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Date : 20181004


Dossier : T-10-18

Référence : 2018 CF 993

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

DAVID LLOYD SMITH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le sergent David Lloyd Smith [le sergent Smith], membre de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], a présenté une requête en révision judiciaire d’une décision d’appel en matière disciplinaire du 7 décembre 2017 en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. À la suite de la décision d’appel en matière disciplinaire, le sergent Smith s’est vu imposer des mesures disciplinaires et a donc dû renoncer à 11 jours de congé annuel. Le sergent Smith s’est représenté lui-même à l’audience.

II.  Contexte

[2]  Le sergent Smith travaille à la GRC depuis plus de 33 ans. Le sergent Smith a un dossier sans tache et n’a aucun antécédent en matière disciplinaire en tant que membre de la GRC. Il ne fait aucun doute que le sergent Smith est un homme remarquable. Ancien combattant de deux guerres, il a servi son pays au sein de l’OTAN, des Nations Unies et de la GRC. Les états de service du sergent Smith ont également été soulignés par l’avocat du défendeur.

[3]  Je tiens à ajouter que je sais que cette affaire est très personnelle pour le sergent Smith. J’imagine que cette affaire lui a occasionné du stress, une humiliation personnelle et de l’embarras après une carrière aussi longue et si distinguée. D’autant plus que cette affaire est liée au Ceremonial Mounted Unit (Groupe du cérémonial à cheval), qui sert bien l’image de la GRC depuis des années. Bien que je reconnaisse tous ces faits, contrairement à ce qui en est lors d’une action en dommages-intérêts, ceux-ci n’entrent pas en ligne de compte dans le cadre de la présente révision judiciaire.

[4]  En 1990 ou vers cette année-là, le sergent Smith a créé le « Ceremonial Mounted Unit » (Groupe du cérémonial à cheval) de la GRC. La fonction du Groupe du cérémonial à cheval consiste à fournir, à l’occasion de diverses activités publiques, la présence d’un membre de la GRC formé vêtu de la tunique rouge, accompagné de son cheval personnel, Justice, et de son chien, Yukon. De 1990 à 2014, le sergent Smith a participé à des centaines d’événements de ce genre pendant qu’il n’était pas en service, revêtu de la tenue cérémonielle appropriée. Le Groupe du cérémonial à cheval a reçu de nombreux éloges, comme en témoignent diverses coupures de presse.

[5]  Afin de récupérer les défraiements engagés pour ces fonctions, le sergent Smith a demandé qu’on lui paie des heures supplémentaires ou a présenté des demandes de remboursement au fil des ans.

[6]  À un moment indéterminé entre 1990 et 2014, le sergent Smith a créé un document intitulé « Standard Budgetary Cost Back » (Formulaire normalisé des coûts hors budget) [le PE]. Le PE prévoit des « coûts réguliers calculés au prorata sur l’année » pour faire face aux nombreux coûts qui n’ont pas été entièrement budgétés. Cela permet également au sergent Smith d’utiliser son « jugement discrétionnaire » pour couvrir les dépenses liées au Groupe du cérémonial à cheval. Le protocole d’entente est signé par le sergent Smith seulement et non par un gestionnaire financier de la GRC ou un superviseur. La décision de l’autorité disciplinaire a conclu que le PE ne constituait pas un PE dûment sanctionné entre la GRC et le sergent Smith.

[7]  Le sergent Smith conteste le terme « PE » et fait référence à ce document en tant que contrat ou entente de service. Quoi qu’il en soit, aucun litige n’a trait au nom du document que le sergent Smith a créé, mais pour en faciliter l’identification et pour que le libellé corresponde à la décision de l’autorité disciplinaire, à la décision d’appel en matière disciplinaire et au nom que lui a donné le sergent Smith avant l’audience, je l’appellerai « PE ». Cependant, il est admis qu’il s’agit d’un document non signé et non approuvé et qu’il ne s’agit pas d’un PE officiel établi selon le format prescrit qui est habituellement utilisé par la GRC avec des fournisseurs externes. Le PE est à la base du remboursement des dépenses engagées par le sergent Smith depuis sa création et n’a jamais fait l’objet de quelque problème que ce soit.

