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Date : 20181002


Dossier : T-624-17

Référence : 2018 CF 974

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

CONTRE LE NAVIRE « COSCO PACIFIC »

ET ACTION PERSONNELLE

ENTRE :

GRAYMAR EQUIPMENT (2008) INC. FRASER RIVER PILE & DREDGE (GP) INC.

demanderesses

et

COSCO PACIFIC SHIPPING LTD.,

COSCO SHIPPING LINES CO. LTD. ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS LE NAVIRE « COSCO PACIFIC »

ET WARREN JAGER

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le matin du 28 octobre 2016, le Cosco Pacific a mal évalué sa manœuvre d’accostage au quai du terminal à conteneurs Fairview à Prince Rupert. Le navire est entré dans la zone où un prolongement de quai était en cours de construction et a heurté le chaland des demanderesses, le FRPD Rupert qui à son tour, a poussé leur barge-grue, le T.L. Sharpe sous le front d’accostage. Les béquilles du T.L. Sharpe étaient en position abaissée afin de l’amarrer au fond et ont été endommagées. Il a fallu huit jours pour les réparer.

[2]  Les demanderesses ont entrepris une action réelle contre le navire et une action en personne contre les propriétaires du navire et le pilote de celui-ci, Warren Jager. La demande porte sur le coût des réparations, les pertes d’exploitation et d’autres dépenses qui n’auraient pas été engagées en temps normal. Après une série d’interrogatoires préalables, M. Jager a admis sa responsabilité. Un jugement convenu de 1 000 $, plus intérêts et dépens, a été rendu contre lui le 8 juin 2018, soit la limite de sa responsabilité en vertu de la Loi sur le pilotage.

[3]  Le 29 juin 2018, les demanderesses ont présenté une requête en jugement à la suite d’un procès sommaire contre les autres défendeurs (les défendeurs Cosco) tant sur la responsabilité que sur le montant. Le principal réclamé était de 513 955,53 $.

[4]  Les éléments de preuve présentés au sujet du montant comprenaient les affidavits de Michael Logan, qui était directeur des travaux maritimes au terminal à conteneurs Fairview, et de Todd Braconnier, un ingénieur maritime qui a évalué les dommages et examiné les factures des réparations.

[5]  Le 31 juillet 2018, les défendeurs Cosco ont déposé leur dossier de requête, dans lequel ils reconnaissent leur responsabilité. Ils ne se sont pas engagés quant coût des réparations, hormis leur allégation selon laquelle une partie de la demande a été dédoublée. En ce qui concerne les parties de la demande portant sur les pertes d’exploitation et les frais supplémentaires, ils ont soutenu que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées du fardeau de la preuve qui leur incombait.

[6]  Les demanderesses ont par la suite réduit leur demande de 31 320 $.

[7]  Les présents motifs sont ainsi répartis :

  • (a) un procès sommaire est-il approprié?

  • (b) la nature de la demande;

  • (c) les parties;

  • (d) l’analyse et la disposition;

  • (e) les intérêts;

  • (f) les dépens

I.  Un procès sommaire est-il approprié?

[8]  Nos règles prévoient à la fois des jugements sommaires et des procès sommaires. Les jugements sommaires existent depuis 1978, tandis que la règle 216, qui porte sur les procès sommaires, ne date que de 2009. La partie qui présente une requête en procès sommaire doit déposer un dossier contenant tous les éléments de preuve sur lesquels elle veut se fonder. La preuve est habituellement présentée sous forme d’affidavits. Toutefois, la Cour a le pouvoir d’exiger qu’un souscripteur d’affidavit se présente à la Cour pour un contre-interrogatoire. Une inférence défavorable peut être tirée du fait qu’une partie omet de mener un contre-interrogatoire sur un affidavit ou de déposer une contre-preuve.

[9]  La règle 216, telle que rédigée et interprétée par notre Cour, prévoit différents recours selon que le procès sommaire est approprié ou non.

[10]  La Cour peut rejeter la requête si elle est convaincue que les questions soulevées ne conviennent pas à un procès sommaire ou qu’un tel procès ne contribuerait pas à une solution de l’affaire efficiente.

[11]  Par contre, s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour rendre une décision, la Cour peut prononcer un jugement à la suite du procès sommaire, soit sur l’ensemble de l’affaire, soit sur une question particulière. Les questions qui ne sont pas tranchées dans le jugement du procès sommaire peuvent faire l’objet d’une ordonnance d’instruction complète. La Cour peut également ordonner un renvoi en vertu de la règle 153 pour déterminer le montant des dommages-intérêts.

