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Date : 20180917


Dossier : IMM-4793-17

Référence : 2018 CF 923

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

IEVGEN AGAPI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Ievgen Agapi (le demandeur) est un citoyen d’Ukraine âgé de 49 ans. En 2015, il a été parrainé pour venir au Canada par l’entremise du Programme des candidats des provinces du Manitoba (le PCM), mais un gestionnaire des programmes d’immigration (le gestionnaire) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a estimé que les résultats du demandeur à l’épreuve d’anglais n’étaient pas authentiques, et a avisé le demandeur que sa demande pourrait être rejetée en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) pour fausses déclarations. Le demandeur a alors produit des éléments de preuve pour établir que ses fausses déclarations alléguées avaient été faites de bonne foi et de façon raisonnable (une exception à l’article 40(1)a)), mais le gestionnaire a rejeté sa demande.

[2]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Puisque le gestionnaire a omis d’examiner si les fausses déclarations alléguées avaient été faites de bonne foi et de façon raisonnable, je conclus que la décision n’est pas raisonnable et je vais l’annuler.

II.  Les faits

A.  Le demandeur

[3]  Le demandeur est un citoyen de l’Ukraine âgé de 49 ans. Il est marié à Maryna Agapi, et ils ont eu deux fils ensemble : Andrii et Olkesiy. Ils sont de Snizhne, dans la région de Donetsk en Ukraine. Avant le déclenchement du conflit en Ukraine, le demandeur exploitait une société de transport qui connaissait du succès.

[4]  Pendant le conflit, le demandeur affirme que les séparatistes russes les ont forcés, lui et ses fils, à participer aux hostilités. À une occasion, on l’a forcé à rester dans un abri pendant trois semaines, et il n’a été libéré qu’après que d’autres prisonniers eurent organisé une grève de la faim. À une autre occasion, il a été obligé de creuser et de remplir des charniers. En juillet et août 2014, les séparatistes ont forcé le demandeur et l’un de ses fils à quitter leur maison et à déménager à Kiev.

[5]  Désireux de laisser derrière lui le conflit, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada. En juin 2015, il a été embauché par Bison Transport (une entreprise de camionnage au Manitoba). Dans le cadre du processus de demande du PCM, il a fourni une copie de ses résultats d’examen de l’International English Language Testing System (IELTS) de 2013 afin de démontrer sa maîtrise de la langue anglaise.

[6]  En 2016, avant que le demandeur s’installe au Canada, un agent du PCM lui a demandé une mise à jour de ses résultats de l’IELTS. Le demandeur s’est inscrit à un cours de formation de six semaines comprenant 108 séances de 90 minutes dans une école de langues appelée « Speak Up ». Le propriétaire de l’école, Alexander Kolesnikov (M. Kolesnikov), lui a garanti qu’il réussirait l’examen de l’IELTS sinon il serait remboursé.

[7]  En mai 2016, après avoir terminé ses études, le demandeur s’est rendu au centre d’essai du British Council à Kiev pour passer l’examen. Afin d’obtenir les résultats d’examen, le demandeur a donné son passeport à M. Kolesnikov qui est allé recueillir les résultats d’examen à Kiev (comme il l’a fait pour les autres élèves). Il s’agissait du même procédé qu’à l’école où le demandeur avait étudié en 2013. Lorsque M. Kolesnikov a donné au demandeur une copie de ses résultats, il était heureux parce qu’ils étaient assez élevés pour qu’il se qualifie au PCM.

B.  L’acceptation au PCM et la vérification du processus

[8]  Le 3 août 2016, le demandeur a reçu sa « Confirmation de candidature » au PCM. Il a présenté une demande de visa pour séjours multiples, qu’il a obtenu, et il a communiqué avec son employeur pour prendre des dispositions pour venir au Canada. Il a ensuite présenté sa demande de résidence permanente en décembre 2016, et obtenu un permis de travail lorsqu’il est arrivé au Canada le 8 février 2017. Il a communiqué avec son employeur, a réussi les examens de conduite requis, et l’entreprise l’a officiellement embauché en mai 2017.

[9]  Le 30 mai 2017, le bureau des visas du Canada à Kiev a envoyé au demandeur un courriel l’enjoignant à se présenter au bureau de Kiev pour une entrevue. Le courriel ne mentionnait pas la raison de l’entrevue. Le demandeur a demandé que l’entrevue ait lieu à Winnipeg parce qu’il vivait et travaillait désormais au Manitoba. Les notes du gestionnaire indiquent que le demandeur [traduction] « a été informé par courriel que l’entrevue serait conduite à l’ambassade du Canada en Ukraine puisque la demande est traitée par ce bureau ». Le demandeur indique également qu’il a envoyé un courriel en réponse, soulignant les difficultés financières qu’engendrerait le fait de participer à une entrevue à Kiev, invoquant la perte de revenus qui ferait en sorte qu’il ne pourrait pas envoyer d’argent à son père (qui avait subi un AVC) pour couvrir les frais médicaux. Le demandeur affirme qu’il n’a pas reçu de réponse à ce courriel.

