale en procédant à l’audience et en lui refusant la possibilité de convoquer des témoins. Je ne suis pas d’accord.

[26]  Un examen de la transcription de l’audience révèle que la demande de remise présentée par l’avocat du demandeur a été pleinement examinée par la SPR, que les facteurs importants pertinents à la demande ont été évalués et pondérés, et que, après avoir entendu les observations de l’avocat, tous les motifs du rejet de la demande ont été donnés.

[27]  Le demandeur n’a pas réussi à établir que la SPR a commis une erreur en rejetant le témoignage de ses deux témoins sur l’incapacité du demandeur. Les deux témoins ont allégué que le demandeur était agité, disait des sottises et était paranoïaque quand ils lui ont rendu visite en septembre 2017. Selon ces témoins, le demandeur se cachait, craignant que des gens essaient de le tuer. Ils ont également fait valoir que le demandeur était sous médication.

[28]  La commissaire de la SPR a clairement exprimé ses préoccupations concernant les incohérences et les invraisemblances des témoignages livrés par les témoins. La commissaire de la SPR était sceptique à l’égard de la déclaration selon laquelle ils ne savaient pas où le demandeur vivait et n’avaient pas ses coordonnées. Elle a également mis en doute les raisons pour lesquelles ils voyageraient de Montréal à Vancouver pour visiter quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas et pour organiser une rencontre avec le demandeur. Aucun des témoins ne connaissait le nom de cette personne ou son numéro de téléphone. Ils ne pouvaient pas non plus identifier les médicaments que le demandeur prenait ou qu’on lui avait prescrits.

[29]  Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve crédible à l’appui de sa demande de remise de dernière minute. Que le demandeur avance maintenant qu’on ne lui a pas donné les motifs du refus d’accorder une remise en raison de son incapacité alléguée n’est pas convaincant compte tenu de ce que le dossier certifié du tribunal (DCT) révèle.

[30]  Ma lecture du DCT m’amène aussi à conclure que la décision de rejeter la demande d’accorder une remise d’audience formulée par les avocats du demandeur parce qu’il n’était pas prêt était largement justifiée. L’avocat a présumé à tort que la demande de remise pour des raisons médicales serait accordée. En tout état de cause, l’avocat avait le devoir de divulguer à la SPR qu’il n’était pas prêt à procéder dès le début plutôt que d’attendre l’issue de la demande initiale de remise. Une telle approche fragmentaire des demandes de remise est à la fois inappropriée et inéquitable.

[31]  Le demandeur n’a pas été privé de son droit d’être entendu et de participer à l’audience. Le demandeur a été informé bien à l’avance de la date de l’audience. Comme la transcription de l’audience le révèle, la SPR a invité l’avocat du demandeur à utiliser d’autres moyens de participer à la procédure. Le demandeur n’a pas profité de cette occasion d’utiliser ces autres moyens.

[32]  Cela ne constitue pas un manquement aux principes de justice naturelle. En fin de compte, je conclus que le demandeur est l’auteur de son propre malheur. Il n’a été privé du droit de participer pleinement à l’audience qu’en raison de sa propre omission injustifiée d’y assister.

[33]  Je dois ajouter que j’ai lu l’affidavit du demandeur, daté du 18 juin 2018, déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur confirme en grande partie les témoignages rendus par son épouse et un ami à l’audience devant la SPR. Il affirme que lorsqu’il a appris que l’audience avait eu lieu, il a cessé de prendre les médicaments qu’on lui avait prescrits et s’est progressivement senti mieux. Je n’ajoute aucune foi au témoignage du demandeur et, en particulier, à son rétablissement miraculeux. Son affidavit ne donne aucun détail sur son état de santé, sur l’identité des professionnels de la santé qui le traitaient et lui ont prescrit sa médication. Le témoignage du demandeur est totalement intéressé, après le fait, et non corroboré.

B.  La commissaire de la SPR a-t-elle commis une erreur en refusant de se récuser pour motif de partialité?

[34]  Le demandeur fait valoir que le traitement des éléments de preuve par la commissaire de la SPR et son attitude à l’égard de son avocat pendant l’audience démontrent son parti pris en faveur du ministre, ce qui a vicié l’ensemble de la procédure et l’a rendue inéquitable. Il affirme que la commissaire de la SPR a commis une erreur en refusant de se récuser parce qu’elle a manifestement rejeté l’ensemble des éléments de preuve du demandeur sans raison. Cette prétention est sans fondement.

[35]  Le critère concernant la crainte de partialité est énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369.

La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

[36]  Un examen de la transcription de l’audience révèle que la commissaire de la SPR n’a aucunement fait preuve de partialité à l’égard du demandeur ou de son avocat et n’avait aucune idée préconçue sur quelque question que ce soit. Au contraire, la commissaire de la SPR a agi de façon professionnelle et courtoise et a montré une grande patience à l’égard de l’avocat du demandeur. Elle a fait des remontrances à l’avocat du demandeur à l’occasion, mais ses interventions étaient justifiées étant donné qu’il a fait des affirmations non fondées à plusieurs reprises. Je conclus que la commissaire de la SPR a dirigé la procédure d’une manière juste, impartiale et judicieuse.

