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Date : 20180927


Dossier : IMM-236-18

Référence : 2018 CF 954

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

CHUNYING LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’un contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle un agent a refusé le 22 décembre 2017 de délivrer à Chunying Liu [la demanderesse] un permis de travail. L’agent a refusé de délivrer le permis de travail parce qu’il n’était pas convaincu que l’offre d’emploi était authentique et que la demanderesse était une travailleuse de bonne foi qui quitterait le Canada à la fin de son séjour conformément au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse est née en Chine et elle a 45 ans. Elle a vécu et travaillé en Chine comme directrice des ressources humaines dans une société immobilière et, auparavant, comme administratrice chez Shenyang Maidian Properties Consultancy Co. Ltd depuis au moins 2010. En juin 2015, la fille de la demanderesse a été admise à l’école secondaire New Westminster de Vancouver (Colombie-Britannique) et elle est titulaire d’un permis d’études à cette fin.

[4]  En janvier 2016, la demanderesse s’est rendue au Canada avec sa fille pour l’aider à s’établir avec sa famille d’accueil, soit Li Ying et son mari Liu Guangji, ainsi que leur fils qui avait huit ans à ce moment-là.

[5]  La demanderesse s’était déjà vu refuser un visa canadien. Elle a présenté une nouvelle demande en novembre 2015 et obtenu un visa pour séjours multiples de cinq ans. Elle est également titulaire d’un visa valide pour les États-Unis, délivré pour une période de 10 ans à compter du 15 décembre 2015. Elle n’a jamais prolongé indûment son séjour dans l’une ou l’autre des administrations.

[6]  La demanderesse a déclaré que lorsqu’elle est retournée en Chine après son voyage de janvier 2016, son séjour au Canada lui avait donné l’idée de changer son mode de vie et d’adopter un [traduction] « mode de vie plus tranquille à Vancouver et le rythme de vie plus lent ». La demanderesse a aspiré ainsi à devenir une aide familiale résidante.

[7]  La demanderesse a quitté son emploi pour poursuivre une carrière en garde d’enfants et elle s’est inscrite à la Shenyang Success Solutions Career Training School à Shenyang, en Chine. D’avril 2016 à décembre 2016, elle a fréquenté l’école de formation et elle a terminé les stages pratiques. Elle a obtenu un diplôme d’aide familiale le 5 décembre 2016 dans le cadre du programme de six mois. Elle a ensuite travaillé comme superviseure pédagogique à la Shenyang Aston Educational Training School.

[8]  La famille d’accueil où vivait la fille de la demanderesse a offert à la demanderesse un poste d’aide familiale pour s’occuper de leur fils. Service Canada a émis une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) positive pour un emploi tel que défini dans la Classification nationale des professions [CNP] 4411 (« Gardiens/gardiennes d’enfants en milieu familial ») pour une période de deux ans.

[9]  Le 31 mars 2017, la demanderesse a présenté une demande de visa de résident temporaire et de permis de travail en se basant sur l’EIMT positive. Le 8 mai 2017, un agent a refusé sa demande.

[10]  Le 31 mai 2017, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa demande. La décision a été annulée par consentement et la demanderesse a été invitée à présenter tous les nouveaux documents à prendre en considération lors du nouvel examen de sa demande le 27 novembre 2017. La demande a été refusée lors du nouvel examen le 22 décembre 2017.

[11]  Dans la section des « cases à cocher » de la lettre de refus, l’agent a indiqué ce qui suit :

A. Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour en arriver à cette décision, j’ai tenu compte de divers facteurs, notamment :

  motif du voyage,

  perspectives d’emploi dans le pays de résidence.

