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Date : 20180920


Dossier : T-2078-17

Référence : 2018 CF 937

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 20 septembre 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

SUSAN LYNN KOLIBABA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Madame Susan Lynn Kolibaba est membre régulière de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) depuis 1995. Elle détient le grade de gendarme et est actuellement en congé de maladie. En 2010, la gendarme Kolibaba était membre du détachement de Vernon (Colombie-Britannique) et elle a postulé pour un poste au détachement de Kelowna au grade de caporal. N’ayant pas été retenue, elle a présenté en 2010 un grief au niveau I pour non-sélection en vue d’une promotion et, en 2017, un grief au niveau II; les deux griefs ont été rejetés. La gendarme Kolibaba sollicite à présent le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’arbitre concernant le grief au niveau II. Elle sollicite l’infirmation de la décision concernant le grief de niveau II, la promotion au grade de caporal ainsi que le versement rétroactif du salaire et des prestations de retraite de ce poste depuis le 31 août 2010, date à laquelle elle a déposé son grief.

II.  Questions préliminaires

[2]  Premièrement, l’avocat du défendeur a demandé légitimement que l’intitulé de la cause soit modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit l’unique défendeur en application de l’article 23 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C-50. L’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

[3]  Deuxièmement, au début de l’audience, le mari de la gendarme Kolibaba, M. Randy Kolibaba, s’est levé pour demander l’autorisation de présenter des observations au nom de sa femme, vu l’état de santé de sa femme. Il a présenté à la Cour une lettre du docteur Bill Tomm dans laquelle celui-ci déclare être le psychiatre de la gendarme Kolibaba depuis 2012. Le docteur Tomm affirme que la gendarme souffre du trouble de stress post-traumatique aggravé par des épisodes dépressifs majeurs et de tachycardie auriculaire paroxystique, lesquels surviennent fréquemment lorsqu’elle éprouve de l’anxiété. Vu les éléments susmentionnés et le fait que M. Kolibaba a informé la Cour qu’il est à la retraite après avoir servi 34 années dans la GRC et avoir été nommé arbitre de la GRC, la Cour a accepté à titre exceptionnel cette requête de la demanderesse (voir l’arrêt Scheuneman c Canada (Procureur général), 2003 CAF 439, au paragraphe 5, et l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

III.  Les faits

[4]  Pour saisir pourquoi le processus de grief de la gendarme Kolibaba s’est étiré sur sept années, il est bon d’en présenter l’historique de façon assez détaillée.

[5]  Le bulletin de possibilité de promotion offrant le poste (le Bulletin0 a été publié le 12 mai 2010. Le poste offert a été publié comme suit : « Staffing Action RPR-E-MRM 524-37-028/10-11, Corporal, Kelowna Detachment, Serious/Major Crimes Investigator/Supervisor/Interviewer (Serious Crime Investigator/Supervisor, Job Code 526) » (Mesure d’affectation RPR-E-MRM 524-37-028/10-11, caporal, détachement de Kelowna, enquêteur/superviseur/interrogateur en crimes graves (enquêteur/superviseur en crimes graves, code d’emploi 526) (le poste). Ce bulletin énumérait plusieurs des compétences que le candidat idéal devrait posséder.

[6]  La gendarme a postulé pour ce poste le 21 juin 2010. Toutes les candidatures ont été reçues pendant le mois de juillet par l’officier hiérarchique chargé de la sélection (l’OHCS), le surintendant McKinnon. Le surintendant McKinnon a recommandé un candidat à l’inspectrice Levy, la dirigeante des Ressources humaines et déléguée responsable du perfectionnement et du renouvellement pour la région du Pacifique. Sa recommandation a été soumise sur le formulaire 5180, le formulaire qu’un officier hiérarchique utilise pour justifier sa recommandation (le formulaire de justification). La gendarme Kolibaba n’a pas été le candidat recommandé.

[7]  Le surintendant McKinnon a fait parvenir le formulaire de justification à la gendarme Kolibaba pour lui présenter par écrit les raisons pour lesquelles elle n’a pas été promue. Il y justifie son choix en procédant à un examen détaillé des qualifications du candidat sélectionné. Il remarque expressément que le candidat sélectionné possède des connaissances approfondies, une grande expérience et de vastes compétences qui sauront soutenir les priorités et les besoins stratégiques de la section des Crimes graves au détachement de Kelowna.

[8]  L’inspectrice Levy a approuvé et mis en œuvre la recommandation du surintendant McKinnon le 6 août 2010 et la gendarme a appris quelques jours plus tard qu’elle n’avait pas été retenue pour cette promotion. Le 31 août 2010, elle dépose son grief de niveau I au Bureau de coordination des griefs. Selon ce grief, le processus d’évaluation normal pour l’embauche n’a pas été suivi, le décideur n’a pas tenu compte de l’ensemble de sa trousse promotionnelle et trop d’attention a été portée sur certaines compétences du candidat sélectionné, alors que le Bulletin n’abordait pas le sujet. Le défendeur nommé dans le grief est le surintendant McKinnon.

[9]  Le 9 octobre 2010, à la suite des modifications apportées à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 (la Loi) et à certaines politiques de la GRC, la gendarme Kolibaba a été appelée à soumettre de nouveau son grief conformément à la nouvelle procédure, ce qu’elle fit.

[10]  La politique de la GRC exige que le processus de grief commence par une phase de règlement rapide qui dure environ 45 jours et qui est supervisée par le Bureau de coordination des griefs. En l’espèce, ce processus de règlement rapide a duré beaucoup plus longtemps que les 45 jours prévus.

[11]  Le 27 mai 2011, le surintendant McKinnon a transmis à la gendarme Kolibaba tous les documents pertinents en sa possession. La gendarme Kolibaba a demandé une prolongation de deux semaines pour examiner les documents, car elle travaillait alors sur une enquête d’envergure portant sur un crime grave.

