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Date : 20180516


Dossier : T-1175-15

Référence : 2018 CF 518

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL), CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS), AIR CANADA, AIR CANADA ROUGE,

AIR TRANSAT, CANADIAN NORTH,

SUNWING AIRLINES INC.

 

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, le syndicat canadien de la fonction publique [le S.C.F.P. ou le demandeur], conteste les soi-disant décisions rendues par le ministre des Transports, relatives au Règlement modifiant le Règlement de l’aviation canadien (Parties I, VI et VII — agents de bord et évacuation d’urgence), DORS/2015-217, [les règlements contestés] et la décision du gouverneur en conseil de promulguer les règlements contestés. Les règlements contestés fixent le nombre minimal d’agents de bord requis dans les avions de passagers, en fonction du nombre de sièges passagers. Le S.C.F.P., un syndicat qui représente plus de 10 000 agents de bord, affirme que les règlements contestés ont été adoptés d’une manière contraire aux normes minimales d’équité procédurale et, en particulier, sans respecter son attente légitime d’être consulté valablement, et que, par conséquent, ils devraient être annulés.

[2]  Le procureur général du Canada (P.G.C.), à titre de défendeur, affirme que les droits procéduraux ne s’appliquent pas au processus législatif, lequel comprend l’adoption et la modification de règlements. Subsidiairement, le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas été privé de l’équité procédurale en signalant, notamment, qu’aucune promesse ne lui a été faite et que ce dernier a bel et bien participé au processus de consultation qui a mené à la promulgation des règlements contestés. Les défenderesses Air Canada et Air Canada Rouge, Air Transat et Sunwing Airlines, lesquelles exploitent toutes des lignes aériennes destinées au transport de passagers et sont toutes touchées par les règlements contestés, appuient la thèse du procureur général. Canada North est également une défenderesse dans la présente demande, mais elle n’a pas déposé d’observations.

[3]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent. Le gouverneur en conseil n’a pas d’obligation d’équité procédurale lorsqu’il exerce son pouvoir de promulgation de règlements. En l’espèce, même s’il existait une telle obligation, elle n’a pas été enfreinte. Le S.C.F.P. ne peut démontrer qu’il avait une attente légitime en matière de consultation ni qu’il a été privé de l’équité procédurale. Le S.C.F.P. a eu l’occasion de participer à des consultations ciblées concernant les règlements contestés, et ses commentaires ont été pris en compte.

I.  Résumé des faits

A.  Généralités

[4]  La présente demande de contrôle judiciaire concerne les modifications apportées au Règlement de l’aviation canadien (DORS/96-433), adopté en application de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A2 [Loi sur l’aéronautique].

[5]  Les premiers règlements traitant du ratio des agents de bord par rapport au nombre de passagers ont été adoptés en 1996. Ces derniers exigeaient des lignes aériennes canadiennes un ratio d’un (1) agent de bord pour quarante (40) passagers (le ratio de 1 pour 40) pour les aéronefs dotés de plus de 50 sièges. Ils tenaient compte de la politique continue datant d’au moins 1968. D’autres pays, notamment les États-Unis et l’Union européenne, exigent un ratio d’un (1) agent de bord pour cinquante (50) sièges (le ratio de 1 pour 50). Le ratio de 1 pour 50 en vigueur dans ces pays s’applique aux sièges, qu’ils soient occupés ou non. Les règlements contestés, adoptés en 2015 pour l’ensemble de l’industrie, harmonisent les règlements canadiens avec ceux d’autres pays. Les règlements contestés permettent aux exploitants de lignes aériennes canadiens de choisir le ratio d’un (1) agent de bord pour cinquante (50) sièges, pourvu que certains critères liés à la sécurité soient respectés. Par ailleurs, ils peuvent choisir de maintenir le ratio de 1 pour 40. Ce choix est fait individuellement pour chaque aéronef.

B.  Les intervenants clés

[6]  Au Canada, les règlements concernant l’aéronautique concernent plusieurs intervenants clés au sein du gouvernement et de l’industrie, notamment :

  • Le gouverneur en conseil, qui a le pouvoir de prendre des règlements en vertu de la Loi sur l’aéronautique, y compris les règlements en litige (article 4.9 de la Loi sur l’aéronautique).
  • Le ministre des Transports, qui est responsable de l’application de la Loi sur l’aéronautique, (article 4.2). Transports Canada, qui est le ministère du ministre.
  • Le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC), composé de représentants du gouvernement et de l’industrie, qui est le principal organisme consultatif pour le processus de réglementation concernant l’aviation civile au Canada, pour Transports Canada. Le premier objectif du CCRAC consiste à évaluer et à recommander des modifications réglementaires potentielles. La procédure selon laquelle Transports Canada mène les consultations avec le CCRAC est établie dans la charte de ce dernier. Il est composé de plus de 550 membres, y compris le S.C.F.P.
  • Le CCRAC compte plusieurs comités, notamment le Comité de réglementation de l’Aviation civile (CRAC). Le CRAC est composé de membres de la haute direction de la division de l’aviation civile de Transports Canada. Le CRAC formule des recommandations destinées au ministre concernant les règlements et les modifications à y apporter. Le CRAC soulève également des enjeux liés aux règlements et il tient compte des recommandations formulées par d’autres sous-comités du CCRAC.
  • Le Comité permanent des transports, maintenant connu sous le nom de Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, qui est un comité composé des députés responsables de l’examen des questions liées au transport.

C.  L’histoire des règlements contestés

[7]  Autour de l’an 2000, des lignes aériennes individuelles et des groupes de pression de l’industrie ont commencé à promouvoir l’adoption du ratio de 1 pour 50. Le S.C.F.P. a toujours contesté cette modification.

[8]  En 2000, l’Association du transport aérien du Canada (ATAC), un groupe de pression de l’industrie, a proposé une modification au ratio. Cette proposition a été examinée, puis finalement rejetée par le CRAC en raison de préoccupations en matière de sécurité.

[9]  En 2002, l’ATAC a soumis une proposition plus détaillée concernant le ratio de 1 pour 50. Le CRAC a demandé à Transports Canada d’effectuer une analyse des risques liés à la proposition. Les parties visées, y compris le S.C.F.P., ont été consultées. L’analyse, complétée en 2003, a révélé que le ratio de 1 pour 40 était plus sécuritaire, mais que le ratio de 1 pour 50 était acceptable sur le plan de la sécurité, pourvu que des mesures d’atténuation des effets soient mises en œuvre.

[10]  Par conséquent, le CRAC a demandé que des Avis de projets de modification (APM) soient préparés pour aviser les parties visées que le ratio de 1 pour 50 était examiné. Cette demande a entraîné d’autres consultations, y compris auprès du S.C.F.P. En 2004, le S.C.F.P. a présenté des observations écrites « dissidentes », lesquelles s’opposaient aux modifications.

[11]  En novembre 2004, Transports Canada a soumis au CRAC son rapport, décrivant la thèse et les recommandations du personnel (thèse du personnel), lequel soulignait la nécessité d’examiner les enjeux de manière plus approfondie et l’impossibilité de recommander les modifications proposées sans les mesures d’atténuation des effets suggérées dans l’analyse des risques de 2002.

[12]  En mars 2005, les membres du CRAC se sont réunis pour examiner les réponses aux APM et la thèse du personnel de Transports Canada. Le CRAC a demandé que les propositions soient transmises au ministère de la Justice à des fins de rédaction de projets de texte juridique.

[13]  Le chef, Affaires réglementaires de Transports Canada a communiqué cette décision au S.C.F.P., au moyen d’une lettre datée du 9 décembre 2005, laquelle énonçait ce qui suit :

[traduction] Les APM [...] ont été transmises au ministère de la Justice à des fins de rédaction de projets de texte juridique. Une fois la rédaction des projets de règlement terminée, vous pourrez formuler d’autres commentaires au moment de la prépublication des règlements proposés dans la Partie I de la Gazette du Canada. Conformément à la charte du CCRAC, [...] les membres en recevront une copie dès qu’ils seront disponibles.

[14]  Les représentants de Transports Canada, de même que le sous-ministre et le ministre des Transports ont fait des déclarations similaires devant le Comité permanent des transports entre 2005 et 2006 (c’est-à-dire que les règlements ne seraient pas finalisés avant que les ébauches de règlement n’aient été soumises au Comité permanent des transports à des fins d’examen, que les règlements seraient prépubliés dans la Partie I de la Gazette et qu’ils seraient soumis au processus de consultation en résultant.

[15]  Le 23 janvier 2006, à la suite des élections générales canadiennes, un nouveau gouvernement a été élu. Le 22 septembre 2006, le ministre des Transports, M. Lawrence Cannon, a annoncé à la Chambre des communes que les modifications proposées ne seraient pas apportées aux règlements sur l’aviation civile, pour le moment. (À partir de maintenant, ce processus sera désigné comme le « processus de réglementation 2000-2006 ».)

[16]  En 2013, WestJet Airlines a demandé et obtenu une dispense ministérielle relative à l’exigence du ratio de 1 pour 40, laquelle dispense lui permettait d’exercer ses activités en fonction du ratio de 1 pour 50. D’autres lignes aériennes ont commencé à demander des dispenses similaires. Cette situation a finalement mené à une autre proposition visant l’adoption du ratio de 1 pour 50 pour l’ensemble de l’industrie, Transports Canada a de nouveau examiné les modifications réglementaires proposées, y compris les mesures d’atténuation des effets requises.

[17]  En février 2014, les parties visées ont reçu l’Évaluation préliminaire de la question et de la consultation (EPQC) décrivant les modifications. En mars 2014, un APM a été publié en ligne à des fins de commentaires, puis un APM modifié a suivi en mai 2014, lequel permettait de formuler des commentaires jusqu’au 22 juin 2014. Cinq composantes du S.C.F.P. ont présenté des commentaires en réponse aux ATM. Le 22 mai 2014, Transports Canada a tenu une rencontre avec les parties visées, à laquelle le S.C.F.P. a participé. Par la suite, le S.C.F.P. a présenté d’autres observations écrites dissidentes. Après la rencontre du 22 mai 2014, la rédaction des modifications a commencé.

[18]  Le 17 juin 2015, les règlements contestés ont été publiés dans la Partie II de la Gazette du Canada sans avoir été prépubliés dans la Partie I. Il ressort du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), lequel a été publié avec les règlements, que Transports Canada était d’avis que des consultations exhaustives avaient été tenues dans le passé (au moment où le ratio de 1 pour 50 a été examiné dans le cadre du processus de réglementation 2000-2006) et que Transports Canada et les parties visées externes connaissaient bien les enjeux. Toutefois, aucune explication n’a été fournie concernant les motifs pour lesquels les règlements n’ont pas été prépubliés dans la Partie I de la Gazette, puisqu’il s’agit de la procédure habituelle, même si des dispenses de prépublication peuvent être accordées.

[19]  Bien que la question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire ne concerne que la question de savoir si la promulgation des règlements contestés a été effectuée à l’encontre de l’obligation d’équité procédurale due au S.C.F.P., ce dernier a également fait valoir que les répercussions du nouveau ratio sur la sécurité n’ont pas fait l’objet d’un examen complet par le gouverneur en conseil et que les données prises en compte étaient insuffisantes. Le S.C.F.P. prétend qu’il est incontestable que le ratio de 1 pour 50 est moins sécuritaire. Bien que le S.C.F.P. reconnaisse que la présente demande ne vise pas à décider lequel des ratios est le plus sécuritaire et le mieux adapté, ses observations sont truffées de références à ses préoccupations concernant la sécurité.

[20]  Par exemple, il prétend que plusieurs des mesures d’atténuation des effets décrites, en 2005, comme essentielles pour assurer la sécurité sont omises dans les règlements contestés. Le S.C.F.P. conteste les renseignements contenus dans le REIR publié avec les règlements contestés, dans la Partie II de la Gazette du Canada. Dans sa description du processus de consultation effectué en 2013-2014, le REIR indique ce qui suit : [TRADUCTION] « aucune nouvelle donnée n’aurait été disponible » autres que celles déjà recueillies au cours des consultations précédentes et saisies dans les analyses des risques réalisées auparavant. Le S.C.F.P. conteste cette affirmation en soulignant que les nouveaux règlements n’ont pas fait l’objet d’une analyse des risques, que l’ancienne analyse des risques menée en 2003 n’était pas quantitative et qu’elle était fondée sur des facteurs de capacité en passagers désuets (il indique qu’au début des années 2000, les aéronefs étaient habituellement remplis de 70 % à 75 % de leur capacité). Le REIR mentionne que le nouveau ratio permettra de réaliser des économies de 30 millions de dollars par année; toutefois, le S.C.F.P. signale qu’aucun élément de preuve n’étaye cette affirmation.

[21]  Ce dernier présente aussi un rapport d’expert préparé par M. Edwin Galea. M. Galea affirme que, vu les facteurs modernes de capacité en passagers et la prise en compte des autres éléments de preuve que Transports Canada n’a pas examinés, les règlements contestés sont préoccupants en ce qui a trait à la sécurité.

[22]  La P.G.C. prétend que les préoccupations relatives à la sécurité ont été prises en compte et elle signale notamment que l’analyse des risques de 2003 de Transports Canada cite plusieurs rapports dont M. Galea est l’auteur. La P.G.C. mentionne aussi les nombreuses simulations et les nombreux essais effectués dont découlent les mesures d’atténuation des effets comprises dans les règlements contestés. Les défendeurs prétendent que la sécurité n’est pas compromise. Toutefois, la sécurité n’est pas la question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire.

D.  L’ordonnance du juge chargé de la gestion de l’instance

[23]  Dans son avis de demande initial, le S.C.F.P. allègue que la promulgation des règlements contestés viole l’équité procédurale, que les règlements sont nuls puisqu’ultra vires, qu’ils violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1867, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 [la Charte]; et que les décisions prises par le ministre des Transports et les représentants de Transports Canada menant à l’adoption des règlements contestés étaient déraisonnables.