[37]  Aucune personne renseignée qui étudierait l’affaire ne pourrait conclure qu’il existait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la commissaire de la SPR. La Cour rappelle au demandeur qu’une allégation de partialité contre un tribunal est grave et ne peut pas être invoquée uniquement parce que le demandeur n’est pas d’accord avec la décision de la SPR.

C.  La décision de la SPR d’annuler la qualité de réfugié du demandeur et de l’exclure de la protection accordée aux demandeurs d’asile en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention était-elle déraisonnable?

[38]  Le demandeur fait valoir qu’il a présenté une preuve suffisante pour établir qu’il n’est pas Arshad Iqbal et que le vrai Arshad Iqbal a été arrêté et libéré au Pakistan. Il produit des documents émanant des tribunaux du Pakistan, comportant des photos d’Arshad Iqbal, pour prouver que le vrai Arshad Iqbal a été remis aux autorités pakistanaises et a été acquitté en 2012 après s’être caché pendant 17 ans. Selon le demandeur, la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’il ne peut pas être lié à des crimes commis par le vrai Arshad Iqbal et ne devrait pas être exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

[39]  Cet argument n’est rien de plus qu’une diversion destinée à détourner la Cour des véritables questions que la SPR devait trancher. Le demandeur a fait de fausses déclarations et a caché de l’information aux autorités canadiennes dans ses demandes d’asile. Cette conclusion est inattaquable. Non seulement, les fondements en ont été bien établis par le ministre, ils ont été admis par le demandeur.

[40]  En outre, la SPR disposait d’éléments de preuve démontrant que le demandeur était connu comme Arshad Iqbal à une certaine époque. Il a été arrêté au Pakistan avec neuf kilogrammes d’héroïne dissimulés dans une valise. Il s’est évadé lors d’un séjour à l’hôpital pendant son procès en 1995. En outre, l’agence d’enquête fédérale du Pakistan a récupéré des mandats bancaires totalisant plus de 49 millions de dollars envoyés par le demandeur sous le nom Arshad Iqbal, qui sont liés au blanchiment des profits réalisés grâce au trafic de drogue. Le demandeur n’a pas pu établir que la SPR avait commis une erreur en acceptant ces éléments de preuve provenant de sources plus fiables que le témoignage du demandeur.

[41]  La SPR a conclu que l’équivalent canadien de ce crime est la possession aux fins de trafic en application du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, qui constitue un crime grave en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. Les parties ne contestent pas cette conclusion.

[42]  La SPR a conclu que ces seules conclusions suffiraient à soulever la question de savoir si la décision de la SDRC aurait été différente. Le demandeur n’a pas contesté la question de l’exclusion dans son mémoire des faits et du droit, choisissant plutôt de se concentrer sur les agissements d’une autre personne qui aurait usurpé l’identité du vrai Arshad Iqbal au Pakistan après que le demandeur fut arrivé au Canada. Aucune erreur susceptible de révision n’a été établie dans l’analyse et les conclusions de la SPR.

D.  La décision de la SPR d’annuler la qualité de réfugié du demandeur au motif que le demandeur n’est pas Saleem Khan était-elle déraisonnable?

[43]  La SPR a conclu que le demandeur n’est pas Saleem Khan et que, compte tenu du fait que sa demande d’asile en 1997 était fondée sur le fait qu’il était ciblé à la suite du meurtre de son père présumé, aucun autre élément de preuve crédible justifiant d’accorder l’asile n’a été examiné par la SDRC.

[44]  Le demandeur soutient que la décision de la SPR ciblait principalement les allégations de fausses déclarations, plutôt que l’ensemble de l’affaire. Il réaffirme qu’il a déposé des documents d’identité valides et acceptables présumés authentiques comme son passeport. Il a aussi produit des affidavits de plusieurs personnes, à la fois au Pakistan et au Canada pour confirmer son identité. Il soutient que ces éléments de preuve devraient peser plus qu’un simple rapport des autorités pakistanaises. En ce qui a trait aux lettres anonymes et au rapport des autorités pakistanaises, le demandeur fait valoir que rien ne démontre leur véracité et qu’ils contiennent de faux renseignements – par exemple, il n’était pas marié lorsqu’il est arrivé au Canada – et que très peu de renseignements dans ces documents peuvent être corroborés par d’autres sources.

[45]  Selon le demandeur, la décision de la SPR n’était pas raisonnable parce qu’elle n’a pas évalué tous les éléments de preuve disponibles pour prouver son identité. Je ne suis pas d’accord.

[46]  Tout d’abord, les allégations contenues dans les lettres anonymes se sont avérées remarquablement précises. Deuxièmement, la SPR a mené un examen approfondi de l’ensemble des éléments de preuve avant d’en arriver à sa conclusion. Par des motifs exhaustifs, la SPR a pondéré les éléments de preuve et a considéré les arguments de l’avocat du demandeur, pour finalement conclure qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’authenticité des documents des autorités du Pakistan fournis par un agent de liaison de la Gendarmerie royale du Canada. Je ne peux déceler aucune erreur susceptible de révision dans l’analyse ou les conclusions de la SPR. L’analyse est claire, transparente, intelligible et entièrement étayée par le dossier dont disposait la SPR.

[47]  Pour ces motifs, la demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5523-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  La demande est rejetée.

2.  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5523-17

 

INTITULÉ :

SALEEM KHAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 août 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

Pour le demandeur

Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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