[12]  Le 21 juillet 2011, une gestionnaire de cas travaillant au Bureau de coordination des griefs a informé la gendarme Kolibaba et le surintendant McKinnon qu’elle s’inquiétait de la lenteur des discussions, car la phase de règlement rapide aurait dû avoir pris fin au plus tard le 3 décembre 2010.

[13]  Le 3 août 2011, la gendarme Kolibaba et le surintendant McKinnon ont participé à une conférence de règlement. Ils ne sont pas parvenus à une entente. Ils ont néanmoins rempli et soumis le formulaire 3081-1, un document sur l’issue du processus de règlement rapide (le formulaire de l’issue), lequel est une étape obligatoire, selon la politique de la GRC, pour procéder à la phase suivante du processus (une décision rendue par un arbitre au niveau I). Selon l’allégation de la gendarme Kolibaba, le surintendant McKinnon aurait dit qu’il n’avait pas considéré sa lettre de présentation lors du processus de sélection, car il ne s’appuie sur ces lettres que pour départager les candidats en cas d’égalité.

[14]  La gendarme Kolibaba a soumis ses observations écrites sur le bien-fondé de son grief le 29 août 2011, ayant eu droit à une prolongation en raison de la maladie de son père. Dans ses observations, elle mentionne les commentaires que le surintendant McKinnon lui aurait faits lors de cette rencontre.

[15]  Le surintendant McKinnon a déposé ses observations écrites le 27 septembre 2011, après avoir demandé une prolongation de deux semaines qui lui a été accordée. Il y précise ceci : [traduction] « Tout au long de ses observations, la gendarme Kolibaba fait allusion à des discussions qu’elle aurait eues avec le défendeur lors de la phase de règlement rapide, et il se pourrait que la requérante ait mal interprété certaines d’entre elles ». Le surintendant a demandé à ce que ces commentaires allégués soient écartés, car les discussions en phase de règlement rapide ne doivent pas porter préjudice aux parties.

[16]  La gendarme Kolibaba a soumis ses observations en contre-preuve le 14 octobre 2011, dans lesquelles elle demande à nouveau à ce que les commentaires que le surintendant McKinnon aurait faits lors de la phase de règlement rapide soient jugés admissibles.

[17]  L’arbitre de niveau I a reçu les observations des parties et les documents de grief le 28 février 2012 afin qu’il examine l’affaire sur le fond. En février 2013, la gendarme Kolibaba a d’abord cherché à connaître l’état d’avancement de son grief, sans succès.

[18]  Le 18 septembre 2014, plus de deux ans après avoir été saisi du dossier, l’arbitre de niveau I a rendu une décision interlocutoire qui atteste que le surintendant McKinnon a été désigné à tort comme étant le défendeur. Le bon défendeur aurait dû être l’inspectrice Levy, la dirigeante et déléguée des Ressources humaines. L’arbitre de niveau I a ordonné que le processus de grief revienne à la phase de règlement rapide, cette fois avec le bon défendeur.

[19]  Le 29 décembre 2014, la gendarme Kolibaba a reçu une copie de la décision rendue par l’arbitre de niveau I qui établissait le bon défendeur et, le 8 avril 2015, l’inspectrice Levy a été informée du dépôt du grief. Pour la deuxième fois, il y a eu une phase de règlement rapide.

[20]  L’intervalle entre les mois de décembre 2014 et avril 2015 s’expliquerait en partie par le fait que la gestionnaire du Bureau de coordination des griefs s’occupant du cas initialement a quitté l’unité et que le nouveau gestionnaire avait un horaire réduit. C’est pourquoi le gestionnaire de bureau a assumé la responsabilité de ce dossier.

[21]  Le 28 mai 2015, l’inspectrice Levy a déposé un formulaire d’issue par courriel avec copie conforme envoyée à la gendarme Kolibaba. Ce formulaire n’a été signé par aucune des parties.

[22]  Le 11 juin 2015, la gendarme Kolibaba disposait de 14 jours pour soumettre ses observations écrites sur la question de fond relativement à son grief. Après avoir demandé une prolongation jusqu’au 29 février 2016, étant en congé de maladie pour une affection professionnelle, elle a été en mesure de déposer ses observations le 8 février 2016. La gendarme Kolibaba affirme dans l’un de ses arguments qu’elle n’a pas reçu tous les documents pertinents.

[23]  L’inspectrice Levy a soumis ses observations écrites le 2 mars 2016 et la gendarme Kolibaba a fourni sa contre-preuve le 17 mars 2016.

[24]  Le 2 mai 2016, le Bureau de coordination des griefs a fait parvenir un courriel à la gendarme Kolibaba pour lui demander si la question secondaire des documents pertinents nécessitait toujours une résolution (l’ambiguïté provenant du fait que le formulaire d’issue indiquait que cette question des documents pertinents avait fait l’objet d’une entente).

[25]  La gendarme Kolibaba a confirmé que la question des documents pertinents demeurait irrésolue en précisant que la question était devenue litigieuse en raison du changement de défendeur. Les parties ont été appelées à résoudre la question en litige avant que l’arbitre de niveau I n’en soit saisi, car cette question devait être réglée au cours de la phase de règlement rapide.

[26]  Le 31 mai 2016, l’inspectrice Levy a informé le Bureau de coordination des griefs que les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur ce qui constituait la preuve et qu’une décision devait être rendue par l’arbitre de niveau I sur la question des documents pertinents. Ce jour-là, l’inspectrice Levy a soumis un deuxième formulaire d’issue, signée uniquement par elle, indiquant que la question des documents pertinents demeurait en suspens.