[24]  Le S.C.F.P. a demandé que la P.G.C. fournisse des documents, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, (D.O.R.S./98-106) [Règles des Cours fédérales], relativement à toutes les pièces utilisées pour prendre la décision de ne pas prépublier les règlements contestés et pour adopter les règlements. Le greffier adjoint du Conseil privé a répondu que tous les documents, sauf pour le décret, sont des renseignements confidentiels du conseil des ministres, lesquels ne peuvent être divulgués.

[25]  Le S.C.F.P. a ensuite déposé une nouvelle requête, conformément à l’article 317 des Règles, pour la production, notamment, de documents pertinents qui sont en la possession de Transports Canada et d’autres ministères. Le S.C.F.P. a accepté que les documents fournis au gouverneur en conseil contiennent des renseignements confidentiels du conseil des ministres, mais il a aussi affirmé contester les [traduction] « nombreuses décisions prises et le processus adopté par le ministre des Transports » en prévision de la promulgation des règlements contestés. La P.G.C. s’est opposée à la requête, elle a affirmé que la demande ne conteste que les règlements et que tous les documents pertinents contiennent des renseignements confidentiels du conseil des ministres, conformément à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 [LPC].

[26]  Le 22 novembre 2016, la protonotaire Tabib a rejeté la requête du demandeur en tirant plusieurs conclusions, notamment que la présente demande vise [traduction] « principalement » le contrôle judiciaire des règlements contestés ou la décision de les adopter, laquelle adoption relève du gouverneur en conseil.

[27]  La protonotaire a aussi conclu que le processus de Transports Canada lié à la consultation, à la rédaction des règlements et à la formulation d’une recommandation au gouverneur en conseil (c’est-à-dire à des fins d’approbation par ce dernier) ne fait pas partie de la même [traduction] « série d’actes » que celle liée à l’adoption des règlements par le gouverneur en conseil et que, par conséquent, ledit processus ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire à l’occasion de la demande, conformément à l’article 302 des Règles, lequel limite les contrôles judiciaires à une seule ordonnance. La protonotaire a également conclu que dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, le gouverneur en conseil n’était pas lié par les actes du ministre ou de son ministère.

[28]  La protonotaire a souligné qu’en plus de contester les règlements, le demandeur a aussi contesté les décisions de ne pas prépublier les règlements et de ne pas tenir de consultations. La protonotaire a conclu que la décision de ne pas prépublier les règlements contestés a été prise par le Conseil du Trésor. Cette décision ne faisait pas non plus partie d’une série d’actes et elle ne pouvait être traitée à l’occasion de la présente demande, puisque cela contrevient à l’article 302 des Règles. La protonotaire a ajouté que, de toute façon, les documents présentés au Conseil du Trésor auraient aussi été des renseignements confidentiels du conseil des ministres.

[29]  La protonotaire a également conclu que la contestation liée au défaut de consulter concerne le processus dont découle l’approbation des règlements par le gouverneur en conseil, pour lequel il n’existe pas de dossier identifiable. En outre, compte tenu de la conclusion selon laquelle la décision contestée a été prise par le gouverneur en conseil, il n’était pas nécessaire d’inclure dans le dossier tous les documents en la possession du ministre des Transports concernant une décision de ne pas consulter.

[30]  Le demandeur n’a pas interjeté appel de l’ordonnance de la protonotaire. Le demandeur a ensuite modifié son avis de demande pour retirer sa contestation relative à la validité des règlements et celle concernant la Charte. Bien que l’avis de demande allègue toujours que les décisions prises quant à l’adoption des règlements contestés étaient déraisonnables, le demandeur n’a pas donné suite à cette allégation.

II.  Questions en litige

[31]  Le demandeur soutient que les règlements contestés doivent être annulés, puisqu’ils ont été promulgués en violation de l’équité procédurale et de ses attentes légitimes selon lesquelles il serait consulté valablement.

[32]  Cela nécessite de décider de ce qui suit :

  • Le gouverneur en conseil a-t-il une obligation d’équité procédurale dans l’exercice de son pouvoir de promulgation de règlements, y compris la question de savoir si la doctrine de l’attente légitime s’applique?
  • Dans l’affirmative, l’attente légitime du demandeur a-t-elle fait l’objet d’un manquement et, de manière plus générale, le demandeur a-t-il été privé de l’équité procédurale?

[33]  Il est constant que la mesure de contrôle applicable à la présente demande est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339).

III.  Observations du S.C.F.P., le demandeur

[34]  Le S.C.F.P. prétend qu’on lui avait promis, en termes clairs et non équivoques, un processus de consultation exhaustif concernant les modifications proposées aux règlements sur l’aviation civile. Plus particulièrement, il affirme qu’on lui avait promis que les règlements contestés seraient assujettis à une [traduction] « audition complète » devant le Comité permanent des transports et à une prépublication dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le S.C.F.P. affirme que cette promesse lui a été faite en 2004, en 2005 et en 2006. Bien que les membres du Comité permanent des transports aient changé, tout comme le gouvernement, le demandeur affirme que le ministre n’a jamais annulé la promesse. Le demandeur indique que ses préoccupations sont dans l’intérêt de la sécurité, lequel constitue une question impartiale; par conséquent, le gouvernement au pouvoir partage les préoccupations du précédent gouvernement.

[35]  Le demandeur prétend que le processus de réglementation contient une obligation d’équité procédurale, et qu’il avait une attente légitime de consultation, laquelle constitue un aspect clé de l’équité procédurale. Le demandeur affirme que le droit a évolué au point où une telle promesse de consultation devrait être exécutoire à l’occasion d’un contrôle judiciaire.

[36]  Le demandeur ajoute qu’en plus de l’obligation constitutionnelle de la Cour d’examiner l’exercice de l’autorité publique, il existe un principe valable permettant de reconnaître que l’équité procédurale peut être liée à l’adoption de règlements, sans quoi des personnes et des groupes touchés n’ont pas l’occasion d’exercer une influence sur le processus.

[37]  Le demandeur prétend que la plupart des faits ne sont pas contestés. Les points de désaccord entre le S.C.F.P. et les défendeurs concernent la force des promesses faites au demandeur et, par voie de conséquence, la question de savoir si la 5e ou la 6e édition de la charte du CCRAC régissaient le processus pour les règlements contestés au cours de la période entre 2013 et 2015.

A.  Les promesses alléguées

[38]  Le demandeur raconte l’histoire de l’élaboration des règlements de 2000 à 2006. Il souligne la transcription de la réunion du Comité permanent des transports tenue le 11 mars 2004, où le représentant du S.C.F.P. a avisé le Comité permanent des transports que le S.C.F.P. voulait un débat de fond sur le ratio de 1 pour 40. Le demandeur prétend qu’à la suite de cette demande les représentants de Transports Canada se sont présentés devant le Comité permanent des transports. Le sous-ministre de Transports Canada a avisé ce dernier que le ministre avait l’intention d’être [traduction] « très strict à l’égard du processus, et de recourir au [traduction] « processus complet de publication dans la Gazette du Canada » avant l’adoption des règlements. En outre, le ministre des Transports a comparu devant le Comité permanent des transports le 25 mars 2004, il a indiqué qu’aucune décision finale n’avait été prise concernant la modification du ratio d’agents de bord et qu’un processus de consultation serait mis en œuvre.

[39]  Le 22 avril 2004, le sous-ministre adjoint des Transports a également comparu devant le Comité permanent des transports et il a réitéré l’engagement du ministre de présenter le texte de tout nouveau règlement proposé au Comité permanent des transports avant sa publication dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le demandeur prétend que cette déclaration a été faite au nom du ministre des Transports et qu’elle reflète la promesse de retourner devant le Comité permanent des transports pour lui présenter les ébauches de règlement et de prépublier les règlements. En juin 2006, le sous-ministre adjoint des Transports a formulé des commentaires similaires devant le Comité permanent des transports.

[40]  Le demandeur s’est aussi fié aux promesses qui lui ont été faites directement. Premièrement, le 21 mai 2004, M. Tony Valeri, un adjoint spécial du ministre des Transports de l’époque, a écrit au président du S.C.F.P. pour l’informer que Transports Canada se présenterait de nouveau devant le Comité permanent des transports avec les règlements proposés. Deuxièmement, le demandeur mentionne une réponse de Transports Canada à une question posée par un membre du S.C.F.P. La réponse, envoyée par courriel par un adjoint spécial du ministre, indiquait que le CCRAC serait consulté, que le Comité permanent des transports serait avisé et que les règlements seraient prépubliés dans la Gazette du Canada. Troisièmement, le demandeur invoque la lettre, datée du 9 décembre 2005, que lui a envoyée le chef, Affaires réglementaires de Transports Canada, laquelle indique que le S.C.F.P. aurait une autre occasion de formuler des commentaires concernant les règlements proposés, grâce à leur prépublication dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le demandeur soutient qu’il s’agit de promesses fermes faites à son endroit par le ministre des Transports et par ceux parlant en son nom.

[41]  Le demandeur mentionne que les règlements proposés ont été [traduction] « mis en veilleuse » en 2006. Quoi qu’il en soit, le demandeur prétend que les promesses faites au cours de cette période n’ont jamais été annulées et que, par conséquent, elles liaient le nouveau gouvernement lorsqu’il a revu le ratio de 1 pour 50, au début de 2013. Le demandeur mentionne l’avis de projet de modification de 2014 (APM), lequel est fondé sur les travaux préparatoires réalisés de 2000 à 2006, et il indique que le dossier de 2006 a été [traduction] « réactivé ». Le demandeur prétend que les travaux préparatoires réalisés de 2000 à 2006 soulignaient les lacunes concernant les mesures d’atténuation des effets nécessaires, prévoyaient la tenue d’autres consultations et promettaient la prépublication des règlements. Le demandeur renvoie également à l’EPQC de 2014, lequel a été apparemment utilisé pour déterminer la portée des consultations requises ou recommandées et dont l’analyse est en partie fondée sur les consultations tenues précédemment.

[42]  Le demandeur prétend également que le nouveau gouvernement a fait les mêmes promesses. Le demandeur mentionne une analyse papier datant de mai 2013 préparée en réponse à la demande de Sunwing visant à obtenir une dispense relative au ratio de 1 pour 40, laquelle demande a été présentée en prévision des modifications apportées pour l’ensemble de l’industrie, au moyen des règlements contestés. Cette analyse papier indique, sur la question des règlements contestés à venir, que [traduction] « l’approbation du ministre devra être obtenue avant tout avancement menant à la prépublication dans la Partie I de la Gazette du Canada ».

[43]  Le demandeur demande à la Cour de déduire que les promesses qui lui ont été faites, entre 2004 et 2006, concernant sa consultation valable et la prépublication des règlements demeurent en vigueur, étant donné que Transports Canada a simplement réactivé le dossier, lequel comprenait les promesses.

[44]  Le demandeur prétend que les consultations tenues entre 2013 et 2015 concernant les règlements contestés étaient loin de ce qui était nécessaire et promis. Les règlements n’ont pas été prépubliés ni présentés au Comité permanent des transports avant leur promulgation. Le demandeur prétend n’avoir jamais vu les ébauches de règlement. En outre, il affirme que les APM diffèrent de manière importante des règlements finalement promulgués. Le demandeur mentionne que la P.G.C. n’a pas expliqué pourquoi les règlements n’ont pas été prépubliés. De plus, le demandeur prétend que les consultations ne respectaient pas le processus indiqué dans la 5e édition de la charte du CCRAC – qui, selon le demandeur, énonce que tous les règlements seront prépubliés − pas plus que le processus établi dans le guide Lois et règlements : L’Essentiel, 2e éd. (Ottawa : Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2001) [Lois et règlements : L’Essentiel].

[45]  En réponse à l’observation des défendeurs selon laquelle la 6e édition de la charte du CCRAC était celle applicable à l’époque, le demandeur affirme que peu importe l’édition applicable, il s’attendait à une audition devant le Comité permanent des transports et à la prépublication des règlements.

[46]  Le demandeur soutient que le rapport de M. Galea, comportant des simulations pour évaluer les risques relatifs à la sécurité, a été ignoré. Le demandeur laisse entendre que Transports Canada n’a réalisé que des analyses qualitatives et que ce dernier ne peut expliquer de quelle manière il a établi les mesures d’atténuation des effets comprises dans les règlements. Le demandeur indique que la Cour devrait déduire ou supposer que Transports Canada n’a rien fait pour justifier son choix de politique.

[47]  Le demandeur reconnaît qu’il a participé à la réunion du 22 mai 2014 avec d’autres parties visées et Transports Canada, mais il prétend qu’il a été empêché de présenter ou de remettre sa présentation PowerPoint. Le demandeur a soumis un avis dissident concernant l’APM, mais il affirme qu’aucun élément de preuve ne confirme que ledit avis été pris en compte.

[48]  Le demandeur prétend qu’à titre de partie visée principale, il aurait dû pouvoir formuler d’autres commentaires, mais il n’en a pas eu l’occasion, sauf lors de la réunion tenue en mai 2014. Il ajoute qu’aucune consultation n’a été tenue concernant les économies de coûts alléguées, les répercussions sur la sécurité et les mesures d’atténuation des effets.

B.  Une obligation d’équité procédurale devrait être reconnue

[49]  Le demandeur affirme que la nature du contrôle judiciaire exige que les cours aient le pouvoir d’invalider des règlements. Il prétend que la Cour a l’obligation constitutionnelle de superviser le pouvoir exécutif afin de s’assurer qu’il n’outrepasse pas son pouvoir légal, et que cette obligation s’étend pratiquement à tous les aspects du processus décisionnel de ce dernier (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 28, [2008] 1 R.C.S. 190), y compris l’adoption de règlements. Comme il est expliqué ci-dessous, le demandeur qualifie le processus de réglementation de fonction exécutive plutôt que législative.

