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Date : 20180927


Dossier : T-716-15

Référence : 2018 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2018

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

ROSEMARY ANNE HOOD

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS, L’AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA ET EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA — MAIN-D’ŒUVRE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Madame Rosemary Ann Hood est vétérinaire; elle a travaillé à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) jusqu’en 2010. En 2014, elle a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant que l’ACIA avait exercé envers elle une discrimination fondée sur le sexe et l’invalidité.

[2]  La Commission a désigné une enquêteuse pour examiner la plainte. Dans son rapport, l’enquêteuse a conclu que Mme Hood n’avait pas fait montre de diligence dans le dépôt de sa plainte; que la plainte était vexatoire, compte tenu des recours que Mme Hood avait déjà exercés en milieu de travail; et qu’il existait d’autres recours qu’elle aurait dû exercer avant de déposer une plainte auprès de la Commission.

[3]  La Commission a accepté les conclusions de l’enquêteuse et a conclu qu’il n’était pas justifié d’enquêter sur la plainte de Mme Hood. Mme Hood présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission. Les motifs allégués par Mme Hood pour demander un contrôle judiciaire sont vastes et complexes. Elle affirme que son cas comme est sans précédent et qu’il représente un défi pour la profession juridique comme pour la profession médicale. À l’audience sur sa demande, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Ce dossier n’est pas à propos de moi. Je crois qu’il s’agit d’un dossier d’intérêt public, pour dire que nous ne pouvons pas nous permettre, [...] en tant que contribuables canadiens, de ne pas disposer des pratiques administratives adéquates pour permettre aux gens de discuter des conflits en milieu de travail; ces pratiques sont nécessaires pour assurer un moral élevé, l’ardeur au travail et la productivité au sein d’un organe collectif. On ne doit pas permettre que des individus revendiquent leur intérêt personnel sans qu’il y ait de reconnaissance, de rapports ou de dossiers parce qu’on estime que ce n’est pas commode.

[4]  Mme Hood a également décrit d’autres problèmes découlant de sa demande : des lacunes dans le système juridique (notamment en raison de la [traduction] « compétence limitée ») du système), des questions de sécurité nationale, le besoin de confidentialité, les limites à l’accès à des documents qui appuieraient son dossier, des erreurs dans le dossier factuel qui n’ont pas été corrigées, le caractère déficient de la norme de contrôle applicable aux tribunaux comme la Commission, l’insensibilité des personnes qui ont examiné ses griefs et ses préoccupations, le défaut des hauts fonctionnaires d’appliquer leurs propres politiques, l’absence de normes (juridiques ou autres) sur le harcèlement dans le milieu de travail, les lacunes du système de griefs et les faibles qualifications de ses arbitres.

[5]  La majorité des observations de Mme Hood porte sur le traitement de ses plaintes et de ses griefs à l’ACIA au cours des années qui ont précédé son renvoi en 2010. Ces observations fournissent le contexte de la plainte déposée par Mme Hood auprès de la Commission.

[6]  Cependant, le mandat de la Commission était de traiter la plainte de Mme Hood de manière équitable et raisonnable, et non de mener une vaste enquête sur le fonctionnement de l’ACIA. De la même façon, mon rôle se limite à établir si la commission a traité la plainte de Mme Hood de manière équitable et raisonnable. Les grandes questions présentées par Mme Hood pourraient bien mériter d’être entendues par les autorités appropriées, mais elles ne relèvent pas de la compétence de la Cour dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire d’une seule décision de la Commission.

[7]  Mme Hood n’a pas fait d’allégations précises de manquement à l’équité ou d’incohérence de la part de la Commission. J’examinerai quand même la décision de la Commission afin de déterminer si elle a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu que la plainte de Mme Hood ne méritait pas une enquête plus poussée.

[8]  Par conséquent, les deux questions à examiner sont les suivantes :

  1. La Commission a-t-elle traité Mme Hood de façon inéquitable?

  2. La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

II.  L’instance devant la Commission

[9]  L’enquêteuse a tenu compte des observations des parties, qui comprennent plus de 300 pages de documents fournis par Mme Hood. De plus, l’enquêteuse a examiné la question en litige, l’instance et le résultat des différentes plaintes et des différents griefs traités pendant que Mme Hood était employée de l’ACIA. Elle a également tenu compte des recours que Mme Hood aurait pu utiliser, mais dont elle a choisi de ne pas se prévaloir.

[10]  L’enquêteuse, qui commence son rapport en notant que la plainte de Mme Hood était [traduction] « très difficile à comprendre », en est arrivée à trois conclusions principales justifiant sa recommandation que la Commission ne traite pas la plainte en application des alinéas 41(1)a), d) et e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, SRC 1985, c H-6 (voir l’annexe).

[11]  Premièrement, elle conclut que Mme Hood n’avait pas fait montre de diligence dans le dépôt de sa plainte. Elle note en particulier que Mme Hood était responsable d’un délai de huit mois entre le moment où elle a été informée que sa plainte n’était pas présentée sous une forme acceptable (en juin 2013) et le moment où elle a présenté une plainte améliorée (en mars 2014).

