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Date : 20181001


Dossier : IMM-5238-17

Référence : 2018 CF 972

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MARK SZALAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le demandeur est un jeune homme de la Hongrie d’origine rome. Il a demandé l’asile au Canada à deux reprises, tout d’abord en 2011, dans le cadre d’une demande d’asile de la famille en tant qu’enfant âgé de quatorze ans, et ensuite en 2016, en application du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Dans les deux cas, les demandes ont été rejetées.

[2]  Après le rejet de leur demande initiale par la Section de la protection des réfugiés (SPR), le demandeur et sa famille ont été déportés en Hongrie en 2014. Toutefois, en raison d’autres expériences là-bas, ils ont décidé de retourner au Canada et de renouveler leurs demandes d’asile.

[3]  Le père, la mère et la sœur du demandeur sont arrivés le 16 septembre 2016. Ils ont déposé des demandes d’examen des risques avant renvoi, en application du paragraphe 112(1) de la LIPR (communément connues sous le nom de demandes d’ERAR). Ces demandes ont toutes été rejetées. L’autorisation de contester les refus des demandes de contrôle judiciaire a été refusée en avril 2017.

[4]  Le demandeur est revenu au Canada peu après les autres, soit le 14 octobre 2016. Sa demande d’asile a été jugée irrecevable et ne pouvait être soumise à la SPR, puisque sa demande d’asile précédente avait été rejetée (voir l’alinéa 101(1)b) de la LIPR). Une mesure de renvoi a été prise, mais le demandeur était invité à présenter une demande d’ERAR. Il a présenté sa demande le 24 novembre 2016.

[5]  Une agente d’immigration principale a rejeté sa demande le 13 septembre 2017. L’agente a donné des motifs détaillés pour justifier sa décision, mais elle a exposé brièvement le motif principal du refus de la demande en ces termes : [traduction] « Cette demande est refusée pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels la SPR a rejeté la demande d’asile initiale. Le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. »

[6]  Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, au motif que l’examen du caractère adéquat de la protection de l’État effectué par l’agente est déraisonnable.

[7]  J’ai conclu que la présente demande devrait être accueillie. En examinant si le demandeur s’était acquitté du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption relative à la protection de l’État, l’agente a alourdi déraisonnablement ce fardeau en s’attendant à ce que le demandeur réfute la conclusion de la SPR, selon laquelle la protection de l’État accessible au demandeur en Hongrie est adéquate, et la convainque de tirer une conclusion différente. En conséquence, la demande doit être réexaminée.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[8]  En 2011, tandis que le demandeur était âgé de treize ans, ce dernier et sa famille immédiate sont arrivés au Canada et ont présenté des demandes d’asile au motif de leurs expériences en Hongrie. Le père du demandeur était le demandeur d’asile principal et a agi à titre de représentant désigné des enfants mineurs, y compris le demandeur. Plus tard, le grand-père et la grand-mère par remariage du demandeur sont arrivés au Canada et ont présenté des demandes d’asile. Toutes les demandes ont éventuellement été groupées et traitées dans une seule instance devant la SPR.

[9]  Le 11 avril 2013, la SPR a refusé les demandes, en raison principalement des conclusions défavorables quant à la crédibilité à l’égard du père du demandeur, au motif que la présomption de protection adéquate de l’État n’avait pas été réfutée. En résumé, la SPR n’a pas cru les allégations de persécution du père du demandeur, mais, quoi qu’il en soit, il existait des formes de protection adéquate de l’État auxquelles le père du demandeur aurait pu recourir, mais il ne l’a pas fait, et auxquelles il pourrait recourir, au besoin, s’il retournait en Hongrie. La SPR a conclu que le père du demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Comme les autres demandes dépendaient entièrement du père, elles ont aussi été rejetées.

[10]  Le demandeur et sa famille ont été déportés du Canada en 2014.

[11]  À leur retour en Hongrie, le demandeur et sa famille ont séjourné à Martonyi, pour ensuite déménager à Edeleny. Le demandeur a commencé l’école, mais il déclare avoir été placé en sixième année avec des élèves âgés de douze ans, soit près de cinq années de moins que lui. Il déclare également que la plupart des élèves de l’école étaient blancs. Les autres élèves l’agressaient tous les jours entre les cours. Le demandeur déclare que son enseignant d’éducation physique l’agressait aussi et lui proférait des injures racistes. L’enseignant d’éducation physique ne laissait pas les élèves roms utiliser le vestiaire et les douches en même temps que les élèves hongrois après les cours. Le demandeur déclare qu’après s’être plaint à la directrice de l’école, elle l’a accusé de mentir. Lorsque le demandeur s’est plaint à nouveau, la directrice et l’enseignant lui ont répondu que s’il voulait se doucher, il pouvait le faire sous la pluie.