[50]  Le demandeur ajoute que les tribunaux ont un rôle à jouer pour s’assurer que la sécurité du public est protégée et que le processus décisionnel du pouvoir exécutif est légitime. Pour que les tribunaux puissent s’acquitter de ces obligations, ils doivent pouvoir annuler des règlements qui ont des répercussions négatives sur la sécurité du public.

[51]  Le demandeur affirme que le contrôle judiciaire de la légitimité du processus décisionnel du pouvoir exécutif comprend l’assurance que ce dernier respecte l’obligation d’équité procédurale. Il reconnaît que la portée de cette obligation varie selon les circonstances. Toutefois, il affirme que toutes les autorités publiques, y compris le gouverneur en conseil, sont tenues implicitement d’agir de manière équitable, sauf disposition législative claire écartant son application (citant Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, aux paragraphes 38 et 39, [2011] 2 RCS 504 [Mavi]).

[52]  Le demandeur reconnaît que les textes législatifs ne peuvent pas être contestés pour des motifs d’équité procédurale (Authorson c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, [2003] 2 RCS 40). Toutefois, il fait une distinction entre les règlements et les textes législatifs. Il affirme que les règlements devraient être considérés comme des actes exécutifs de représentants pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour une question d’équité procédurale, comme tout autre acte administratif. Le demandeur prétend que son interprétation est conforme au guide Lois et règlements : L’Essentiel, qui décrit les règlements comme des actes des représentants exécutifs agissant en vertu d’une autorité déléguée.

[53]  Le demandeur reconnaît qu’à ce jour les tribunaux ont annulé des règlements seulement lorsque ceux-ci étaient ultra vires aux termes d’une loi ou qu’ils avaient été adoptés de mauvaise foi (Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 RCS106, à la page 111, 143 DLR (3d) 577 [Thorne’s Hardware]). Le demandeur affirme qu’en dépit de cette décision il n’existe pas de jurisprudence canadienne définitive qui déclare que les règlements ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire portant sur l’équité procédurale. Il affirme que les principes et les tendances du droit administratif contenus dans la jurisprudence du Royaume-Uni, sur laquelle la jurisprudence canadienne principale se fonde, soutiennent sa thèse.

[54]  Le demandeur prétend que le droit du Royaume-Uni est pertinent et qu’il peut servir de fondement pour combler les lacunes du droit canadien. La jurisprudence du Royaume-Uni a évolué vers l’application de la doctrine de l’attente légitime au processus d’adoption des règlements. Plus particulièrement, le demandeur prétend que la jurisprudence du Royaume-Uni établit que les déclarations des autorités publiques, les pratiques passées et l’engagement des intervenants peuvent donner lieu à une attente légitime de la partie visée selon laquelle un certain processus sera respecté pour l’adoption de règlements. Cette jurisprudence peut, en retour, imposer des obligations d’équité procédurale à l’autorité publique qui adopte le règlement (R v Liverpool, ex parte Liverpool Taxi Fleet Operators Association, [1972] 2 QB 299 (CA)).

[55]  Le demandeur prétend également que si la demande était présentée au Royaume-Uni il obtiendrait gain de cause, puisque le droit en vigueur dans ce pays reconnaît que les déclarations claires, directes et non équivoques du gouvernement concernant la procédure prévue pour l’adoption de règlements devraient être mises en application.

[56]  Le demandeur indique que l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 RCF 264, 188 DLR (4th) 145 (CA) [Apotex] est la seule décision des tribunaux canadiens qui traite directement de la question en litige dans la présente demande. Le demandeur s’appuie sur les motifs du juge Evans selon lesquels il a conclu que la doctrine de l’attente légitime pouvait être invoquée afin de créer certaines obligations d’équité procédurale pour l’adoption de règlements. Le juge Evans laisse entendre que si un ministre, agissant dans le cadre de son autorité, donne une « assurance catégorique précise de consultation préalable » à une partie concernant un règlement envisagé, l’adoption de ce règlement sans tenir la consultation promise peut constituer une violation des attentes légitimes de cette partie et, par conséquent, un manquement à l’équité procédurale (paragraphe 105). Bien que le juge Evans ait finalement conclu, vu les faits dont il était saisi, qu’il n’existait pas de capacité pour soumettre la décision du gouverneur en conseil à un contrôle judiciaire concernant l’équité procédurale, puisque ce dernier n’avait pas fait les promesses en litige, le demandeur affirme que la jurisprudence subséquente montre une ouverture quant au réexamen de la question en litige.

C.  Manquement à l’équité procédurale et attentes légitimes

[57]  Le demandeur affirme que peu importe que la question en litige soit formulée, de manière précise, comme une question sur les attentes légitimes, ou de manière plus générale, comme une question sur l’équité procédurale, les règlements contestés ont été adoptés en violation de l’équité procédurale et des promesses claires qui lui avaient été faites.

[58]  Le demandeur prétend qu’une obligation d’équité procédurale est due relativement à l’ensemble du processus décisionnel du pouvoir exécutif et que la portée de l’obligation est déterminée conformément aux facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker]. Le demandeur prétend que l’application des facteurs pertinents de l’arrêt Baker donne ouverture à une obligation d’équité procédurale à l’extrémité supérieure du spectre.

[59]  Le demandeur mentionne qu’il n’est pas possible d’interjeter appel à l’égard du règlement, que la décision est très importante pour lui et pour la sécurité des passagers des avions, que le ratio de 1 pour 40 entraînera des pertes d’emploi pour certains agents de bord, que les consultations promises n’ont pas eu lieu et que le processus habituel de prépublication des règlements n’a pas été respecté.

[60]   Le demandeur affirme que les facteurs de l’arrêt Baker soulignent l’exigence d’une consultation valable ou, à tout le moins, une consultation plus étendue que celle effectuée en l’espèce. Le demandeur ajoute qu’une obligation d’équité procédurale minimale exigerait que l’ébauche de règlement lui soit fournie et qu’un genre d’audition ait lieu pour lui permettre de présenter ses observations.

D.  Les attentes légitimes n’ont pas été respectées

[61]  Le demandeur mentionne que la doctrine de l’attente légitime constitue un aspect de l’équité procédurale. Cette doctrine s’applique lorsqu’une promesse claire est faite par une personne en autorité, au moyen de certaines mentions. Dans de telles circonstances, la promesse sera mise en application. Le demandeur prétend que les promesses qui lui ont été faites étaient non équivoques; il s’attendait légitimement à la mise en œuvre d’un processus qui n’a pas eu lieu.

[62]  Comme il a été mentionné ci-dessus, le demandeur fait valoir que le ministre des Transports a fait deux déclarations claires. Premièrement, entre 2004 et 2006, le ministre et ses sous-ministres ont promis au Comité permanent des transports que les modifications proposées lui seraient présentées pour permettre la tenue d’un débat public éclairé et exhaustif. Troisièmement, dans des lettres et des courriels adressés au demandeur et dans des déclarations faites au Comité permanent des transports, le ministre des Transports a promis que les modifications proposées aux règlements seraient prépubliées dans la Partie I de la Gazette du Canada, afin de permettre la tenue d’un débat exhaustif et de combler les lacunes liées aux données qui n’auraient pas encore été abordées. Le demandeur se fonde également sur la 5e édition de la charte du CCRAC, laquelle, selon lui, promettait la prépublication. En outre, le demandeur mentionne l’évaluation par Transports Canada de la demande de dispense de Sunwing de 2013, laquelle évaluation, selon lui, comprenait un engagement de prépublier les règlements proposés.

[63]  Le demandeur réitère aussi que le REIR de 2015 énonce que le processus réglementaire réalisé entre 2000 et 2006 a été [traduction] « réactivé ». Par conséquent, il prétend que les promesses faites au cours de cette période ont aussi été renouvelées.

[64]  Le demandeur affirme que, selon les principes du droit administratif en vigueur et la jurisprudence du Royaume-Uni, le défaut du ministre des Transports d’honorer ces promesses devrait entraîner l’annulation des règlements, compte tenu du manquement à la doctrine de l’attente légitime.

[65]  Le demandeur reconnaît que le gouverneur en conseil n’a fait aucune promesse concernant la consultation. Toutefois, il laisse entendre que la décision d’adopter les règlements a plutôt été prise par les représentants de Transports Canada, qui ont promis de le consulter et qui devraient donc être tenus responsables.

[66]  Le demandeur prétend que le processus décisionnel tenu secret n’est pas équitable et il demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable du choix du gouvernement d’invoquer les renseignements confidentiels du conseil des ministres, en l’espèce. Il mentionne que la Cour suprême du Canada a traité de la question des renseignements confidentiels du conseil des ministres dans l’arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 RCS 3 [Babcock] et elle a formulé des mises en garde contre la divulgation sélective de renseignements, en mentionnant que des conclusions défavorables pourraient en découler (au paragraphe 36). Le demandeur affirme que la Cour devrait déduire que le gouverneur en conseil était au courant de la promesse faite de tenir des consultations et de prépublier les règlements, mais qu’il a tout de même adopté les règlements en dépit de cette promesse; en outre, le gouverneur en conseil a adopté les règlements sans tenir compte de manière adéquate des observations des parties visées, il a tout simplement [traduction] « entériné » les règlements.

[67]  Le demandeur reconnaît avec réticence que le REIR faisait partie des documents présentés au gouverneur en conseil, mais il laisse entendre que les éléments pris en compte demeurent un [traduction] « mystère ». Le demandeur discrédite le résumé des avis des parties visées compris dans le REIR parce qu’il le juge incomplet. Plus particulièrement, le demandeur prétend que ses commentaires dissidents ne sont pas précisément mentionnés. D’une manière générale, selon le demandeur, le REIR a présenté au gouverneur en conseil un [traduction] « portrait inexact de la situation ».

[68]  Globalement, le demandeur prétend que les règlements contestés ont été promulgués sans que le débat promis ait été tenu devant le Comité permanent des transports, sans leur prépublication dans la Gazette du Canada et sans le respect des autres promesses. Le demandeur prétend qu’en conséquence, ses attentes légitimes n’ont pas été respectées ou qu’il a été privé de l’équité procédurale. Il demande donc que les règlements contestés soient invalidés.

IV.  Les observations des défendeurs

A.  La P.G.C.

[69]  La P.G.C. prétend que le gouverneur en conseil n’est pas tenu à une obligation d’équité procédurale dans le cadre du processus d’adoption des règlements. Elle ajoute que même si l’on pouvait conclure à une obligation d’équité procédurale, le demandeur ne peut pas démontrer qu’il y a eu violation de l’équité procédurale ou qu’il s’attendait légitimement à la consultation qu’il a demandée. La P.G.C. mentionne également que le demandeur n’a pas participé aux consultations tenues entre 2013 et 2015, comme l’indique le REIR, et que ses commentaires ont été notés.

[70]  La P.G.C. souligne aussi que la question en litige n’est pas de décider si la sécurité du public est compromise, en indiquant que ce n’est pas le cas.

[71]  Concernant l’argument du demandeur selon lequel les règlements ont été adoptés en violation de l’équité procédurale, la P.G.C. affirme que toute obligation générale d’équité procédurale ne s’applique pas uniquement aux fonctions législatives (Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, 24 DLR (4th) 44 [Cardinal]).

[72]  La P.G.C. prétend que l’adoption de règlements constitue un processus décisionnel législatif et non des actes exécutifs. Le contrôle judiciaire d’un processus décisionnel législatif est limité aux contestations relatives à la validité constitutionnelle ou à la validité d’un règlement (Canada c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 229, au paragraphe 53, [2009] 3 FCR 136 [Conseil canadien pour les réfugiés]).

[73]  La P.G.C. mentionne que l’article 35 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, définit les termes gouverneur général en conseil ou gouverneur en conseil de la manière suivante : « Le gouverneur général du Canada agissant sur l’avis ou sur l’avis et avec le consentement du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou conjointement avec celui-ci ». Autrement dit, il agit sur l’avis du Cabinet et remplit une fonction législative.

[74]  La P.G.C. mentionne que la présente contestation des règlements ne concerne pas leur validité constitutionnelle ou la compétence du gouverneur en conseil d’adopter des règlements, c’est-à-dire leur validité. La P.G.C. fait observer que le demandeur a retiré sa contestation concernant la validité des règlements ainsi que celle liée à la Charte. La contestation consiste à déterminer s’il existe une obligation d’équité procédurale et, si c’est le cas, à déterminer si elle a été enfreinte à l’égard du demandeur.

(1)  La prépublication dans la Gazette du Canada n’est pas obligatoire.

[75]  Concernant l’allégation du demandeur selon laquelle on lui avait promis que les règlements seraient prépubliés dans la Partie I de la Gazette du Canada, la P.G.C. conteste le fait qu’il s’agissait d’une promesse ou qu’elle ait été faite au demandeur. Bien que les règlements soient habituellement publiés dans la Gazette du Canada, il ne s’agit pas d’une exigence imposée par la loi. La P.G.C. mentionne également que la politique du gouvernement fédéral (le guide Lois et règlements : L’Essentiel) permet des exemptions à la prépublication des règlements, au cas par cas. La P.G.C. évoque aussi le paragraphe 11(2) de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22, lequel prescrit ce qui suit : « Un règlement n’est pas invalide au seul motif qu’il n’a pas été publié dans la Gazette du Canada ».

[76]   La P.G.C. évoque également Loi sur l’aéronautique, laquelle exige que des règlements précis soient prépubliés, par exemple, ceux portant sur l’occupation des sols (article 5.5), mais elle n’exige pas la prépublication du type de règlements contestés. Autrement dit, il n’existe pas d’obligation légale de prépublier les règlements contestés.

[77]  LA P.G.C. ajoute que la Loi sur l’aéronautique ne prescrit pas d’obligation légale de tenir des consultations relativement au pouvoir général d’adopter des règlements, bien qu’elle impose une obligation de tenir des consultations sur certaines autres questions abordées dans la Loi.