[12]  Il y a beaucoup de jurisprudence à ce sujet, car les requêtes en jugement sommaire et les requêtes en procès sommaires sont fréquemment présentées non seulement devant la Cour, mais aussi devant les cours supérieures des provinces. La plupart de la jurisprudence mais pas l’ensemble de celle-ci, traite des jugements sommaires.

[13]  La décision de principe à ce sujet est sans aucun doute l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Cette affaire, en appel de la Cour d’appel de l’Ontario, portait sur des jugements sommaires. La Cour suprême a mis l’accent sur le principe de la proportionnalité afin d’obtenir la décision la plus juste, la plus rapide et la moins coûteuse à partir d’une procédure sur le fond. Notre règle 3 va dans le même sens.

[14]  Il faut tenir compte de la nature et de la complexité de l’action.

[15]  S’exprimant au nom de la Cour suprême, la juge Karakatsanis a déclaré ce qui suit aux paragraphes 31 et 32 :

[31] Même si la proportionnalité n’est pas expressément codifiée, l’application de règles de procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [traduction] » englobe [. . .] un principe sous‑jacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du litige » : Szeto c. Dwyer, 2010 NLCA 36, 297 Nfld. & P.E.I.R. 311, par. 53.

[32] Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité. La requête en jugement sommaire peut permettre d’économiser temps et ressources, mais, à l’instar de la plupart des procédures préalables au procès, elle peut ralentir l’instance si elle est utilisée de manière inappropriée. Bien que les juges puissent contribuer à la réduction de ce risque, et devraient le faire, les avocats doivent, conformément aux traditions de leur profession, agir de manière à faciliter plutôt qu’à empêcher l’accès à la justice. Ils devraient ainsi tenir compte des moyens limités de leurs clients et de la nature de leur dossier et élaborer des moyens proportionnés d’arriver à un résultat juste et équitable.

[16]  Une décision éclairante en ce sens de notre Cour, rendue dernièrement par le juge Zinn, se trouve dans l’affaire Kaska Dena Council c. Canada, 2018 CF 218, qui portait également sur une requête en jugement sommaire. En invoquant beaucoup de précédents, notamment l’arrêt Hryniak ci-dessus, le juge Zinn a souligné qu’en vertu de nos règles, la Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. Ces précédents soutiennent le postulat qu’il n’existe pas véritablement de question en litige si la requête permet au juge de faire les constatations nécessaires quant aux faits et qu’elle lui permet d’appliquer le droit aux faits de la cause, ce qui constitue une façon proportionnée, expéditive et moins onéreuse de procéder.

[17]  Afin de permettre au juge de tirer les conclusions nécessaires à la décision, les deux parties sont tenues, dans le cadre d’un jugement sommaire ou d’une requête en procès sommaire, de présenter leurs meilleurs éléments de preuve.

[18]  En l’espèce, lorsque les demanderesses ont demandé un procès sommaire, la question de la responsabilité était en litige. La responsabilité a maintenant été admise par les défendeurs. Compte tenu des principes énoncés ci-dessus, je suis convaincu que l’on devrait procéder par voie de procès sommaire et non par renvoi pour l’établissement du montant de la demande. En fait, les défendeurs adhèrent à ce concept. Ils soutiennent vigoureusement que les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau de la preuve qui leur incombait, sauf en ce qui concerne le coût des réparations.

II.  La nature de la demande

[19]  La demande comporte quatre volets. Le premier volet porte sur le coût des réparations de 187 865,51 $.

[20]  Le deuxième volet concerne les pertes d’exploitation. La demande ne vise pas la privation de jouissance du T.L. Sharpe, mais plutôt la perte d’exploitation d’une autre barge-grue marine appartenant aux demanderesses, le Peter D. Anderson. Cette barge avait des capacités différentes. Une fois le travail préparatoire effectué par le T.L. Sharpe, le Peter D. Anderson prenait la relève.

[21]  En attendant les réparations, le Peter D. Anderson aurait été inactif pendant 8 jours ou 80 heures. Selon la preuve, elle était utilisée dans le Lower Mainland de la province. Pendant ces 80 heures, on aurait utilisé ses compresseurs et son équipement de forage. De même, un autre chaland aurait été utilisé. Enfin, l’opérateur et le mécanicien de pont du Peter D. Anderson n’ont pu être réaffectés et ont été rémunérés pendant les 8 jours en question. La demande relative à cet équipement est basée sur un taux de disponibilité plutôt qu’un taux de plein fonctionnement.