[8]  Le 11 décembre 2014, le gestionnaire régional des opérations comptables – Direction générale de la gestion intégrée et du contrôleur (Finances), Arvind Reddy, a envoyé une note de service à l’officier supérieur du sergent Smith, le surintendant principal Lench [Lench], faisant état d’un certain nombre d’anomalies dans les demandes de remboursement du sergent Smith. Les écarts dans les demandes présentées ont incité le gestionnaire régional à soulever un certain nombre de préoccupations découlant de la période allant de mai 2014 à août 2014.

[9]  Les préoccupations relatives aux écarts dans les demandes de remboursement peuvent se résumer comme suit :

  1. Le sergent Smith a obtenu quatre factures non datées liées à des pneus endommagés pour son véhicule personnel. Ces factures ont été soumises à chacun des quatre commandants de détachement aux fins de remboursement [la question des pneus].

  2. Les reçus pour fers à cheval, les franchises d’assurance, les vaccins et les remboursements de kilométrage ont été remis en question par le gestionnaire régional quant à leur validité [les autres questions]

[10]  Compte tenu des préoccupations soulevées ci-dessus dans la note de service des Opérations comptables, Lench a ordonné la tenue d’une enquête en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C., 1985, ch. R-10) [la Loi sur la GRC] quant aux mesures prises par le sergent Smith pour déterminer s’il y avait eu violation du Code de déontologie [le Code].

[11]  L’enquête visait à déterminer si le sergent Smith était coupable des infractions suivantes :

  1. Entre le 1er mai 2014 et le 30 septembre 2014, le sergent Smith a présenté des demandes de remboursement de dépenses frauduleuses en contravention de l’article 7.1 du Code [l’allégation 1].

  2. Entre le 1er mai 2014 et le 30 septembre 2014, le sergent Smith a présenté des demandes de remboursement de dépenses et a été remboursé pour des dépenses auxquelles il n’aurait normalement pas droit, en contravention de l’article 8.1 du Code [l’allégation 2].

[12]  L’allégation 1 est fondée sur les faits afférents aux autres questions, tandis que l’allégation 2 est fondée sur les faits afférents à la question des pneus.

[13]  Le sergent Warren Wilson [le sergent Wilson], de l’Unité des normes professionnelles, a été nommé enquêteur. Le sergent Wilson a transmis un rapport d’enquête à Lench pour examen le 7 mai 2015 ou vers cette date.

[14]  Le 21 mai 2015 ou vers cette date, le sergent Smith a soutenu que Lench était en conflit d’intérêts. Le sergent Smith a en outre indiqué ce qui suit : [traduction] « Je préférerais que ce soit une personne ayant des antécédents juridiques comme le commissaire adjoint Lipinsky [erreur d’orthographe] » qui soit nommée en tant qu’autorité disciplinaire.

[15]  Selon l’enquête menée par le sergent Wilson, Lipinski, dans son rôle de nouvelle autorité disciplinaire, a conclu le 19 août 2015, que l’allégation 1 et l’allégation 2 étaient fondées sur la prépondérance des probabilités. En vertu de la décision de l’autorité disciplinaire, on a retiré au sergent Smith 12 jours de congé annuel, on lui a interdit de continuer à prendre part au Groupe du cérémonial à cheval jusqu’à la mise en place d’un PE approprié et on lui a ordonné de rembourser les dépenses ayant trait aux autres questions mais pas à la question des pneus.

[16]  Le sergent Smith a interjeté appel de la conclusion de l’Autorité disciplinaire en vertu du paragraphe 45.11(3) de la Loi sur la GRC.