[12]  Le demandeur déclare qu’il a interrompu ses études après la huitième année, car il ne voulait pas que la violence dont il avait fait l’objet à l’école primaire continue.

[13]  Le père du demandeur a préparé un affidavit à l’appui de sa propre demande d’ERAR. Il y décrit le harcèlement que lui faisaient subir les voisins et les néonazis pendant que la famille vivait à Edeleny. Une nuit au cours de l’été de 2015, des inconnus vêtus de noir ont tenté de s’introduire dans la maison familiale. Le demandeur a eu recours aux mêmes éléments de preuve que son père dans son propre affidavit.

[14]  Le demandeur déclare également que, pendant l’été de 2015, l’ancien petit ami de sa petite amie a commencé à se présenter chez lui, demandant de l’argent et, à plusieurs occasions, l’agressant. Le père du demandeur déclare qu’il a appelé la police à trois ou quatre reprises à la suite de ces incidents, mais qu’elle ne leur est jamais venue en aide. Selon la petite amie du demandeur (dont l’élément de preuve a également été utilisé par le demandeur), son ancien petit ami a menacé de tuer le demandeur s’il appelait la police.

[15]  Au cours de la nuit du 20 août 2016, les membres de la famille ont entendu des coups de feu à l’extérieur de leur maison. Plus tard, ils ont constaté que leurs deux chiens avaient été tués par des coups de feu. Ils ont appelé la police aussitôt, mais elle n’est arrivée que le lendemain. À la suite de cet événement, le demandeur et sa famille ont quitté Edeleny et se sont réinstallés à Martonyi, où vivent les grands-parents paternels du demandeur.

[16]  Le père du demandeur déclare que, après que leurs chiens aient été tués, les membres de la famille craignaient pour leur vie et ont décidé de s’enfuir de nouveau au Canada.

[17]  La police a clos l’enquête sur le tir des chiens après un mois, car elle ne pouvait pas identifier les auteurs de la tuerie.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[18]  Comme il est susmentionné, l’agente a rejeté la demande d’ERAR au motif principal que le demandeur n’avait [traduction] « pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. »

[19]  L’agente a examiné les motifs précis suivants invoqués par le demandeur.

A.  Maltraitance à l’école

[20]  L’agente semble avoir reconnu que la maltraitance à l’école décrite par le demandeur ait eu lieu. Cependant, elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants voulant que lui ou sa famille aient cherché à obtenir réparation pour ces mauvais traitements. L’agente a commenté que la SPR avait soulevé diverses possibilités offertes pour obtenir réparation, par exemple, l’Autorité pour l’égalité de traitement. La preuve documentaire n’a pas laissé entrevoir que ces possibilités n’étaient plus offertes, bien que le demandeur et sa famille n’y ont pas eu recours.

B.  Menaces de l’ancien petit ami de la petite amie

[21]  L’agente a fait remarquer que le demandeur a déclaré avoir été agressé par l’ancien petit ami de sa petite amie à trois reprises. Elle fait également remarquer que le père du demandeur se souvient d’avoir appelé trois ou quatre fois la police, mais elle ne leur est jamais venue en aide. Bien que l’agente semble avoir reconnu que ces événements aient eu lieu, elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve voulant qu’il ait déposé une plainte à la police pour n’importe laquelle de ces agressions ou qu’il ait déposé une plainte concernant l’inaction de la police. L’agente a conclu que le demandeur [traduction] « a omis de fournir des éléments de preuve voulant qu’il ait poussé l’affaire en saisissant les possibilités pour obtenir réparation auprès des forces de sécurité ou d’autres autorités mandatées pour protéger les droits des minorités. »

C.  Tuerie des chiens de la famille

[22]  L’agente a examiné les éléments de preuve entourant la mort des deux chiens de la famille. Elle semble avoir reconnu que l’événement a eu lieu. Elle a fait remarquer que la police avait répondu à la demande d’aide. L’agente a également fait remarquer que la police avait clos l’enquête, car elle ne pouvait pas identifier les auteurs de la tuerie. L’agente a conclu que cet incident et l’intervention de la police n’étaient pas des éléments de preuve de l’absence de protection de l’État.