[27]  Du 24 juin au 26 août 2016, les parties se sont communiqué leurs observations écrites au sujet de la demande de la gendarme Kolibaba visant l’obtention de documents supplémentaires. La décision interlocutoire de l’arbitre de niveau I a été rendue le 3 octobre 2016. Il a conclu que la gendarme Kolibaba [traduction] « n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait aux critères relatifs à la divulgation des documents demandés ». L’arbitre de niveau I a conclu que les trois catégories de documents demandés par la gendarme Kolibaba n’étaient pas pertinents ou raisonnablement nécessaires à la présentation de son grief.

[28]  Le 25 octobre 2016, un arbitre de niveau I a été saisi du dossier pour rendre une décision sur le fond et il a rejeté le grief le 31 mars 2017. L’arbitre de niveau I a jugé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve au dossier pour démontrer que la décision relative à la sélection ne concordait pas aux lois pertinentes et aux politiques pertinentes de la GRC et du Conseil du Trésor. De plus, aucun élément de preuve n’étayait le manquement allégué du surintendant McKinnon à considérer toutes les informations faisant partie de la demande d’emploi de la gendarme Kolibaba. En outre, l’arbitre de niveau I a établi que : [traduction]

L’échange de communications entre les parties au cours de la phase de règlement rapide ne peut être examiné, car ces communications ne peuvent porter atteinte aux parties.

Le fait que le surintendant n’ait pas conservé ses notes n’est pas incompatible avec la politique de la GRC.

Il ne faut pas tenir compte des nombreux retards, car ils n’ont pas empêché la gendarme Kolibaba de présenter son grief et aucun élément de preuve ne démontre que les retards ont provoqué un stress physique ou émotionnel chez elle.

[29]  La gendarme Kolibaba a reçu signification de la décision de l’arbitre de niveau I le 6 avril 2017 et, quelques semaines plus tard, elle a demandé à ce qu’un arbitre de niveau II soit saisi de son grief. Elle a présenté des observations écrites pour soutenir une décision au niveau II et, bien que ses arguments au niveau II soient restés grosso modo les mêmes, elle a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Le principe légal de « ne pas porter préjudice » ne s’applique pas aux commentaires allégués du surintendant McKinnon au cours de la phase de règlement rapide.

Le fait que l’inspectrice Levy ait accepté le candidat recommandé par le surintendant McKinnon en s’appuyant sur très peu de documents pose problème (le seul document fourni étant le formulaire de justification).

[30]  L’inspectrice Levy n’a pas déposé d’observations supplémentaires, car elle a accepté la décision de l’arbitre de niveau I et, le 2 août 2017, un arbitre de niveau II a été saisi du dossier des parties pour rendre une décision sur le fond.

[31]  Le 20 novembre 2017, l’arbitre de niveau II a rejeté le grief de la gendarme Kolibaba.

IV.  Contexte législatif

[32]  Lorsque la gendarme Kolibaba a déposé son grief en 2010, les textes législatifs applicables régissant le processus des griefs de la GRC étaient la partie III de la Loi, telle qu’elle était avant la modification du 28 novembre 2014, et les Consignes du commissaire (griefs), DORS/2003-181 (les consignes), selon la version précédant l’abrogation du 28 novembre 2014.

[33]  Voici le texte des paragraphes 31(1) et 31(2) de cette version de la Loi :

Règle

Right of member

 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

 (1) Subject to subsections (2) and (3), where any member is aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Force in respect of which no other process for redress is provided by this Act, the regulations or the Commissioner’s standing orders, the member is entitled to present the grievance in writing at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Part.

Prescription

Limitation period

31 (2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :

a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l’acte ou l’omission donnant lieu au grief;

b) à tous les autres niveaux de la procédure applicable aux griefs, dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat.

[34]  Voici le texte du paragraphe 32(1) de la même version :

Dernier niveau

Final level in grievance process

 (1) Le commissaire constitue le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs; sa décision est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n’est pas susceptible d’appel ou de révision en justice.

 (1) The Commissioner constitutes the final level in the grievance process and the Commissioner’s decision in respect of any grievance is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.

[35]  Voici l’article 17 des consignes :

17. (1) Si le niveau saisi du grief juge qu’il a compétence à l’égard du grief au titre des paragraphes 31(1) et (2) de la Loi, il décide si la décision, l’acte ou l’omission qui fait l’objet du grief est compatible avec la législation applicable et les politiques applicables du Conseil du Trésor et de la Gendarmerie royale du Canada.

17. (1) If the level considering the grievance determines that they have jurisdiction over the grievance under subsections 31(1) and (2) of the Act, the level shall determine if the decision, act or omission that is the subject of the grievance is consistent with applicable legislation and Royal Canadian Mounted Police and Treasury Board policies.

17 (2) Si le niveau saisi du grief décide que la décision, l’acte ou l’omission est incompatible avec la législation applicable ou les politiques applicables du Conseil du Trésor ou de la Gendarmerie royale du Canada et a causé un préjudice au requérant, il détermine quelles sont les mesures correctives indiquées dans les circonstances.

17 (2) If the level considering the grievance determines that the decision, act or omission is not consistent with applicable legislation or Royal Canadian Mounted Police or Treasury Board policies, and that it has caused a prejudice to the grievor, the level shall determine what corrective action is appropriate in the circumstances.