[17]  En vertu du paragraphe 45.16(11) de la Loi sur la GRC, une personne peut se voir déléguer le pouvoir du commissaire de trancher les appels interjetés en vertu de la Loi sur la GRC. Steven Dunn a été désigné délégué du commissaire et a agi à titre d’arbitre d’appel en matière disciplinaire [l’arbitre d’appel].

[18]  Le sergent Smith a fait valoir que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale avaient été enfreints par un processus partial de l’autorité disciplinaire. Le sergent Smith a également soutenu que la conclusion de contravention en ce qui a trait à l’allégation 1 et à l’allégation 2 était clairement déraisonnable.

[19]  L’arbitre d’appel a accueilli en partie l’appel du sergent Smith. La décision d’appel en matière disciplinaire a précisé que, bien que l’allégation 2 ait été fondée de prime abord, ce ne fut pas le cas de l’allégation 1.

[20]  La conclusion selon laquelle l’allégation 1 était fondée a été jugée déraisonnable par l’arbitre d’appel. L’arbitre d’appel a conclu que, parce que l’autorité en matière disciplinaire était convaincue de l’explication du sergent Smith au sujet des autres questions dans la mesure où l’autorité disciplinaire a ordonné le remboursement dans ce cas, il n’était pas possible de justifier la conclusion selon laquelle l’allégation 1 était fondée.

[21]  L’arbitre d’appel a toutefois jugé que la conclusion relative à l’allégation 2 était raisonnable. En jugeant que l’argument du sergent Smith concernant son recours préjudiciable au protocole d’entente et à la conduite antérieure de la GRC n’a pas rendu déraisonnable la décision de l’autorité disciplinaire, l’arbitre d’appel a confirmé la conclusion de l’autorité disciplinaire sur la question de l’allégation 2.

[22]  Pour déterminer si la mesure disciplinaire imposée était appropriée, l’arbitre d’appel a accueilli l’appel en partie en concluant que la suppression de 11 jours de congé annuel, plutôt que de 12 jours, était appropriée.

[23]  Il convient de souligner que le sergent Smith a été remboursé pour toutes les factures soumises, notamment les factures de services de maréchal-ferrant de son épouse et le loyer de la remorque de cheval qui lui appartient et qui est immatriculée à son nom, à l’exception de la demande de remboursement de l’achat des quatre pneus.

[24]  En outre, le sergent Smith a indiqué qu’il ne demandait pas à la Cour de réviser la partie de la décision selon laquelle on a conclu qu’il n’était pas coupable au titre de l’allégation 1. Le défendeur en convient également, ce qui fait que le reste de la décision porte sur l’allégation 2.

III.  Questions préliminaires

A.  L’intitulé

[25]  En premier lieu, la GRC ne devrait plus apparaître dans l’intitulé.

[26]  Dans les actes de procédure du sergent Smith, la GRC est désignée comme défenderesse de la présente révision judiciaire.

[27]  Le défendeur soutient que, conformément à la règle 303(1) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 [les RCF], seul le procureur général du Canada doit être défendeur de la présente révision judiciaire.

[28]  Je souscris à l’évaluation que fait le défendeur de la règle 303(1). L’argument du défendeur est conforme à la jurisprudence concernant la règle 303(1), citée dans la décision Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794 [la décision Kalkat].

[29]  En conclusion, l’intitulé devrait être modifié pour désigner seulement « Le procureur général du Canada » à titre de défendeur.

B.  L’affidavit du sergent Smith

[30]  Le défendeur soutient que les articles de l’affidavit du sergent Smith, assermenté le 2 février 2018 [l’affidavit de février], doivent être radiés en vertu du paragraphe 81(1) des RCF. Le paragraphe 81(1) des RCF exige que les affidavits soient limités aux faits que le déclarant connaît personnellement.

[31]  Le défendeur soutient qu’un certain nombre de paragraphes de l’affidavit de février sont argumentatifs ou irrecevables ou qu’ils constituent du ouï-dire ou une opinion, et qu’ils devraient donc être rayés ou, si cette dernière éventualité n’est pas possible, qu’on ne leur accorde aucun poids ni valeur probante.