[22]  La demande totale sous cette rubrique était de 217 864 $. Elle doit maintenant être réduite de 31 320 $, comme je l’explique ci-après, pour un total de 186 544 $.

[23]  Le troisième volet a trait au personnel de supervision, de construction et d’administration qui a dû rester sur place huit jours de plus qu’en temps normal. Le montant demandé est de 75 812,01 $ pour la rémunération de ces personnes, plus des frais généraux de 15 %, pour un total de 87 183,82 $.

[24]  Enfin, une somme de 21 042 $ est demandée à titre de coûts indirects engagés pour l’entretien des installations, des routes d’accès et des bureaux et la sécurité du chantier pendant huit jours supplémentaires.

III.  Les parties

[25]  Les chalands, les barges-grues marines et, en fait, tout l’équipement utilisé pour la portion maritime du chantier de construction appartenaient à Graymar, une filiale en propriété exclusive de l’autre demanderesse, Fraser River. Cet équipement a été loué (ou affrété coque-nue, en d’autres termes) à Fraser River par Graymar. Fraser River, à titre de baillaire, a le droit d’intenter des poursuites tant en ce qui concerne les coûts de réparation que les pertes d’exploitation (affaire Oceanex Inc c. Praxair Canada Inc, 2014 CF 6, au paragraphe 8; affaire The Winkfield, [1902] P 42, 9 asp MLC 259, [1900-3] All ER Rep 346).

[26]  Graymar, en tant que propriétaire, a également le droit d’entreprendre une poursuite en ce qui concerne le coût des réparations. Les baux n’ayant pas été interrompus, celle-ci n’a subi aucune perte effective. Si elle avait recouvré des frais, il aurait fallu qu’elle en rende compte à Fraser River. Voir l’affaire The Winkfield ci-dessus. La solution consiste simplement à déclarer qu’elle avait la qualité pour agir.

[27]  Les autres défendeurs en matière personnelle sont Cosco Pacific Shipping Ltd., le propriétaire inscrit admis du navire Cosco Pacific, et Cosco Shipping Lines Co. Ltd., alléguée dans la demande et admise dans la défense en tant que propriétaire bénéficiaire du navire. Cependant, aucun détail n’a été donné quant à la signification de cette propriété bénéficiaire dans son contexte. On m’a dit qu’une caution a été versée pour les deux défendeurs. Dans les circonstances, il convient que les défendeurs Cosco soient conjointement et individuellement responsables.

IV.  L’analyse et la disposition

[28]  Les défendeurs n’ont pas contre-interrogé M. Logan ou M. Braconnier sur leurs affidavits. Cependant, ils ont bel et bien déposé l’interrogatoire préalable de M. Logan. Les défendeurs ont appris au cours de cet interrogatoire que le Peter D. Anderson avait été utilisé pour effectuer une partie des réparations et que, par conséquent, il n’avait pas été pas inactif pendant huit jours. Cela a entraîné une réduction de 31 320 $ de la demande pour pertes d’exploitation.

[29]  Les factures afférentes aux réparations sont toutes énumérées dans l’affidavit de M. Braconnier et, selon M. Logan, elles ont toutes été remises aux défendeurs. La Cour n’en a pas été saisie. Le résumé de ces factures de M. Braconnier indique qu’une bonne partie des travaux de réparation ont été effectués par Fraser River. Il n’est pas indiqué au dossier si celle-ci a facturé des tarifs normaux ou simplement des coûts décaissés.

[30]  Il est bien établi qu’une partie peut effectuer ses propres réparations et réclamer le coût de la main-d’œuvre, ainsi que, notamment, l’indemnisation des accidentés du travail, l’assurance-chômage, l’indemnité de vacances, de même qu’une majoration raisonnable pour tenir compte des coûts indirects. Toutefois, la partie ne peut réaliser de bénéfice (affaire La Compagnie de Téléphone Bell du Canada c Montreal Dual Mixed Concrete Ltd (1960), 23 DLR (3d) 346, [1959] RL 425 (CAQ); affaire Air Canada c. Canada (1989), 28 FTR 148; affaire Société Telus Communications c. Peracomo Inc, 2011 CF 494, 389 FTR 196). Bien que cette dernière affaire ait été confirmée en appel : 2012 CAF 199, 433 NR 152, et modifiée par la Cour suprême en 2014 : CSC 29, [2014] 1 RCS 621, ce point particulier n’a été pris en considération qu’en première instance.

