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Date : 20180622


Dossier : T-102-17

Référence : 2018 CF 652

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

OURANIA GEORGOULAS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Georgoulas, sollicite un contrôle judiciaire de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). La première demande de contrôle concerne une décision de la Commission de se saisir (c’est-à-dire de mener une enquête) d’une plainte portée contre son employeur, Transports Canada (TC), aux termes de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 (la Loi). La seconde a trait à la décision subséquente de la Commission de rejeter sa plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[2]  À titre préliminaire, l’intitulé de la cause doit être modifié de façon à indiquer que le procureur général du Canada est l’unique défendeur. La Commission n’est pas défenderesse en l’espèce.

[3]  La demanderesse reproche à TC la manière dont sa demande de mesures d’adaptation a été traitée quand elle est retournée au travail après un congé non payé qui lui avait été accordé pour une déficience ou un trouble médical non dévoilé. La demanderesse croit sincèrement qu’elle a été l’objet d’actes de harcèlement, de discrimination ou de représailles en raison de sa déficience, et que TC a semé des embûches qui ont compliqué son retour au travail au lieu de mettre en place les mesures requises par ses besoins spéciaux. La demanderesse interprète de manière très rigide les politiques du gouvernement en matière de ressources humaines, les fiches de renseignements, les documents de questions et réponses et autres références que, soutient-elle, TC et d’autres n’ont pas respecté à la lettre. Elle considère les manquements reprochés à certaines politiques précises comme des preuves de harcèlement, de représailles ou de discrimination (par suite d’une différence de traitement préjudiciable). La demanderesse estime que la Commission a commis plusieurs erreurs, liées tout d’abord à sa décision de se saisir de sa plainte contre TC, puis à celle de ne pas approfondir son examen sur la foi d’un rapport d’enquête. Par ailleurs, le traitement que la Commission lui a réservé à elle et à sa plainte était, aux yeux de la demanderesse, contraire aux règles de l’équité procédurale.

[4]  Pour les motifs exposés en détail ci-dessous, la Cour conclut que la Commission a fait un examen rigoureux de la plainte de la demanderesse, qu’elle a pris en considération tous les éléments de preuve mis à sa disposition, et qu’elle a à juste titre tranché que le traitement ou les actes reprochés ne constituent pas du harcèlement, de la discrimination ou des représailles. Là où la Commission a concédé qu’il y a avait eu un traitement « négatif », elle a conclu que TC avait fourni une explication raisonnable. Par surcroît, la décision préliminaire de la Commission de « se saisir » de la plainte ne pouvait que bénéficier à la demanderesse et apparaît donc tout aussi raisonnable. Enfin, compte tenu des circonstances, la Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse.

[5]  La Cour exposera en long et en large les motifs de sa décision afin de s’assurer de répondre aux nombreux arguments soulevés par la demanderesse.

I.  Énoncé des faits

A.  Le congé non payé et le retour au travail de la demanderesse

[6]  La demanderesse a commencé à travailler pour TC en 2007, à titre d’analyste des politiques de l’Unité de la sûreté de l’aviation. Le 9 mars 2012, elle est partie pour un congé de maladie non payé. Le 28 août 2013, son médecin a posté un formulaire médical à TC dans lequel il précisait que la demanderesse ne pourrait pas retourner au travail avant mars 2014 au moins. Le formulaire médical contenait une liste de conditions au retour au travail de la demanderesse, parmi lesquelles se trouvait sa non-réintégration à l’Unité de la sûreté de l’aviation.

[7]  Mme Emilia Warriner (directrice, Politiques de la sûreté aérienne, TC) a envoyé une réponse écrite à la demanderesse le 19 septembre 2013. Dans cette lettre, Mme Warriner informe la demanderesse que TC a reçu le formulaire médical transmis par son médecin. Mme Warriner ajoute que puisque la demanderesse était en congé depuis mars 2012, TC désirait [traduction« l’informer des possibilités offertes au titre de l’annexe B, Congés non payés, de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor ». Elle joignait une copie du document à la lettre. Mme Warriner y explique qu’un congé non payé ne peut durer indéfiniment et que, selon la Directive, sa durée maximale est de 24 mois. Elle précise par ailleurs que [traduction] « les congés non payés se terminent à la date du retour au travail, d’une démission ou d’un départ à la retraite, notamment pour des raisons médicales (sous réserve de l’approbation de Santé Canada) ». Mme Warriner énumère les options offertes à la demanderesse et leurs incidences, et souligne l’importance de bien soupeser les tenants et les aboutissants de chacune. Elle offre d’organiser des rencontres avec des personnes compétentes si jamais la demanderesse a besoin d’aide. En conclusion, Mme Warriner invite la demanderesse à lui faire connaître ses intentions avant le 31 octobre 2013.

[8]  La demanderesse a répondu à TC par la voie d’un message électronique daté du 12 décembre 2013, dans lequel elle fait part de son intention de retourner au travail le 20 janvier 2014. Ce message était accompagné d’un formulaire médical énonçant plusieurs mesures d’adaptation précises (notamment, non-réintégration à son unité de travail précédente, possibilité de travailler à partir de son domicile, superviseur nommément désigné). Le formulaire ne donne toutefois pas les raisons justifiant les diverses mesures d’adaptation requises. Un [traduction« Plan de retour au travail » émanant de la Financière Sun Life a été soumis. Il contient également une liste de mesures d’adaptation précises, y compris la nécessité pour la demanderesse de relever d’une seule personne, de recevoir ses tâches par écrit, de ne pas se voir imposer des échéanciers trop serrés et de ne pas avoir d’interactions avec ses anciens collègues, ainsi que des exigences particulières concernant l’emplacement de son bureau et son aménagement. La raison de chacune des mesures d’adaptation demandées n’est pas expliquée dans le plan de retour au travail. Lorsque TC a communiqué avec un représentant de la Financière Sun Life, celui-ci a expliqué que les demandes particulières énoncées dans le plan de retour au travail reflétaient des [traduction] « préférences » plutôt que des « exigences médicales ».

[9]  TC a jugé que la demanderesse n’avait pas donné suffisamment d’explications relativement aux mesures d’adaptation demandées. TC a demandé des précisions au médecin concernant les besoins de la demanderesse. Les adaptations demandées étaient formulées de manière assez confuse, voire contradictoire et, conséquemment, TC a voulu obtenir des compléments d’information pour répondre le mieux possible aux besoins de la demanderesse.

[10]  Le 18 décembre 2013, Mme Warriner a envoyé une lettre à la demanderesse au sujet de la date qu’elle avait proposée pour son retour au travail. Mme Warriner a souligné que la lettre visait à informer la demanderesse au sujet des étapes précédant son retour au travail. Mme Warriner y insiste sur la volonté de la direction de [traduction] « trouver des façons de favoriser une réinsertion au travail qui tiennent compte de vos contraintes médicales ». Elle explique également que le rôle du médecin est de faire un bilan des restrictions et des besoins inhérents à la déficience, alors que celui de l’employeur est de déterminer, à partir de ces renseignements et après avoir fait les consultations nécessaires, s’il y a lieu de répondre à ces besoins et de quelle manière. Mme Warriner demande ensuite au médecin de la demanderesse de lui fournir des compléments d’information sur ses contraintes médicales particulières. Elle mentionne que TC lui demande de se soumettre à une « évaluation de l’aptitude au travail » (EAT, soit une expertise médicale) au titre du Programme de santé au travail et de sécurité du public de Santé Canada, [traduction] « afin de trouver le meilleur moyen de vous garantir un retour au travail à temps plein sûr et durable ». Mme Warriner joignait à sa lettre un guide à l’intention de l’employé concernant les EAT, ainsi qu’un formulaire de consentement.

[11]  À moult reprises, TC a demandé des précisions au médecin de la demanderesse concernant ses contraintes et ses besoins d’adaptation. Des compléments d’information lui ont finalement été transmis en juin 2014. La demanderesse est retournée au travail en septembre, mais il n’y a pas eu d’EAT. En mars 2016, la demanderesse a de nouveau pris un congé de maladie.

B.  La plainte à la Commission

[12]  Le 11 avril 2014, dans une plainte détaillée soumise à la Commission, la demanderesse allègue que TC a commis à son égard des actes de harcèlement, de discrimination en raison de sa déficience et de représailles. Globalement, elle reproche à TC (et à d’autres) :

  • de l’avoir forcée à choisir entre la démission et la retraite, ce qui se traduisait dans les faits par un congédiement;

  • d’avoir refusé les recommandations de son médecin relativement à ses besoins d’adaptation et à son plan de son retour au travail, et de l’avoir plutôt enjointe à se soumettre à une EAT;

  • d’avoir retardé la transmission de son Relevé d’emploi;

  • d’avoir retardé la transmission de renseignements à la Financière Sun Life relativement à sa demande de prestations d’invalidité de longue durée (ILD);

  • d’avoir indûment divulgué à des tiers qu’elle touchait des prestations d’ILD;

  • d’avoir diminué sans explication son salaire et ses avantages sociaux;

  • de lui avoir fait subir des représailles en raison d’une plainte antérieure auprès de la Commission (indépendante de la présente demande).

[13]  Dans cette même plainte, la demanderesse formule des allégations connexes contre son propre syndicat, l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP). Elle souhaitait déposer deux plaintes distinctes contre l’ACEP et TC, mais elle a été limitée à un seul formulaire. Les plaintes ont ensuite été scindées, même si elles ont été formulées sur le même formulaire de plainte à l’origine. Il a été conclu dans la décision de la Commission concernant la plainte contre l’ACEP que, conformément à l’article 41 de la Loi, il n’y avait pas lieu de mener une enquête. Dans la décision Georgoulas c Canada (Procureur général), 2017 CF 446, 27 Admin LR (6th) 266 [Georgoulas 1], la juge McVeigh a conclu que la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale en étant enjointe à déposer ses allégations contre TC et l’ACEP sur un formulaire de plainte unique et à s’en tenir à trois pages. La juge McVeigh a accueilli la demande pour le seul motif que la demanderesse n’avait pas eu assez d’un seul formulaire pour fournir suffisamment de renseignements à la Commission concernant sa cause. La juge fait observer que la demanderesse a donné l’impression « soit de manquer de concision », soit « d’avoir beaucoup de renseignements à communiquer ». Même si elle a conclu que la décision contestée était par ailleurs raisonnable, la juge McVeigh a néanmoins ordonné que la plainte soit décidée de nouveau en raison d’un manquement à l’équité procédurale.

[14]  Dans la présente demande, la demanderesse soulève plusieurs des allégations examinées dans la décision Georgoulas 1. Notamment, elle allègue qu’elle aurait dû avoir plus d’espace pour exposer sa plainte, ou du moins avoir la possibilité de présenter deux plaintes de conduite répréhensible contre la Financière Sun Life et le Conseil du Trésor [CT]. Elle reproche en outre à la Commission, entre autres manquements, de ne pas avoir tenu compte de ses besoins, de lui avoir refusé de communiquer par courrier électronique et de lui avoir laissé des messages vocaux [traduction] « menaçants ».

[15]  Dans sa plaidoirie, la demanderesse a ajouté que les représailles et le harcèlement de TC à son égard se sont poursuivis après son retour au travail, et que sa demande d’ajouter ces incidents à sa plainte initiale avait été refusée.

C.  Les décisions faisant l’objet du contrôle

[16]  La demanderesse soulève plusieurs questions qui requièrent de donner quelques précisions relativement à l’historique procédural.