[36]  Comme l’arbitre de niveau II le mentionne dans sa décision, les politiques et lignes directrices de la GRC applicables au processus de promotion se trouvent dans les textes suivants :

le chapitre 4 du Manuel de la gestion des carrières (MGC) sur la promotion

Processus de promotion des sous-officiers, Guide de sélection à l’intention des conseillers en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines, des comités de validation et des officiers hiérarchiques (le Guide de sélection)

Manuel d’administration de la GRC, chapitre II.38 (le Manuel)

V.  Décision contestée

[37]  L’arbitre de niveau II a rejeté le grief de la gendarme Kolibaba après avoir examiné le dossier de novo. Elle a mis en contexte sa décision en précisant le fardeau de la preuve dont la gendarme Kolibaba devait s’acquitter, soit d’établir que la décision de l’inspectrice Levy d’adopter la recommandation du surintendant McKinnon et de promouvoir un candidat autre que la demanderesse était incompatible avec les politiques et les autres lignes directrices applicables au processus de promotion. L’arbitre de niveau II a conclu que la gendarme Kolibaba ne s’était pas acquittée de ce fardeau. Elle a scindé sa décision en quatre questions litigieuses : 1) les commentaires du surintendant McKinnon lors de la phase de règlement rapide; 2) les erreurs de procédure; 3) le caractère raisonnable des motifs du surintendant McKinnon; 4) les retards préjudiciables.

A.  Les commentaires du surintendant McKinnon lors de la phase de règlement rapide

[38]  Le paragraphe 9(3) des Consignes dispose comme suit :

9 (3) Les discussions des parties portant sur les conditions de règlement du grief ne leur portent pas préjudice au cours de la procédure relative au grief.

9 (3) Any discussion by the parties of terms for resolving the grievance is without prejudice to them in the grievance procedure.

[39]  De plus, le Manuel d’administration dispose comme suit :

8.1.3. [traduction] Lorsque les parties ne parviennent pas à un accord, les discussions lors de la phase de règlement rapide, notamment les offres et les concessions, ne peuvent servir à l’autre partie dans les phases ultérieures du processus à moins que les parties acceptent que les informations tirées des discussions ou des documents lors de la phase de règlement rapide fassent partie du dossier. Ces informations peuvent servir à l’arbitre qui rend une décision.

[40]  L’arbitre de niveau II a conclu que les commentaires allégués du surintendant McKinnon ne pouvaient être examinés sans porter préjudice à celui-ci. De plus, elle a remarqué que la gendarme Kolibaba n’a pas rapporté de manière uniforme les commentaires allégués du surintendant McKinnon dans le dossier. En outre, elle a conclu que le surintendant McKinnon doit avoir examiné la lettre de présentation de la gendarme Kolibaba, car celui-ci traite dans ses motifs de l’expérience de travail de la gendarme dans un poste de surveillance et que le seul document du dossier de candidature qui en fait mention est la lettre de présentation.

B.  Erreurs de procédure

[41]  L’arbitre de niveau II a conclu que la gendarme Kolibaba n’a pas établi que le processus de promotion a été influencé par des erreurs de procédure ou une incompatibilité avec la Loi ou une politique de la GRC ou du Conseil du Trésor.

[42]  Elle considère que le fait que le surintendant McKinnon n’ait pas conservé ses notes et la grille de notation n’équivaut pas à une erreur fatale dans le processus parce que le contenu de ses notes et des grilles de notation se retrouvait dans les motifs inscrits dans le formulaire de justification. Pour justifier cette conclusion, elle a examiné la politique de la GRC figurant dans le MGC. Selon elle, le MGC autorise les OHCS à utiliser d’autres outils de sélection pour déterminer le candidat retenu (ch. 4, art. 10.5.4), entre autres, des entrevues structurées et des examens de connaissances professionnelles, et une grille de notation peut faire partie de ces outils. Malgré l’obligation de conserver les questions et réponses d’un examen de connaissances professionnelles et les réponses données par les candidats lors d’une entrevue structurée, il n’existe toutefois pas d’obligation concernant les notes sur les grilles de notation, car il ne s’agit que de notes personnelles dont le sens se retrouve (c’est le cas en l’espèce) dans les motifs de l’OHCS.

[43]  En ce qui concerne le renvoi du surintendant McKinnon au diplôme en gestion du candidat sélectionné, qualification non mentionnée dans le Bulletin, l’arbitre de niveau II a expliqué que le Bulletin ne sert qu’à établir les qualifications minimales pour occuper le poste. La gendarme Kolibaba satisfaisait aux qualifications minimales mentionnées sur le Bulletin, à l’instar de tous les autres candidats qui ont passé à l’étape de la sélection. La lettre de présentation peut servir aux candidats à se démarquer et c’est ce que le candidat retenu a fait en faisant valoir son diplôme en gestion. Les OHCS disposent d’une grande discrétion en considérant un candidat en vue d’une promotion et peuvent examiner toutes les composantes du dossier de candidature, y compris la lettre de présentation.

[44]  L’arbitre de niveau II a expliqué que les motifs de l’OHCS ont pour objet de justifier la sélection du candidat retenu. L’objet de ces motifs ne consiste donc pas à comparer en détail le candidat retenu et les candidats non retenus ni à expliquer aux candidats les raisons pour lesquelles ceux-ci n’ont pas été retenus.

C.  Le caractère raisonnable des motifs du surintendant McKinnon

[45]  L’arbitre de niveau II a expliqué qu’elle devait également décider si la décision rendue à la fin du processus de promotion était raisonnable, si elle était solide, justifiable avec suffisamment d’informations et de signification pour permettre à la gendarme Kolibaba de comprendre les raisons pour lesquelles elle n’a pas été promue.

[46]  Elle a conclu que la décision du surintendant McKinnon de retenir un candidat autre que la gendarme Kolibaba était raisonnable et que les motifs justifiaient cette décision, à l’égard de laquelle elle devait faire preuve de déférence.

[91]  [traduction] [...] Étant soutenu par la politique, l’OHCS dispose d’une grande latitude en vue de sélectionner le bon candidat pour le poste. Par conséquent, je dois faire preuve d’une grande déférence envers le choix de l’OHCS, à moins que la requérante ne démontre clairement qu’une erreur flagrante a été commise, si flagrante que la requérante aurait dû avoir été retenue pour cette promotion. Je n’ai pas trouvé dans ce dossier les éléments de preuve nécessaires.