(2)  La jurisprudence du Royaume-Uni n’appuie pas une modification au droit canadien.

[78]  La P.G.C. prétend que la jurisprudence du Royaume-Uni reconnaît également que l’obligation d’équité procédurale ne s’applique pas aux décisions législatives. Elle mentionne que dans la décision Bates v Lord Hailsham of St. Marylebone, [1972] 1 WLR 1373 (Eng Ch Div) [Bates], la Cour a conclu qu’il n’existe pas d’obligation de tenir des consultations ou d’obligation générale d’équité à l’égard des questions législatives, [traduction] « qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée » (1378). La P.G.C. évoque la décision plus récente dans l’arrêt Mosley v London Borough of Haringey [2014] UKSC 56, [Mosley], dans laquelle le principe énoncé dans l’arrêt Bates est réitéré. Elle prétend aussi que plusieurs affaires au Royaume-Uni sur lesquelles se fonde le demandeur concernent des obligations légales, c’est-à-dire que la loi impose l’obligation de tenir des consultations, à laquelle les tribunaux ont su donner un sens.

[79]  La P.G.C. prétend qu’il importe peu que l’arrêt Bates fasse encore autorité au Royaume-Uni, puisque le principe de cet arrêt a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Proc. Gén. du Can. c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 RCS 735, [1980] 2 CF 735 [Inuit Tapirisat], et il est établi en droit. La P.G.C. prévient aussi que le régime d’adoption des règlements est différent au Royaume-Uni.

(3)  L’arrêt Apotex ne soutient pas la thèse du demandeur.

[80]  La P.G.C. prétend que l’arrêt Apotex ne soutient pas la thèse du demandeur. L’arrêt Apotex confirme plutôt la thèse des défendeurs selon laquelle les règlements adoptés par le gouverneur en conseil ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour une question d’équité procédurale. La P.G.C. souligne que l’argument du demandeur selon lequel les règlements peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire est fondé sur les remarques incidentes du juge Evans, que la majorité n’a pas appuyées.

[81]  La P.G.C. mentionne que la Cour d’appel a abordé quatre questions litigieuses dans l’arrêt Apotex et que tous les juges étaient d’accord avec l’issue. La seule question pertinente pour la présente demande concerne les remarques de la Cour d’appel sur l’allégation de la demanderesse selon laquelle ses attentes légitimes n’avaient pas été respectées. La P.G.C. souligne que les remarques du juge Evans, sur lesquelles le demandeur fonde sa thèse voulant que la doctrine de l’attente légitime puisse s’appliquer, ont été formulées de manière incidente et elles ont été fermement rejetées par la majorité. La P.G.C. laisse entendre qu’il est exagéré de la part du demandeur de prétendre que le juge Evans a laissé [traduction] « ouverte » la question de l’application des attentes légitimes au processus de réglementation.

[82]  La P.G.C. invoque la décision majoritaire du juge Décary, qui a conclu que la « promesse » sur laquelle s’est fondée Apotex était simplement un commentaire politique fait en passant, sans contenir de précisions suffisantes. En outre, le juge Décary reconnaît qu’une telle déclaration du Ministère ne peut pas lier le gouverneur en conseil dans l’exercice de son pouvoir de réglementation.

[83]  La P.G.C. mentionne que les déclarations alléguées dans l’arrêt Apotex étaient beaucoup plus directes et claires que les déclarations sur lesquelles le demandeur se fonde en ce moment. En l’espèce, la seule déclaration faite par le ministre des Transports était destinée au Comité permanent des transports et non au demandeur. Toutes les autres déclarations ont été formulées par des représentants du gouvernement, aucune d’entre elles ne peut lier le gouverneur en conseil.

[84]  La P.G.C. mentionne aussi que l’arrêt Apotex a été appliqué dans la décision Association des Pilotes de Lignes Internationales c. Urbino, 2004 CF 1387, 21 Admin LR (4th) 93 [Association des Pilotes]. Dans la décision Association des Pilotes, la Cour a notamment abordé la question de savoir si des règlements précis sont invalides relativement à la théorie de l’expectative légitime, parce que le gouvernement a omis de consulter la demanderesse concernant les modifications, contrairement au Projet de réglementation fédérale et à la charte du CCRAC. La Cour a examiné la jurisprudence pertinente et elle a conclu, au paragraphe 23, que l’arrêt Apotex n’a pas changé, en ce qui a trait à la doctrine de l’attente légitime, le droit applicable au pouvoir de réglementation – c’est-à-dire que cette doctrine ne s’applique pas. La Cour a noté les réserves sérieuses des juges Décary et Sexton concernant les remarques incidentes du juge Evans (aux paragraphes 20 à 22).

[85]  Dans la décision Association des Pilotes, la Cour a ajouté, au paragraphe 24, que la Loi sur l’aéronautique ne prescrit pas d’obligation légale de tenir des consultations et que la charte du CCRAC n’est pas exécutoire par le public.

[86]  La P.G.C. prétend que la loi est claire; la doctrine de l’attente légitime ne s’applique pas aux fonctions législatives et de réglementation.

(4)  Le demandeur n’a pas démontré une attente légitime.

[87]  La P.G.C. fait valoir que le ministre ou ses représentants n’ont fait aucune promesse au demandeur qui étayerait une attente légitime liée à un processus de consultation précis auprès du demandeur. En outre, le ministre des Transports n’est pas le décideur. La décision a plutôt été prise par le gouverneur en conseil, qui n’a fait absolument aucune promesse.

[88]  Les promesses invoquées par le demandeur, contenues dans des courriels, des lettres et des déclarations formulées devant le Comité permanent des transports, ne donnent pas ouverture à une attente légitime liée à un processus de consultation et, par conséquent, elles ne démontrent pas un manquement à l’équité procédurale. La P.G.C. souligne que les déclarations alléguées ont été faites dans le contexte du processus de réglementation de 2006, lequel n’a pas mené à l’adoption de modifications aux règlements.

[89]  La P.G.C. affirme que les déclarations alléguées ne donnent pas ouverture à une obligation visant les modifications apportées aux règlements en 2015. Elle nie également que les déclarations des représentants de Transports Canada puissent lier le ministre des Transports. Les déclarations alléguées ne visaient qu’à décrire la démarche réglementaire prévue. De même, les commentaires formulés devant le Comité permanent des transports concernant le processus de 2006 ne peuvent servir à refléter toute promesse faite par le ministre, encore moins par le gouverneur en conseil, concernant les modifications aux règlements de 2015. En outre, la P.G.C. prétend que le demandeur ne peut faire respecter des « promesses » faites au Comité permanent des transports, qui ne lui ont pas été faites directement.

[90]  Concernant la lettre envoyée au président du S.C.F.P. en décembre 2005, laquelle indique que le S.C.F.P. aurait une autre occasion de formuler des commentaires une fois la rédaction des projets de règlement terminée, la P.G.C. prétend que le chef, Affaires réglementaires ne faisait que communiquer le processus habituel envisagé à ce moment. Le contenu de cette lettre ne constitue pas une promesse.

[91]  Concernant un courriel de réponse envoyé par l’adjoint spécial à un membre du S.C.F.P. qui avait écrit à son député, la P.G.C. reconnaît que la réponse mentionne l’engagement du ministre envers le Comité permanent des transports de lui présenter les ébauches de règlement et de prévoir une prépublication. La P.G.C. prétend qu’à ce moment, et concernant les règlements alors en cours d’élaboration, une prépublication était prévue. Toutefois, cet engagement ne constitue pas une promesse précise faite au demandeur. En outre, les règlements en cours d’élaboration à ce moment n’ont pas été adoptés. Comme il a été mentionné, le ministre a signalé à la Chambre des communes en décembre 2006 qu’aucun règlement ne serait adopté pour le moment. La P.G.C. prétend que le demandeur ne peut pas chercher à faire respecter des promesses faites durant un processus réglementaire auquel il a été mis fin. En outre, la P.G.C. prétend que le demandeur ne peut faire respecter des engagements formulés par le ministre auprès du Comité de la Chambre des communes, lesquels n’ont pas été pris envers le demandeur lui-même.

[92]  La P.G.C. souligne aussi qu’un parlement ne peut pas lier son successeur, comme l’a mentionné l’arrêt Canada (Procureur général) c. Friends of the Canadian Wheat Board 2012 CAF 183, aux paragraphes 82 et 83, [2014] 1 RCF 518 [Friends of the Canadian Wheat Board].

[93]  Concernant le recours du demandeur à la charte du CCRAC comme constituant une promesse de prépublication des règlements, la P.G.C. fait valoir qu’il n’est pas important de savoir laquelle de la 5e ou de la 6e édition de la charte du CCRAC régissait le processus d’élaboration des règlements de 2013-2015. La 5e édition de la charte du CCRAC comprend une note d’information qui précise que la charte ne remplace pas les exigences officielles en vigueur concernant l’adoption de règlements. Bien que la 5e édition mentionne que la prépublication dans la Gazette du Canada pourrait avoir lieu, il ne s’agit pas d’une garantie de prépublication. La politique de Transports Canada ne peut obliger le gouvernement à respecter un processus qui n’est pas exigé par la loi. Une réserve similaire est formulée dans la 6e édition, mais sans mention concernant la Gazette du Canada.

[94]  La P.G.C. soutient que, comme la charte du CCRAC – que ce soit la 5e ou la 6e édition − est un document de politique qui ne peut imposer des exigences législatives de consultation et que de telles exigences ne sont pas prescrites dans la Loi sur l’aéronautique, le demandeur ne peut se fonder sur des exigences législatives de prépublication dans la Gazette du Canada ou d’autres processus consultatifs eu égard aux règlements contestés. La charte du CCRAC ne peut servir d’appui à l’attente légitime de prépublication invoquée par le demandeur.

(5)  Il n’est pas approprié de tirer des conclusions défavorables.

[95]  La P.G.C. mentionne que dans la réponse à la demande du S.C.F.P., conformément à l’article 317 des Règles, visant l’obtention des documents examinés par le gouverneur en conseil, le greffier adjoint du Conseil privé a indiqué qu’en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, les documents constituaient des renseignements confidentiels du conseil des ministres. La P.G.C. mentionne que le demandeur n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire de cette décision, il a plutôt déposé une requête en production d’autres documents, laquelle a été rejetée.

[96]  La P.G.C. prétend que la Cour n’a pas de motifs lui permettant de tirer des conclusions défavorables à l’égard de l’affirmation concernant l’article 39. La P.G.C. mentionne que dans l’arrêt Babcock, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a mentionné le rôle important de l’article 39 pour la gouvernance et elle a reconnu les intérêts contradictoires en jeu. Bien qu’une conclusion défavorable puisse être tirée dans certaines circonstances, celles de l’espèce ne correspondent pas du tout aux exemples mentionnés dans l’arrêt Babcock.

(6)  Il n’existe pas d’obligation générale d’équité procédurale

[97]  La P.G.C. indique qu’aucun tribunal canadien n’a conclu à des droits procéduraux en matière d’adoption de règlements. La P.G.C. conteste l’application de l’arrêt Baker pour établir une obligation d’équité procédurale; cet arrêt énonce plutôt les facteurs servant à déterminer la portée et la teneur d’une obligation, lorsqu’une telle obligation existe.

(7)  Le demandeur a été consulté

[98]  La P.G.C. ajoute que malgré l’absence d’obligation d’équité procédurale, des consultations valables ont été tenues au cours des 20 dernières années, auxquelles le demandeur a participé. La P.G.C. conteste aussi la suggestion du demandeur selon laquelle le gouverneur en conseil a fondé sa décision d’approuver les règlements sur des renseignements erronés ou absents ou, subsidiairement, qu’il était au courant des promesses alléguées de consulter le demandeur et qu’il a choisi de les ignorer.

[99]  La P.G.C. prétend que le demandeur a été très consulté au cours du premier processus réglementaire mené entre 2000 et 2006. La P.G.C. mentionne aussi que lorsqu’une modification au ratio des agents de bord a été examinée de nouveau en 2013, le gouvernement a décidé qu’il n’était pas nécessaire que les consultations soient exhaustives. Néanmoins, le demandeur y a participé. Par exemple, le demandeur a participé à la réunion du CCRAC le 22 mai 2014, il a reçu l’EPQC et les APM et il a présenté des observations dissidentes et en ligne. Le REIR fait état des commentaires recueillis à la réunion ainsi que d’autres observations formulées en ligne et autrement, et il prend acte des remarques émises par cinq composantes du S.C.F.P.

[100]  La P.G.C. mentionne également que bien que le demandeur dise que la question en litige ne concerne pas la sécurité, il présente plusieurs observations selon lesquelles les règlements compromettent la sécurité ou les répercussions sur la sécurité n’ont pas été examinées. La P.G.C. invoque le dossier et l’affidavit de M. Christopher Dann, qui décrivent les nouvelles exigences et les essais effectués.

[101]  La P.G.C. conteste la déclaration vague du demandeur selon laquelle Transports Canada a omis d’examiner le rapport d’expert de M. Galea. La P.G.C. mentionne que Transports Canada a cité plusieurs articles et rapports de M. Galea compris dans son analyse des risques des modifications proposées au ratio de 2003.

B.  Observations de Sunwing

[102]  Sunwing prétend que pour obtenir gain de cause à l’égard de la présente demande, le S.C.F.P. doit démontrer que la doctrine de l’attente légitime s’applique au Canada en ce qui concerne la compétence du gouverneur en conseil d’adopter des règlements, et qu’il avait vraiment une attente légitime en l’espèce. Sunwing affirme que le demandeur n’est pas en mesure de démontrer aucun de ces éléments.

[103]  Sunwing souligne la portée limitée du contrôle judiciaire en matière de règlements. Sunwing mentionne que dans l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, au paragraphe 24, [2013] 3 RCS 810, la Cour suprême du Canada a affirmé que « pour contester avec succès la validité d’un règlement, il faut démontrer qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi ». Il ne s’agit pas de la contestation du demandeur en l’espèce.