[12]  L’agent a conclu que la demanderesse n’était pas une véritable travailleuse qui quitterait le pays à la fin de son séjour et aussi que l’offre d’emploi n’était pas authentique. Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [« SMGC »] sont également pertinentes par rapport à la présente procédure. Le 29 septembre 2017, l’agent a consigné les notes suivantes dans le SMGC :

[traduction] Le dossier a été rouvert aux fins de réexamen. La DP demande un permis de travail avec EIMT pour travailler comme aide familial. La fille de la DP détient un permis d’études et elle étudie au Canada depuis 2015. La DP est également titulaire d’un VRT et elle s’est rendue au Canada pour accompagner sa fille. Les employeurs ont un enfant de huit ans. C’est la famille d’accueil de la fille de la DP. Le contrat de travail ne précise pas les heures de début et de fin de travail, mais seulement que la DP travaillerait 40 heures. L’EIMT n’indique pas une expérience requise, mais précise qu’une expérience de bonne d’enfants et une formation professionnelle comme bonne d’enfants représentent un atout. La DP ne possède aucune expérience de bonne d’enfants, mais elle a suivi un programme en Chine après que sa fille a commencé des études au Canada. La DP indique sur le formulaire « éducation et emploi » qu’elle a travaillé comme superviseure pédagogique d’avril 2016 à mars 2017, mais qu’elle a aussi suivi un « programme d’aide familiale » d’avril 2016 à décembre 2016. J’ai examiné toute la documentation et tous les renseignements fournis dans cette demande. Je ne suis pas convaincu que l’offre d’emploi est authentique. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse est une travailleuse de bonne foi. Demande refusée.

[13]  Les notes du 27 novembre 2017 indiquent que la demanderesse n’a pas eu l’occasion au départ de fournir des documents à jour. Les notes indiquent que la demanderesse a ensuite eu l’occasion de fournir des documents à jour et que, après qu’elle l’ait fait, des notes presque identiques ont été consignées par l’agent (DCT à la page 2) :

[traduction] Dossier rouvert pour une nouvelle décision. Dossier examiné. La DP demande un permis de travail avec EIMT pour travailler comme aide familiale. La fille de la DP est titulaire d’un permis d’études et elle étudie au Canada depuis 2015. La DP est également titulaire d’un VRT et a voyagé au Canada pour accompagner sa fille. Les employeurs ont un enfant de 9 ans et c’est la famille d’accueil de la fille de la DP. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une offre d’emploi authentique, compte tenu du fait que la fille de la DP vit dans la même maison. La DP n’a pas d’expérience d’aide familiale; elle a suivi un programme en Chine après que sa fille a commencé des études au Canada. La DP indique sur le formulaire « éducation et emploi » qu’elle a travaillé comme superviseure pédagogique d’avril 2016 à mars 20l7. Pourtant, elle suivait également un « programme d’aide familial » d’avril 2016 à décembre 2016. J’ai examiné toute la documentation et tous les renseignements fournis dans cette demande. Je ne suis pas convaincu que l’offre d’emploi est authentique. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse est une travailleuse de bonne foi qui quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. Demande refusée.

III.  Question en litige

[14]  La question est de savoir si la décision de rejeter la demande de visa était raisonnable.

IV.  Norme de contrôle

[15]  La jurisprudence a établi solidement que les décisions visant à déterminer si un agent a fait une erreur en rejetant une demande de permis de travail dans les bureaux des visas à l’étranger sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Romero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 265 au paragraphe 11; Samuel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 223 au paragraphe 26).

[16]  La jurisprudence de la Cour a clairement établi que les décisions des agents des visas commandent un degré élevé de retenue, compte tenu de l’expertise unique et spécialisée sur laquelle ils s’appuient pour prendre ces décisions.

A.  Dispositions pertinentes

[17]  Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, s’appliquent à la présente instance :

Délivrance du permis de travail

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

a) l’étranger a demandé un permis de travail conformément à la section 2;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

[…]

Issuance of Work Permits

Work permits

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

(a) the foreign national applied for it in accordance with Division 2;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[…]

Exceptions

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

 […]

Exceptions

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

 […]

Authenticité de l’offre d’emploi

(5) L’évaluation de l’authenticité de l’offre d’emploi est fondée sur les facteurs suivants :

a) l’offre est présentée par un employeur véritablement actif dans l’entreprise à l’égard de laquelle elle est faite, sauf si elle vise un emploi d’aide familial;

b) l’offre correspond aux besoins légitimes en main-d’œuvre de l’employeur;

c) l’employeur peut raisonnablement respecter les conditions de l’offre;

d) l’employeur – ou la personne qui recrute des travailleurs étrangers en son nom – s’est conformé aux lois et aux règlements fédéraux et provinciaux régissant le travail ou le recrutement de main-d’œuvre dans la province où il est prévu que l’étranger travaillera.