[31]  Dans leur mémoire, les défendeurs indiquent qu’ils ne s’engagent pas sur le coût des réparations. Étant donné que nous sommes dans un système accusatoire et non inquisitoire, la Cour n’approfondira pas l’affaire de sa propre initiative et accepte donc le coût des réparations du T.L. Sharpe, soit 187 865,51 $.

[32]  La véritable controverse porte sur les trois autres chefs de dommages. Le point de départ est le suivant : en l’absence d’une loi contraire à cet effet, il incombe au demandeur de prouver le bien-fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités (arrêt F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41).

[33]  Les défendeurs ont cité un grand nombre de précédents selon lesquels un demandeur qui demande des pertes d’exploitation et des frais supplémentaires dans un contexte d’activité maritime doit prouver le bien-fondé de sa cause avec une certitude raisonnable : voir par exemple l’arrêt Canada c. Saint John Tug Boat Co., 1946 RCS 466 et l’affaire Soya [1956] 1 WLR 714, confirmée par la Cour d’appel anglaise, [1956] 2 All ER 393. On fait aussi référence à The Law of Damages de Waddams, édition en feuillets mobiles, aux paragraphes 1.1950 et suivants, qui traitent de la perte de bénéfice découlant de l’utilisation d’un bien qui génère des revenus. En termes généraux, les défendeurs soutiennent que les demanderesses n’ont pas prouvé quelles activités le Peter D. Anderson aurait entreprises et à quel taux. Autre point soulevé : dans son interrogatoire préalable, M. Logan a peut-être indiqué que les versements effectués au personnel de supervision de la construction et au personnel de l’administration comprenaient une marge de profit, à laquelle on a ajouté des coûts indirects de 15 %.

[34]  Les calculs afférents à la demande ont été établis dans une feuille de calcul jointe à l’affidavit de M. Logan. Rien n’indique qu’il ait lui-même préparé cette feuille de calcul. Les défendeurs ont fait référence à la règle 81 des Règles des Cours fédérales. Bien que les affidavits menant à la décision finale d’une affaire devraient se limiter aux faits dont le déposant est personnellement au courant, la règle 81 prévoit expressément une exception en ce qui concerne les requêtes pour les jugements sommaires et les procès sommaires. Dans ce contexte, les déclarations quant à ce que le souscripteur estime sont permises.

[35]  Selon M. Logan, la demande ayant trait au Peter D. Anderson est fondée sur un taux horaire normal de disponibilité de 558,75 $ plutôt qu’au taux normal de rémunération de 745 $. De même, des tarifs de disponibilité ont été facturés pour le compresseur et l’équipement de forage. Son témoignage selon lequel le Peter D. Anderson était engagé dans des activités n’a pas été contredit. J’accepte le montant réclamé de 217 834 $, moins les 31 320 $ mentionnés ci-dessus, pour un total de 186 544 $.

[36]  En ce qui concerne les versements effectués au personnel, selon les défendeurs, on aurait dû produire des éléments de preuve provenant du service de la paie et des avis d’experts quant aux pratiques comptables appropriées, comme ce fut le cas dans l’affaire Compagnie de Téléphone Bell du Canada citée ci-dessus et l’affaire Apotex Inc c H Lundbeck A/S, 2013 CF 192, 111 CPR (4th) 171. Toutefois, ces affaires ne portaient pas sur une requête en procès sommaire. À la suite de l’arrêt Hryniak, j’en viens à la constatation que « les temps changent ». Le changement de culture est indéniable.

[37]  M. Logan était directeur de chantier. Il était certainement au courant des exigences du travail, de l’équipement à utiliser et du personnel de supervision de la construction et du personnel de l’administration qui est demeuré en poste pendant huit jours de plus. Il serait excessif d’exiger que le directeur de la paie produise des éléments de preuve.

[38]  Plus précisément, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’avoir des preuves d’experts pour appuyer une demande de remboursement de coûts indirects raisonnables. Voir l’affaire Société Telus ci-dessus. Toutefois, les demanderesses n’ayant fourni aucune ventilation quant à la façon dont le montant demandé a été établi, j’ai donc réduit les coûts indirects de 15 % à 10 %.