[17]  Quand elle a reçu la plainte, la Commission a tout d’abord voulu savoir si elle était irrecevable pour l’une ou l’autre des raisons visées au paragraphe 41(1) de la Loi. Le défendeur a fait valoir que la demanderesse aurait pu et aurait dû épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui étaient normalement ouverts et que, par conséquent, l’alinéa 41(1)a) s’applique. Plus particulièrement, le défendeur maintient que la demanderesse aurait pu déposer un grief au titre de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public, LC 2003, c 22, art. 2 (LRTSP), ou au titre de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement (Politique sur le harcèlement) du CT.

[18]  La Commission a ordonné la production d’un rapport visé aux articles 40 et 41 concernant les arguments du défendeur.

D.  Le rapport visé aux articles 40 et 41

[19]  Il est précisé dans le rapport visé aux articles 40 et 41, daté du 29 janvier 2015, que la question principale dont la Commission était saisie avait trait à la recevabilité de la plainte au sens de l’alinéa 41(1)a). Cependant, le rapport traite en premier lieu d’une question procédurale afférente à la teneur de la plainte de la demanderesse. Dans sa plainte initiale, celle-ci fait état d’actes de harcèlement, de représailles et de discrimination. La Commission a omis le harcèlement dans son sommaire de la plainte. La demanderesse a demandé que le sommaire soit modifié afin qu’y soit ajouté le harcèlement. Dans le rapport visé aux articles 40 et 41, il est recommandé que la demande soit refusée au motif qu’à la lumière d’un examen attentif de la plainte, les actes reprochés ne pouvaient pas être assimilés à du harcèlement, même si les allégations se révélaient fondées. Par conséquent, le rapport visé aux articles 40 et 41 aborde uniquement la question de savoir s’il y avait lieu de rejeter les motifs allégués de discrimination – représailles et différence de traitement préjudiciable – en application de l’alinéa 41(1)a).

[20]  Il est mentionné dans le rapport que la demanderesse avait entretenu des liens tendus avec son syndicat (l’ACEP), contre qui elle avait déposé une autre plainte relative aux droits de la personne fondée sur des allégations très similaires. Selon le rapport, il aurait été injuste dans les circonstances d’obliger la demanderesse à épuiser les procédures de règlement des griefs offertes par la LRTSP. Par ailleurs, la possibilité pour la demanderesse de déposer un grief au titre de la Politique sur le harcèlement du CT y est mise en doute car, vraisemblablement, elle s’applique exclusivement aux employés activement au travail. La recommandation du rapport était donc que la Commission se saisisse seulement des plaintes de discrimination et de représailles.

[21]  Le rapport visé aux articles 40 et 41 a été communiqué à la demanderesse, qui a soumis d’autres observations à la Commission avant que celle-ci rende une décision aux termes de l’alinéa 40(1)a). Dans ses observations, elle conteste la recommandation de ne pas inclure le harcèlement à titre de motif distinct. Elle réclame en outre l’ajout de la Financière Sun Life et du CT à titre de défendeurs à la plainte au motif de leur participation aux actes discriminatoires, de même que la modification de la plainte pour qu’y soient ajoutés de nouveaux incidents.

[22]  Le 20 mai 2015, la Commission a pris sa décision de se saisir de la plainte de la demanderesse en application du paragraphe 41(1) de la Loi. Elle a accepté la recommandation du rapport visé aux articles 40 et 41 de statuer sur les allégations de représailles et de différence de traitement préjudiciable. La Commission a aussi décidé, dérogeant à la recommandation du rapport, [traduction] « de faire droit à la requête pour modification visant l’inclusion du harcèlement parmi les actes de discrimination allégués ». (Il est clair que la demanderesse n’a pas interprété correctement cette partie de la décision de la Commission. Elle opine que la Commission a décidé d’accueillir [traduction] uniquement sa plainte de harcèlement, et de rejeter ses allégations de représailles et de différence de traitement préjudiciable.)

[23]  La Commission a décidé d’instruire l’intégralité de la plainte, et elle a chargé une enquêteuse de rédiger un rapport d’enquête en application de l’article 43 de la Loi.

E.  Demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’instruire la plainte en application des articles 40 et 41

[24]  Même si la Commission a décidé d’instruire sa plainte, la demanderesse a demandé un contrôle judiciaire de ladite décision (T-1094-15). Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, elle affirme que la Commission a commis des erreurs et porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. La demanderesse demande notamment l’autorisation d’enjoindre à la Commission de modifier sa plainte pour y ajouter des actes de harcèlement, CT et la Financière Sun Life à titre de défendeurs, une contestation de la constitutionnalité de la Politique sur le harcèlement du CT, ainsi que d’autres incidents. Il s’agit de la première des deux décisions visées par la présente demande de contrôle judiciaire.

F.  Le rapport d’enquête

[25]  Au début du rapport d’enquête rédigé conformément à l’article 43 de la Loi, il est précisé que son objet est d’aider les commissaires à décider s’il y a lieu de nommer un conciliateur pour faciliter le règlement de la plainte, d’approfondir l’examen ou de rejeter la plainte.

[26]  L’enquêteuse y rapporte les principales allégations de la demanderesse. Elle explique qu’elle a examiné les éléments de preuve fournis par les parties et mené plusieurs entretiens, notamment avec la demanderesse. L’enquêteuse se penche ensuite sur les trois motifs invoqués par la demanderesse, savoir le harcèlement, la discrimination (aussi appelée différence de traitement alléguée en matière d’emploi) et les représailles. L’enquêteuse relève certaines [traduction] « redites » dans les allégations formulées par la demanderesse pour chacun des motifs.

[27]  Elle parvient à la conclusion que les allégations de harcèlement ne sont pas raisonnables puisque le harcèlement est défini comme « tout comportement physique ou verbal indésirable qui choque ou humilie ». L’enquêteuse cite la jurisprudence dans laquelle la définition est interprétée, et fournit des exemples de comportements pouvant constituer du harcèlement, c’est-à-dire les menaces, les remarques ou les blagues déplacées, ou les contacts physiques inutiles. Les allégations de la demanderesse à l’égard du comportement de TC incluent la requête visant l’EAT, le refus des mesures d’adaptation recommandées par son médecin, la transmission retardée de son Relevé d’emploi et des sommes déduites de son salaire. Aux yeux de l’enquêteuse, même si elles se révélaient fondées, ces allégations ne correspondent pas à la définition de harcèlement. Elle ajoute qu’un examen rigoureux de toutes ces allégations est possible si elles sont considérées sous l’angle des différences de traitement défavorables ou des représailles.

[28]  L’enquêteuse a examiné la prétention comme quoi on aurait forcé la demanderesse à démissionner ou à prendre sa retraite sous l’angle de la différence de traitement défavorable en matière d’emploi. Sa conclusion est que la demanderesse n’a pas été placée devant un tel choix. TC, souligne l’enquêteuse, a envoyé une lettre dans laquelle la demanderesse est exhortée à prendre une décision relativement à son avenir professionnel, à laquelle elle a fini par répondre qu’elle avait l’intention de retourner au travail, et c’est ce qu’elle a fait. Il appert par conséquent qu’elle n’a jamais été forcée à faire un choix entre démissionner et prendre sa retraite.

[29]  Par ailleurs, l’enquêteuse admet que TC a rejeté les recommandations du médecin de la demanderesse et lui a imposé une EAT. La demanderesse a en effet été informée qu’elle devait se soumettre à une EAT avant de retourner au travail. L’enquêteuse conclut que ce traitement était directement lié à la déficience de la demanderesse, mais qu’il était tout à fait justifié de la part de TC de lui imposer cette exigence.

[30]   Plus précisément, l’enquêteuse estime que TC a agi raisonnablement, pour diverses raisons : l’information fournie par le médecin de la demanderesse n’explicitait pas ses limitations et contraintes cognitives ou fonctionnelles; le médecin n’a pas donné suite aux demandes répétées d’éclaircissements; la liste des mesures d’adaptation demandées était contradictoire et confuse; le plan de retour au travail était inutile, et semblait avoir été [traduction] « modifié sensiblement par des notes manuscrites »; TC avait tenté d’obtenir des précisions de la part du médecin au sujet des contraintes médicales de la demanderesse, mais la réponse s’est fait attendre plusieurs mois et n’apportait pas les éclaircissements souhaités, d’où la requête de TC à l’égard de l’expertise indépendante. L’enquêteuse ajoute qu’il était raisonnable de la part de TC d’exiger une EAT, car son unique dessein était de mettre au point un régime d’adaptation efficace en vue du retour au travail de la demanderesse. L’enquêteuse rappelle que la demanderesse ne s’est pas prêtée à l’EAT avant de retourner au travail. Elle conclut par conséquent que la décision de TC d’enjoindre à la demanderesse de subir une EAT, qui de toute manière n’a jamais eu lieu, ne constitue en aucun cas un prétexte à la discrimination.

[31]  L’enquêteuse examine ensuite la prétention de la demanderesse comme quoi TC lui a fait subir de la discrimination en retardant la transmission de son Relevé d’emploi et celle des renseignements requis par la Financière Sun Life. S’il est vrai que des retards négligeables peuvent être reprochés à TC, aucun élément de preuve ne permet de conclure à un prétexte à la discrimination ou un comportement délibéré pour un motif quelconque, malgré ce qu’en croit la demanderesse. L’enquêteuse a jugé raisonnables les explications des employés de TC concernant les légers retards dans les processus administratifs en cause.

[32]  La demanderesse allègue par ailleurs que TC lui a fait subir de la discrimination en divulguant de manière inappropriée qu’elle touchait des prestations d’ILD et en diminuant sans explication le salaire et les avantages sociaux qui lui étaient dus, bien qu’elle reconnaisse ne pas être en mesure d’étayer ses dires. L’enquêteuse a jugé que la preuve était insuffisante pour établir si les actes allégués ont eu lieu.

[33]  Elle conclut qu’il n’existe aucune preuve que TC aurait fait subir des représailles à la demanderesse en raison de sa plainte précédente relative aux droits de la personne. Les actes de représailles allégués sont les mêmes que ceux pour lesquels la demanderesse s’est dite victime de harcèlement et de différence de traitement défavorable en matière d’emploi. L’enquêteuse réitère qu’il n’existe aucune preuve pour corroborer la plupart des inconduites reprochées et que, pour celles qui sont étayées, TC a expliqué de manière convaincante qu’elles n’étaient pas des prétextes à la discrimination. Plus important encore, l’enquêteuse conclut que la demanderesse n’a pas fourni de preuve permettant de faire un lien entre les prétendus mauvais traitements et sa plainte précédente en matière de droits de la personne.

[34]  En conclusion, l’enquêteuse a recommandé à la Commission de rejeter la plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi (« compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié »).

G.  La possibilité de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteuse

[35]  Le 19 août 2016, l’enquêteuse a informé la demanderesse, par message électronique, qu’elle soumettrait le rapport d’enquête le lundi suivant (le 22 août 2016) et qu’elle le lui enverrait. Dans sa réponse transmise le 26 août 2016, la demanderesse indique qu’elle se trouvait à l’extérieur du pays en raison du décès d’un membre de sa famille, et que son retour au Canada était prévu le 21 septembre suivant. Elle demande que le rapport d’enquête lui soit transmis par courrier électronique, ainsi qu’une prorogation du délai pour présenter sa réponse. Elle ajoute qu’elle [traduction] « doit soupeser les différentes mesures d’adaptation proposées par la Cour fédérale concernant les plaintes contre la Commission ».

[36]  Le 29 août 2016, après avoir reçu la confirmation selon laquelle la demanderesse acceptait les risques de ce mode de transmission, l’enquêteuse a agréé à sa demande de transmission du rapport par courrier électronique, ajoutant que la Commission n’avait pas pour habitude de transmettre de rapports confidentiels par voie électronique. L’enquêteuse mentionne qu’elle n’était pas au courant des mesures proposées par la Cour fédérale, et s’enquiert auprès de la demanderesse de la durée souhaitée de la prorogation et des raisons de cette requête.