Genuineness of job offer

(5) A determination of whether an offer of employment is genuine shall be based on the following factors:

(a) whether the offer is made by an employer that is actively engaged in the business in respect of which the offer is made, unless the offer is made for employment as a live-in caregiver;

(b) whether the offer is consistent with the reasonable employment needs of the employer;

(c) whether the terms of the offer are terms that the employer is reasonably able to fulfil; and

(d) the past compliance of the employer, or any person who recruited the foreign national for the employer, with the federal or provincial laws that regulate employment, or the recruiting of employees, in the province in which it is intended that the foreign national work.

V.  Les arguments des parties

A.  L’argument de la demanderesse

[18]  La demanderesse soutient que la décision était déraisonnable en raison d’un certain nombre d’erreurs. Selon la demanderesse, ces erreurs sont attribuables au fait que les employeurs éventuels de la demanderesse sont les parents de la famille d’accueil de sa fille. La demanderesse a fait valoir que ce fait est devenu un facteur déterminant dans la décision voulant que l’offre d’emploi ne soit pas authentique. La demanderesse a affirmé que, conformément à la jurisprudence de la Cour (Nazir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 553; Guinto Bondoc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 842 au paragraphe 15), un agent ne doit pas tout simplement rejeter la demande parce que l’offre d’emploi vient d’un membre de la famille, mais il doit considérer la « situation globale » pour conclure que l’emploi offert n’est pas authentique.

[19]  La demanderesse fait valoir que l’agent a commis les erreurs supplémentaires suivantes :

  • L’agent a commis une erreur en déclarant qu’elle n’avait pas l’expérience de la garde d’enfants [traduction] « requise » en vertu de la CNP et de l’EIMT. Comme la CNP ne précise pas qu’une telle expérience est nécessaire, l’agent ne devrait pas imputer une telle exigence à la CNP. Subsidiairement, la demanderesse soutient que l’affidavit fait clairement état de sa formation d’enseignante dans une école avec de jeunes enfants et du fait qu’elle ait réussi des cours de formation d’aide familiale, afin de démontrer son expérience en matière de garde d’enfants.
  • L’agent n’a pas expliqué pourquoi la formation et l’expérience de travail de la demanderesse ne suffisaient pas comme [traduction] « expérience d’aide familiale », étant donné les similitudes entre les rôles des superviseurs pédagogiques et des aides familiaux.
  • L’agent a fait abstraction d’éléments de preuve. La demanderesse soutient que l’agent a tiré une conclusion défavorable du fait qu’elle a travaillé comme [traduction] « assistante à l’enseignement » tout en suivant le programme d’aide familial. La demanderesse soutient que la note de l’agent indique clairement qu’en tirant cette conclusion défavorable, il n’a pas tenu compte de la preuve par affidavit. Dans l’affidavit et les pièces jointes, présentés par la demanderesse et dans le DCT, le dossier dont disposait le décideur indiquait que la demanderesse travaillait le soir et les week-ends pendant qu’elle suivait ses cours. Toutefois, l’agent ne fait aucune référence à la pièce pertinente et à l’explication qu’elle a fournie.
  • La demanderesse n’est pas d’accord avec les conclusions défavorables tirées du fait que les heures de travail ne sont pas précisées (voir le paragraphe 36 pour plus de détails). La demanderesse affirme que le manque de précision des heures de travail est simplement un facteur neutre. Il convient également de noter que la lettre de l’employeur éventuel indique que la demanderesse s’occuperait de l’enfant avant et après l’école.
  • La demanderesse soutient qu’il est déraisonnable de conclure que l’offre d’emploi n’est pas authentique, étant donné l’explication qu’elle a fournie des raisons pour lesquelles elle a choisi de changer d’emploi. Étant donné qu’il n’y a aucune exigence relative à l’expérience en matière d’aide familial dans la CNP, aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée d’un manque comparable d’expérience en raison de son parcours de vie et de ses expériences positives plus récentes d’apprentissage de la garde d’enfants et d’acquisition de compétences pratiques. De toute façon, il s’agit d’une profession peu spécialisée et la demanderesse possède des qualifications pertinentes et elle a travaillé avec des enfants. Ces compétences sont confirmées par les rapports de stage, les photos et les relevés d’emploi présentés en preuve dans le DCT.
  • Enfin, la demanderesse est déjà titulaire d’un visa et elle peut rendre visite à sa fille à tout moment qui lui convient. Par conséquent, en ce qui concerne l’authenticité de l’offre d’emploi, pourquoi la demanderesse demanderait-elle un permis de travail si elle ne voulait pas travailler? La demanderesse soutient que le processus de deux ans pour devenir résidente permanente dans le cadre du PAFR n’est plus une option.