[39]  Ainsi, en ce qui concerne la demande de remboursement pour le personnel de supervision de la construction et le personnel d’administration, j’autorise 83 393,21 $ plutôt que le montant réclamé de 87 183,82 $ pour tenir compte de la diminution de 5 % des coûts indirects.

[40]  Même s’il y a peut-être eu une certaine confusion dans l’interrogatoire préalable sur les éventuels bénéfices, l’affidavit subséquent de M. Logan indique clairement que les montants demandés avant coûts indirects correspondaient effectivement aux montants dus aux employés. Il n’était pas nécessaire de produire des talons de chèque de paie, à moins que les défendeurs n’en aient exigé la production au moyen d’un contre-interrogatoire ou que les montants demandés aient été contredits par d’autres éléments de preuve produits par les défendeurs.

[41]  Comme l’a déclaré le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour suprême, dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 aux paragraphes 82 et 84, il n’est pas déraisonnable pour une cour d’accepter des éléments de preuve peu nombreux d’une partie en contrepartie de l’absence de preuve de l’autre partie :

82 La preuve de contrefaçon n’est pas très satisfaisante. Les appelantes ont refusé de faire décrire par un témoin le mécanisme d’entraînement utilisé dans leurs machines visées par les allégations de contrefaçon, et ont préféré plaider simplement l’insuffisance de la preuve présentée par les intimées [...]

[je souligne]

84 Même s’il pouvait s’agir d’une bonne tactique, le fait que les appelantes aient invoqué le fardeau de preuve a placé la cour dans une position difficile. Même si elle était mince, la preuve de contrefaçon présentée par les intimées a été soupesée en fonction d’une absence totale de preuve contraire. La Cour d’appel fédérale a conclu que la preuve sur bande vidéo étayait la déduction qu’il y avait entraînement continu en plus de la rotation continue observée. J’estime que, en l’absence de tout élément de preuve contraire présenté par GE, la cour pouvait utiliser cette déduction pour conclure qu’il y avait, en fait, contrefaçon de la revendication relative à l’entraînement continu.

[42]  Enfin, le dernier élément de 21 042 $ a trait à la sécurité du chantier, l’entretien des routes d’accès, l’entretien des installations et le bureau de l’entrepreneur. Selon le dossier, le chantier consistait en une entente de coentreprise entre Fraser River et Bel Contracting. Bel devait effectuer la partie terrestre des travaux et Fraser River, la partie maritime de ceux-ci. Fraser River a entamé ses travaux en juin 2015. Il en peut être clairement déterminé à quel moment sa partie des travaux a été achevée. Selon un avis à la navigation concernant la zone de travail sécuritaire, la partie maritime des travaux devait durer jusqu’en juillet 2017. Le Peter D. Anderson a été affecté au chantier pendant environ un an et demi. Il existe beaucoup trop de variables pour dire avec certitude que la suspension des activités de Fraser River a été prolongée de huit jours à cause du Cosco Pacific. Cet élément est rejeté.

[43]  Par conséquent, la demande accordée se chiffre à 457 802,72 $, ventilée comme suit :

  • (a) coût des réparations : 187 865,51 $;

  • (b) pertes de bénéfice afférente au Peter D. Anderson : 186 544 $;

  • (c) personnel de supervision de construction et personnel d’administration : 83 393,21 $;

  • (d) coûts indirects : 0 $.

V.  Les intérêts

[44]  Les demanderesses recherchent « un intérêt applicable en amirauté au taux préférentiel composé semestriellement ». Selon les chiffres produits par la Banque Toronto-Dominion, le taux préférentiel de celle-ci à la date de l’allision [traduction] « collision » (terme américain décrivant le contact entre un objet mobile et un objet fixe) était de 2,70 %. Ce taux a par la suite grimpé à 3,70 %, mais au moment de l’instruction, il atteignait 3,45 %.

[45]  Selon les calculs des demanderesses, validés par les défendeurs, les intérêts accumulés sur la somme en capital de 457 802,72 $, calculés au taux préférentiel bancaire pondéré composé semestriellement jusqu’au 12 septembre 2018, se chiffrent à 26 838,77 $, plus intérêts quotidiens supplémentaires par la suite de 43,27 $ jusqu’au jugement. Les dommages ne sont pas tous survenus au moment de l’allision [traduction] « collision ». Cependant, il serait aberrant de procéder à un ensemble de calculs fondés sur des montants différents commençant à courir à partir de dates légèrement différentes. Tous les intérêts avant jugement commenceront à courir à compter du 28 octobre 2016.