D.  Discrimination policière systémique

[23]  L’agente a fait valoir que, bien que le demandeur n’ait pas allégué avoir personnellement subi de mauvais traitements par la police, il a toutefois allégué que la police n’était pas intervenue de façon appropriée à ses appels à l’aide. Le demandeur a invoqué les éléments de preuve documentaire de la corruption et du racisme de la police contre les citoyens roms de la Hongrie. Le demandeur a également invoqué les éléments de preuve documentaire démontrant que des organismes de traitement des plaintes étaient dirigés par des loyalistes gouvernementaux qui ont fait preuve de partialité envers les plaignants. De plus, il a soutenu l’existence d’un manquement systématique à poursuivre en justice les auteurs de crimes haineux. Bien que l’agente ait reconnu les éléments de preuve relatifs à la corruption et au comportement de la police, elle était convaincue par les éléments de preuve documentaire que [traduction] « les mécanismes sont efficaces et que des mesures disciplinaires sont entreprises, y compris des poursuites pénales, si la situation le justifie. »

[24]  En ce qui concerne le défaut par les autorités d’enquêter ou d’entamer des poursuites pour crimes haineux, l’agente a conclu que les éléments de preuve documentaire supposaient que les faibles taux de poursuites étaient imputables à des problèmes institutionnels plutôt qu’à du racisme flagrant. Par exemple, l’agente cite un rapport du Conseil de l’Europe décrivant la [traduction] « charge de travail élevée et le roulement de personnel chez les employés formés pour enquêter sur les crimes haineux » en Hongrie et une approche axée sur les résultats qui dissuade les employés d’enquêter sur des affaires plus complexes. L’agente a conclu que les éléments de preuve n’ont pas démontré [traduction] « le refus par les autorités d’assurer une protection contre les actes criminels, mais plutôt qu’ils peuvent invoquer simplement les lois du code criminel au lieu d’intenter une action en justice dans le cas des crimes haineux les plus complexes [sic partout]. »

E.  Éléments de preuve voulant que les conditions se soient détériorées depuis la décision de la SPR

[25]  La décision de l’agente porte en fin de compte sur sa conclusion selon laquelle, bien que les conditions de la Hongrie aient connu quelques changements depuis le rejet de la demande d’asile de la famille, le niveau de ces changements n’était pas tel qu’il justifiait de réfuter la conclusion précédente de la SPR voulant que la protection de l’État soit adéquate. Dans sa décision, l’agente énonce en détail la discussion de la SPR sur la protection de l’État. L’agente a soutenu que [traduction] « la responsabilité de réfuter la présomption relative à la protection de l’État accompagnée d’éléments de preuve clairs et convaincants incombe toujours au demandeur ». L’agente a conclu que les éléments de preuve du demandeur ne permettent pas à celui-ci de s’acquitter de ce fardeau. En particulier, bien que l’agente ait reconnu [traduction] « que la protection de l’État et les possibilités d’obtenir réparation ne soient pas parfaites [. . .], les éléments de preuve documentaire ne me convainquent pas que les conditions en Hongrie ont changé à un point tel que les mécanismes invoqués par la SPR dans son rejet ne sont plus adéquats ». Plus loin dans les motifs, l’agente a réitéré que les conditions en Hongrie n’avaient pas [traduction] « changé au point de réfuter la conclusion de la SPR, selon laquelle la protection de l’État accessible au demandeur en Hongrie est adéquate ».

[26]  Par conséquent, l’agente a conclu qu’il n’y avait pas même une mince possibilité que le demandeur soit exposé à un risque de persécution en Hongrie en raison de son ethnie et, de plus, qu’il est peu probable qu’il soit exposé à un risque de traitement ou de peines cruels et inusités ou que sa vie soit en danger. L’agente a également conclu qu’il n’y avait pas de motifs substantiels de croire que le demandeur serait exposé à un risque de torture à son retour en Hongrie. En conséquence, la demande d’ERAR a été rejetée.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[27]  Il est bien établi que les décisions d’ERAR sont généralement examinées selon la norme de la décision raisonnable (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367, au paragraphe 13 [Lakatos]). En application de cette norme, la cour de révision examine la décision quant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle détermine « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Cela comprend une analyse de l’efficacité de la protection de l’État (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Neubauer, 2015 CF 260, au paragraphe 11). La jurisprudence a défini un critère bien précis en ce qui concerne la protection de l’État, toutefois, et il n’est pas loisible au décideur d’appliquer un critère différent. En conséquence, la question de savoir si le critère approprié a été appliqué est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22; Kina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, au paragraphe 24). Si le décideur a omis d’effectuer une analyse adéquate, la conclusion ne sera considérée ni rationnelle, ni justifiable (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 41).