[12]  Deuxièmement, l’enquêteuse qualifie la plainte de Mme Hood de vexatoire, en ce sens qu’elle a déjà demandé réparation pour la plus grande partie de l’inconduite qui était à la source de sa plainte auprès de la Commission. L’enquêteuse a présenté un résumé détaillé de la plainte de harcèlement déposée par Mme Hood en 2008, et des griefs qu’elle a déposés contre sa suspension et son renvoi de l’ACIA. L’enquêteuse a conclu que la plainte de harcèlement avait fait l’objet d’une enquête équitable et raisonnable et que l’une des allégations de conduite inappropriée par le superviseur de Mme Hood avait été retenue. Le fond de cette plainte était en grande partie similaire à celui de la plainte qu’elle a déposée auprès de la Commission.

[13]  De la même façon, les trois griefs relatifs à sa suspension et à son renvoi portaient sur d’autres enjeux que Mme Hood a inclus dans sa plainte auprès de la Commission. L’enquêteuse a conclu que les allégations de discrimination de Mme Hood avaient déjà été traitées de manière équitable et raisonnable.

[14]  Troisièmement, l’enquêteuse a conclu que Mme Hood avait eu l’occasion de soulever les autres préoccupations qu’elle a présentées dans sa plainte auprès de la Commission et qui n’avaient pas déjà été traitées dans le milieu de travail, par la voie des recours dont elle pouvait se prévaloir à l’ACIA. Ces préoccupations supplémentaires comprenaient des allégations de harcèlement de la part de collègues et l’absence de mesures d’adaptation pour le syndrome du tunnel carpien de Mme Hood. Les recours disponibles dans le milieu de travail offraient des solutions de rechange au dépôt d’une plainte devant la Commission et, de l’avis de l’enquêteuse, le fait que Mme Hood n’ait pas épuisé ces recours justifie que la Commission refuse d’examiner sa plainte plus avant.

[15]  Après le dépôt par l’enquêteuse de son rapport détaillé de 22 pages, les parties ont eu l’occasion d’y répondre. La Commission a examiné ces réponses avant de rendre sa décision.

[16]  Dans sa décision, la Commission a fait siennes les principales conclusions de l’enquêteuse et a décidé de ne pas instruire la plainte déposée aux termes des alinéas 41(1) a), d) et e) de la Loi.

III.  La Commission a-t-elle traité Mme Hood de façon inéquitable?

[17]  La Commission n’a pas traité Mme Hood de façon inéquitable. Elle a eu l’occasion de présenter des observations à l’enquêteuse et à la Commission. Le rapport de l’enquêteuse était rigoureux et, d’après ma lecture du dossier, contenait une évaluation équitable des éléments de preuve et du contexte de la plainte de Mme Hood.

[18]  Dans ses observations sur la présente demande, Mme Hood mentionne un certain nombre de [traduction] « défaillances procédurales », mais aucune de celles-ci ne concerne l’enquêteuse ou la Commission.

[19]  Les observations de Mme Hood constituent une allégation générale de manque d’équité – dans la mesure où, à son avis, aucune de ses plaintes n’a été traitée de façon complète, professionnelle ou avec sensibilité. Cependant, la seule question d’équité dont je suis saisi est de savoir si la Commission a traité sa plainte de façon juste. À mon avis, c’était le cas.

IV.  La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

[20]  À la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la décision de la Commission n’était pas déraisonnable. La conclusion de la Commission s’appuie sur trois motifs distincts et chacun d’eux s’appuie à son tour sur les éléments de preuve détaillés présentés dans le rapport préparé par l’enquêteuse et adopté par la Commission. Pour que sa demande soit accueillie, Mme Hood devait me convaincre que chacun de ces trois motifs était incompréhensible, injustifié ou indéfendable. En fait, elle n’a contesté directement aucun des trois motifs.

[21]  Encore une fois, selon ce que je comprends des observations de Mme Hood, elle conteste la décision de la Commission parce que cette décision exclut un vaste examen de la façon dont ses plaintes et ses griefs ont été traités à l’ACIA. Mais la seule responsabilité de la Commission était d’examiner la plainte précise qu’elle avait déposée en 2014 et de décider de façon raisonnable de la traiter ou non, ce qu’elle a fait.

[22]  Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision de la Commission était déraisonnable.

V.  Conclusion et décision

[23]  La Commission a traité Mme Hood de façon équitable et a rendu une conclusion raisonnable, fondée sur la preuve, de ne pas traiter sa plainte. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-716-15

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge


ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6

Canadian Human Rights Act, RSC 1985, c H-6

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiquer dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-716-15

 

INTITULÉ :

ROSEMARY ANNE HOOD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS, L’AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA ET EMPLOI ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA — MAIN-D’ŒUVRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 septembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Erica Haughey

 

Pour les défendeurs

 

Rosemary Anne Hood

 

Pour la demanderesse – POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs

 

 

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