[37]  De nombreux messages électroniques ont été échangés par la suite entre l’enquêteuse et la demanderesse relativement à sa requête en prorogation du délai. L’enquêteuse a plusieurs fois pressé la demanderesse de lui dire combien de temps elle avait besoin et quelles étaient les circonstances particulières justifiant ce délai. La demanderesse s’est insurgée, taxant l’enquêteuse de faire de l’inquisition et la Commission de refuser de tenir compte de ses besoins. Elle affirme de plus que les mesures d’adaptation proposées par la Cour fédérale sont décrites dans le dossier de la Commission.

[38]  Le 15 septembre 2016, dans un message électronique adressé à l’enquêteuse, la demanderesse l’informe qu’elle voudrait que l’échéance pour présenter ses observations soit reportée au 19 décembre 2016. En réponse, l’enquêteuse indique qu’elle peut lui donner jusqu’au 21 octobre 2016 (soit un mois après son retour au Canada) et que, si la demanderesse souhaite obtenir un plus long délai, elle devra lui fournir de plus amples précisions sur les circonstances particulières justifiant cette requête. Le 30 septembre 2016, la demanderesse a répliqué par courrier électronique que sa situation n’avait pas été prise en compte, que sa demande de prorogation avait été refusée et que, par conséquent, il lui était impossible de soumettre ses observations dans les délais impartis. Finalement, la demanderesse n’a pas déposé d’observations en réponse au rapport de l’enquêteuse.

H.  La décision de la Commission

[39]  La Commission s’est pliée aux recommandations de l’enquêteuse et a rejeté la plainte de la demanderesse.

I.  Réunion des deux demandes

[40]  Comme il a été souligné précédemment, la demanderesse a sollicité un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de se saisir de la plainte, prise en application des articles 40 et 41 (c’est-à-dire de mener une enquête), et d’inclure l’allégation de harcèlement dans le sommaire de la plainte. La demanderesse a aussi sollicité un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de se plier à la recommandation du rapport d’enquête de rejeter la plainte aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. D’un commun accord, les deux demandes ont été réunies étant donné qu’elles soulèvent essentiellement les mêmes questions et que, en dépit du mécontentement de la demanderesse à l’égard du rapport soumis conformément aux articles 40 et 41, il y a eu enquête sur sa plainte.

II.  La thèse générale de la demanderesse

[41]  La demanderesse a soulevé plusieurs questions et arguments à l’appui de sa thèse générale comme quoi la décision n’est pas raisonnable et la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale, y compris en ignorant ses besoins d’adaptation et en faisant preuve de fermeture d’esprit d’ouverture ou de parti pris.

[42]  La demanderesse soutient que le rapport visé aux articles 40 et 41 est vicié et incomplet du fait du refus de la Commission de modifier sa plainte pour qu’y soient incluses d’autres parties et allégations (y compris celles concernant des faits postérieurs au dépôt de la plainte), mais également parce qu’il n’aborde pas tous ses motifs de plainte. Relativement à la décision de la Commission de rejeter sa plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i), la demanderesse estime que les motifs de l’enquêteuse ne sont pas valides, entre autres parce qu’ils sont incompatibles avec la Loi et les politiques pertinentes, et parce que les principes sur lesquels ils reposent ou la jurisprudence applicable n’y sont pas cités. La demanderesse reproche aussi à la Commission de ne pas lui avoir permis de présenter ses observations en réponse au rapport d’enquête.

[43]  La Cour regroupera les arguments sous les rubriques plus larges de l’équité procédurale et du caractère raisonnable pour les fins de l’examen. Cependant, par souci d’exhaustivité, un bref exposé de tous les arguments de la demanderesse est proposé ci-après.

[44]  La demanderesse affirme que la Commission a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a refusé d’exercer sa compétence relativement à l’ajout du CT et de la Financière Sun Life comme parties défenderesses dans le cadre de sa plainte.

  • Elle a refusé de modifier la plainte afin qu’elle y ajoute des incidents de représailles, de harcèlement et de discrimination survenus après le dépôt en avril 2014.

  • Elle a refusé d’inclure tous les motifs énoncés dans le sommaire de la plainte dans sa décision fondée sur le rapport visé aux articles 40 et 41.

  • Elle a refusé de modifier sa plainte par adjonction d’une contestation de la constitutionnalité de la Politique de harcèlement du CT.

  • Elle a adhéré aux conclusions de l’enquêteuse selon lesquelles TC avait fait de véritables efforts pour obtenir des renseignements médicaux et était justifié de l’obliger à se soumettre à un examen médical indépendant.

[45]  La demanderesse soutient aussi que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale comme suit :

  • Elle a refusé de lui fournir des trousses du plaignant supplémentaires afin qu’elle puisse ajouter l’ACEP, la Financière Sun Life et le CT comme parties.

  • Elle a refusé sa requête en prorogation du délai pour présenter des observations en réponse au rapport d’enquête.

  • Elle n’a pas effectué un examen rigoureux.

  • Elle a rendu une décision fondée sur le rapport de l’enquêteuse sans fournir de motifs valables, compromettant ainsi l’intelligibilité de la décision et donnant matière à un contrôle judiciaire.

  • Elle a pris au pied de la lettre les déclarations des témoins et écarté les éléments de preuve qu’elle avait présentés durant l’enquête.

  • Elle a fait abstraction ou une interprétation erronée des éléments de preuve qu’elle a présentés durant l’enquête.

  • Elle a abordé l’enquête avec un esprit fermé.

[46]  La Cour souligne qu’il convient d’examiner les prétentions de la demanderesse relativement au traitement de la preuve comme se rapportant au manque de rigueur de l’enquête. La question de savoir si l’enquête a été suffisamment rigoureuse touche l’équité procédurale (Joshi c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2015 CAF 92, [2015] ACF no 454 (QL), au paragraphe 6 [Joshi]). Les prétentions de la demanderesse relativement à l’insuffisance des motifs n’engagent pas les règles de l’équité procédurale; c’est plutôt le caractère raisonnable de la décision qui est mis en cause (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14 et 15 [Newfoundland Nurses]).

[47]  La Cour a remarqué en outre que la demanderesse a avancé plusieurs arguments identiques relativement à l’équité procédurale et au caractère raisonnable de la décision.

III.  La position fondamentale du défendeur

[48]  À titre préliminaire, le défendeur souligne le caractère inapproprié de certaines parties des affidavits de la demanderesse qui contiennent des arguments et des avis juridiques, de même que des éléments de preuve qui ont trait à des événements postérieurs à la période visée par la plainte, dont l’enquêteuse n’a pas été saisie, et d’autres qui ne sont pas pertinents.

[49]  Le défendeur estime que la Commission a rendu une décision détaillée, conforme à l’équité procédurale et raisonnable. La perfection n’est pas le critère à appliquer.

[50]  Le défendeur indique que la demanderesse a soumis plus de 650 pages à la Commission. Elle a diligemment examiné les principaux éléments de preuve et, du reste, elle n’est pas tenue de mentionner chaque document, lettre, message électronique ou politique mis en cause. La Commission s’est concentrée sur les éléments de la plainte, dont bon nombre reprennent les mêmes allégations sous différentes rubriques. Malgré la possibilité donnée à la demanderesse de soumettre ses observations, et notamment de répondre au rapport d’enquête, elle s’en est abstenue.

IV.  Questions en litige

[51]  La demanderesse soulève de nombreuses questions dont l’essence se résume à ce qui suit :

  • Y a-t-il lieu de radier certaines parties de ses trois affidavits?

  • L’enquête est-elle suffisamment rigoureuse (une question qui engage les règles de l’équité procédurale)?

  • La Commission a-t-elle par ailleurs manqué à son obligation d’équité procédurale?

  • La décision est-elle raisonnable?

V.  La norme de contrôle applicable

[52]  Les parties conviennent que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[53]  Après certaines hésitations de la jurisprudence quant à savoir si l’examen des questions d’équité procédurale commande une certaine retenue, la Cour d’appel fédérale propose un nouvel éclairage dans son arrêt Canadian Pacific Railway Co v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, [2018] FCJ No 382 (QL) [CP Rail]. Au paragraphe 34 de l’arrêt CP Rail, le juge Rennie confirme que les questions d’équité procédurale doivent être examinées sous l’angle de la rectitude de la décision.

[54]  Une observation du juge Rennie s’avère tout à fait à propos dans le cadre de la présente demande, savoir que la nature d’une obligation est fonction du contexte et des circonstances, mais également des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux pages 837 à 841, 174 DLR (4th) 193 [Baker]), au nombre desquels se trouve la retenue qui doit être exercée à l’égard du choix de procédures par un tribunal. Au paragraphe 56, le juge Rennie précise que la question fondamentale en matière d’équité procédurale consiste à déterminer si le demandeur [traduction] « comprenait bien ce qu’il fallait prouver » et si on lui a donné « la possibilité réelle et équitable de donner sa version des faits ».

[55]  La question de savoir si l’enquête a été suffisamment approfondie engage les règles d’équité procédurale (Joshi, au paragraphe 6).

[56]  Les autres questions soulevées par la demanderesse sont susceptibles d’examen selon la norme de la décision raisonnable.

[57]  Les décisions de la Commission de se saisir ou non d’une plainte en application du paragraphe 41(1) sont de nature discrétionnaire et commandent la retenue (Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, aux paragraphes 14 et 15, [2016] ACF no 1339 (QL)). La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

[58]  Les décisions de la Commission de rejeter une plainte en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi sont également assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[59]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit établir si la décision tient à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Pour ce faire, l’analyse de la Cour « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, au paragraphe 47). La Cour doit faire preuve de retenue envers le décideur, soit la Commission en l’occurrence. Si elle conclut que la décision n’est pas raisonnable, la plainte sera renvoyée à la Commission pour qu’elle la réexamine.

[60]  En soi, l’insuffisance des motifs ne justifie pas de faire droit à une demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême du Canada a explicité les exigences énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, en faisant observer aux paragraphes 14 à 16 qu’il n’est pas requis d’exposer en détail chaque argument ou disposition législative applicable, toute la jurisprudence pertinente et les autres considérations qu’une cour de révision pourrait préférer. Le décideur n’est pas non plus tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui l’a mené à sa conclusion finale. Les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14). En outre, la cour de justice peut, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (au paragraphe 15). La Cour résume le principe fondamental au paragraphe 16 : « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

[61]  Une jurisprudence considérable aborde le rôle attribué à la Commission dans des circonstances analogues à celles de la présente espèce. Voici notamment ce que le juge Barnes en dit aux paragraphes 12 à 14 de la décision Tutty c Canada (Procureur général), 2011 CF 57, 382 FTR 227 :

12  L’examen préalable auquel procède la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi a été comparé au rôle du juge qui effectue une enquête préliminaire. La Cour suprême du Canada décrit ce rôle comme suit au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193 :

53  La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect central de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879, à la p. 899 :

L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous-jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.

[Souligné dans l’original.]

[62]  Au paragraphe 13, le juge Barnes ajoute que lorsque la Commission rend une décision qui va dans le sens du rapport et de la recommandation de son enquêteur, le rapport est considéré comme faisant partie des motifs de la Commission (citant Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37 [Sketchley]).

[63]  La juge Mactavish s’est aussi penchée sur le rôle de la Commission, les principes applicables et la norme de contrôle dans la décision Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, 53 Admin LR (5th) 1, aux paragraphes 60 à 63 [SCEFP].