B.  Argument du défendeur

[20]  Le défendeur soutient que l’agent devait examiner trois facteurs principaux, à savoir que la demanderesse n’avait pas d’expérience comme aide familiale, que sa fille résidait dans la maison des employeurs éventuels et qu’elle a suivi le cours d’aide familial seulement après être retournée en Chine. Bien qu’un facteur individuel à lui seul n’ait peut-être pas entraîné une exclusion automatique, le défendeur soutient que, compte tenu de la convergence de ces facteurs, la décision cumulative prise par l’agent des visas en se basant sur son expertise est raisonnable.

[21]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable si l’agent, compte tenu de son expertise et de ses connaissances reliées à l’emploi, est convaincu que l’offre n’est pas authentique et que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à l’expiration de son permis de travail.

[22]  Le défendeur soutient qu’il incombe à la demanderesse de démontrer que l’offre d’emploi est authentique. De plus, le défendeur soutient que si un agent n’est pas satisfait des observations de la demanderesse, il n’est pas tenu de tirer des conclusions concluantes ou de prouver que l’offre n’est pas authentique. Le défendeur soutient que les motifs fournis dans une affaire de visa ne sont jamais exhaustifs et que les agents des visas ne sont pas tenus de faire expressément référence à tous les éléments de preuve dont ils disposent. Selon cet argument, les motifs fournis dans la décision et dans les notes satisfont à la norme de la décision raisonnable.

VI.  Analyse

[23]  Les notes de l’agent n’expliquent pas clairement quelle partie de la demande est déficiente et, le cas échéant, quels aspects de la demande ont été jugés défavorablement. En lisant les notes, on constate que l’agent a simplement énuméré les facteurs pris en considération, et on en déduit qu’il faut tirer ses propres conclusions quant aux facteurs ayant conduit à des constats positifs et à ceux qui ont débouché sur des constats négatifs.

[24]  Je m’arrête ici pour rappeler que les motifs d’un agent des visas n’ont pas à être longs ni très détaillés. Dans Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, au paragraphe 32, le juge Gascon a conclu ce qui suit :

Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision. J’ajoute que le devoir d’un agent des visas de motiver sa décision de rejeter une demande de permis de séjour temporaire est minime et se situe à l’extrémité inférieure du registre.

[25]  L’insuffisance des motifs n’autorise pas non plus à elle seule le contrôle judiciaire, conformément à l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14.

[26]  Cependant, si une décision manque de transparence et d’intelligibilité, je dois conclure qu’elle est déraisonnable. Lorsque l’agent affirme dans les notes :

[traduction] Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une offre d’emploi authentique, compte tenu du fait que la fille de la DP vit dans la même maison en famille d’accueil, que la DP n’a pas d’expérience de garde d’enfants, qu’elle a suivi un programme en Chine après que sa fille ait commencé des études au Canada. La DP indique sur le formulaire « éducation et emploi » qu’elle a travaillé comme superviseure pédagogique d’avril 2016 à mars 20l7. Pourtant, elle suivait également un « programme d’aide familial » d’avril 2016 à décembre 2016.

