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Date : 20180928


Dossier : IMM-500-18

Référence : 2018 CF 967

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2018

En présence de  monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JUAN CARLOS MADRIGAL RAMIREZ,

JIHAN CAMPILLO BARRIOS ET

CARLOS MADRIGAL CAMPILLO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et d’annulation de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) pour les motifs ci-dessous.

[2]  M. Madrigal Ramirez (Juan) est citoyen mexicain. Avant d’arriver au Canada, il vivait dans l’État de Veracruz, au Mexique. En janvier 2017, des membres de l’organisation criminelle Los Zetas l’ont kidnappé à son atelier de mécanique. Au moment de l’enlèvement, la police est intervenue : un ravisseur a été tué, et deux autres ont été arrêtés. Juan a fait une déposition à la police. Peu de temps après, les membres de sa famille et lui-même ont commencé à recevoir des appels et des textos de menaces qui provenaient, selon eux, de membres de Los Zetas. Depuis, la police a libéré les kidnappeurs, apparemment après avoir reçu un pot-de-vin de Los Zetas.

[3]  Juan et les membres de sa famille ont présenté une demande d’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande, en faisant valoir qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger parce qu’ils avaient toujours accès à la protection de l’État, et parce qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur à Cancún, au Mexique.

[4]  En ce qui concerne la protection assurée par l’État, la SPR a justifié la décision qu’elle a rendue en invoquant le fait que, selon elle, les agents de persécution étaient des « voyous » et non des membres de la bande Los Zetas. En appel, la SAR, en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve, a reconnu que les agents de persécution étaient des membres de la bande Los Zetas et elle a demandé s’il existait une autre possibilité de refuge intérieur (PRI) pour cette famille à Cancún, au Mexique.

[5]  Voici la conclusion de la SAR au paragraphe 31 de ses motifs, où elle confirme la décision de la SPR : [TRADUCTION] « Comme les Zetas n’exercent pas leurs activités à Cancún, la protection assurée par l’État contre les Zetas ne pose pas de problème. »

[6]  Pour arriver à cette conclusion, la SAR a examiné le cartable national de documentation et s’est largement appuyée sur le rapport 7.7 : Mexico, Organized Crime and Drug Trafficking Organizations (crime organisé et organisations de trafic de stupéfiants au Mexique, en anglais seulement), préparé par le service de recherche du Congrès (le « Rapport »).

[7]  D’après le Rapport, la SAR a résumé la situation ainsi : la base opérationnelle de Los Zetas est située dans l’État de Veracruz et, bien que le groupe ait déjà été très puissant, c’est moins le cas aujourd’hui. La SAR a ensuite fait remarquer que Cancún se trouve dans l’État de Quintana Roo, où Los Zetas ne mènerait pas d’activités. De plus, elle a conclu que Quintana Roo est la « base principale » du cartel du Golfe et elle a déclaré que ces deux entités se disputent violemment le contrôle des états du nord-est du Mexique :

[TRADUCTION]

Cette rivalité amère entre les Zetas et le cartel du Golfe m’indique qu’il est plutôt improbable que les Zetas s’aventurent sur le territoire du cartel pour aucune raison autre que pourchasser les appelants ici ou s’en prendre à eux. Il serait certainement improbable que le Cartel du Golfe coopère avec les Zetas de quelque façon que ce soit pour exposer les appelants à quelque danger que ce soit de la part des Zetas.

[8]  Dans le cas qui nous occupe, Il faut trancher uniquement sur le caractère raisonnable de la décision rendue par la SAR selon laquelle Cancún a offert à cette famille une PRI viable devant la menace que représentait Los Zetas.

[9]  Je conviens avec les demandeurs que la décision de la SAR concernant une PRI est fondée sur les quatre prémisses discutables suivantes :

  1. La base principale de Los Zetas se trouve dans l’État de Veracruz;

  2. Cancún est la base principale du Cartel du Golfe;

  3. Le Cartel du Golfe et Los Zetas luttent pour prendre le contrôle de la partie nord-est du Mexique et

  4. Ni l’un ni l’autre ne se rendront dans le territoire de leur ennemi.

[10]  Quant à la première prémisse, on trouve aux pages 17 à 19 du Rapport, une présentation sommaire de la bande Los Zetas. Il n’est fait aucune référence à la base d’attache de Los Zetas dans cette section ou ailleurs dans le Rapport. En fait, sur la carte à la page 11 du Rapport, on voit que le cartel Jalisco Nueva Generación occupe également un territoire dans l’État de Veracruz, y compris dans les environs de la ville de Veracruz. Je suis également d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il s'agit d’une erreur mineure de la part de la SAR.

[11]  Quant à la deuxième prémisse, rien dans le Rapport n’indique pas que Cancún est la base du Cartel du Golfe. En fait, à la page 16 du Rapport, on peut lire que sa base opérationnelle se situe dans la ville de Matamoros, Tamaulipas, en bordure des États-Unis d’Amérique. D’après la carte du rapport, elle semble être à plus de 2 000 kilomètres de Cancún. Plus important encore, bien que cette carte montre que le Cartel du Golfe occupe une place prédominante dans l’État de Quintana Roo, où se trouve Cancún, elle montre qu’à Cancún même, c’est le Cartel Sinaloa qui occupe une place importante ou qui se renforce, et non le Cartel du Golfe. Il semble que la SAR ait simplement mal lu la carte.

[12]  Pour ce qui est de la troisième prémisse, le Rapport indique à la page 16 que le Cartel du Golf et Los Zetas luttent pour prendre le contrôle des régions du nord-est du Mexique.

[13]  Quant à la quatrième prémisse, je ne trouve dans le Rapport rien qui confirme que les membres du Cartel du Golfe et de Los Zetas n’oseront jamais pénétrer dans le territoire de leur ennemi. Dans son ensemble, il illustre le caractère fluide de ces organisations criminelles et la rivalité féroce, souvent fatale que ces deux groupes entretiennent. Par conséquent, rien n’étaie la conclusion selon laquelle Los Zetas ne traverserait pas le territoire du Cartel du Golfe pour atteindre Cancún. Il semble que ce soit une spéculation de la part du commissaire de la SAR. C’est donc déraisonnable.

[14]  Je suis d'accord avec les demandeurs pour dire qu’il y a amplement de preuves dans le dossier de collusion entre la police et les organisations criminelles, y compris Los Zetas, et de la force de Los Zetas. Même si Los Zetas est moins forte que les années précédentes, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une organisation faible qui ne serait pas en mesure de retracer les demandeurs et de prendre contact avec eux si elle le désirait.

[15]  Le défendeur demanderait à la Cour de déterminer, en analysant la situation, si Cancún offre une PRI à cette famille en fonction du dossier et s’appuie sur la décision rendue dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. Avec égards, le jugement de la juge Abella indique clairement, au paragraphe 15, que la cour ne doit pas « substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ». En l’espèce, le défendeur demande à la Cour de substituer ses propres motifs à la conclusion de la SAR. Ce n’est pas son rôle.

[16]  Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-500-18

Il EST DU JUGEMENT DE LA COUR que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour qu’un commissaire différent rende une décision. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-500-18

 

INTITULÉ :

JUAN CARLOS MADRIGAL RAMIREZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AOÛT 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Simon Wallace

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon Wallace

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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