[64]  Comme il a été précisé auparavant, deux décisions ont été réunies pour les fins de la présente demande de contrôle judiciaire. La Cour a voulu déterminer si la décision de se saisir de la plainte (c’est-à-dire de tenir une enquête) était raisonnable. Elle a aussi voulu établir s’il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter la plainte. À cet escient, la Cour s’est demandé si l’analyse que la Commission a faite de la preuve et sa conclusion de l’insuffisance de celle-ci pour justifier un examen étaient raisonnables, et si elle a manqué à son obligation d’équité procédurale, notamment en ne faisant pas une enquête rigoureuse.

[65]  Vu le lien entre les questions et les arguments que soulève la demanderesse à l’égard des deux décisions, la Cour aborde ensemble plusieurs d’entre eux dans ses motifs.

VI.  Questions préliminaires

A.  Les affidavits de la demanderesse

[66]  Le défendeur demande que soient ignorées des parties importantes des trois affidavits de la demanderesse au motif qu’elles contiennent des éléments de preuve qui concernent des événements postérieurs à la période visée par la plainte ou des renseignements dénués d’intérêt pour l’ensemble des questions visées par la demande qui n’ont pas été présentés à l’enquêteuse, ou qu’elles contiennent des arguments ou des avis juridiques. Le défendeur ne réclame pas la radiation des affidavits, mais plutôt que la Cour leur accorde un poids correspondant à leur teneur.

[67]  La demanderesse réplique que ses affidavits sont conformes à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Selon elle, ils fournissent des renseignements utiles pour comprendre le contexte, ils mettent en lumière les vices de procédure allégués, et ils sont exempts d’arguments ou d’avis juridiques.

[68]  Malgré ce que la demanderesse peut en dire, certaines parties de ses affidavits livrent clairement des avis et des arguments, bien qu’ils soient dans ce dernier cas répétés dans son mémoire des faits et du droit, dans une certaine mesure. Les affidavits contiennent en outre des renseignements sur des événements postérieurs à la plainte qui sont absents du dossier soumis à l’enquêteuse. J’ai abordé ces affidavits dans un même esprit que la juge McVeigh, qui se prononce sur des affidavits similaires dans la décision Georgoulas 1, aux paragraphes 21 et 22. Le caractère raisonnable de la décision sera apprécié en fonction du dossier que la Commission avait à sa disposition. Les parties des affidavits qui se rapportent aux allégations de manquement de la Commission à son obligation d’équité procédurale seront prises en considération s’il y a lieu.

B.  Le mémoire des faits et du droit du défendeur

[69]  Lors de l’audition de la présente demande, la demanderesse a fait état, à titre préliminaire, des réserves que lui inspirait le mémoire des faits et du droit du défendeur. Selon elle, celui-ci dénature les faits, comporte des passages qui portent à faux et expose éléments de preuve sur lesquels s’appuie le défendeur.

[70]  Je ne puis souscrire à ces prétentions, car je ne trouve rien à redire concernant le mémoire des faits et du droit du défendeur. Il est permis au défendeur de répliquer aux allégations de la demanderesse. La demanderesse a eu la possibilité de répondre au mémoire du défendeur, et elle s’en est prévalue. L’objet des actes de procédure est d’énoncer les thèses respectives des parties, ainsi que les éléments de preuve et la jurisprudence étayant leurs arguments.

VII.  La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[71]  La demanderesse estime que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne menant pas une enquête rigoureuse, et en les traitant, elle et sa plainte, de manière inappropriée, notamment parce qu’elle a refusé de lui fournir des trousses du plaignant additionnelles; de lui accorder une prorogation de trois mois pour soumettre ses observations en réponse au rapport d’enquête; de correspondre avec elle par courrier électronique, et parce qu’elle a abordé sa plainte avec un esprit fermé (autrement dit, en étant de parti pris ou sans la neutralité nécessaire).

A.  L’enquête était-elle rigoureuse?

1)  Les observations de la demanderesse

[72]  Plusieurs des allégations de la demanderesse portent en fait sur la rigueur de l’enquête, et doivent être appréciées dans cette optique.

[73]  La demanderesse maintient sa prétention comme quoi la Commission a commis une erreur en omettant le « harcèlement » des versions initiale et modifiée du sommaire de la plainte. Comme il a été vu précédemment, la Commission a accepté, au stade du rapport visé aux articles 40 et 41, de modifier la plainte de façon à inclure le harcèlement, tel que le réclamait la demanderesse et en dépit de la recommandation du rapport. À tort, la demanderesse interprète la décision de la Commission d’inclure le harcèlement comme une décision portant exclusion des motifs de représailles et de discrimination, et estime qu’elle a ce faisant agi illégalement. Ayant déduit que la Commission avait décidé de tenir une enquête uniquement sur la plainte de harcèlement, la demanderesse soutient que l’enquêteuse n’était pas habilitée à examiner les deux autres motifs et qu’elle ne comprend pas comment celle-ci a abordé les plaintes de discrimination et de représailles.

[74]  La demanderesse avance de façon subsidiaire que sa plainte de harcèlement n’a pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Même si elle semble admettre que le même comportement est à la base de ses plaintes de harcèlement, de discrimination et de représailles, la demanderesse réfute néanmoins la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle le comportement qu’elle dénonce comme du harcèlement pouvait tout aussi bien être examiné sous l’angle des deux autres motifs.

[75]  La demanderesse soutient par surcroît que l’enquêteuse a commis une erreur en se fiant à des déclarations non étayées des témoins de TC, dont elle n’a jamais mis en doute la crédibilité. À son avis, l’enquêteuse devait apprécier la crédibilité de tous les témoins avant de faire droit à leurs déclarations (se fondant sur la décision Canada (Procureur général) c Tran, 2011 CF 1519, aux paragraphes 19 à 25, 402 FTR 304).

[76]  La demanderesse ajoute que l’enquêteuse a exclu de son analyse certains éléments de preuve importants qu’elle avait produits à l’appui de sa plainte. Elle reproche à TC de ne pas avoir respecté certaines [traduction] « politiques probablement applicables » à l’EAT et à son plan de retour au travail. Elle fait également allusion à des renseignements médicaux soumis à TC, de même qu’à des échanges de lettres et de messages électroniques entre elle et le personnel de TC. Elle soutient que l’enquêteuse est parvenue à la conclusion que TC avait agi correctement parce qu’elle a fait abstraction de ces renseignements. Ainsi, selon la demanderesse, la partie 12 de la Norme d’évaluation de santé professionnelle prévoit un processus de plainte auquel elle n’a pas eu accès ou qui n’a pas été respecté.

[77]  Elle juge que l’enquêteuse a aussi commis une erreur en acceptant des éléments de preuve qui contredisaient ceux qu’elle a produits et dont il n’a pas été tenu compte. Par ailleurs, l’enquêteuse aurait apparemment omis de citer les principes juridiques ou la jurisprudence applicables.

2)  Les observations du défendeur

[78]  Le défendeur fait valoir que l’enquêteuse n’était pas tenue de mentionner chaque allégation ou incident, d’autant plus que la demanderesse a soumis un impressionnant volume d’information (649 pages). Le rapport d’enquête aborde les allégations principales.

[79]  Le défendeur souligne que même si la demanderesse a l’impression que les employés de TC lui ont fait subir du harcèlement, de la discrimination et des représailles, il ne s’agit pas d’une preuve, et l’enquêteuse n’avait pas à la traiter comme telle.

[80]  Le défendeur n’est pas d’accord pour dire que l’enquêteuse a donné la préséance aux témoignages du personnel de TC par rapport à ceux de la demanderesse pour une question de crédibilité. De fait, l’enquêteuse a fait droit à la plupart des éléments de preuve, mais elle les a jugés insuffisants pour justifier la poursuite de l’examen. À cet égard, il faut établir si la Commission pouvait à raison conclure que les actes de TC ne peuvent pas être assimilés à du harcèlement, des représailles ou de la discrimination.

[81]  Le défendeur conteste également l’obligation prêtée à la Commission d’apprécier expressément la crédibilité de chaque témoin. Il estime qu’il était tout à fait loisible à la Commission de prêter foi aux déclarations de témoins qui ont candidement admis avoir oublié des détails à cause du temps écoulé depuis les événements.

[82]  Le défendeur tient à souligner que la Commission n’était pas appelée à se prononcer sur l’adhésion à diverses politiques, mais sur la question de savoir si les actes reprochés constituaient du harcèlement, de la discrimination ou des représailles. Ce n’était pas le cas, et c’est ce que la Commission a conclu, de manière tout à fait raisonnable. Le défendeur estime par ailleurs que même si TC n’avait pas respecté certaines politiques applicables (ce que du reste il nie), ce ne serait pas une preuve que la demanderesse a été victime de discrimination en raison de sa déficience, malgré ce qu’elle affirme. Ce soi-disant manquement de TC ne serait pas non plus une preuve de harcèlement ou de représailles.

[83]  Enfin, le défendeur rappelle que l’enquêteuse avait toute discrétion quant à la manière de mener son enquête, pourvu qu’elle tienne compte des éléments de preuve cruciaux et des questions fondamentales soulevées. Aux yeux du défendeur, il est clair que la norme a été respectée en l’espèce.

3)  Principes tirés de la jurisprudence - Rigueur

[84]  Les principes régissant le rôle de la Commission au titre de l’alinéa 44(3)b), y compris les obligations d’équité procédurale et de rigueur, sont examinés par la juge Mactavish dans les décisions Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, aux paragraphes 30 à 34, 323 DLR (4th) 699 [Hughes] et SCEFP, aux paragraphes 60 à 73. La juge Mactavish a pris en compte la jurisprudence pertinente, dont l’arrêt Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193, et les décisions Mercier c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 CF 3, [1994] ACF no 361 (QL) (CAF), Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, 73 FTR 161, conf. par 205 NR 383, ACF no 385 (QL), et Sketchley.

[85]  Dans l’arrêt récent Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, 99 Admin LR (5th) 1, la Cour d’appel fédérale se penche sur les paramètres régissant l’appréciation de la rigueur dans le contexte d’une enquête visant une plainte déposée sous le régime de la Loi, et elle fait une synthèse des principes de base au paragraphe 74.

[86]  La jurisprudence récente réitère le principe bien établi voulant que la Commission ne soit pas astreinte à la perfection (Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114, 19 Admin LR (6th) 177, au paragraphe 30).

[87]  Voici une synthèse des principes tirés de la jurisprudence qui ont été appliqués en l’espèce :

  • La Commission n’est pas un organe décisionnel – il lui est plutôt demandé d’établir si une plainte justifie un examen plus approfondi. La Commission doit évaluer si « la preuve est suffisante » ou, autrement dit, elle doit mener un examen préalable.

  • La Commission jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les circonstances justifient de poursuivre l’examen.

  • Au nom de l’obligation d’équité procédurale, la Commission doit apprécier la pertinence de poursuivre l’examen d’une manière équitable, neutre et rigoureuse.

  • L’appréciation de la rigueur de l’enquête commande la retenue à l’égard du décideur pour ce qui a trait à l’évaluation de la valeur probante de la preuve et de la pertinence de poursuivre l’enquête. L’enquête doit se borner aux questions fondamentales; il n’est pas demandé à l’enquêteur de prendre en compte chaque petit détail.

  • La Commission jouit d’une grande latitude quant à sa procédure d’enquête.

  • La norme de la perfection ne saurait régir une enquête relative aux droits de la personne.