[27]  Je ne peux pas conclure que la méthode utilisée par l’agent pour énumérer les facteurs est transparente ou intelligible. À la lecture des notes consignées dans le SMGC, on ne sait pas quels éléments de preuve présentés par l’agent appuient la conclusion finale tirée par lui ou si ces éléments sont censés constituer simplement une liste de facteurs neutres.

[28]  L’agent doit exposer les raisons pour lesquelles il a estimé que l’offre d’emploi n’était pas authentique et ne pas simplement énumérer les facteurs tirés du dossier sans procéder à une analyse plus poussée des conclusions fondées sur ces facteurs. Sans une analyse de la façon dont les facteurs ont amené l’agent à déterminer que l’offre d’emploi n’était pas authentique, nous en sommes réduits à imputer nous-mêmes les motifs pour lesquels l’agent a pris sa décision.

[29]  De plus, dans Portillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 866, la Cour a conclu qu’un agent doit fournir une explication lorsqu’il soulève la question du manque d’expérience et, particulièrement, lorsqu’une description de la CNP et un AMT n’exigent pas d’expérience préalable. Le fait que l’agent n’ait pas fourni d’explication sur la question des qualifications est une erreur susceptible de contrôle. Dans ce cas, cependant, l’agent a simplement déclaré : [traduction] « La DP n’a pas d’expérience d’aide familial, elle a suivi un programme en Chine après que sa fille a commencé des études au Canada ».

[30]  En dernier lieu, si j’acceptais qu’il ait été raisonnable pour l’agent d’exiger une expérience confirmée en matière de garde d’enfants, le fait que la demanderesse supervise des enfants dans son emploi actuel ne devrait pas être complètement écarté. Son expérience, fondée sur les cours qu’elle a réussis, ses stages et sa profession actuelle sont semblables à l’expérience de garde d’enfants que recherche l’agent. Plus important encore, c’est l’expérience que les employeurs éventuels souhaitaient pour leur fils de huit ans.

[31]  Dans les notes de 2017-09-29, l’agent attire l’attention sur le fait que l’EIMT indique qu’une expérience et une formation en garde d’enfants sont des atouts. Comme la demanderesse n’avait pas reçu de formation spécifique en garde d’enfants, l’agent a conclu qu’elle n’était pas une travailleuse de bonne foi et que l’offre d’emploi n’était pas authentique non plus.

[32]  Pourtant, la question la plus importante c’est que le décideur ne fournit pas d’analyse pour expliquer pourquoi cette conclusion a été tirée (bien que la question soit en fin de compte sans importance). L’agent affirme qu’une expérience préalable de garde d’enfants est un atout, tout comme une formation professionnelle en la matière, et que la demanderesse ne possède pas cette formation. Cependant, le fait d’exiger que la demanderesse ait acquis une expérience de garde d’enfants consiste à exiger qu’elle possède des qualifications plus élevées que nécessaire pour s’occuper de l’enfant de huit ans en question.

[33]  Il se peut que l’agent ait conclu que les observations de la demanderesse étaient insatisfaisantes et que, après avoir examiné l’ensemble du dossier, il ait tiré sa conclusion. Toutefois, étant donné que la preuve par affidavit n’a manifestement pas été prise en considération, la décision est déraisonnable.

[34]  Je fais spécifiquement référence à la question soulevée par l’agent lorsqu’il constate que la demanderesse [traduction] « indique sur le formulaire “éducation et emploi” qu’elle a travaillé comme superviseure pédagogique d’avril 2016 à mars 2017, mais qu’elle a aussi suivi un “programme d’aide familial” d’avril 2016 à décembre 2016 ».

[35]  Le défendeur a également soutenu que [traduction] « l’agent n’était saisi d’aucun élément de preuve concernant les heures de la journée pendant lesquelles la demanderesse a participé au programme d’aide familial. Par conséquent, l’agent n’avait aucun moyen de déterminer que les deux engagements ne se chevauchaient pas, et il avait le droit de soulever la question ». Je crois que la référence dans les notes au sujet du manque d’information sur les heures concernait l’offre d’emploi, et non la déclaration concernant le fait que la demanderesse fréquentait l’école et travaillait en même temps. Le décideur affirme que le contrat de travail ne mentionne que 40 heures et ne précise pas l’heure du début et de la fin de la journée de travail. Dans ce cas, les deux questions ont été résolues dans les documents déposés et, par conséquent, il ne devrait pas s’agir de facteurs négatifs.