V.  QUESTION EN LITIGE

[28]  La question déterminante en l’espèce est celle de savoir si l’examen effectué par l’agente concernant le caractère adéquat de la protection de l’État offerte au demandeur en Hongrie est raisonnable.

VI.  ANALYSE

[29]  Dans Lakatos, le juge Diner a fait observer que notre Cour « a statué à maintes reprises que la question de savoir si une analyse de la protection de l’État résistera à l’examen dans le cadre d’un contrôle judiciaire est effectuée expressément pour chaque affaire, et dépend de la façon dont le décideur a effectué son analyse compte tenu des éléments de preuve produits à l’égard des circonstances particulières du demandeur » (au paragraphe 23). Voir aussi, entre autres affaires, Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 105; Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, au paragraphe 42; Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 316, aux paragraphes 35 et 37; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943, au paragraphe 28. Comme ces affaires le démontrent, ce principe s’applique, que la question de la protection de l’État soit tranchée par la SPR, la Section d’appel des réfugiés (SAR) ou un agent d’ERAR.

[30]  La présente affaire concerne, naturellement, une décision rendue par l’agente d’ERAR en application du paragraphe 112(1) de la LIPR. Le passage pertinent de la disposition est rédigé comme suit :

112. (1) La personne se trouvant au Canada […] peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet […]

112. (1) A person in Canada […] may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force […]

[31]  De façon générale, hormis les cas difficiles concernant la sécurité, la criminalité et autres, une demande présentée en application du paragraphe 112(1) sera accueillie si, au moment de sa présentation, le demandeur répond à la définition de « réfugié au sens de la Convention » de l’article 96 de la LIPR ou la définition de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR (voir le paragraphe 112(3) et l’alinéa 113c) de la LIPR). Une demande d’ERAR accueillie a pour effet de conférer l’asile au demandeur (voir le paragraphe 114(1) de la LIPR).

[32]  Un demandeur d’asile débouté peut demander un ERAR. La demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de rejeter la demande d’asile, mais elle peut nécessiter l’examen de quelques-uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qui ont été pris en compte dans la demande précédente rejetée. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), cette possibilité de recoupement crée « un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours » dans la demande d’ERAR (paragraphe 12).

[33]  La LIPR tente d’atténuer ce risque en limitant les éléments de preuve que peut invoquer un demandeur d’asile débouté à l’appui d’une demande d’ERAR. En particulier, l’alinéa 113a) de la LIPR prévoit ce qui suit :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; […] .

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; [… ] .

[34]  Dans Raza, la Cour d’appel fédérale soutient que cette disposition « repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (au paragraphe 13). Dans le même sens, dans le contexte d’une discussion sur les règles en matière d’admissibilité de la preuve en appel devant la SAR, la Cour d’appel fédérale a déclaré, relativement aux demandes en application du paragraphe 112(1) de la LIPR que « l’agent d’ERAR doit faire preuve de déférence eu égard à la décision négative rendue par la SPR et ne peut y déroger que sur la base d’une situation différente ou d’un risque nouveau » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 47 [Singh]).

[35]  L’alinéa 113a) de la LIPR limite les éléments de preuve qu’un demandeur débouté peut présenter pour étayer une demande d’ERAR à des éléments qui sont « nouveaux » selon l’un des trois sens possibles suivants : 1) l’élément de preuve est survenu après le rejet de la demande d’asile (p. ex., parce qu’il se rattache à des événements qui ont eu lieu après le rejet); 2) l’élément de preuve n’était pas raisonnablement accessible au moment où la demande d’asile a été présentée; 3) l’élément de preuve était raisonnablement accessible, mais on n’aurait pas pu raisonnablement s’attendre, dans les circonstances, à ce que la personne ait présenté l’élément au moment où la demande d’asile a été déposée. En l’absence d’un tel élément de preuve nouveau, la décision défavorable rendue à l’égard d’une demande d’asile doit être « respectée » par l’agent de l’ERAR (Raza, au paragraphe 13). En fait, le rejet de la demande d’asile serait vraisemblablement décisif quant à la demande d’ERAR. Je retire donc également des passages de Raza et Singh précités que, lorsque de nouveaux éléments de preuve ont été dûment communiqués à l’agent d’ERAR, en application de l’alinéa 113a) de la LIPR, un tel respect n’est pas requis. Dans ces circonstances, cela s’explique par l’absence de risque de multiplication inutile, voire abusive, des recours. Bien que, de façon générale, les questions puissent être les mêmes, les dossiers sont différents.