[10]  Au lieu d’une entrevue à Kiev, le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale datée du 22 juin 2017. La lettre indiquait qu’après vérification avec le British Council, on pensait que ses résultats de l’IELTS de 2016 soient faux, et que, par conséquent, il pourrait être déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations. Le demandeur et des membres de sa famille ont essayé sans succès de communiquer avec M. Kolesnikov à de multiples occasions afin d’obtenir des renseignements supplémentaires ou les originaux de ses résultats d’examen, mais l’école de langues Speak up semblait avoir cessé ses activités. Le demandeur a alors répondu à la lettre relative à l’équité procédurale par un courriel daté du 23 juillet 2017 expliquant comment il a obtenu la copie de ses résultats, pourquoi il n’avait pas douté de leur authenticité, et ses tentatives d’obtenir le document original pour vérifier ses résultats.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Dans une lettre datée du 11 septembre 2017, le gestionnaire a informé le demandeur qu’il était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La lettre indique que ses résultats de l’IELTS ne sont pas authentiques, et qu’il est interdit de territoire au Canada pendant 5 ans. La lettre explique en outre que le gestionnaire en a décidé ainsi après une vérification auprès de l’autorité de délivrance de l’IELTS (le British Council).

IV.  Questions

[12]  Le demandeur soutient que trois questions se posent dans la présente demande de contrôle judiciaire :

  • Le gestionnaire a-t-il omis d’examiner si les fausses déclarations alléguées ont été faites de bonne foi et de façon raisonnable?

  • La lettre relative à l’équité procédurale était-elle incomplète?

  • Le gestionnaire a-t-il omis d’examiner l’ensemble des éléments de preuve?

V.  Norme de contrôle

[13]  Une conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542, au paragraphe 8.

VI.  Analyse

A.  Le gestionnaire a-t-il omis d’examiner si les fausses déclarations alléguées ont été faites de bonne foi et de façon raisonnable?

[14]  Le demandeur souligne que l’article 40 de la LIPR ne s’applique pas aux fausses déclarations faites de bonne foi par un demandeur qui croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants. (Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15, et Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 33). Le demandeur soutient que sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale démontrait que cette exception s’applique à ses prétendues fausses déclarations; il a expliqué qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas avoir caché des renseignements importants dont la connaissance échappait à sa volonté. Le demandeur fait valoir qu’en dépit de sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le gestionnaire a omis d’examiner si une fausse déclaration alléguée avait été faite de bonne foi et de façon raisonnable.

[15]  Le défendeur soutient que le demandeur tente simplement de « blâmer » un tiers pour ses fausses déclarations et affirme qu’il n’a pas été démontré au décideur qu’il ait fait des efforts pour obtenir les résultats originaux. Le défendeur reconnaît qu’il existe une [traduction« exception limitée » pour des fausses déclarations faites de bonne foi, mais rappelle qu’elle ne s’applique que dans des circonstances exceptionnelles et étroites. Le défendeur cite un jugement à l’appui de la proposition que le fait que de fausses déclarations aient été faites par un tiers, sans la connaissance du demandeur, ne préserve pas un demandeur d’une conclusion d’interdiction de territoire en application de l’article 40 de la LIPR. Le défendeur fait également valoir que la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale ne satisfaisait pas à la norme élevée justifiant une telle exception.

[16]  Je suis d’accord avec le demandeur que le gestionnaire a omis d’examiner si le demandeur avait cru honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants. La réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale explique en détail les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas fournir le document original. Par exemple, la lettre explique que le demandeur s’est fié aux résultats comme ils lui ont été présentés, parce que la procédure était cohérente pour les étudiants résidant à l’extérieur de Kiev. Il explique dans la lettre qu’il n’a pas fait preuve de méfiance à l’égard de la copie qu’il a obtenue, parce qu’il n’avait pas besoin des originaux. Enfin, il explique qu’il a pris des mesures pour obtenir des explications de l’école de langues. Pourtant, les notes du Système mondial de gestion des cas sont brèves et ne mentionnent que [traduction] « Le demandeur principal a eu l’occasion de répondre à nos préoccupations exprimées dans [une lettre relative à l’équité procédurale], mais l’information fournie par le demandeur principal n’a pas permis de dissiper mes préoccupations ». Aucun des éléments de preuve du demandeur n’est abordé dans les motifs.

[17]  Mais considérés dans l’ensemble, les éléments de preuve auraient dû soulever la possibilité d’une déclaration inexacte faite de bonne foi dans l’esprit du gestionnaire. En effet, il est répété maintes fois que les décideurs sont des experts et sont présumés connaître la loi, et l’étroitesse de l’exception prescrite à l’article 40 de la LIPR dans le cas de fausses déclarations faites de bonne foi ne signifie pas qu’elle ne méritait pas la considération du gestionnaire. La décision finale du gestionnaire n’aborde pas du tout la possibilité de l’application de l’exception, laissant le demandeur et la Cour se demander pourquoi cette possibilité n’a pas honnêtement été envisagée et prise en compte. Par conséquent, la décision du gestionnaire est déraisonnable.

[18]  Ayant déterminé que la décision est déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions qui se posent dans la présente affaire.

VII.  Question à certifier

[19]  La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions nécessitant une certification. Elles ont toutes deux affirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier, et je suis d’accord.

VIII.  Conclusion

[20]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4793-17

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

  1. La Cour infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre décideur.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4793-17

INTITULÉ :

IEVGEN AGAPI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 25 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 17 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Alastair Clarke

Pour le demandeur

Alexander Menticoglou

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alastair Clarke

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

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