D.  Retards préjudiciables

[47]  L’arbitre de niveau II a conclu que les nombreux retards lors du processus de grief n’ont pas porté préjudice à la gendarme Kolibaba et que celle-ci a elle-même contribué au prolongement du processus. Par exemple, la gendarme Kolibaba a nommé le mauvais décideur à titre de défendeur, elle n’a pas participé avec célérité à la phase de règlement rapide et elle a soulevé la question des documents pertinents dans ses observations écrites pour la décision sur le fond, alors que l’inspectrice Levy avait déjà déposé le formulaire d’issue indiquant que la question des documents pertinents avait fait l’objet d’une entente.

[48]  L’arbitre de niveau II a également affirmé que l’insuccès de la gendarme Kolibaba dans le processus de promotion faisant l’objet du présent contrôle ne l’a pas empêché de postuler pour les autres activités de promotion et qu’elle n’a pas établi que les retards ont eu une influence sur sa santé.

VI.  Questions en litige et norme de contrôle

[49]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

  1. L’arbitre de niveau II a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

  2. L’arbitre du niveau II a-t-elle commis une erreur déraisonnable en rejetant le grief de la demanderesse?

[50]  La norme de contrôle s’appliquant à la première question est celle de la décision correcte, et il faut accorder au décideur une certaine déférence quant à son choix de procédure (voir les arrêts Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, aux paragraphes 221 et 222, et Établissement de Mission c Kehla, 2014 CSC 24, aux paragraphes 79 et 89).

[51]  La norme de contrôle s’appliquant à la deuxième question est celle de la décision raisonnable (voir la décision Storozuk c Canada (Procureur général), 2017 CF 4, au paragraphe 24). La norme de la décision raisonnable exige que notre Cour détermine si la décision de l’arbitre au niveau II appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.  Discussion

[52]  Lors de l’audience, les deux parties ont demandé à la Cour de statuer immédiatement sur l’admissibilité des commentaires que le surintendant McKinnon aurait faits au cours de la première phase de règlement rapide. Elles ont également demandé à la Cour de statuer sur l’admissibilité de tout élément de preuve ou détail pouvant soutenir l’affirmation catégorique que la demanderesse a écrit dans ses observations, à savoir que le surintendant McKinnon aurait déformé des faits et falsifié des documents. La demanderesse ne donne nulle part dans ses observations écrites de plus amples renseignements sur les faits qui auraient été déformés ou les documents qui auraient été falsifiés.

[53]  Prononcée lors de l’audience, une ordonnance a rendu inadmissibles les éléments de preuve et les nouveaux arguments sur ces deux questions. À mon avis, il serait injuste envers le défendeur, qui a respecté le caractère confidentiel des discussions tenues lors de la phase de règlement rapide et s’est abstenu de faire des commentaires ou de produire des éléments de preuve sur ces discussions, d’autoriser la demanderesse à utiliser ces éléments pour soutenir sa demande de contrôle judiciaire. Il était donc tout aussi raisonnable de la part de l’arbitre de niveau II de trancher comme elle l’a fait sur cette question.

[54]  Il en va de même en ce qui concerne les éléments de preuve relativement aux déformations de faits ou aux falsifications de documents qui ont été soulevées pour la première fois au cours de l’audience devant notre Cour et qui ont par conséquent pris le défendeur par surprise. Ces éléments n’ont pas été présentés à l’arbitre de niveau II, ils ne font pas partie de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire et je n’en tiendrai pas compte dans le cadre des présents motifs.

[55]  Cela dit, à lire les observations écrites de la demanderesse, il est difficile de repérer les erreurs que l’arbitre de niveau II aurait bien pu commettre dans la catégorie de l’équité procédurale et celles d’entre elles qui amèneraient la Cour à conclure à une décision déraisonnable. L’argument de la demanderesse était mieux formulé et structuré lors de l’audience.

A.  L’arbitre de niveau II a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[56]  La demanderesse soutient que le fait que le surintendant McKinnon n’ait pas conservé les notes qu’il a prises au cours du processus de sélection l’a empêché de présenter une argumentation complète pour appuyer son grief. Elle ajoute que l’arbitre de niveau II a commis une erreur en concluant que l’absence de la grille de notation du surintendant McKinnon n’équivalait pas à une erreur fatale parce que le sens était repris dans le formulaire de justification. Selon l’argumentation de la demanderesse, comme rien dans le dossier ne confirme que c’était bien le cas, l’arbitre de niveau II a simplement inventé des faits pour soutenir sa conclusion. La demanderesse invoque la décision de notre Cour McGuffin c Canada (Procureur général), 2017 CF 97, pour soutenir sa thèse.

[57]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse.

[58]  D’abord, dans l’affaire McGuffin, la juge Catherine Kane de notre Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire des demandeurs en raison du fait que l’arbitre de niveau II a tranché l’affaire en se fondant sur une question qui n’avait pas été soulevée par les parties ni fait l’objet de discussion avec celles-ci lors de l’audience. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. La demanderesse a soulevé la question des notes du surintendant McKinnon et cette question a été amplement examinée par l’arbitre de niveau II. Le fait que la demanderesse est insatisfaite de l’issue ou des motifs rendus par l’arbitre de niveau II n’équivaut pas à un manquement à l’équité procédurale, comme la juge Kane l’a déterminé dans la décision McGuffin.

[59]  Deuxièmement, l’arbitre de niveau II n’a pas jugé que l’OHCS n’avait aucune obligation à conserver ses notes personnelles, mais plutôt que le fait de ne pas les avoir conservées n’équivalait pas à une erreur fatale. Ce faisant, l’arbitre de niveau II reconnaissait implicitement l’article 4.1.3 du MGC qui prescrit la conservation des notes prises concernant un candidat.