[36]  L’agent disposait d’éléments de preuve indiquant les heures de travail de la demanderesse. La pièce atteste que [traduction] « Durant la période s’étendant d’avril 2016 à décembre 2016, elle travaillait de 16 h 30 à 19 h 30 du mardi au vendredi et de 9 h 30 à 19 h 30 le samedi et le dimanche. Son salaire mensuel était de 1 800 yuans. De janvier 2017 à aujourd’hui, son horaire de travail était de 9 h 30 à 19 h 30 du mardi au dimanche ». Cette pièce à l’affidavit ajoute manifestement foi à l’explication donnée dans sa demande en ligne. Dans cette lettre explicative, la demanderesse a déclaré : [traduction] « Au cours de son cours de formation d’aide familial, Mme Liu a travaillé en soirée et les week-ends comme superviseure pédagogique à la Shenyang Aston Educational Training School. Elle a ensuite obtenu la permanence à temps plein dans le même poste au sein de la même école à la fin de son cours de formation en janvier 2017, et elle occupe toujours ce poste à temps plein au moment de rédiger la présente lettre. »

[37]  En dernier lieu, les employeurs éventuels ont indiqué que la demanderesse travaillerait 40 heures par semaine, mais ils n’ont pas précisé les heures de début et de fin de la journée de travail. Il est raisonnable d’aménager un horaire flexible puisqu’il s’agit d’un poste d’aide familial pour s’occuper d’un enfant d’âge scolaire, qui exige un horaire flexible compte tenu des préparatifs nécessaires avant la journée d’école et des activités parascolaires. Par conséquent, il semble très clair que l’agent disposait d’un élément de preuve concernant une question substantielle (soit celle de l’expérience et des qualifications de la demanderesse) qu’il a écarté sans fournir de motifs.

[38]  Dans Villagonzalo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1127, le juge O’Keefe a tranché une question concernant un demandeur qui avait demandé un permis de travail dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. Dans cette affaire, la demanderesse a tenté de fournir une explication raisonnable en ce qui a trait à la prolongation d’un séjour au Canada après l’expiration d’un VRT au moyen d’une preuve par affidavit que l’agent n’a pas mentionnée dans ses notes lorsqu’il a refusé sa demande pour motif de séjour indûment prolongé. Le juge O’Keefe a déclaré, au paragraphe 26, que « Les explications de la demanderesse auraient dû être prises en compte ».

[39]  Comme en l’espèce, le fait que la preuve par affidavit n’a pas été prise en considération fournit un motif d’annuler la décision (Campbell Hara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263).

[40]  Bien que le fait que la fille de la demanderesse demeure chez l’employeur éventuel soit effectivement un facteur pertinent dont le décideur devait tenir compte, il n’aurait pas dû être considéré isolément pour devenir déterminant dans la décision dans la présente instance. L’agent doit examiner la preuve présentée, l’évaluer, prendre en considération tous les facteurs, puis fournir à la demanderesse les motifs qui justifient la décision de manière à répondre à la norme de transparence et d’intelligibilité nécessaire.

[41]  En somme, la décision n’est pas raisonnable, car elle n’est ni transparente ni intelligible, et des éléments de preuve n’ont pas été pris en considération.

[42]  Aucune question à certifier n’a été proposée par l’une ou l’autre des parties et aucune ne se pose.

[43]  La Cour ordonne que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée pour réexamen par un autre agent.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-236-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie et renvoyée pour réexamen par un autre agent;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-236-18

 

INTITULÉ :

CHUNYING LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

j. mcveigh

 

DATE :

LE 27 SEPTEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Deanna L. Okun-Nachoff

POUR LA DEMANDERESSE

Nima Omidi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea Immigration Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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