4)  La rigueur de l’enquête

[88]  La demanderesse a soumis 649 pages de texte, dont plusieurs annexes identiques jointes à divers documents ou à l’égard d’autres allégations. La décision de l’enquêteuse traite les allégations principales et les éléments de preuve pertinents d’une manière méthodique et manifestement rigoureuse. Tel que l’enseigne la jurisprudence, il n’est pas requis que la décision traite de chaque petit détail. Aucun élément fondamental n’a été omis. Il était demandé à l’enquêteuse de déterminer si la preuve était suffisante pour justifier un examen plus approfondi de la plainte. Elle s’est acquittée de ce mandat.

[89]  Contrairement à ce qu’avance fautivement la demanderesse, après avoir décidé d’instruire sa plainte en application de l’alinéa 41(1)a), la Commission a modifié le sommaire pour y inclure le motif de harcèlement, sans radier quelque autre élément. Par conséquent, l’enquêteuse a examiné l’intégralité de la plainte, et le rapport d’enquête atteste que toutes les allégations ont été prises en compte et examinées.

[90]  De plus, l’enquêteuse a certes décidé de ne pas considérer les allégations de la demanderesse sous l’angle du harcèlement, mais celle-ci lui reproche à tort l’absence d’analyse pour justifier cette démarche. Effectivement, comme l’enquêteuse l’explique au paragraphe 21 de son rapport, même si les allégations se révélaient fondées, elles ne correspondent pas à la définition du harcèlement. En l’occurrence, il lui est apparu plus juste de mener une enquête orientée seulement sur les deux autres motifs. Qui plus est, si l’on considère que la demanderesse cite les mêmes actes comme sources de harcèlement, de discrimination et de représailles, rien n’a été omis.

[91]  L’argument de la demanderesse comme quoi l’enquêteuse a commis une erreur en admettant des déclarations non étayées et en donnant la préséance aux témoins de TC est également irrecevable. Il ressort très clairement de ses motifs que l’enquêteuse a examiné tous les éléments de preuve fournis par les témoins de TC et tous ceux fournis par la demanderesse. L’enquêteuse n’en a rejeté aucun au nom d’un manque de crédibilité – elle a plutôt accordé à chacun le poids qu’il méritait. Par ailleurs et comme le souligne le défendeur, les éléments de preuve ne sont nullement contestés. La demanderesse met plutôt en cause leur interprétation. Elle refuse ni plus ni moins d’admettre que les explications de TC puissent être raisonnables ou que sa déficience non dévoilée n’a jamais été la source des comportements décriés.

[92]  Aucune preuve n’étaye l’argument de la demanderesse selon lequel l’enquêteuse a fait abstraction de son allégation comme quoi, en divulguant son statut de congé, les dirigeants de TC ont enfreint les politiques et lignes directrices sur les mesures d’adaptation en milieu de travail. L’enquêteuse souligne que l’allégation connexe relativement à la divulgation inappropriée par TC du fait qu’elle touchait des prestations d’ILD est tout aussi infondée.

[93]  La demanderesse soutient que la partie 12 de la Norme d’évaluation de santé professionnelle prévoit un processus de plainte auquel elle n’a pas eu accès ou qui n’a pas été respecté. Cette preuve de comportement inapproprié de la part de TC aurait également été ignorée par l’enquêteuse. Or, la demanderesse interprète incorrectement la Norme. Il y est prescrit que le CT doit surveiller son efficacité, notamment en « analysant les plaintes des employés, des ministères, du PSPFF, de la Commission canadienne des droits de la personne et du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ». À mon avis, si on la replace dans son contexte, la partie 12 de la Norme n’établit pas un processus de plainte visant le règlement de chaque plainte formulée par le CT, mais plutôt qu’il évalue l’efficacité globale de la Norme. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, il ne semble pas que la Financière Sun Life et le CT, qui ne sont pas défendeurs à l’égard de la présente demande ni de la plainte, aient l’obligation de fournir un processus de plainte aux employés, et le CT n’a pas non plus l’obligation de résoudre chaque plainte individuellement.

[94]  Au surplus, la jurisprudence a clairement établi que l’enquêteur n’a pas à considérer chacune des allégations, mais seulement celles qui sont les plus importantes. En l’espèce, l’enquêteuse n’a ignoré aucun élément fondamental de la plainte globale de la demanderesse relativement au comportement de TC.

B.  La Commission a-t-elle manqué d’autre façon à son obligation d’équité procédurale?

1)  Les observations de la demanderesse

[95]  La demanderesse reproche à la Commission d’avoir enfreint les règles de l’équité procédurale en refusant de communiquer avec elle par courrier électronique; en lui laissant des messages vocaux menaçants; en ne donnant pas suite à ses demandes de renseignements, et en lui refusant une prorogation de trois mois pour soumettre ses observations en réponse au rapport d’enquête, lui déniant ainsi son droit de répondre.

[96]  Le personnel de la Commission aurait refusé de communiquer avec elle par courrier électronique, malgré la préférence qu’elle a exprimée à cet égard et le fait que c’était l’une des mesures d’adaptation recommandées. La demanderesse renvoie à un message électronique daté du 3 février 2015, dans lequel un agent d’intervention préventive lui indiquait que les agents pouvaient répondre à des demandes [traduction] « générales » par voie électronique, mais pas à celles portant sur des [traduction] « dossiers précis », conformément aux obligations conférées aux fonctionnaires par les lois sur la protection des renseignements personnels et l’accès à l’information. La demanderesse allègue que ce message lui a été répété par d’autres membres du personnel de la Commission, entre autres dans un message vocal daté du 18 février 2015 qui selon elle était menaçant, ainsi qu’à plusieurs reprises ensuite. Il s’agit selon elle d’actes discriminatoires, contraires aux politiques de la Commission et à la Politique de communication du gouvernement du Canada, qui selon son interprétation exige le recours au courrier électronique.

[97]  La demanderesse ajoute que le refus de l’enquêteuse de lui accorder une prorogation de trois mois pour soumettre ses observations en réponse au rapport d’enquête constitue un manquement à l’obligation de la Commission de satisfaire à ses besoins d’adaptation, en plus de lui dénier son droit de répondre audit rapport.

[98]  Elle avait informé l’enquêteuse qu’il y avait eu un décès dans sa famille, une [traduction] « situation particulière » qui aurait dû se passer d’explication. La demanderesse fait aussi allusion à une directive de la Cour fédérale concernant une conférence de gestion de cas tenue en mars 2017 comme preuve des mesures d’adaptation proposées par notre Cour.

2)  Les observations du défendeur

[99]  Le défendeur plaide que la réticence de l’agent d’intervention préventive à communiquer avec la demanderesse par courrier électronique lui a été expliquée, et qu’il n’existe absolument aucun indice de traitement inéquitable ou de refus de satisfaire à ses besoins d’adaptation. La politique invoquée par la demanderesse vise de manière plus générale l’information publique comme le contenu des programmes gouvernementaux. De plus, cette politique autorise le recours au courrier électronique, mais elle ne l’exige pas.

[100]  Pour ce qui a trait à la prorogation qui, selon la demanderesse, aurait dû lui être accordée, le défendeur rétorque qu’il lui a été offert un laps de temps raisonnable pour répondre au rapport d’enquête. Il s’agissait d’une période conforme aux règles de l’équité procédurale compte tenu des circonstances. La demanderesse a décliné la possibilité qui lui a été donnée de répondre, malgré la prorogation accordée (et même si elle n’a pas obtenu les trois mois réclamés). Le défendeur précise qu’il n’est pas demandé à la Commission de se soumettre aux délais dictés par les parties, et que les décisions concernant l’octroi d’une prorogation sont discrétionnaires (Sauvé c Canada (Procureur général), 2017 CF 453, au paragraphe 77, [2017] ACF no 674 (QL)).

[101]  Le défendeur estime que la demanderesse a agi de manière déraisonnable en ne fournissant pas les renseignements supplémentaires demandés afin de permettre à l’enquêteuse d’établir si une situation particulière justifiait une prorogation plus longue.

[102]  Selon lui, la demanderesse n’a pas vraiment fait le nécessaire pour fournir ses observations pendant la période de prorogation qui lui a été accordée. Il ajoute qu’elle n’a pas expliqué pourquoi la prorogation avait été insuffisante pour soumettre ses observations. Par conséquent, son allégation de manquement à l’obligation d’équité procédurale ne devrait pas être retenue.

3)  La Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale dans les circonstances

[103]  Comme l’a estimé récemment le juge Rennie dans la décision CP Rail, le contexte et les circonstances doivent être pris en compte pour établir la nature de l’obligation d’équité procédurale. Au paragraphe 56, le juge Rennie précise que la question fondamentale en matière d’équité procédurale est celle de savoir si le demandeur [traduction] « comprenait bien ce qu’il fallait prouver » et si on lui a donné « la possibilité réelle et équitable de donner sa version des faits ». En l’espèce, la demanderesse a tout d’abord reçu le rapport visé aux articles 40 et 41, qu’elle a contesté et qui a été modifié en conséquence, puis le rapport d’enquête avant son dépôt à la Commission. À chaque étape, elle [traduction] « comprenait bien ce qu’il fallait prouver », et on lui a donné la possibilité de soumettre des observations en réponse.

[104]  L’échange soutenu de messages électroniques entre la demanderesse et l’enquêteuse confirme que celle-ci a, de façon répétée et respectueuse, demandé des compléments d’information justifiant la prorogation de trois mois demandée. La demanderesse plaide maintenant que l’enquêteuse n’a pas tenu compte de sa situation familiale, qu’elle n’avait pas les ressources nécessaires à sa disposition quand elle se trouvait à l’étranger et qu’elle était partie à trois autres instances judiciaires, mais elle n’a jamais fait part à l’enquêteuse de ces justifications possibles de sa requête de prorogation. La demanderesse s’est au contraire sentie insultée par la demande de compléments d’information, et prétendu que l’enquêteuse aurait dû être au courant et tenir compte des mesures d’adaptation recommandées par la Cour. Or, la demanderesse n’a jamais pris la peine d’expliquer en quoi consistaient ces mesures.

[105]  Estimant qu’il était évident que son séjour à l’étranger à cause du décès d’un membre de sa belle-famille constituait une situation particulière, la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi le mois additionnel qui lui avait été accordé après son retour au pays ne suffisait pas.

[106]  Sachant l’enquêteuse a tout d’abord informé la demanderesse du dépôt du projet de son rapport le 19 août 2016 et de son droit d’y répondre, et au vu des réponses de la demanderesse à l’enquêteuse, j’estime que la prorogation d’un mois à compter de la date de son retour au Canada (le 21 octobre 2016) était raisonnable. La demanderesse ne peut pas prétendre que son droit de réponse a été bafoué. On lui a offert une possibilité réelle et équitable de soumettre ses observations (CP Rail), mais elle ne s’en est pas prévalue.

[107]  La demanderesse n’a pas précisé à l’enquêteuse la nature des mesures d’adaptation proposées par la Cour, estimant que celle-ci aurait dû être au courant et en tenir compte. La demanderesse semble penser que les mesures d’adaptation requises par la Cour à une occasion ou dans des cas précis servent de références à la Commission. Toutefois, comme preuve des mesures d’adaptation approuvées à son bénéfice, la demanderesse se borne à citer une directive donnée par la juge Mactavish à l’égard d’une conférence de gestion de cas en mars 2017, laquelle portait sur des détails logistiques comme le lieu et la durée. Cette directive ne s’applique pas à toutes les instances auxquelles la demanderesse a été partie devant notre Cour ou devant d’autres ressorts. Je souligne que j’ai également donné une directive relativement à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire qui, elle aussi, s’applique uniquement à ladite audition. La Commission n’est pas liée par les directives de notre Cour concernant des matières particulières dont elle a été saisie. Par surcroît, il n’appartient pas à la Commission de fouiller les dossiers de la Cour pour y recenser les mesures d’adaptation qui ont été requises dans le cadre d’instances précises.