[60]  Selon ce qui m’a été présenté, le surintendant McKinnon pourrait ne pas avoir pris de notes ou ne pas les avoir conservées. Quoi qu’il en soit, juger que le fait de ne pas conserver ses notes n’est pas conforme au Manuel n’équivaut pas à juger que ce fait équivaut à un manquement à l’équité procédurale. À l’instar de l’arbitre de niveau II, je suis d’avis que la grille de notation ou tout autre outil que le surintendant McKinnon aurait utilisés en vue de sélectionner le candidat retenu ne nécessitent pas l’approbation de l’inspectrice Levy, car les OHCS bénéficient d’une grande flexibilité en la matière. Étant donné que les OHCS n’ont pas l’obligation de prendre des notes personnelles au moment d’évaluer les qualifications des candidats et qu’aucune méthode n’est imposée pour le classement des candidats, les notes, le cas échéant, ne font pas partie des outils d’évaluation. La « bonne personne » et le résultat des notations de toute forme ont été exprimés dans le formulaire de justification. À mon avis, la demanderesse détenait toutes les informations dont elle avait besoin pour présenter son grief adéquatement.

[61]  En outre, même si le fait de ne pas conserver les notes n’est pas conforme à l’article 4.1.3 du MGC, cela n’équivaut pas à dire que le processus de sélection n’est pas conforme à la Loi ou aux politiques de la GRC et du Conseil du Trésor. À mes yeux, la non-conservation constitue un manquement mineur en matière de tenue des dossiers, alors qu’une non-conformité au processus de sélection pourrait mener au redressement souhaité par un requérant.

[62]  Je ne vois pas de manquement à l’équité procédurale ni aucune autre raison de modifier la décision de l’arbitre de niveau II sur ce point.

B.  L’arbitre du niveau II a-t-elle commis une erreur déraisonnable en rejetant le grief de la demanderesse?

[63]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour, à l’instar de l’arbitre de niveau II, n’a pas à réexaminer ni à réévaluer le dossier de candidature de la demanderesse. L’arbitre de niveau II a compris à juste titre que son rôle consistait à établir si le processus de sélection et la décision rendue étaient conformes aux textes législatifs et aux politiques applicables. Elle a également nommé correctement les politiques et lignes directrices applicables, soit surtout le MGC et le Guide de sélection auxquels elle a fait des renvois tout au long de ses motifs. Elle invoque également la décision de notre Cour Storozuk, précitée, lors de laquelle le juge Keith Boswell a statué comme suit :

[43]  Le demandeur ne donne pas de motif précis ou particulier pour expliquer comment ou pourquoi la décision de l’arbitre était déraisonnable. Le rôle de l’arbitre, selon la définition qu’en donne le paragraphe 17(1) des Consignes, lui permet uniquement de vérifier si la décision d’un officier hiérarchique était « compatible avec la législation applicable et les politiques applicables du Conseil du Trésor et de la Gendarmerie royale du Canada ». Le paragraphe 17(1) ne conférait à l’arbitre ni le pouvoir ni la compétence nécessaires pour apprécier de nouveau l’expérience et la qualification du demandeur comparativement à celles du candidat retenu; du reste, notre Cour ne les a pas non plus. Le fait que l’arbitre ait reconnu son rôle n’équivaut pas à faire fi de la demande du demandeur visant à faire apprécier de nouveau son expérience et sa qualification par rapport à celles du candidat retenu.

[44]  En l’espèce, l’arbitre a consulté le MGC et le Guide de sélection, qui décrivent le rôle de l’OHCS dans le choix d’un candidat. L’arbitre a fait remarquer que les politiques conféraient à l’OHCS [traduction] « beaucoup de latitude dans la sélection du candidat considéré comme le meilleur candidat pour le poste ». À mon avis, il était raisonnable de la part de l’arbitre de conclure que l’OHCS n’était pas [traduction] « liée par des règles strictes au moment d’étudier les renseignements présentés par chaque candidat ».

[45]  Il était aussi raisonnable de la part de l’arbitre de conclure que la décision de l’OHCS d’étudier et d’évaluer des caractéristiques différentes de celles qui avaient été affichées était compatible avec les politiques ou la législation. Cette conclusion était raisonnable pour divers motifs. Premièrement, le libellé de l’avis de poste à pourvoir au sujet des caractéristiques considérées comme des qualités avantageuses n’était pas problématique, parce que le demandeur a fait mention des caractéristiques énumérées. Deuxièmement, l’avis de poste à pourvoir indiquait expressément qu’aucune qualité avantageuse n’était considérée comme une qualité exigée. Troisièmement, l’avis de poste à pourvoir invitait instamment les candidats potentiels à fournir des renseignements pour préciser comment ils surpassaient les exigences ainsi que tout autre renseignement pertinent. En l’espèce, l’arbitre a raisonnablement conclu que l’OHCS n’avait pas dérogé à son mandat discrétionnaire en tenant compte des qualités supplémentaires pertinentes.

[64]  Comme l’ont affirmé l’arbitre de niveau I et l’arbitre de niveau II, il ne fait aucun doute que la demanderesse satisfait aux exigences minimales pour le poste. Tout son argumentaire est orienté sur le poids accordé par le surintendant McKinnon aux qualifications des candidats qui surpassent les exigences minimales. Or, il se trouve que cette façon de procéder est loin d’outrepasser le pouvoir discrétionnaire octroyé aux OHCS. Après avoir examiné tous les arguments de la demanderesse, je suis dans l’incapacité de voir de quelle façon le processus de sélection n’était pas conforme aux textes législatifs et aux politiques applicables. La demanderesse n’a pas nommé un seul article de la Loi ou des politiques de la GRC ou du Conseil de Trésor qui aurait été violé, sauf dans le cas de la conservation des notes.