[104]  Sunwing reconnaît qu’une attente légitime peut donner ouverture à des droits procéduraux dans certaines circonstances, mais ce n’est pas le cas pour le processus législatif. Sunwing affirme que le droit canadien ne reconnaît pas le non-respect des attentes légitimes comme un motif justifiant un contrôle judiciaire des règlements. Ni la loi ni la common law n’exigent que des consultations soient tenues. Sunwing souligne que les règlements peuvent être contestés, mais seulement en ce qui concerne leur bien-fondé – c’est-à-dire leur validité et leur constitutionnalité. En outre, le gouvernement n’est tenu à aucune obligation d’équité dans l’exercice de ses fonctions législatives (Authorson, aux paragraphes 37 à 39).

[105]  Sunwing mentionne que les remarques incidentes du juge Evans dans l’arrêt Apotex n’ont jamais été acceptées au Canada.

[106]  Sunwing souligne qu’il n’existe pas de jurisprudence canadienne ayant conclu à une obligation d’équité procédurale dans le cas de l’adoption de règlements. Elle fait valoir que la jurisprudence canadienne n’a jamais appliqué la doctrine de l’attente légitime pour annuler un règlement. En outre, les faits de l’espèce ne démontrent pas de fondement à la mesure de redressement sollicitée par le demandeur.

[107]  Sunwing prétend que les tendances de la jurisprudence du Royame-Uni sur lesquelles se fonde le demandeur ne sont pas pertinentes. Sunwing mentionne que si une partie s’appuie sur le droit étranger, elle doit fournir le contexte approprié, et le demandeur ne l’a pas fait. Sunwing prétend qu’il existe à la fois des différences et des similitudes dans le processus du Royaume-Uni pour l’adoption de règlements. Toutefois, le droit canadien ne présente pas de lacunes; il a réglé la question, et il n’est pas nécessaire de recourir au droit du Royaume-Uni.

[108]  Sunwing prétend que même si la doctrine de l’attente légitime s’appliquait, le demandeur ne peut satisfaire aux critères énoncés dans Mavi. Le décideur, c’est-à-dire le gouverneur en conseil, n’a formulé aucune déclaration à l’endroit du demandeur. En outre, les seules « déclarations » que le demandeur peut invoquer ont été formulées à l’égard d’un processus réglementaire différent et pour des règlements proposés différents, et celles-ci n’étaient pas suffisamment « claires, sans ambiguïté ou sans réserve », comme l’exige la jurisprudence. Tout comme dans l’arrêt Apotex, concernant les faits, aucun fondement n’appuie les conclusions recherchées par le demandeur.

[109]  Sunwing prétend que le recours, par le demandeur, aux déclarations formulées devant le Comité permanent des transports ou d’autres entités, plutôt qu’à l’endroit du demandeur lui-même, ne peut servir de fondement pour soulever la doctrine de l’attente légitime.

[110]  Sunwing prétend aussi que la mesure de redressement sollicitée par le demandeur porte à confusion. Sunwing cite les observations orales du demandeur selon lesquelles une [traduction] « audience complète » devrait lui être accordée, en faisant remarquer que le gouverneur en conseil ne mène pas d’audience et qu’une audience ne faisait pas partie de l’attente légitime invoquée par le demandeur. Bien que le demandeur prétende qu’une promesse a été faite au Comité permanent des transports de fournir à ce dernier les ébauches de règlement pour examen, il n’appartient pas à la Cour d’orienter les activités du comité parlementaire.

C.  Les observations de la défenderesse, Air Transat

[111]  Air Transat prétend qu’il n’existe aucun précédent à l’appui de l’opinion du demandeur selon laquelle les règlements peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour des motifs d’équité procédurale, y compris pour le non-respect d’attentes légitimes. De plus, le demandeur ne peut satisfaire aux critères permettant de faire valoir une attente légitime.

[112]  Notamment, Air Transat affirme que les remarques incidentes du juge Evans dans l’arrêt Apotex, n’aident pas le demandeur, puisque le juge Evans a reconnu que les déclarations d’un ministre ne permettent pas d’invalider des règlements adoptés par le gouverneur en conseil, une fois qu’ils sont promulgués. Bien que le juge Evans ait laissé entendre qu’une attente légitime de consultation peut donner ouverture à un droit de demander un contrôle judiciaire afin d’empêcher le ministre de soumettre les règlements proposés au Cabinet, ce droit n’aurait pas d’incidence sur la validité des règlements après leur adoption par le Cabinet, en supposant que le gouverneur en conseil ait le plein pouvoir de les adopter.

[113]  Air Transat souligne aussi que la majorité dans l’arrêt Apotex a conclu que les déclarations du ministre « ne [peuvent] pas lier le gouverneur en conseil dans l’exercice de son pouvoir de réglementation », en l’absence d’un pouvoir législatif exprès. En l’espèce, Air Transat fait remarquer que le ministre ne possède aucun pouvoir exprès de la sorte.

[114]  Concernant le recours par le demandeur à la charte du CCRAC, Air Transat prétend que cette dernière et d’autres documents gouvernementaux ne créer pas une attente légitime d’être consulté, et que des membres du public ne peuvent pas en exiger l’application (Association des Pilotes, au paragraphe 24).

[115]  Concernant le recours par le demandeur à une déclaration de Transports Canada contenue dans l’évaluation de la demande de dispense de Sunwing, Air Transat prétend que cette déclaration ne crée pas une attente légitime, puisqu’elle ne contient aucune promesse, elle n’émane pas du ministre ou du gouverneur en conseil, elle n’est pas adressée au demandeur, et elle est de nature restreinte.

[116]  Air Transat affirme que les quelques déclarations faites au demandeur sont insuffisantes pour justifier une attente légitime. Ces déclarations ne font que reconnaître la participation du demandeur jusqu’à ce moment et elles indiquent qu’une proposition sera présentée au Comité permanent des transports avant la prépublication. Air Transat prétend que ces déclarations ne font que réitérer les propos tenus devant le Comité permanent des transports.

[117]  Air Transat mentionne aussi que la Loi sur l’aéronautique ne prescrit pas d’obligation légale de tenir des consultations liées à l’adoption de règlements.

[118]  Air Transat souligne que le demandeur a été consulté à propos des règlements contestés lors de la réunion en personne tenue le 22 mai 2014 et que les mesures d’atténuation des effets ont été adoptées après ces consultations.

V.  Le gouverneur en conseil n’est pas tenu à une obligation d’équité procédurale relativement à la promulgation de règlements

[119]  La thèse du demandeur, laquelle vise à infirmer des principes reconnus par la jurisprudence canadienne en se fondant sur des tendances du droit administratif et de la jurisprudence du Royaume-Uni pour faire valoir que les décideurs qui promulguent des règlements sont tenus à une obligation d’équité procédurale, est irrecevable. Cet argument se résume à ce qui suit : les tribunaux peuvent procéder à un contrôle judiciaire des décisions rendues par le pouvoir exécutif, y compris en ce qui concerne l’équité procédurale; l’adoption de règlements ne constitue pas un acte législatif, il s’agit plutôt dans la pratique d’un acte du pouvoir exécutif, et, par conséquent, l’adoption de règlements par le gouverneur en conseil, laquelle est susceptible de contrôle en ce qui a trait à la validité et à la validité constitutionnelle des règlements, devrait aussi être susceptible de contrôle en matière d’équité procédurale, y compris sur la base de la doctrine de l’attente légitime (une sous-catégorie de l’équité procédurale). Le demandeur prétend qu’il avait une attente légitime relative à un processus de consultation précis, laquelle attente n’a pas été respectée, et que les règlements contestés devraient donc être invalidés.

[120]  Le demandeur ne peut obtenir gain de cause. Entre autres choses, sa prémisse est erronée. La promulgation de règlements par le gouverneur en conseil est un acte législatif à l’égard duquel ce dernier n’est tenu à aucune obligation d’équité procédurale.

A.  Le droit canadien applicable

[121]  Dans l’arrêt Canadian Council for Refugees, au paragraphe 53, la Cour d’appel a affirmé qu’il s’agit de « l’opinion généralement acceptée que la « décision » du [gouverneur en conseil] de prendre le Règlement, tout comme la « décision » des députés d’adopter une loi, ne sont pas susceptibles de contrôle par les tribunaux ».

[122]  Les limites du contrôle judiciaire en matière de règlements sont bien expliquées aux paragraphes 53 et 54.

[53]  Cette réponse que les intimés ne contestent pas (avis de demande, dossier d’appel, volume 1, pages 133 à 135) est conforme à l’opinion généralement acceptée que la « décision » du GC de prendre le Règlement, tout comme la « décision » des députés d’adopter une loi, ne sont pas susceptibles de contrôle par les tribunaux (pour ce qui est de l’action des députés, voir paragraphe 2(2) de la Loi sur les Cours fédérales (édicté à l’origine par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), selon lequel « [i]l est entendu » que la Chambre des communes n’est pas un office fédéral, de sorte que ses décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire). Cela étant dit, la légalité d’un règlement pris en vertu d’un pouvoir conféré par le législateur au motif qu’il excède ce pouvoir a toujours pu être contestée devant les tribunaux et dans cette mesure, les actions du GC sont susceptibles de contrôle judiciaire. Cette distinction entre ce qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire et ce qui échappe à la compétence des tribunaux est mise en évidence par la Cour suprême dans Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, à la page 111 :

La simple attribution par la loi d’un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe au contrôle judiciaire : Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 748. Je n’ai pas le moindre doute sur le droit des cours d’intervenir dans les cas où il y a non-respect des conditions prescrites par la loi et, par conséquent, défaut de compétence fatal. Le droit et la compétence sont susceptibles d’examen judiciaire et les cours ont le pouvoir de veiller à ce que les procédures prévues par la loi soient suivies à la lettre : R. v. National Fish Co., [1931] R.C. de l’É. 75; Minister of Health v. The King (on the Prosecution of Yaffe), [1931] A.C. 494, à la p. 533. Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’un décret du Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n’est pas le cas ici.

[54]  La distinction a été décrite brièvement par le juge Strayer dans Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 CF 595, à la page 602 :

Il va sans dire qu’il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière?  [Note omise]

[123]  Comme les défendeurs l’ont mentionné, les règlements ne sont pas à l’abri du contrôle judiciaire, mais ce dernier est limité à leur validité et à leur validité constitutionnelle. La jurisprudence canadienne est claire et elle ne laisse aucune place à la thèse du demandeur. Aucune partie n’a droit à l’équité procédurale en ce qui concerne le processus législatif, y compris l’adoption de règlements.

[124]  Le demandeur admet que son argument n’a jamais été accepté par un tribunal canadien, mais il affirme que les principes du droit administratif permettent de conclure à l’existence de l’obligation, tout comme le font les autorités du Royaume-Uni.

[125]  Le demandeur prétend que l’arrêt Bates, sur lequel se fonde la proposition de la P.G.C. selon laquelle il n’existe pas d’obligation générale d’équité procédurale à l’égard des questions législatives, [traduction] « qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée », ne constitue plus l’avis prédominant au Royaume-Uni. Bien que la jurisprudence canadienne ait suivi l’arrêt Bates, le demandeur soutient qu’il ne devrait plus être suivi. Cet argument ne peut être retenu. Au Canada, l’arrêt Bates a été suivi dans l’arrêt Inuit Tapirisat, et les affaires subséquentes ne s’en sont pas éloignées.

[126]  Dans l’arrêt Bates, le demandeur a présenté une demande d’injonction ex parte à la Chambre de la Chancellerie de la Haute Cour, alléguant qu’une modification à un règlement, au moyen de laquelle une disposition concernant les honoraires d’un avocat avait été retirée, n’aurait pas dû être apportée sans consultation. La Cour s’est dite en désaccord avec cette allégation et elle a conclu que l’obligation générale d’équité à laquelle est tenu le pouvoir exécutif n’avait pas d’incidence sur le processus législatif [traduction] « qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée ». La cour a ajouté ce qui suit : [traduction] « Il n’existe, que je sache, aucun droit implicite d’être consulté ou de présenter des objections, ni aucun principe en vertu duquel les tribunaux peuvent donner des ordres au pouvoir législatif à la demande de ceux qui prétendent qu’il n’a pas consacré un temps suffisant à la consultation et à l’étude de la question » (au paragraphe 1378).

[127]  Dans l’arrêt Inuit Tapirisat, la Cour suprême du Canada a adopté le principe énoncé dans l’arrêt Bates. L’organisme Inuit Tapirisat avait contesté une augmentation tarifaire approuvée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et il avait interjeté appel de la décision de ce dernier devant le gouverneur en conseil, conformément à une disposition législative. Le gouverneur en conseil a rejeté l’appel et il a approuvé l’augmentation tarifaire du CRTC, sans entendre les opposants. L’organisme Inuit Tapirisat a soutenu que le défaut du gouverneur de les entendre contrevenait à une obligation d’équité qui leur était due. La Cour suprême du Canada a conclu qu’une telle obligation n’existait pas. Le juge Estey, citant l’arrêt Bates, a indiqué que la question d’équité procédurale « ne [lui paraissait] pas s’appliquer au processus législatif, qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée » (à la page 757).

[128]  Le juge Estey a reconnu l’obligation générale d’équité relativement au processus décisionnel du pouvoir exécutif (citant l’arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311, 88 DLR (3d) 671), mais il a conclu que l’ordonnance en question était de nature législative. Le juge Estey a expliqué ce qui suit aux pages 758 et 759 :

Si […] l’Exécutif s’est vu attribuer une fonction auparavant remplie par le législatif lui-même et que la res ou l’objet n’est pas de nature personnelle ou propre au requérant ou à l’appelant, l’on peut croire que des considérations différentes entrent en jeu. […] En pareil cas, la Cour doit revenir à son rôle fondamental de surveillance de la compétence et, ce faisant, interpréter la Loi pour établir si le gouverneur en conseil a rempli ses fonctions dans les limites du pouvoir et du mandat que lui a confiés le législateur.