[108]  Quant aux allégations relatives aux interactions de la Commission avec la demanderesse, il ne s’en dégage aucun manquement à l’équité procédurale. Selon le dossier, la Commission a fourni toute l’information dont la demanderesse avait besoin, de même que les raisons pour lesquelles elle n’a pas pour habitude de communiquer par courrier électronique au sujet de dossiers particuliers. L’argument de la demanderesse selon lequel la Commission a enfreint la politique applicable du gouvernement découle de son interprétation très singulière de celle-ci. Il semble que la Politique sur les communications et l’image de marque encourage le recours à toutes sortes de technologies de communication pour atteindre différents groupes de Canadiens et les informer au sujet des programmes et des services du gouvernement. Cette politique n’exige pas que les ministères ou organismes publics, ni leurs fonctionnaires, communiquent exclusivement par courrier électronique avec les Canadiens. La question n’est pas de savoir si la demanderesse préférait qu’on communique avec elle par voie électronique, mais bien si on lui a donné toute l’information dont elle avait besoin, ce qui est clairement le cas.

[109]  Même si une politique encourage les communications par voie électronique, il ne peut s’agir d’une exigence absolue si l’on pense à la foule d’exceptions possibles, y compris la nécessité de protéger les renseignements personnels. Le recours à un autre moyen de communication ne constitue en aucun cas un manquement à l’équité procédurale.

[110]  La prétention de la demanderesse selon laquelle le personnel de la Commission lui aurait laissé des messages vocaux menaçants se fonde sur propre interprétation du message. Elle a versé une transcription des messages au dossier. À mon avis, et en admettant que ces transcriptions soient exactes, le message est de nature informative et directe; je n’y ai rien relevé qui pourrait être perçu comme une menace. Le message vocal du 17 février 2015 indique qu’une prorogation de délai de deux semaines pourrait être accordée pour soumettre des observations sur deux dossiers, et que l’analyste de la Commission pourra expliquer à la demanderesse pourquoi certaines modifications ne seront pas apportées, mais au téléphone seulement. Il est répété dans le message vocal du 18 février 2015 que les communications par courrier électronique ne sont pas possibles, et la demanderesse est invitée à cesser d’y recourir. Certes, le message vocal du 18 février 2017 peut laisser filtrer une certaine frustration de la part de l’analyste de la Commission, qui répétait les mêmes explications pour la énième fois (par exemple, dans le passage [traduction] « La Commission est maître de ses processus. Vous ne pouvez pas nous dire comment traiter nos dossiers ou comment faire notre travail. » Toutefois, ce n’est clairement pas un message de menaces. Ces messages ne peuvent pas être assimilés à des manquements à l’équité procédurale.

VIII.  La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en raison de sa fermeture d’esprit?

A.  Les observations de la demanderesse

[111]  La demanderesse soutient que la Commission, et notamment son enquêteuse et l’ensemble de son personnel, n’ont pas été impartiaux et ont fait preuve de fermeture d’esprit. Pour appuyer cette prétention, elle réitère plusieurs de ses allégations de manquement à l’équité procédurale, de manque de rigueur de l’enquête et du caractère déraisonnable des conclusions de la Commission.

[112]  Par exemple, elle fait de nouveau valoir le défaut de la Commission de satisfaire à ses besoins d’adaptation dans la manière dont elle a traité sa plainte, y compris en lui refusant une prorogation de délai de trois mois, un signe flagrant de fermeture d’esprit selon elle. La demanderesse soutient que la Commission est devenue une partie intéressée par suite des allégations portées à son encontre.

[113]  Elle ajoute que l’enquêteuse a fondé ses motifs sur des observations formulées par l’avocat du défendeur. À ses dires, l’avocat du défendeur a présenté des éléments de preuve, sur lesquels la Commission s’est fondée, à tort.

B.  Les observations du défendeur

[114]  Le défendeur réfute les allégations de la demanderesse portant expressément sur des manquements à l’équité procédurale, dont aucune à ses yeux ne permet de conclure que la Commission a fait montre de parti pris ou de fermeture d’esprit. La Commission jouit d’une latitude considérable à l’égard des questions de procédure, car elle est « maître de son processus » (citant Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, 27 Admin LR (4th) 315, au paragraphe 39). En guise d’exemple, le défendeur souligne que le refus de la Commission de communiquer par courrier électronique n’engage aucunement les règles d’équité procédurale ni la neutralité de l’enquête.

C.  Les principes tirés de la jurisprudence

[115]  Dans la décision Hughes, la juge Mactavish examine la jurisprudence mettant en cause des allégations de partialité de la Commission. Elle fait remarquer aux paragraphes 20 à 24 que le critère pour déterminer s’il existe une partialité réelle, établi à la page 394 de l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, 68 DLR (3d) 716, s’applique aux tribunaux, et non à la Commission. La juge Mactavish explique comment et pourquoi le critère est différent :

22  La CCDP est manifestement soumise à l’obligation d’agir équitablement quand elle exerce les pouvoirs que la loi lui confère de faire enquête sur une plainte relative aux droits de la personne : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1989 CanLII 44 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), et cela exige que la Commission et ses enquêteurs soient exempts de toute partialité.

23  Cela dit, vu la nature non décisionnelle des responsabilités de la Commission, il a été statué que la norme d’impartialité exigée d’un enquêteur de la Commission est moins stricte que celle qui s’applique aux membres de la magistrature. Plus précisément, il ne s’agit pas de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de cet enquêteur mais plutôt de savoir s’il a abordé l’affaire avec un « esprit fermé » : voir Zündel c. Canada (Procureur général) (1999), 175 D.L.R. (4th) 512, aux paragraphes 17 à 22.

24  Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Société Radio-Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), le critère à appliquer dans les affaires semblables à la présente est le suivant :

[L]e critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.

[Non souligné dans l’original.]

[116]  Il a déjà été souligné précédemment que la décision était rigoureuse et conforme aux règles de l’équité procédurale. L’enquêteuse a pris en considération chacune des allégations associées à la plainte initiale, et la décision révèle qu’elles ont été examinées avec méthode. On ne peut pas la blâmer pour sa fermeture d’esprit du simple fait qu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu d’actes de discrimination ou de représailles. Cette décision indique plutôt que la Commission a réalisé l’examen préalable requis pour établir si la preuve était suffisante pour renvoyer la plainte à un examen plus approfondi.

[117]  Les allégations plus précises de la demanderesse ont toutes été abordées précédemment.

[118]  Elle n’a fourni aucun exemple à l’appui de son allégation selon laquelle l’enquêteuse se serait fondée sur un élément de preuve fourni par le défendeur.

[119]  Rien dans la démarche ou le processus de la Commission ne permet de penser que « l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête ».

IX.  La décision de la Commission est-elle raisonnable?

A.  Les observations de la demanderesse

[120]  La demanderesse reproche à la Commission d’avoir commis une erreur en acceptant le rapport visé aux articles 40 et 41 (même s’il a abouti à une enquête sur sa plainte, mais non à l’ajout de nouvelles parties et allégations) et le rapport d’enquête et, ainsi, d’avoir rendu une décision déraisonnable.

[121]  Elle reprend plusieurs des arguments susmentionnés pour démontrer le caractère déraisonnable de la décision, mais son argument principal est que TC avait établi à l’avance qu’une EAT était requise, en dépit des renseignements fournis par son médecin. Or, selon la demanderesse, cette décision anticipée de TC était contraire à ses propres politiques. Elle trouve tout aussi déraisonnable la conclusion de l’enquêteuse comme quoi TC aurait fait des efforts réels pour obtenir des précisions de la part de son médecin avant d’exiger une EAT.

[122]  La demanderesse avance que les lois en matière de droits de la personne garantissent le respect de la dignité de chacun et que, en jugeant qu’il était raisonnable de la part de TC de la [traduction] « forcer » à se soumettre à une EAT, la Commission a manqué à son devoir à l’égard des droits de la personne. Les lois et les politiques pertinentes, de même qu’un document de questions et réponses publié par l’ACEP, sont unanimes quant au caractère exceptionnel d’une demande d’EAT, qui représente un recours ultime après que toutes les options moins coercitives ont été épuisées (citant Lafrenière c Via Rail Canada Inc., 2017 TCDP 29 (CanLII), aux paragraphes 10, 11, et 13 à 16 [Lafrenière]). La demanderesse ajoute que TC n’avait pas besoin d’en savoir plus que ce que la Financière Sun Life lui avait indiqué concernant le plan de retour au travail que celle-ci a proposé et que TC a refusé.

[123]  Il est clair pour elle que ce refus fait partie des embûches érigées par TC pour l’empêcher de retourner au travail.

[124]  La demanderesse qualifie d’inintelligibles autant le rapport visé aux articles 40 et 41 que le rapport d’enquête, et estime qu’ils ne lui sont d’aucun secours pour comprendre les fondements de la décision contestée. Elle relève plusieurs vices dans les motifs : absence de résumé des éléments de preuve (elle fait remarquer qu’elle a soumis 649 pages de matériel); absence d’explication du choix de donner la préséance à des éléments de preuve non étayés du défendeur par rapport à ceux qu’elle a elle-même soumis; absence d’analyse digne de ce nom, et absence de référence à des principes juridiques.

[125]  La demanderesse formule d’autres arguments connexes concernant le refus déraisonnable de la Commission de modifier sa plainte pour qu’y soient ajoutées des parties et des allégations.

[126]  Premièrement, la demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en refusant de modifier sa plainte pour qu’y soient ajoutées des allégations mettant en cause la Financière Sun Life et le CT, comme elle le lui avait demandé dans ses observations en réponse au rapport visé par les articles 40 et 41. Selon elle, la Financière Sun Life et le CT ont contribué aux actes discriminatoires dont elle a été victime. À la base de cette allégation se trouve le postulat que la Financière Sun Life aurait dû faire un suivi de son plan de retour au travail et de son régime d’adaptation auprès du CT, et que celui-ci n’a pas traité sa plainte conformément au processus prévu à sa Norme d’évaluation de santé professionnelle. Apparemment, la Financière Sun Life l’aurait informée de l’existence de ce processus, sans plus. Le CT a ensuite nié l’existence d’un tel processus. La demanderesse soutient que le défaut de la Financière Sun Life et du CT de donner suite à plan de retour au travail et à sa plainte a compliqué davantage son retour au travail.

[127]  Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en refusant de lui fournir les formulaires supplémentaires qui lui auraient permis de formuler des plaintes distinctes contre la Financière Sun Life et le CT. Ce refus a nui à sa capacité de faire valoir ses arguments contre TC, car elle a été obligée de présenter toutes ses plaintes dans une seule trousse du plaignant.

[128]  Troisièmement, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en refusant de modifier sa plainte pour qu’y soient ajoutées des allégations concernant des actes survenus après le dépôt de sa plainte. Elle souligne qu’elle avait anticipé ces actes dans sa plainte initiale, dans laquelle elle déclarait qu’elle [traduction] « craignait d’autres préjudices ».

[129]  Quatrièmement, la demanderesse estime qu’on aurait dû l’autoriser à modifier sa plainte afin d’y ajouter une contestation de la constitutionnalité de la Politique sur le harcèlement du CT, sur laquelle la Commission se fonde dans son rapport visé aux articles 40 et 41 ou, si la Cour a bien compris la position de la demanderesse, que le CT aurait dû mettre en doute lui-même la constitutionnalité de la Politique. La contestation de la demanderesse découle du point de vue initial et de la remarque de la Commission selon lesquels la Politique pourrait ne pas s’appliquer aux employés qui ne sont pas [traduction] « activement au travail », ce qui serait discriminatoire. Comme il a été souligné auparavant, la Commission a formulé cette remarque pour étayer sa décision de se saisir de la plainte de la demanderesse en application de l’alinéa 41(1)a) plutôt que de la rejeter au stade préliminaire par suite d’un examen interne informel, tel que le lui demandait le défendeur.