[65]  Elle soutient que l’arbitre de niveau II n’a pas examiné tous les éléments de preuve et tous les arguments qu’elle a présentés et que, par conséquent, celle-ci aurait fait preuve d’un manque d’objectivité et de transparence, démontrant ainsi un biais évident. Elle soutient que les motifs de l’arbitre de niveau II rendus à l’appui de sa décision n’abordent ses préoccupations de manière satisfaisante. Par exemple, la demanderesse aurait voulu que l’arbitre de niveau II aborde l’argument voulant que l’inspectrice Levy n’a pas fait preuve de diligence raisonnable lorsqu’elle a décidé d’accepter le candidat recommandé par le surintendant McKinnon pour la promotion. La demanderesse croit également qu’il manque des éléments de preuve pour expliquer comment et pourquoi l’inspectrice Levy a choisi d’accepter la recommandation du surintendant McKinnon et que l’arbitre de niveau II aurait dû se pencher sur ce manque d’éléments en rendant sa décision.

[66]  Selon un principe de droit administratif bien connu, les décideurs peuvent déléguer une partie de leurs tâches (Contrevenant no. 10 c Canada (Procureur général), 2018 CAF 150, aux paragraphes 41 à 44) :

[41]  […] La Cour suprême reconnaît depuis longtemps qu’un décideur administratif n’est pas tenu de s’acquitter personnellement de toutes les tâches qui lui sont confiées par la loi, et qu’il peut déléguer à du personnel administratif le soin d’accomplir certaines tâches dont dépend nécessairement la prise de décision éclairée comme la cueillette et l’analyse de la preuve : voir La Reine c Harrison, 1976 CanLII 3 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 238 aux pages 245-246, 66 D.L.R. (3d) 660 [Harrison]. De fait, c’est précisément la situation qui sous-tendait la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Baker, où la décision contestée avait été prise par un agent d’immigration supérieur au nom du ministre, sur la base des notes que lui avait remise un agent d’immigration subalterne.

[42]  Dans un État moderne et complexe comme le nôtre, comme le rappelait la Cour suprême il y a déjà plus de quarante ans dans l’affaire Harrison, l’on ne peut pas s’attendre à ce que la personne désignée par la loi pour exercer certaines fonctions s’en acquitte intégralement elle-même. Une telle exigence provoquerait le chaos, entraînerait des délais interminables et ne serait pas source d’efficience. Comme l’observait le juge Rothstein (alors juge à la Cour fédérale) dans l’arrêt Armstrong c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 1994 CanLII 3459 (CF), [1994] 2 CF 356 au paragraphe 59, 73 F.T.R. 81 (confirmé par cette Cour à 1998 CanLII 9041 (CAF), [1998] 2 CF 666) :

Quatrièmement, il n’est pas réaliste de penser que le commissaire peut statuer sur des appels en matière de renvoi sans déléguer à ses subalternes une partie du travail qu’entraîne la préparation de la documentation devant lui permettre de s’acquitter rapidement de sa tâche. Dans la présente espèce, la sergente Swann a déclaré dans son affidavit qu’elle avait consacré environ deux cent cinquante heures à l’examen du dossier et à la préparation du résumé. On ne s’étonnera pas de ce que le commissaire de la GRC ait besoin de cette aide puisqu’il ne serait pas pratique qu’il consacre tout ce temps à l’étude de la documentation se rapportant aux renvois, aux griefs ou aux mesures disciplinaires dont on interjette appel devant lui. En soi, cette délégation n’implique pas que le commissaire ne s’est pas personnellement occupé de prendre la décision.

[43]  Ce qui est essentiel, c’est que la personne désignée pour prendre une décision ou son délégué se penche personnellement sur le dossier et fasse siennes les recommandations qui ont pu lui être faites. En d’autres termes, c’est au décideur désigné par la loi qu’il incombe toujours de façon ultime de prendre la décision, après avoir pris connaissance suffisante de tous les aspects de la question litigieuse. Or, c’est précisément ce qu’a fait la sous-directrice ici. Dans le cadre de la décision qu’elle a transmise à l’appelant le 10 janvier 2014, elle écrit :

[traduction]

J’ai examiné soigneusement le dossier à la lumière des observations que vous avez présentées et j’estime selon la prépondérance des probabilités que |||||||||||||||||| a commis les violations décrites au procès-verbal. En conséquence, j’impose la pénalité administrative de ||||||||||||||||.

[44]  À moins de vouloir remettre en question cette affirmation ou d’en contester la véracité, par le biais d’une preuve crédible, je ne vois pas comment on pourrait contester la décision de la sous-directrice au motif qu’elle aurait illégalement sous-délégué son pouvoir décisionnel. L’appelant n’a pas même tenté de faire cette preuve, et n’est d’ailleurs pas revenu sur cet argument lors de l’audition. Par conséquent, cette première allégation de violation des principes d’équité procédurale doit être rejetée.

[TRANSLATION]

[41]  … The Supreme Court has long recognized that administrative decision-makers are not required to personally perform all of the tasks conferred upon them by the legislation, and that they may delegate to administrative staff certain tasks upon which informed decision‑making necessarily depends, such as the gathering and analyzing of evidence: see The Queen v. Harrison, [1977] 1 S.C.R. 238 at pages 245-246, 66 D.L.R. (3d) 660 [Harrison]. This was precisely the situation in the Supreme Court’s decision in Baker, where a senior immigration officer had made the impugned decision on the Minister’s behalf on the basis of notes that a subordinate immigration officer had given him.