[129]  Autrement dit, en matière de pouvoir de réglementation, le rôle de la cour, à l’occasion d’un contrôle judiciaire, se limite à s’assurer de la validité de la loi et il ne consiste pas à examiner le processus décisionnel en ce qui a trait à l’équité procédurale.

[130]  Dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602, 106 DLR (3d) 385 [Matsqui no 2], la Cour Suprême a réitéré le même principe, à la page 628 :

La jurisprudence, à mon avis, appuie les conclusions suivantes : […] Une décision purement administrative, fondée sur des motifs généraux d’ordre public, n’accordera normalement aucune protection procédurale à l’individu, et une contestation de pareille décision devra se fonder sur un abus de pouvoir discrétionnaire. De même, on ne pourra soumettre à la surveillance judiciaire les organismes publics qui exercent des fonctions de nature législative.

[131]  Depuis l’arrêt Inuit Tapirisat, la thèse canadienne veut que l’équité procédurale ne s’applique pas au processus de réglementation.

[132]  Plus particulièrement, ces principes ont été appliqués à la doctrine de l’attente légitime dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 SCR 525, 83 DLR (4th) 927 [Régime d’assistance publique du Canada]. Une loi a été adoptée pour tenir compte d’un accord conclu entre le Canada et la Colombie-Britannique pour le partage des dépenses liées au bien-être social dans cette province. La loi prescrivait qu’elle ne pouvait être modifiée que par consentement mutuel. En 1990, des modifications y ont été apportées sans le consentement de la Colombie-Britannique. La Colombie-Britannique a notamment affirmé que l’accord donnait ouverture à une attente légitime selon laquelle le Canada demanderait son consentement avant de modifier l’accord et que le Canada s’était conduit de manière illégitime en ignorant cette attente. La Cour Suprême s’est dite en désaccord avec cette affirmation, citant à la fois les arrêts Bates et Inuit Tapirisat, en mentionnant au paragraphe 68 que « […] les règles de l’équité procédurale ne s’appliquent pas à un organe qui exerce des fonctions purement législatives. C’est ce qu’a affirmé le juge Megarry dans l’arrêt Bates, affirmation qu’a approuvée le juge Estey, au nom de notre Cour, dans l’affaire Inuit Tapirisat » (renvois omis).

[133]  Dans l’arrêt Régime d’assistance publique du Canada, le juge Sopinka a conclu que la doctrine de l’attente légitime retarderait les activités du gouvernement et qu’elle constituerait indûment une « limitation de la souveraineté du Parlement lui-même ». Il a également conclu qu’une telle doctrine nuirait au principe selon lequel « un gouvernement [n’est] pas lié par les engagements de son prédécesseur » (aux paragraphes 72 et 73).

[134]  Bien que le demandeur prétende que ce principe ne s’applique qu’à la loi, laquelle était en litige dans l’arrêt Régime d’assistance publique du Canada, et non aux règlements, la jurisprudence n’appuie pas une telle distinction, et le demandeur n’a pas invoqué de motifs pour établir une distinction.

B.  L’arrêt Apotex ne soutient pas la thèse du demandeur

[135]  L’arrêt Apotex ne soutient pas la thèse du demandeur. Il confirme plutôt le droit canadien en vigueur : le gouverneur en conseil n’est pas tenu à une obligation d’équité procédurale dans le cadre du processus d’adoption des règlements, et la doctrine de l’attente légitime ne peut s’appliquer.

[136]  Les faits dans l’arrêt Apotex ressemblent à ceux en l’espèce. L’appelante était membre de l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP), laquelle a contesté des modifications possibles à des règlements pris en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P4 [Loi sur les brevets]. Le gouvernement a présenté un projet de loi ayant pour but, notamment, d’autoriser le gouverneur en conseil à adopter les règlements contestés par l’ACFPP. Le sous-ministre responsable a tenu une réunion avec l’ACFPP et il a indiqué que le gouvernement avait l’intention de consulter l’industrie avant l’adoption desdits règlements. Par la suite, le ministre responsable a écrit à l’ACFPP pour lui expliquer les motifs du projet de loi et lui indiquer ce qui suit : « Soyez assuré que vous serez consulté avant la prise d’un tel règlement. ». Les règlements ont été promulgués sans que la consultation promise soit tenue. L’appelante a notamment soutenu que les règlements avaient été promulgués sans respecter son attente légitime d’être consultée et qu’ils devaient donc être invalidés.

[137]  La Cour d’appel a souscrit au résultat global et elle a également conclu, quant aux faits de l’espèce, qu’il n’y avait pas eu manquement à une obligation d’équité procédurale ou non-respect d’une attente légitime. Toutefois, dans des motifs concordants distincts, le juge Evans a opiné longuement sur l’application possible de la doctrine de l’attente légitime à l’exercice du pouvoir de promulgation de règlements du gouverneur en conseil. La majorité (les juges Décary et Sexton) a exprimé des réserves sérieuses à l’égard des commentaires du juge Evans.

[138]  Compte tenu du recours par le demandeur aux motifs concordants du juge Evans dans l’arrêt Apotex, un examen plus approfondi de la décision et de la manière dont elle s’intègre à d’autres jurisprudences est justifié. Dans l’arrêt Apotex, le juge Evans a examiné la jurisprudence et il a convenu qu’il était « bien établi au Canada que l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative » (au paragraphe 104), ce qui comprendrait le Règlement contesté en l’espèce. Toutefois, il a ajouté ce qui suit : « il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un règlement puisse licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable donnée par un ministre responsable dans l’exercice de fonctions ministérielles » (au paragraphe 105). En d’autres mots, le juge Evans a reconnu qu’une promesse réelle faite par un ministre concernant des questions relevant de la responsabilité de ce dernier pouvait servir de motif pour un contrôle judiciaire, si cette promesse n’était pas respectée. Le juge Evans a laissé entendre que l’arrêt Régime d’assistance publique du Canada pouvait être distingué pour le motif qu’il portait sur une loi plutôt que sur une mesure législative subordonnée. Il a mentionné que la Cour suprême du Canada s’était dite disposée à appliquer la doctrine de l’attente légitime à un règlement municipal (citant l’arrêt Assoc. des résidents du vieux St-Boniface inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, 75 DLR (4th) 385). Le juge Evans a également mentionné que d’autres pays de common law étaient prêts à appliquer la doctrine dans le contexte de la réglementation et que des études soutenaient cette approche.

[139]  Le juge Evans a conclu qu’une obligation générale de donner aux intéressés la possibilité de participer est différente d’une attente légitime fondée sur un « engagement procédural » (au paragraphe 121). Il a décrit la doctrine de l’attente légitime comme plus qu’une partie de l’obligation d’équité, en mentionnant qu’elle existe pour protéger des personnes contre des actions abusives de l’État (c’est-à-dire le gouvernement qui ne respecte pas ses promesses), ce qui, par conséquent, la fait entrer dans la « sphère du contrôle judiciaire » (aux paragraphes 123 et 124). À son avis, la doctrine pourrait être appliquée au processus réglementaire pour créer des droits de participation, et ces règlements adoptés en violation d’une obligation de consulter pourraient être déclarés invalides. Le juge Evans a conclu que la nature de la lettre du ministre au demandeur était « précise et catégorique » et susceptible de créer une attente légitime.

[140]  Toutefois, en dépit de son avis selon lequel la lettre du ministre avait pu créer une attente légitime, le juge Evans a mentionné que le gouverneur en conseil avait déjà adopté les règlements concernés. Bien qu’il laisse entendre que l’appelante aurait pu demander un contrôle judiciaire pour « empêcher le ministre de soumettre le projet de règlement au cabinet tant que la consultation promise n’[avait] pas eu lieu » (au paragraphe 133), il existe peu de recours une fois les règlements adoptés. Au paragraphe 134, il mentionne qu’il n’existe aucun moyen de savoir si le Cabinet, lequel a le plein pouvoir législatif pour adopter les règlements concernés, est au courant des promesses faites par le ministre :

[...] le cabinet a déjà approuvé le Règlement; il s’agit donc de savoir si la validité du Règlement peut être contestée pour le motif qu’il a été pris sans consultation, contrairement à ce que le ministre avait promis. À mon avis, la validité du Règlement ne peut pas être contestée. Si le cabinet prend un règlement en ne sachant pas qu’un ministre s’est engagé à procéder à la consultation, il n’abuse pas du pouvoir qui lui est conféré par la loi, me semble-t-il. Et, compte tenu de la protection juridique fournie par la loi, en ce qui concerne la confidentialité des délibérations du cabinet et les motifs restreints pour lesquels les tribunaux examinent l’exercice de pouvoirs par le cabinet, il ne serait pas permis à un tribunal d’enquêter sur ce que savaient les membres du cabinet au sujet des assurances données par un ministre, sur le plan de la procédure, afin de déterminer si un règlement par ailleurs valide a sciemment été pris en violation d’un engagement ministériel.

[141]  Le demandeur affirme, en se fondant sur le passage ci-dessus, que le gouverneur en conseil n’a pas agi sans connaître les promesses faites par le ministre et ses représentants quant à la question de consulter et, par conséquent, les règlements devraient pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le demandeur demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable du refus du greffier adjoint du Conseil privé, fondé sur le privilège du secret du Cabinet, de fournir les documents présentés au gouverneur en conseil. Le demandeur affirme que la Cour devrait déduire que le gouverneur en conseil était au courant de la promesse faite de tenir des consultations et qu’il a sciemment adopté les règlements sans respecter cette promesse.

[142]  Premièrement, la Cour ne tirera pas une telle conclusion défavorable. Le gouvernement a le droit de faire valoir un secret du Cabinet, le cas échéant, et il n’existe aucun élément de preuve voulant que cette affirmation n’ait pas été justifiée dans les circonstances de l’espèce. Deuxièmement, les avis du juge Evans sur la question en litige ne constituent pas le droit au Canada, même si le demandeur parvenait à faire correspondre les circonstances à l’exception proposée. Troisièmement, comme il est discuté ci-dessous, le ministre n’a pas fait de promesses non équivoques au demandeur selon lesquelles il le consulterait. Quatrièmement, le REIR fournit de nombreux renseignements concernant le processus d’élaboration des règlements, lesquels ont été présentés au gouverneur en conseil, et le REIR comprend un résumé des enjeux cernés et des consultations menées au cours de la période allant de 2000 à 2006 et de celles, plus étroites, menées entre 2013 et 2015, lequel résumé mentionne que le demandeur et d’autres parties ont présenté des observations.

[143]  Comme il a été mentionné de façon constante, le juge Evans formait la minorité dans l’arrêt Apotex. Bien que sa conclusion finale selon laquelle un contrôle judiciaire n’est pas disponible ait été partagée par les juges Décary et Sexton, la majorité a formulé des motifs très différents.

[144]  Le juge Décary, auquel le juge Sexton s’est joint, a exprimé de sérieuses réserves quant à l’application de la doctrine de l’attente légitime, comme le juge Evans l’a proposée. De l’avis de la majorité, il serait inapproprié que la Cour, plutôt que le législateur, [traduction] « impose elle-même des restrictions en matière de procédure liée au processus menant à l’adoption de règlements ». Tout en reconnaissant que l’arrêt Régime d’assistance publique du Canada portait sur une loi plutôt que sur une mesure législative subordonnée, le juge Décary mentionne que l’annulation de règlements adoptés par le gouverneur en conseil pour le seul motif qu’un ministre n’a pas respecté la promesse de consultation « faite au nom du cabinet » constituerait un redressement extraordinaire (au paragraphe 24).

[145]  Quant aux allégations précises selon lesquelles les promesses ont été faites par le ministre, le juge Décary a considéré l’engagement du ministre comme une « brève assurance donnée en passant par un ministre exerçant une fonction politique », laquelle ne contenait aucune précision « au sujet des modalités et du calendrier de consultation » et qui, par conséquent, n’était pas suffisante pour «être [invoquée] contre le ministre» (au paragraphe 11). Le juge Décary mentionne que la disposition législative pertinente n’exigeait aucune consultation avant que les règlements soient adoptés, alors que d’autres articles de la Loi sur les brevets prescrivent de telles exigences (aux paragraphes 3 à 7).

[146]  En outre, le juge Décary a manifestement conclu que les déclarations faites par le ministre, bien que claires et non équivoques, ne pouvaient lier le gouverneur en conseil, en mentionnant ce qui suit, aux paragraphes 17 à 19 :

« […] même si le présumé engagement était de nature à lier le ministre et s’il était exécutoire devant une cour de justice, il n’aurait pas lié, eu égard aux circonstances, le gouverneur en conseil, qui est somme toute le décideur.

Un ministre ne peut prendre un engagement ayant certaines conséquences juridiques qu’à l’égard d’une décision qu’il lui appartient de prendre et qu’il appartient à lui seul de prendre.

[...] même s’il était conclu que le présumé engagement pris par le ministre pouvait faire l’objet d’un examen judiciaire, cet engagement ne pourrait pas en l’espèce être invoqué contre le gouverneur en conseil ».

[147]  C’est la décision majoritaire dans l’arrêt Apotex qui a force exécutoire auprès de la Cour. La majorité doutait sérieusement que la doctrine de l’attente légitime devait s’appliquer au processus d’adoption des règlements. Les juges ont fait remarquer que les promesses sur lesquelles l’appelante a tenté de se fonder n’étaient qu’une « brève assurance » donnée par un ministre exerçant sa « fonction politique », et que seule une personne naïve pourrait penser que cette assurance peut être invoquée contre le ministre devant une cour de justice. Peu importe la nature des promesses faites par le ministre, la majorité a conclu qu’elles ne pouvaient pas lier le gouverneur en conseil, lequel était l’entité réellement responsable de la promulgation des règlements.