B.  Les observations du défendeur

[130]  Le défendeur juge que la décision est raisonnable, et que la Commission n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions ou en refusant d’ajouter des parties ou des allégations.

[131]  Il est clair à ses yeux que l’enquêteuse a bien expliqué les éléments de preuve sur lesquels elle s’était reposée, et les motifs justifiant de ne pas poursuivre l’examen. Le défendeur souligne que rien ne corrobore la prétention de la demanderesse selon laquelle les explications de TC [traduction] « visaient à cacher la véritable intention » derrière sa demande. En l’absence d’éléments de preuve concrets, l’enquêteuse n’avait pas l’obligation de prêter foi aux dires de la demanderesse concernant les actes de discrimination, de harcèlement ou de représailles à son endroit.

[132]  Le défendeur affirme que la Commission a conclu à juste titre que TC avait expliqué de manière raisonnable pourquoi une EAT avait été demandée. Il rappelle qu’il appartient à l’employeur de proposer aux employés des mesures d’adaptation en fonction des contraintes et limitations établies par un médecin praticien. Ce n’est pas le rôle du médecin ou de l’employé de dicter quelles mesures d’adaptation doivent être mises en place. Les demandes de TC visant à obtenir des précisions et à soumettre la demanderesse à une EAT se justifiaient par l’absence de renseignements précis quant à ses limitations. TC avait besoin de ces renseignements pour mettre en place des mesures d’adaptation qui en tiendraient compte et qui faciliteraient son retour au travail.

[133]  Selon le défendeur, il n’était pas demandé à la Commission de modifier la plainte de la demanderesse par l’ajout de parties et d’allégations qui n’avaient aucun lien avec les questions centrales de la plainte présentée contre TC. Le défendeur souligne qu’à sa connaissance, rien dans la jurisprudence n’oblige la Commission à modifier une plainte afin d’y ajouter des parties ou de nouveaux renseignements. Il fait valoir à cet égard que dans la décision Tiwana c Canada (Commission des droits de la personne), (2000) 197 FTR 282, 2000 CanLII 16568 (CF) [Tiwana], invoquée par la demanderesse, la Cour conclut que la Commission peut modifier une plainte, mais non qu’elle y est obligée.

[134]  La plainte porte sur des actes de TC, et non sur ceux de la Financière Sun Life ou du CT. La demanderesse n’a pas expliqué en quoi ses allégations contre le CT et la Financière Sun Life sont nécessaires ou pertinentes aux fins de l’examen de sa plainte contre TC, ni pourquoi elle ne pouvait pas, tout simplement, formuler des plaintes distinctes à l’endroit de ces organismes.

[135]  La Commission n’a pas commis d’erreur en refusant de modifier la plainte afin d’y ajouter des incidents survenus après le dépôt de la plainte. Les incidents auxquels la demanderesse a fait allusion à l’audience ne sont pas liés au comportement décrit dans la plainte et pourraient faire l’objet de plaintes distinctes.

[136]  Le défendeur ajoute que si la Commission était obligée d’inclure de nouvelles allégations, il s’ensuivrait un examen continu sur la relation entre les parties, ce qui est loin d’être souhaitable.

[137]  Le refus de la Commission de modifier la plainte ou de contester la constitutionnalité de la Politique sur le harcèlement n’est pas non plus une erreur, qui n’a aucun lien avec la plainte.

[138]  Par ailleurs, le soi-disant refus de la Commission de fournir plusieurs trousses du plaignant à la demanderesse ne peut pas plus être qualifié d’erreur. De fait, sa plainte a donné lieu à une enquête qui lui a permis de soumettre 649 pages de compléments d’information et d’être interrogée par l’enquêteuse. À l’inverse de la décision Georgoulas 1, qui porte sur une plainte de la demanderesse qui n’a pas débouché sur une enquête, l’enquête rigoureuse menée par suite de la plainte en cause dans la présente espèce aborde toutes les difficultés qui pourraient être attribuables au manque d’espace dans le formulaire. Le défendeur mentionne que la demanderesse n’a pas mentionné son incapacité à présenter une allégation contre TC faute d’espace.

X.  La décision est raisonnable

[139]  Comme il a été signalé précédemment, une décision raisonnable découle d’un processus justifié, transparent et intelligible, qui fait en sorte qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[140]  L’insuffisance des motifs ne peut justifier à elle seule un contrôle judiciaire. Il faut les envisager au vu de l’issue et, s’il y a lieu, en tenant compte du dossier afin de tirer une conclusion sur la raisonnabilité de la décision. En l’espèce, il ressort des motifs de l’enquêteuse que la décision est intelligible et transparente, et qu’elle peut se justifier au regard des faits et du droit. Elle reflète les principes précités à l’égard du rôle de la Commission et de la rigueur de son examen. L’enquêteuse n’était pas tenue d’examiner chaque question soulevée mais, chose certaine, elle s’est penchée sur les questions et les éléments de preuve importants. Et comme il a été vu auparavant, une décision n’a pas besoin d’être parfaite pour être jugée rigoureuse et raisonnable.

[141]  Il convient également de rappeler que la retenue s’impose à l’endroit des décisions de la Commission. Au paragraphe 5 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Davis, 2010 CAF 134, 403 NR 355, la Cour d’appel fédérale établit que « la Commission jouit d’une latitude considérable dans l’exécution de sa fonction d’examen lors de la réception d’un rapport d’enquête et que les tribunaux ne doivent pas intervenir à la légère dans les décisions qu’elle prend à cette étape ».

[142]  En l’espèce, la Commission a diligemment réalisé l’examen préalable requis et a raisonnablement conclu qu’il n’était pas justifié d’aller plus loin. La Commission s’est manifestement prononcée en tenant compte de toutes les circonstances.

[143]  Sa conclusion selon laquelle TC a fourni des explications raisonnables relativement à l’EAT et ne s’en est pas servi comme prétexte pour faire de la discrimination est tout à fait raisonnable.

[144]  J’ai examiné le dossier, y compris la correspondance abondante avec TC, ses réponses aux multiples demandes d’information de la demanderesse, ainsi que ses demandes de renseignements et de précisions au sujet des contraintes et des limitations justifiant les mesures d’adaptation particulières demandées. La correspondance ne corrobore pas le point de vue de la demanderesse selon lequel TC avait décidé à l’avance d’imposer une EAT, ou l’a fait dans l’intention de compliquer son retour au travail. La correspondance soutenue entre la demanderesse et Mme Warriner, par courrier et par courrier électronique, indique que celle-ci a expliqué à moult reprises les options offertes et demandé des compléments d’information sur les contraintes et les limitations de la demanderesse.

[145]  La demanderesse invoque la décision Lafrenière, mais son objet est d’un autre ordre. Dans celle-ci, le Tribunal canadien des droits de la personne rejette une requête en évaluation psychologique et y signale que le litige n’a rien à voir avec l’état de santé du plaignant. Le tribunal parvient donc à la conclusion que, dans ce contexte, le fait d’ordonner une évaluation médicale constituerait une intrusion. Les faits en cause ici diffèrent. Les allégations de la demanderesse découlent d’une demande de mesures d’adaptation précises en raison de sa déficience, sur laquelle très peu de détails sont connus ou divulgués. TC a enjoint à la demanderesse de se soumettre à une EAT réalisée par un médecin de Santé Canada afin de mieux comprendre ses contraintes et ses limitations, et ensuite de concevoir des mesures d’adaptation qui permettraient son retour au travail. À l’inverse de la requête visée par la décision Lafrenière, la requête en l’espèce est liée au litige. Il a été dit et redit à la demanderesse que son consentement était requis aux fins de l’EAT, et les directives applicables lui ont été fournies.

[146]  Or, elle n’a pas donné son consentement et elle est retournée au travail en janvier 2014, c’est-à-dire plus tôt que ce qu’elle avait annoncé à TC et sans s’être soumise à une EAT. L’affirmation sans cesse répétée par la demanderesse comme quoi elle aurait été [traduction« forcée » de subir une EAT apparaît assez invraisemblable. Non seulement elle n’a pas été forcée de se soumettre à une EAT, elle s’y est même soustraite.

[147]  Le document de questions et de réponses de l’ACEP, sur lequel la demanderesse se fonde pour affirmer que l’EAT est indiquée dans des circonstances très précises et constitue toujours un dernier recours, ne corrobore pas cette thèse. Il est notamment expliqué dans ce document qu’un employé a des obligations lorsqu’il sollicite des mesures d’adaptation, y compris celle de fournir les renseignements médicaux requis. La demanderesse n’a pas rempli cette obligation. Par ailleurs, ledit document de questions et réponses semble avoir été conçu pour donner de l’information générale aux membres du syndicat. Il n’engage aucunement la responsabilité de TC, et un manquement de sa part ne peut, en aucun cas, être interprété comme un acte de discrimination, de harcèlement ou de représailles.

[148]  La demanderesse signale que l’enquêteuse a affirmé que la requête visant l’EAT constituait un [traduction] « traitement négatif » en raison de sa déficience, et que, compte tenu de ce constat, la Commission a commis une erreur en concluant à l’absence de harcèlement, de discrimination ou de représailles. L’enquêteuse n’a pas fourni de motifs à l’appui de cette conclusion, ajoute la demanderesse.

[149]  Pourtant, contrairement à cette prétention, il ressort clairement du libellé de la décision que l’enquêteuse a motivé sa conclusion du caractère raisonnable des explications de TC. L’enquêteuse aborde la question de la requête relative à l’EAT sous la rubrique [traduction] « différence de traitement défavorable en matière d’emploi », aux paragraphes 51 à 74 de sa décision. Elle fait le résumé de tous les éléments de preuve qui se rapportent à ce sujet. Au paragraphe 72, l’enquêteuse indique que la preuve donne à entendre qu’en 2012, 2013 et 2014, le défendeur a reçu des renseignements apparemment aussi inutiles les uns que les autres de la part du médecin de la demanderesse. Les documents en question font état des mesures d’adaptation exigées, mais sont totalement exempts de détails sur les limitations ou les contraintes les justifiant. Le défendeur a tenté, en vain, d’obtenir des précisions auprès du médecin. L’enquêteuse souligne qu’un employeur peut demander une expertise médicale indépendante si ses efforts réels pour obtenir des renseignements médicaux auprès de la [traduction] « source choisie » par l’employé se sont révélés infructueux. Elle ajoute que l’employeur doit s’assurer d’avoir le plus de détail possible sur les contraintes et les limitations d’un employé pour lui offrir des mesures d’adaptation sûres. Elle a donc conclu à juste titre que TC a expliqué de manière raisonnable le « traitement négatif » imposé (en l’occurrence, la demande d’EAT), et qu’il ne s’agissait pas d’un prétexte de discrimination.

[150]  Cela dit, je trouve étonnant que l’enquêteuse assimile la demande d’EAT à un [traduction] « traitement négatif ». La demande était la suite logique du défaut de la demanderesse de fournir des renseignements médicaux concernant les contraintes et les limitations pour lesquelles des mesures d’adaptation étaient requises. Toutefois, il importe peu de savoir s’il faut qualifier le traitement en question de négatif puisque TC a fourni des explications détaillées de la demande et que, preuves à l’appui, l’enquêteuse les a jugées raisonnables. Elle explique clairement cette conclusion dans ses motifs.