[36]  En l’espèce, aucune question n’a été soulevée concernant l’admissibilité des éléments de preuve soumis par le demandeur, à l’appui de sa demande d’ERAR. Cela n’est pas surprenant. Ses éléments de preuve concernent des circonstances qui sont survenues après le rejet de la demande d’asile présentée en 2013, à savoir, les expériences de première main du demandeur et de sa famille après leur retour en Hongrie et, ce que le demandeur soutient, soit les conditions qui se sont détériorées pour les Roms depuis 2013. Les nouveaux éléments de preuve sont directement liés aux questions que l’agente d’ERAR devait trancher. Dans ces circonstances, l’agente aurait dû examiner depuis le début, d’après le dossier dont elle disposait, la question de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Au lieu de cela, l’agente a traité la conclusion de la SPR, selon laquelle la protection de l’État accessible au demandeur en Hongrie est adéquate, comme quelque chose que le demandeur devait « réfuter ». Cependant, la conclusion de la SPR a été rendue en se fondant sur un dossier différent, dans le contexte d’une demande d’asile présentée principalement par le père du demandeur, qui soulevait chez la SPR d’importantes préoccupations quant à la crédibilité, en ce qui concerne aussi bien ses allégations de persécution que les démarches qu’il a allégué avoir prises pour demander réparation devant cette persécution en Hongrie avant que la famille ne s’enfuie en 2011.

[37]  Cette lacune dans l’approche de l’agente ressort aussi dans sa conclusion voulant que les éléments de preuve invoqués par le demandeur ne l’aient pas « convaincue » que les conditions en Hongrie avaient « changé à un point tel que les mécanismes invoqués par la SPR dans son rejet ne sont plus adéquats ». Je ne conteste pas que le critère approprié dans une analyse de la protection de l’État commande une évaluation du caractère approprié de cette protection sur le plan opérationnel (Lakatos, au paragraphe 21; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, aux paragraphes 32 et 33; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, au paragraphe 18). L’analyse doit être axée non seulement sur les efforts de l’État, mais aussi sur les résultats réels obtenus au moment de la demande de protection (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, aux paragraphes 5 et 6). Comme il incombait au demandeur de s’acquitter du fardeau de réfuter la présomption d’existence d’une protection étatique dans ces termes, dans les circonstances en l’espèce, l’agente n’aurait pas dû présenter cette question comme si le demandeur avait l’obligation de la convaincre de parvenir à une conclusion différente de celle à laquelle la SPR était parvenue quatre ans plus tôt.

[38]  Comme il est mentionné ci-dessus, selon que la présomption relative à la protection de l’État a été réfutée dans une affaire donnée et que cette conclusion survit au contrôle judiciaire dépendent de la preuve dont dispose le décideur dans cette affaire précise et de la façon dont il l’a examinée. En l’espèce, l’agente a exigé que le demandeur réfute la présomption relative à la protection de l’État, mais aussi qu’il contourne la conclusion précédente de la SPR voulant que le demandeur ait obtenu une protection adéquate de l’État en Hongrie. Cette conclusion a toutefois été tirée dans une instance distincte et en se fondant sur un dossier différent. En prenant en compte la conclusion de la SPR sur la protection de l’État dans son analyse comme elle l’a fait, l’agente a commis une erreur susceptible de révision. En conséquence, sa décision ne peut être confirmée.

VII.  CONCLUSION

[39]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’ERAR datée du 13 septembre 2017 est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour un nouvel examen.

[40]  Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification. Je conviens que cette affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5238-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agente d’immigration principale, datée du 13 septembre 2017, est annulée et l’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre agent d’immigration.

  3. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5238-17

 

INTITULÉ :

MARK SZALAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er octobre 2018

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

Pour le demandeur

 

Gordon Lee

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stephanie Fung

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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