[148]  Les remarques du juge Evans sur l’application de la doctrine de l’attente légitime au processus de réglementation, laquelle, selon le demandeur, donne ouverture à son argument, n’ont pas été suivies par les jurisprudences subséquentes.

[149]  Bien que le demandeur cherche à donner plus de poids à son argument en invoquant les [traduction] « tendances » du droit administratif canadien et la jurisprudence du Royaume-Uni, il n’a pas de valeur probante.

[150]  Le demandeur souligne les remarques faites par le juge Binnie dans l’arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 RCS 281 [Mount Sinai], où il a reconnu au paragraphe 34 « [qu’il] peut être difficile, dans d’autres contextes, de déterminer quand l’exception législative s’applique et quand elle ne s’applique pas, comme cela a été débattu en Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex […]. Cette question reste à trancher ». Ces remarques, tirées de l’opinion concordante du juge Binnie, ont été formulées de manière incidente et elles ne faisaient que souligner les avis divergents exprimés dans l’arrêt Apotex. Comme à l’égard de nombreuses questions litigieuses, les tribunaux peuvent réexaminer le droit lorsque les circonstances le justifient, mais il n’existe aucun motif de le faire en l’espèce.

[151]  Plus récemment, dans la décision Société canadienne de consultants en immigration c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1435, 402 FTR 168, le juge Martineau a examiné l’argument de la demanderesse selon laquelle les règlements en litige avaient été adoptés en violation de ses attentes légitimes de consultation. Le juge Martineau cite les arrêts Apotex et Régime d’assistance publique du Canada, en mentionnant qu’il y a lieu de « s’interroger sur la question de savoir si un règlement peut licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable », mais il conclut, quant aux faits de l’espèce, qu’il n’y a pas eu violation d’une attente légitime (aux paragraphes 113, 150 et 151). [Non souligné dans l’original.] La Cour d’appel a confirmé la décision, mais elle n’a même pas tranché la question de savoir si la doctrine de l’attente légitime s’appliquait (Société canadienne de consultants en immigration c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 194, au paragraphe 7).

[152]  Dans l’arrêt Association des Pilotes, la Cour a mentionné que l’arrêt Inuit Tapirisat avait adopté le principe énoncé dans l’arrêt Bates, en affirmant ce qui suit, au paragraphe 20 :

Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et al., [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 757, la Cour suprême du Canada a adopté le commentaire suivant, fait par le juge Megarry dans Bates c. Lord Hailsham, [1972] 1 W.L.R. 1373, à la page 1378 :

[traduction] Admettons que dans le domaine de ce qu’on appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l’obligation générale d’agir équitablement. Mais cela ne me paraît pas s’appliquer au processus législatif, qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée. Plusieurs de ceux que la législation déléguée concerne, et souvent de façon très importante, ne sont jamais consultés au cours de son processus d’adoption; et pourtant ils n’ont aucun recours [...] Il n’existe, que je sache, aucun droit implicite d’être consulté ou de présenter des objections, ni aucun principe en vertu duquel les tribunaux peuvent donner des ordres au pouvoir législatif à la demande de ceux qui prétendent qu’il n’a pas consacré un temps suffisant à la consultation et à l’étude de la question.

[Souligné dans l’original.]

[153]  La Cour s’est fondée sur l’arrêt Apotex, en mentionnant que les avis du juge Evans avaient été formulés de manière incidente, au paragraphe 21 :

[...] Dans l’arrêt Apotex, les juges Décary et Sexton, même s’ils avaient adopté les motifs du juge Evans, n’étaient pas d’accord avec lui sur la question du manquement à l’engagement de consulter l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques avant la prise du règlement. Les juges Décary et Sexton avaient exprimé de graves réserves quant à l’application de la doctrine de l’attente légitime à l’exercice par le Cabinet de ses pouvoirs de réglementation, considérant que le pouvoir judiciaire devrait hésiter à intervenir de façon à imposer ses propres restrictions procédurales à l’égard du processus de réglementation du gouverneur en conseil. Quoi qu’il en soit, les commentaires du juge Evans sur ce point semblent être l’expression d’une opinion incidente. L’autorisation de se pourvoir contre cette décision à la Cour suprême du Canada a été refusée.

[154]  La Cour a ajouté, au paragraphe 24, que, tout comme en l’espèce, la Loi sur l’aéronautique ne prescrit pas d’obligation légale de tenir des consultations et que la charte du CCRAC n’est pas exécutoire par le public.

[155]  Bien que le demandeur tente de distinguer l’arrêt Association des Pilotes, en soutenant que la décision s’appuyait sur le motif que l’Association avait été consultée conformément à la charte du CCRAC, ce fait ne change pas la conclusion de la Cour concernant l’arrêt Apotex.

[156]  L’appui de l’avis de la majorité dans l’arrêt Apotex se retrouve aussi dans des décisions d’autres tribunaux. Par exemple, dans la décision The Cash Store Financial Services Inc. v Ontario (Consumer Services), 2013 ONSC 6440, 117 OR (3d) 786 (Div Ct) [Cash Store Financial], les demanderesses ont contesté un règlement concernant les prêts sur salaire au motif que le règlement n’avait pas été publié pendant la période obligatoire de 45 jours, comme l’exige la Politique ontarienne de réglementation, situation qui, selon les demanderesses, n’a pas respecté leur attente légitime de consultation. La Cour divisionnaire de l’Ontario a mentionné qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir [traduction] « si la doctrine de l’attente légitime peut s’appliquer aux règlements » (au paragraphe 24). Elle a souligné le désaccord dans l’arrêt Apotex et elle a conclu que la décision de la majorité [traduction] « était celle qui primait dans la jurisprudence, qui n’a jamais appliqué la doctrine pour annuler un règlement adopté par le Cabinet » (aux paragraphes 24 et 25). La cour a ensuite conclu que la Politique ontarienne de réglementation ne pouvait être considérée comme une déclaration aux fins de la doctrine, puisqu’elle ne vise pas directement les demanderesses et qu’elle n’est pas [traduction] « claire, absolue et sans ambiguïté » (au paragraphe 26).

[157]  L’arrêt Apotex demeure le droit en vigueur quant aux questions des attentes légitimes et de l’équité procédurale, dans le contexte de l’adoption de règlements. Il n’existe pas d’obligation d’équité procédurale, et la doctrine de l’attente légitime, qu’elle soit vue comme une doctrine à elle seule ou comme un élément de l’obligation d’équité procédurale, ne s’applique pas au contexte de l’adoption des règlements. Le processus législatif, y compris les règlements, n’est pas soumis aux exigences de l’équité procédurale. Même le juge Evans a reconnu que les règlements font partie du processus législatif (contrairement aux observations du demandeur selon lesquelles ils constituent des actes exécutifs).

[158]  Comme il est mentionné ci-dessus, l’arrêt Inuit Tapirisat, (lequel se fonde sur l’arrêt Bates) établit que les processus législatifs ne sont pas soumis à l’obligation d’équité « qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée ». L’arrêt Régime d’assistance publique du Canada étend ce principe à la doctrine de l’attente légitime et, bien qu’il n’aborde pas expressément la législation déléguée, il cite les arrêts Bates et Inuit Tapirisat pour tirer sa conclusion. Dans l’arrêt Régime d’assistance publique du Canada, la Cour a énoncé les motifs de cette conclusion, notamment le devoir des tribunaux d’éviter de « paralyser » les activités du gouvernement. Les mêmes motifs ont été répétés par la majorité dans l’arrêt Apotex concernant les règlements, laquelle majorité a exprimé des réserves à propos de l’ingérence du pouvoir judiciaire dans le « processus de réglementation du gouverneur en conseil ».

C.  Il n’est pas nécessaire de recourir à la jurisprudence du Royaume-Uni

[159]  Comme le mentionne le demandeur, la jurisprudence du Royaume-Uni a traité de la doctrine de l’attente légitime dans le cadre de l’adoption de certaines règles et de certains [traduction] « règlements ». La jurisprudence du Royaume-Uni indique que les actes législatifs ne sont pas assujettis à l’obligation d’équité, mais que la doctrine de l’attente légitime peut constituer une exception à ce principe général, dans certaines circonstances.

[160]  Bien que le demandeur se fonde grandement sur les tendances du droit du Royaume-Uni et qu’il prétende que l’arrêt Bates ne fait plus autorité dans ce pays, il ne reconnaît pas les distinctions apportées par la jurisprudence du Royaume-Uni entre les obligations légales de consulter – à l’égard desquelles les tribunaux de ce pays ont été plus enclins à conclure à une violation de l’équité procédurale lorsque la loi avait été enfreinte – et les circonstances où il n’existait pas d’obligation légale de consulter. Je souligne également qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour concernant le processus de réglementation en vigueur au Royaume-Uni et la question de savoir si ce processus porte certaines des caractéristiques du processus en litige dans la présente demande.

[161]  Comme l’a mentionné la P.G.C., dans la décision Regina v Secretary of State for Health, [1992] QB 353, la doctrine de l’attente légitime d’être consulté a été acceptée parce qu’il existait une obligation légale de consulter les groupes d’intérêt. De même, dans l’arrêt Mosley, la question en litige concernait le respect par le conseil municipal de sa propre exigence légale de consulter. La cour a convenu qu’il n’existe pas d’obligation générale de consulter en common law. La cour a également accepté qu’une obligation de consulter puisse exister lorsqu’une attente légitime découle d’une promesse de consultation ou de pratiques antérieures en matière de consultation.

[162]  Dans son recours à la jurisprudence du Royaume-Uni, le demandeur semble faire abstraction des différences potentielles concernant le processus de réglementation de ce pays et le type de règlements en litige et de la distinction entre les obligations légales et discrétionnaires de consulter.

[163]  Peu importe les tendances du droit du Royaume-Uni et la question de savoir si les affaires sur lesquelles se fonde le demandeur traitent d’un processus de réglementation similaire à celui du Canada, le droit canadien est clair. Le principe de l’arrêt Bates, selon lequel il n’existe pas d’obligation générale d’équité procédurale à l’égard d’une question législative [traduction] « qu’il s’agisse de lois ou de législation déléguée », a été adopté par la Cour Suprême dans l’arrêt Inuit Tapirisat et il fait toujours autorité. L’arrêt Régime d’assistance publique du Canada a précisé que ce principe comprend la doctrine de l’attente légitime. En outre, la jurisprudence des tribunaux d’instance inférieure a fait observer que ce principe s’applique tant aux lois qu’à la législation déléguée, et ce, de la même manière. En bref, le droit canadien ne présente aucune lacune nécessitant que la Cour adhère à la jurisprudence du Royaume-Uni.

VI.  L’équité procédurale n’a pas été refusée au demandeur

[164]  Dans l’éventualité où la doctrine de l’attente légitime s’appliquerait à la promulgation des règlements par le gouverneur en conseil, la question en litige consisterait à décider si l’attente légitime de consultation du demandeur a été respectée et, de manière plus générale, si l’équité procédurale a été refusée au demandeur. Je conclus que le demandeur n’avait pas d’attente légitime de consultation, et qu’une obligation générale d’équité procédurale ne lui était pas due. En outre, même si aucune obligation n’était due, le demandeur a bénéficié d’une équité procédurale élémentaire. Il était au courant des règlements proposés et de leur contenu global, et il a participé au processus de consultation ciblé.

A.  Le demandeur n’est pas en mesure de démontrer une attente légitime de consultation

[165]  Le demandeur ne peut pas démontrer les critères nécessaires à l’application de la doctrine de l’attente légitime en l’espèce.

[166]  Le demandeur invoque son avis de demande modifié qui exige une déclaration selon laquelle le processus a violé son droit à l’équité procédurale et n’a pas respecté ses attentes légitimes concernant un processus de consultation complet équitable et raisonnable, lequel comprenait, sans toutefois s’y limiter, la présentation des règlements proposés au Comité permanent des transports et la consultation de ce dernier, ainsi que la prépublication dans la Gazette du Canada. Le demandeur a également mentionné à maintes reprises son attente selon laquelle les règlements seraient fournis au Comité permanent des transports, qui tiendrait des audiences où il serait invité à participer. Cependant, le gouverneur en conseil ne tient pas d’audiences, et si les règlements avaient été acheminés au Comité permanent des transports, ce dernier n’aurait pas été tenu d’inviter le demandeur à une audience ou de lui permettre de témoigner devant lui.

[167]  Concernant les promesses de consultation alléguées, le demandeur se fonde sur ce qui suit : des déclarations faites au Comité permanent des transports par le ministre, le sous-ministre et le sous-ministre adjoint des Transports, des lettres et des courriels envoyés au demandeur et à ses membres par des représentants de Transports Canada, la 5e édition de la charte du CCRAC et l’évaluation par Transports Canada de la demande de dispense de Sunwing, qui fait référence à une approbation imminente d’une dispense envisagée pour l’ensemble de l’industrie et à une prépublication desdits règlements.

[168]  La doctrine de l’attente légitime est habituellement considérée comme un élément de l’équité procédurale. Je remarque que dans l’arrêt Apotex, le juge Evans propose que la doctrine de l’attente légitime forme un concept distinct, en mentionnant que la jurisprudence l’avait examinée tant comme faisant partie de l’équité procédurale que comme une doctrine à elle seule. Il n’est pas nécessaire de décider laquelle de ces qualifications est la bonne. La doctrine de l’attente légitime a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mavi, au paragraphe 68 :

Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur.