[46]  L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales porte sur les intérêts avant jugement, mais ne s’applique pas spécifiquement aux questions découlant du droit maritime canadien, comme c’est le cas ici.

[47]  La Cour a souvent accordé des intérêts composés avant jugement. Elle a aussi accordé des intérêts simples. En droit maritime canadien, l’attribution des intérêts avant jugement sur les dommages est ultimement laissée à l’appréciation de la Cour (affaire Cie de Téléphone Bell du Canada c. Mar-Tirenno (Le), [1974] 1 CF 294; affaire Kuehne + Nagel Ltd c. Agrimax Ltd, 2010 CF 1303). Je souscris généralement à l’opinion qu’il faut faire la preuve de la nécessité d’appliquer des intérêts composés pour remettre les demanderesses dans la situation antérieure, comme il en est fait état dans les affaires suivantes : Alcan Aluminium Ltd c. Unican International SA, [1996] A.C.F. n° 843, 113 FTR 81 et Elders Grain Co. Ltd. c. Ralph Misener (Navire) 2004 CF 1285. Toutefois, si les demanderesses n’avaient demandé que des intérêts, j’aurais accordé des intérêts simples au taux légal de 5 %, comme le prévoit la Loi sur l’intérêt. Puisque les intérêts demandés sont inférieurs à cela, j’accorderai les intérêts avant jugement demandés par les demanderesses.

[48]  Pour ce qui est de l’intérêt après jugement, lorsqu’une cause d’action se limite à une seule province, ce qui semble être le cas ici, le paragraphe 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit l’application de la loi provinciale. L’article 7 de la Court Order Interest Act de la Colombie-Britannique prévoit un taux d’intérêt simple égal au taux préférentiel d’une banque pour un prêt consenti au gouvernement. Cependant, l’article 8 de cette loi prévoit que la Cour peut modifier ce taux. J’utiliserai le taux de 3,45 %.

[49]  Le jugement est de 457 802,72 $, avec des intérêts avant jugement de 26 838,77 $ courus jusqu’au 12 septembre 2018 et des intérêts quotidiens de 43,27 $. Les intérêts après jugement s’appliquent aux dommages et aux intérêts avant jugement au taux annuel simple de 3,45 %.

VI.  Dépens

Les deux parties ont demandé que les coûts ne soient traités qu’après la présentation des présents motifs et jugement. L’une ou l’autre des parties peut donc demander des directives en vertu de la règle 403 dans les 30 jours qui suivent. L’avocat de M. Jager doit être avisé, car le jugement rendu contre ce dernier prévoit que les dépens qui lui sont imposés doivent être tranchés après ce jugement, et ce, sous réserve de son droit de demander une répartition.


JUGEMENT dans le dossier T-624-17

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS, LA COUR ORDONNE :

  1. Bien que Graymar Equipment (2008) Inc. ait une cause d’action valide contre les défendeurs, étant donné qu’elle n’a subi aucun dommage, l’action est rejetée, sans dépens.

  2. Le navire Cosco Pacific, Cosco Shipping Ltd. et Cosco Shipping Lines Co. Ltd. sont condamnés conjointement et individuellement à payer à Fraser River Pile & Dredge (GP) Inc. la somme de 485 506,89 $, constituée de dommages-intérêts de 457 802,72 $ et d’intérêts avant jugement de 27 704,17 $.

  3. Les intérêts commencent à courir depuis le jugement au taux annuel de 3,45 %, jusqu’au paiement de ceux-ci.

  4. À défaut de paiement, le navire Cosco Pacific doit être vendu et Fraser River Pile & Dredge (GP) Inc. doit être payée sur le produit de cette vente.

  5. Les dépens peuvent être adjugés conformément au paragraphe 50 des motifs ci-joints.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-624-17

 

INTITULÉ :

GRAYMAR EQUIPMENT (2008) INC. FRASER RIVER PILE & DREDGE (GP) INC. c. COSCO PACIFIC SHIPPING LTD., COSCO SHIPPING LINES CO. LTD. ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS LE NAVIRE « COSCO PACIFIC » ET WARREN JAGER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

David F. McEwen, c.r.

POUR LES DEMANDERESSES

Daniel H. Coles

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander, Holburn, Beaudin + Lang LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Owen Bird Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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