[151]  Il était également raisonnable de la part de la Commission de se concentrer sur la plainte déposée contre TC et de ne pas ajouter de parties ou d’allégations.

[152]  La plainte portait sur le comportement de TC. Comme il a été vu précédemment, la demanderesse interprète à tort la Norme d’évaluation de santé professionnelle comme lui offrant un processus de traitement de sa plainte. Selon ce que j’en comprends, la Norme oblige le CT à évaluer ses activités, pas à fournir un mécanisme de règlement des plaintes individuelles. Il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas ajouter la Financière Sun Life ou le CT afin que la demanderesse puisse faire valoir cette interprétation de la Norme.

[153]  La Commission n’a pas commis d’erreur en n’ajoutant pas d’incidents survenus après le dépôt de la plainte. Je remarque que la demanderesse n’a pas été en mesure d’indiquer un élément de preuve au dossier attestant qu’elle a demandé à la Commission d’ajouter une quelconque nouvelle allégation. Elle a dit dans sa plaidoirie que ses attentes n’étaient pas comblées à son retour au travail, mais ce n’est pas forcément une source de discrimination.

[154]  Le point n’est pas de savoir si la demanderesse « pense » que les incidents décrits constituent de la discrimination ou s’il existe des explications raisonnables.

[155]  De plus, malgré les éléments de preuve au dossier attestant que la demanderesse a réclamé la modification de sa plainte par adjonction de nouvelles allégations concernant des événements postérieurs au dépôt, il est clair qu’elle ne peut s’attendre à pouvoir ajouter constamment de nouveaux incidents. La possibilité de règlement expéditif de ce genre de litiges s’en trouverait compromise. Comme le souligne à juste titre le défendeur, il faut éventuellement que la plainte elle-même trouve sa forme définitive pour que l’examen ou l’enquête puisse commencer et qu’elle soit réglée.

[156]  Dans la décision Tiwana, aux paragraphes 32 et 33, la Cour note qu’il n’existe pas de reconnaissance légale du droit de modifier une plainte, mais que la jurisprudence a jugé que des allégations peuvent être modifiées dans certains cas. Cependant, la Cour ne rend pas obligatoire l’accueil d’une demande de modification.

[157]  La Commission n’a pas commis d’erreur en refusant de fournir des trousses du plaignant supplémentaires à la demanderesse, si d’aventure la requête a été faite. De toute façon, dois-je faire remarquer, la plainte mettant en cause l’ACEP a été scindée. Au surplus, les circonstances de la présente espèce divergent de celles sur lesquelles porte la décision Georgoulas 1, dans laquelle la juge McVeigh a tranché que le défaut de la Commission de fournir une trousse additionnelle pour la plainte contre l’ACEP démontre un manquement à l’équité procédurale. Contrairement à la présente espèce, dans la décision Georgoulas 1, la plainte de la demanderesse a été rejetée au stade du rapport visé aux articles 40 et 41 et n’a donc jamais fait l’objet d’une enquête. La plainte n’a jamais franchi le stade de l’examen préliminaire des formulaires. Dans le dossier qui nous occupe, la plainte n’a pas été rejetée au stade de l’examen préliminaire et une enquête a été menée. L’enquêteuse a compulsé dans sa totalité le volumineux dossier de 649 pages reçu de la demanderesse. Elle n’a donc pas été lésée à cause du manque d’espace pour formuler ses allégations.

[158]  Je trouve absurde la prétention de la demanderesse selon laquelle la Commission a refusé à tort de modifier sa plainte pour y inclure une contestation de la constitutionnalité de la Politique sur le harcèlement ou d’introduire elle-même cette contestation. La Politique sur le harcèlement est un processus interne de traitement informel des plaintes de harcèlement, qui se serait appliqué si la demanderesse avait déposé une plainte interne auprès de TC. À l’étape initiale de la plainte, le défendeur a demandé à ce qu’elle soit jugée irrecevable en application de l’alinéa 41(1)a), au motif que la demanderesse avait d’autres recours à sa disposition, y compris la Politique sur le harcèlement. Le personnel de la Commission a mis en doute l’applicabilité de la Politique aux employés en congé, et a finalement rejeté la requête du défendeur. La décision de la Commission ne fait aucunement intervenir la question de la constitutionnalité de la Politique à l’égard de la demanderesse.

[159]  Par surcroît, il semble que celle-ci ait bénéficié de la décision de la Commission de se saisir de la plainte en raison de la relation tendue de la demanderesse avec son syndicat puisqu’elle s’est rendue jusqu’au stade de l’enquête.

XI.  Conclusion

[160]  La jurisprudence est catégorique : l’obligation d’adaptation exige que chaque partie fasse sa part, et la personne qui présente de tels besoins ne peut pas dicter la nature des mesures qui seront mises en place. Les deux parties doivent être prêtes à faire des compromis pour pallier les contraintes et les limitations. Le document de questions et réponses de l’ACEP, dont la demanderesse cite des extraits, explique très bien ce principe.

[161]  Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c Renaud, [1992] 2 RCS 970, 1992 CanLII 81 [Renaud], la Cour suprême du Canada examine la question de l’obligation d’adaptation, et se demande notamment si l’employé s’est montré trop intransigeant tout au long du processus. La Cour explique qu’il s’agit d’un processus qui suppose que l’employé fasse des compromis et soit prêt à coopérer. Elle affirme aux pages 994 et 995 :

La recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable.

[...]

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut pas s’attendre à une solution parfaite. Si une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances est refusée, l’employeur est libéré de son obligation.

[Non souligné dans l’original.]

[162]  Les principes exposés dans la décision Renaud s’appliquent encore (voir notamment les décisions Guibord c Canada, [1997] 2 CF 17, 1996 CanLII 3880 (CF), et Holm c Canada (Procureur général), 2006 CF 1170).

[163]  La décision de la Commission de se « saisir » de la plainte (c’est-à-dire de mener une enquête) était raisonnable. Le résumé de la plainte a été modifié et le dossier intégral est ensuite passé au stade de l’enquête. Elle a alors été examinée de manière rigoureuse et neutre. La jurisprudence a établi, entre autres principes, que la perfection de l’enquête n’est pas un absolu. La demanderesse entretenait des attentes extrêmement élevées à l’égard du processus de la Commission et de son issue, qui n’étaient pas sans rappeler celles qu’elle avait eues concernant le suivi de son plan de retour au travail par TC. Cependant, les attentes de la demanderesse ne constituent pas la norme de contrôle de la décision. La Commission a conclu à raison que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il n’y avait pas lieu de poursuivre l’examen, et elle a tiré cette conclusion au terme d’un processus respectueux des règles de l’équité procédurale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-102-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est par les présentes modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre d’unique défendeur.

  3. Aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.

« Catherine M. Kane »

Juge


Annexe

Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6, sont l’article 40 et le paragraphe 41(1) :

40 (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

40 (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

(2) La Commission peut assujettir la recevabilité d’une plainte au consentement préalable de l’individu présenté comme la victime de l’acte discriminatoire.

(2) If a complaint is made by someone other than the individual who is alleged to be the victim of the discriminatory practice to which the complaint relates, the Commission may refuse to deal with the complaint unless the alleged victim consents thereto.

(3) La Commission peut prendre l’initiative de la plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire.

(3) Where the Commission has reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice, the Commission may initiate a complaint.

(3.1) La Commission ne peut prendre l’initiative d’une plainte qui serait fondée sur des renseignements qu’elle aurait obtenus dans le cadre de l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

(3.1) No complaint may be initiated under subsection (3) as a result of information obtained by the Commission in the course of the administration of the Employment Equity Act.

(4) En cas de dépôt, conjoint ou distinct, par plusieurs individus ou groupes de plaintes dénonçant la perpétration par une personne donnée d’actes discriminatoires ou d’une série d’actes discriminatoires de même nature, la Commission peut, pour l’application de la présente partie, joindre celles qui, à son avis, soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit et demander au président du Tribunal d’ordonner, conformément à l’article 49, une instruction commune.

(4) If complaints are filed jointly or separately by more than one individual or group alleging that a particular person is engaging or has engaged in a discriminatory practice or a series of similar discriminatory practices and the Commission is satisfied that the complaints involve substantially the same issues of fact and law, it may deal with the complaints together under this Part and may request the Chairperson of the Tribunal to institute a single inquiry into the complaints under section 49.

(5) Pour l’application de la présente partie, la Commission n’est validement saisie d’une plainte que si l’acte discriminatoire :

a) a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu’elle avait le droit d’y revenir;

b) a eu lieu au Canada sans qu’il soit possible d’en identifier la victime, mais tombe sous le coup des articles 5, 8, 10 ou 12;

c) a eu lieu à l’étranger alors que la victime était un citoyen canadien ou qu’elle avait été légalement admise au Canada à titre de résident permanent.

(5) No complaint in relation to a discriminatory practice may be dealt with by the Commission under this Part unless the act or omission that constitutes the practice

(a) occurred in Canada and the victim of the practice was at the time of the act or omission either lawfully present in Canada or, if temporarily absent from Canada, entitled to return to Canada;

(b) occurred in Canada and was a discriminatory practice within the meaning of section 5, 8, 10 or 12 in respect of which no particular individual is identifiable as the victim;

(c) occurred outside Canada and the victim of the practice was at the time of the act or omission a Canadian citizen or an individual lawfully admitted to Canada for permanent residence.

(6) En cas de doute sur la situation d’un individu par rapport à une plainte dans les cas prévus au paragraphe (5), la Commission renvoie la question au ministre compétent et elle ne peut procéder à l’instruction de la plainte que si la question est tranchée en faveur du plaignant.

(6) Where a question arises under subsection (5) as to the status of an individual in relation to a complaint, the Commission shall refer the question of status to the appropriate Minister and shall not proceed with the complaint unless the question of status is resolved thereby in favour of the complainant.

(7) La Commission ne peut connaître, au titre du paragraphe (1), d’une plainte qui porte sur les conditions et les modalités d’une caisse ou d’un régime de pensions, lorsque le redressement demandé aurait pour effet de priver un participant de droits acquis avant le 1er mars 1978 ou de prestations de pension ou autres accumulées jusqu’à cette date, notamment :

a) de droits ou de prestations attachés à un âge déterminé de retraite;

b) de prestations de réversion.

(7) No complaint may be dealt with by the Commission pursuant to subsection (1) that relates to the terms and conditions of a superannuation or pension fund or plan, if the relief sought would require action to be taken that would deprive any contributor to, participant in or member of, the fund or plan of any rights acquired under the fund or plan before March 1, 1978 or of any pension or other benefits accrued under the fund or plan to that date, including

(a) any rights and benefits based on a particular age of retirement; and

(b) any accrued survivor’s benefits.

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

(2) La Commission peut refuser d’examiner une plainte de discrimination fondée sur l’alinéa 10a) et dirigée contre un employeur si elle estime que l’objet de la plainte est traité de façon adéquate dans le plan d’équité en matière d’emploi que l’employeur prépare en conformité avec l’article 10 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

(2) The Commission may decline to deal with a complaint referred to in paragraph 10(a) in respect of an employer where it is of the opinion that the matter has been adequately dealt with in the employer’s employment equity plan prepared pursuant to section 10 of the Employment Equity Act.

(3) Au présent article, employeur désigne toute personne ou organisation chargée de l’exécution des obligations de l’employeur prévues par la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

(3) In this section, employer means a person who or organization that discharges the obligations of an employer under the Employment Equity Act.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-102-17

 

INTITULÉ :

OURANIA GEORGOULAS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Ourania Georgoulas

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Mathew Johnson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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