[169]  Que les « affirmations » invoquées soient faites « à un administré » -, c’est-à-dire à la personne qui cherche à faire respecter la promesse, constitue une exigence principale. Des politiques d’application générale ne sont pas suffisantes pour donner ouverture à une attente légitime (voir la décision Cash Store Financial, au paragraphe 26, voir aussi la décision Amalorpavanathan v Ontario (Minister of Health and Long-Term Care), 2013 ONSC 5415, au paragraphe 26, 64 Admin LR (5th) 164 (Div Ct)). La 5e édition de la charte du CCRAC (même s’il s’agissait du document constitutif) que le demandeur invoque comme une promesse de prépublication (même si elle pouvait être interpréter comme contenant une telle promesse) n’est pas suffisante pour donner ouverture à une attente légitime. Il en va de même du guide Lois et règlements : L’Essentiel. Comme les défendeurs l’ont mentionné, il n’existe pas d’exigence légale de prépublier, et la charte du CCRAC n’est qu’un document de politique qui ne peut pas imposer d’obligations au ministre des Transports et encore moins au gouverneur en conseil. En outre, la mention de la charte du CCRAC concernant la prépublication tient compte du processus habituel, mais, comme le mentionne le guide Lois et règlements : L’Essentiel, des dispenses de prépublication peuvent être accordées.

[170]  De même, les déclarations faites devant le Comité permanent des transports – qui ne concernaient même pas les règlements en litige, mais plutôt les règlements élaborés au cours de la période allant de 2000 à 2006 et qui n’ont pas été promulgués – n’ont pas été faites au demandeur, mais bien au comité parlementaire. En décembre 2006, le ministre des Transports a fait rapport du statut des règlements au Parlement, et le demandeur reconnaît qu’ils ont été [traduction] « mis en veilleuse ».

[171]  Les quelques déclarations faites directement au demandeur ont été formulées en 2004-2005 et elles concernaient le processus de réglementation précédent qui a pris fin lors du rapport du ministre à la Chambre des communes, en 2006. Ces déclarations comprennent une lettre, datée du 21 mai 2004, envoyée par un adjoint spécial du ministre des Transports au président d’Air Canada, qui est une composante du demandeur; une lettre du chef, Affaires réglementaires de Transports Canada à un représentant du demandeur, datée du 9 décembre 2005 et un courriel envoyé le 15 juillet 2004 par un adjoint spécial à un membre du demandeur.

[172]  Même si les déclarations faites entre 2004 et 2006 étaient « claires, absolues et sans ambiguïté », elles ont été formulées à l’égard d’un processus et de règlements différents. En outre, elles n’ont pas été faites par le gouverneur en conseil, ni même par le ministre des Transports, mais par des représentants de Transports Canada. Ces déclarations ne peuvent pas soutenir l’allégation du demandeur selon laquelle il s’attendait légitimement à être consulté à propos des règlements contestés.

[173]  Concernant l’argument du demandeur selon lequel le ministre des Transports n’a jamais annulé les promesses faites au cours du processus précédent, il fait fi du principe voulant qu’un gouvernement (ou un ministre) ne puisse pas lier ses successeurs (Friends of the Canadian Wheat Board). Il est irréaliste et contraire à notre processus démocratique de tenir des ministres du gouvernement actuel responsables des engagements pris ou des déclarations faites par leurs prédécesseurs, au sein d’un Parlement composé différemment. Contrairement à l’argument du demandeur, même si la cour, dans l’arrêt Friends of the Canadian Wheat Board a fait référence à une loi, je suis d’avis que le principe ne se limite pas aux lois, mais plutôt qu’il s’applique de la même manière aux règlements en tant que législation déléguée et actes du gouverneur en conseil (c’est-à-dire une fonction législative).

[174]  Comme la Cour d’appel l’a mentionné dans l’arrêt Friends of the Canadian Wheat Board, aux paragraphes 82 et 83 :

[82]  Il n’est pas contesté qu’un parlement ne peut obliger un autre à ne pas faire une certaine chose dans l’avenir. Comme il est indiqué dans Hogg P., Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl., vol. 1, feuilles mobiles), à la section 12.3a) :

[traduction] Si un organe législatif pouvait s’engager à ne pas faire une certaine chose dans l’avenir, un gouvernement pourrait dans ce cas recourir à sa majorité parlementaire pour protéger ses politiques contre une modification ou une abrogation quelconque. Cette mesure lierait les mains d’un gouvernement qui serait par la suite porté au pouvoir dans le cadre d’une nouvelle élection comportant de nouveaux enjeux. Autrement dit, un gouvernement en place pourrait faire échec à l’avance aux politiques que prône l’opposition.

[83]  Il ne fait pas de doute non plus que « [l] a rédaction et le dépôt d’un projet de loi font partie du processus législatif dans lequel les tribunaux ne s’immiscent pas » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), précité, à la page 559, et que « [t] oute restriction imposée au pouvoir de l’exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même » : ibid., à la page 560.

[175]  La seule déclaration invoquée par le demandeur qui porte sur les règlements contestés, au cours de la période pertinente, est comprise dans l’évaluation de la demande de dispense de Sunwing de 2013 par Transports Canada. La déclaration en question se lit comme suit : [traduction] « le ministre devra approuver l’ensemble des mesures réglementaires avant qu’elles n’arrivent à l’étape de la prépublication dans la Partie I de la Gazette du Canada ». Il ne s’agit pas d’une promesse de la procédure à suivre. Il ne s’agit que d’un rapport d’étape mentionnant que les règlements destinés à l’ensemble de l’industrie progressent et que l’approbation ministérielle est attendue. L’arrêt Mavi exige que le représentant du gouvernement faisant les déclarations agisse « dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi », afin que ces déclarations soient contraignantes. Comme le reconnaît la majorité dans l’arrêt Apotex, le ministre n’a pas le pouvoir de dicter le processus à suivre, lorsque le gouverneur en conseil adopte des règlements. Même si le ministre avait fait des déclarations « claires, absolues et sans ambiguïté », elles ne peuvent pas lier le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor et, par conséquent, elles ne peuvent pas donner ouverture à une attente légitime. Il est à noter que la déclaration invoquée concernant la dispense de Sunwing a été faite par un représentant de Transports Canada, et non par le ministre, et elle n’était pas destinée au demandeur.

B.  Il n’existe pas d’obligation générale d’équité procédurale et cette dernière n’a pas été enfreinte

[176]  À part les prétentions du demandeur concernant la doctrine de l’attente légitime, ce dernier soutient qu’une obligation générale d’équité procédurale est due, peu importe le contexte. Le recours par le demandeur à l’arrêt Baker pour appuyer sa prétention n’est pas pertinent. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker permettent de déterminer le contenu d’une obligation d’équité. Toutefois, pour que les facteurs de l’arrêt Baker trouvent application, il doit d’abord exister une obligation d’équité procédurale (Mavi). Comme il est mentionné dans l’arrêt Apotex, au paragraphe 104, « Il est bien établi au Canada que l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative, ce qui comprendrait le Règlement contesté en l’espèce ».

[177]  Même si l’obligation existait, il ne découlerait pas de l’application des facteurs de l’arrêt Baker une obligation d’équité procédurale plus importante que celle dont a déjà bénéficié le demandeur.

[178]  L’équité procédurale n’a pas été refusée au demandeur Bien que le demandeur ait pu espérer des consultations plus exhaustives, il a eu l’occasion d’expliquer son point de vue et il l’a fait.

[179]  Le demandeur ne peut pas alléguer avoir été surpris par le changement réglementaire. Le demandeur était au courant depuis l’an 2000 de la possible adoption du ratio de 1 pour 50 et il a participé à des consultations jusqu’en 2006. Le demandeur était aussi au courant du renouvellement de la question en 2013, à la suite de plusieurs demandes de dispense présentées par des lignes aériennes de manière individuelle. Bien que le demandeur n’ait peut-être pas obtenu une copie des ébauches de règlement, il connaissait le contenu probable et les mesures d’atténuation des effets envisagés. Les APM ont été rendus disponibles en 2014, et les parties intéressées pouvaient les commenter en ligne. Le demandeur a participé à la réunion du 22 mai 2014 concernant le changement au ratio et les règlements. En outre, le demandeur a soumis une présentation PowerPoint comptant 57 diapositives, et la composante Air Canada du demandeur a déposé un rapport dissident de 103 pages, qui soulève plusieurs des arguments que le demandeur a allégués dans ses observations à la Cour. Le REIR fait état des observations formulées par le demandeur.

[180]  L’avocat du demandeur dépeint le processus du gouverneur en conseil comme un [traduction] « mystère » et il laisse entendre qu’il s’agit d’un processus [traduction] « d’approbation automatique » selon lequel le gouverneur en conseil décide d’approuver les règlements sans même les examiner avec soin. Le processus ne constitue pas un mystère. Le processus est exposé dans plusieurs documents accessibles au public, y compris le guide Lois et règlements : L’Essentiel et le Guide du processus d’élaboration des règlements fédéraux. Le gouverneur en conseil agit sur l’avis du Cabinet, plus particulièrement, le Conseil du Trésor (qui est un comité du Cabinet). Malgré ces avis et recommandations du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil ne se contente pas [traduction] « d’entériner d’office » les règlements. Comme il est décrit dans le Guide, le gouverneur en conseil reçoit une trousse de documents, qui comprend notamment le REIR, il se renseigne en fonction des renseignements qui lui ont été fournis et de l’avis du Conseil du Trésor, qui recommande ou non l’approbation et la promulgation des règlements.

[181]  Le demandeur prétend aussi que les renseignements connus du gouverneur en conseil constituaient un [traduction] « mystère » et que la Cour devrait conclure que le gouverneur en conseil savait qu’on avait promis au demandeur de le consulter. Le demandeur allègue que la Cour devrait tirer cette conclusion (et d’autres conclusions défavorables), parce que la P.G.C. refuse de produire les documents fournis au gouverneur en conseil, en invoquant le secret du Cabinet, et que, dans de tels cas, il y a lieu de tirer une conclusion défavorable. Comme il est mentionné ci-dessus, je ne suis pas d’avis que des conclusions, défavorables ou autres, sont appropriées. La défenderesse avait le droit d’invoquer le secret du Cabinet. Il ne s’agit pas d’une procédure visant à nuire au demandeur ou à perpétuer le mystère allégué, mais bien d’un privilège légitime qui peut être invoqué pour protéger des renseignements dont le processus du Cabinet tient compte. Subsidiairement, le demandeur allègue que la Cour devrait conclure que le gouverneur en conseil a promulgué les règlements sans détenir aucun renseignement. Contrairement aux observations du demandeur, le gouverneur en conseil n’a pas approuvé les règlements sans détenir les renseignements essentiels.

[182]  Le gouverneur en conseil disposait peut-être d’autres documents, mais il avait, à tout le moins, le REIR, qui fournissait un résumé des incidences des règlements sur les parties visées. Le REIR expose, parmi d’autres renseignements, l’historique du ratio relatif aux agents de bord et des règlements remontant à l’an 2000, les consultations menées entre 2000 et 2006, les opinions des parties visées à l’époque et celles formulées lors des consultations tenues plus récemment (les consultations en ligne et la réunion en personne), en 2014-2015. Le REIR indique qu’au moins cinq composantes du demandeur ont présenté des observations, sous une forme ou une autre.

[183]  Bien que la décision de dispenser les règlements d’une prépublication ne fasse pas partie de la présente demande de contrôle judiciaire et que la Cour n’en tire aucune conclusion ni ne suggère que la dispense fût inappropriée, la prépublication constitue l’approche habituelle (selon les Guides accessibles au public). La prépublication joue un rôle important, puisqu’elle sert à aviser les parties visées que des règlements sont attendus et à permettre que des observations soient présentées et prises en compte avant que les règlements soient finalisés et soumis au gouverneur en conseil à des fins d’approbation. Si les règlements contestés avaient été prépubliés, l’une des « promesses » invoquées par le demandeur aurait été honorée, et le demandeur n’aurait peut-être pas choisi de recourir à la présente demande de contrôle judiciaire pour soulever ses questions. Quoi qu’il en soit, la demande du demandeur ne peut pas être accueillie. Le gouverneur en conseil n’est pas tenu à une obligation d’équité procédurale à l’égard du processus de réglementation, et même si une telle obligation existait, le demandeur n’est pas en mesure de démontrer qu’elle a été enfreinte ou qu’une attente légitime n’a pas été respectée.

[184]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les défendeurs ont droit aux dépens.

[185]  Conformément à l’accord intervenu entre les parties, le demandeur devra payer aux défendeurs les montants suivants, lesquels correspondent à un montant total unique qui inclut les honoraires, débours et taxes :

  • - Au procureur général du Canada et au ministre des Transports : 4 600 $

  • - À Air Transat : 1 500 $

  • - À Sunwing : 1 500 $

  • - À Air Canada et à Air Canada Rouge : 1 000 $

  • - À Canada North : 1 000 $

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1175-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur devra payer les dépens de la manière suivante :

  • - Au procureur général du Canada et au ministre des Transports : 4 600 $

  • - À Air Transat : 1 500 $

  • - À Sunwing : 1 500 $

  • - À Air Canada et à Air Canada Rouge : 1 000 $

  • - À Canada North : 1 000 $

« Catherine Kane »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER : T-1175-15

 

 

INTITULÉ :

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL), CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS), AIR CANADA, AIR CANADA ROUGE, AIR TRANSAT, CANADIAN NORTH, SUNWING AIRLINES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Stephen J. Moreau

 

Pour le demandeur

 

Joseph Cheng

 

Pour les défendeurs

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL), CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

 

Louise-Hélène Senecal

 

Pour la défenderesse

AIR CANADA

 

Shannel Rajan

Pour la défenderesse

AIR TRANSAT

 

Adam Stephens

Pour la défenderesse

CANADA NORTH

 

Paul Michell

Pour la défenderesse

SUNWING AIRLINES INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL), CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

 

Centre Air Canada

Dorval (Québec)

Pour la défenderesse

AIR CANADA

Conlin Bedard LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

AIR TRANSAT

 

Miller Thomson LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

CANADA NORTH

 

Lax O’Sullivan Scott Lisus LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

SUNWING AIRLINES INC.

 

 

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