[42]  In a modern and complex state like ours, as the Supreme Court reiterated more than forty years ago in Harrison, it is unreasonable to expect that the person designated in the legislation to perform certain duties will perform all of them personally. Such a requirement would cause chaos, lead to interminable delays and be inefficient. Justice Rothstein (then of the Federal Court) stated the following in Armstrong v. Canada (Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police), [1994] 2 FC 356 at paragraph 59, 73 F.T.R. 81 (affirmed by this Court in [1998] 2 FC 666):

Fourth, it is not realistic for the Commissioner to make appeal decisions in discharge matters without delegating to his subordinates some of the work involved in preparing the material in a manner to enable him to expeditiously perform his function. In this case, Sgt. Swann states, in her affidavit, that she spent approximately 250 hours reviewing and preparing the résumé. It is to be expected that the Commissioner of the RCMP would require such assistance, it not being practical for him to expend that amount of time reviewing the material in discharge, grievance or disciplinary matters appealed to him. Such delegation does not, of itself, imply that the Commissioner did not put his mind, independently, to the decision-making process.

[43]  What is essential is that the person designated to make a decision or his or her delegate personally consider the file and adopt the recommendations that have been made. In other words, the decision-maker designated in the legislation is always responsible for making the final decision after obtaining sufficient knowledge of all aspects of the issue. That is precisely what the deputy director did in this case. In the decision she sent to the appellant on January 10, 2014, she writes the following:

I have carefully reviewed the file in light of the representations you submitted and find on a balance of probabilities that |||||||||||||||||| committed the violations described in the notice. Consequently, I impose the administrative penalty of ||||||||||||||.

[44]  Unless there is an attempt to challenge that statement or dispute its veracity with credible evidence, I do not see how the deputy director’s decision could be disputed on the ground that she apparently unlawfully sub-delegated her decision-making authority. The appellant did not even attempt to prove this and did not return to this argument at the hearing. Consequently, this first allegation of a breach of the principles of procedural fairness must be rejected.

[67]  En l’espèce, la demanderesse a été informée du rôle et de l’identité de l’OHCS sélectionné pour la gestion du processus de sélection et, comme l’a soulevé l’arbitre de niveau II, elle a eu l’occasion de s’y opposer, mais ne l’a pas fait avant d’apprendre qu’elle n’avait pas été retenue pour le poste.

[68]  La demanderesse soutient également que l’arbitre de niveau II a instauré un autre fardeau dont elle doit s’acquitter pour plaider sa cause, soit prouver que les motifs du surintendant McKinnon l’incitant à retenir le candidat qu’il avait sélectionné n’étaient « pas raisonnables ». Elle soutient que cette nouvelle exigence s’ajoute au fardeau dont elle doit s’acquitter, car elle doit déjà prouver, selon la prépondérance des probabilités, (i) que les motifs du surintendant McKinnon n’étaient pas compatibles avec la Loi ou les politiques de la GRC et du Conseil du Trésor et (ii) qu’un préjudice lui a été causé (paragraphe 17(2) des consignes). La demanderesse n’a pas été informée du nouveau fardeau consistant à prouver ce « caractère raisonnable » et elle n’a pas eu l’occasion d’étudier la question.

[69]  En toute déférence, je considère que ce commentaire de l’arbitre de niveau II est favorable à la demanderesse. Dans une affaire comme en l’espèce, où le candidat n’arrive pas à démontrer que les motifs de l’OHCS ne sont pas compatibles avec la Loi ou les politiques de la GRC et du Conseil du Trésor, et qu’il a subi un préjudice en conséquence, il ou elle pourrait avancer un nouvel argument pour essayer de démontrer que la décision n’était pas raisonnable. En d’autres mots, le fait que l’arbitre de niveau II ne conclue pas que la décision était déraisonnable n’a aucune incidence sur le fait qu’elle ait conclu que les motifs du surintendant McKinnon sont compatibles avec la Loi et les politiques de la GRC et du Conseil du Trésor et que, dans tous les cas, le processus de sélection n’a pas porté préjudice à la demanderesse.

[70]  Pour terminer, la demanderesse soutient dans son argumentation que l’arbitre de niveau II a commis une erreur en concluant que les nombreux retards dans le processus de grief ne lui avaient pas porté préjudice. Elle soutient en outre que le résumé offert par l’arbitre de niveau II de l’historique du grief était déraisonnable par son manque d’équité, car celui-ci met en évidence les rares cas où la demanderesse a causé un retard et omet les retards provoqués par la GRC, qui étaient beaucoup plus longs et importants que les siens.

[71]  Un retard dans un contexte administratif n’équivaut pas nécessairement à un recours abusif. À mon avis, les retards dans le dossier du grief de la demanderesse sont la responsabilité des deux parties et, à ce titre, ils ne sont pas inacceptables « au point d’être oppressif[s] et de vicier les procédures en cause » (Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 121).

[72]  Fait plus important, la demanderesse n’a présenté aucun élément qui prouve un préjudice porté à son égard affectant l’instruction équitable de son grief, ni aucun élément prouvant qu’elle a subi un préjudice relativement à des activités de promotion passées ou à venir.

[73]  En résumé, la demanderesse n’a pas réussi à convaincre la Cour que la décision de l’arbitre de niveau II n’appartenait pas aux issues possibles et justifiables en ce qui concerne les faits de l’espèce et le droit.

VIII.  Conclusion

[74]  Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont accordés en faveur du défendeur selon un montant dont les parties conviendront. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant desdits dépens dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, il sera par la suite loisible à l’une ou l’autre d’entre elles de demander la taxation des dépens par un officier taxateur, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.


JUGEMENT dans le dossier T-2078-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié pour remplacer « ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » par « procureur général du Canada » pour désigner le défendeur.

  3. Les dépens sont adjugés au défendeur en fonction du montant convenu par les parties. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant desdits dépens dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, il sera par la suite loisible à l’une ou l’autre d’entre elles de demander la taxation des dépens par un officier taxateur, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2078-17

INTITULÉ :

GENDARME SUSAN LYNN KOLIBABA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUIN 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Randy Kolibaba

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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