[32]  Les paragraphes de l’affidavit dont le défendeur demande la rature sont les suivants : 8, 17, 25 à 27, 31 à 37, 39, 41, 43, 44, 47, 49 à 55, 60, 62, 63, 65, 66, 68, 69, 71, 76 à 79, 81 à 84, 88 à 99, 102 à 109, 113, 114, 116, 117, 121, 123 à 127, 133, 134, 140, 142, 144, 145, 147, 157 et 164 à 209.

[33]  Le défendeur a raison d’affirmer que les articles de l’affidavit de février du sergent Smith qui sont fondamentalement viciés devraient être rayés. Bien que la Cour soit tenue de prendre des mesures d’adaptation pour les parties se représentant elles-mêmes, « cette obligation ne peut justifier de passer outre aux règles de preuve » (décision Navid Bhatti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 25, au paragraphe 18).

[34]  L’argument du défendeur à l’égard des paragraphes susmentionnés, à l’exception du paragraphe 82, n’est pas sans fondement. À première vue, les paragraphes relèvent du ouï-dire, de l’opinion ou de la plaidoirie et entrent donc dans la catégorie jurisprudentielle de l’irrecevabilité.

[35]  Comme le juge Létourneau l’a déclaré au paragraphe 13 de l’arrêt Burns Lake Native Development Corp c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2005 CAF 256, « Pour faire radier un affidavit ou certains de ses éléments, la procédure normale consiste à déposer une requête à cet effet. ».

[36]  Bien qu’elle n’ait pas été soulevée par le défendeur, la règle 306 est également pertinente à cette discussion. Citons à cet effet la page 746 de Saunders et coll., Federal Court Practice (Procédure des cours fédérales), Toronto : Thomson Reuters, 2018) :

[traductionIl est maintenant bien admis que la révision judiciaire d’une décision d’un office fédéral doit être examinée en fonction de la documentation dont l’office a été saisi lorsqu’il a rendu sa décision. Les parties ne peuvent pas complémenter ces documents dans leurs affidavits. Cependant [...] la preuve extrinsèque peut être admise lorsqu’elle est pertinente à une allégation selon laquelle le décideur a manqué à la justice naturelle ou à l’équité procédurale.

[37]  Une grande partie de l’affidavit de février constitue manifestement une tentative visant à « faire avancer » des documents dont l’autorité disciplinaire et l’arbitre d’appel avaient été saisis. Cependant, certaines parties de l’affidavit de février pourraient répondre à la question sur la preuve extrinsèque, puisque le sergent Smith assermente de nouveaux éléments de preuve dans l’affidavit qui portent sur les prétendues lacunes de procédure dans la décision d’appel en matière disciplinaire ainsi que sur le prétendu conflit d’intérêts de l’arbitre d’appel.

[38]  Les paragraphes 150 à 161 de l’affidavit de février fournissent des éléments de preuve concernant d’éventuelles questions de justice naturelle ou d’équité procédurale découlant de la décision d’appel en matière disciplinaire en ce qui a trait à une crainte raisonnable de partialité découlant des critiques antérieures du sergent Smith à l’endroit de l’ancien cabinet de l’arbitre d’appel.

[39]  Le sergent Smith ne conteste pas l’existence d’une exception fondée sur des principes aux règles sur le ouï-dire.

[40]  Compte tenu des circonstances et afin que l’audience porte sur les documents déposés et sur l’argument préparé par le sergent Smith, je ne raierai pas les paragraphes, mais j’accorderai un poids ou une valeur probante minime ou nulle aux paragraphes préjudiciables de l’affidavit (énumérés au paragraphe 32 ci‑dessus). De plus, je n’accorderai aucun poids au paragraphe 4 (qui demande une révision judiciaire et contient des arguments), au paragraphe 40 (argumentation), au paragraphe 59 (opinion), au paragraphe 75 (argumentation), aux paragraphes 110 et 111 (ouï-dire/argumentation), au paragraphe 135 (ouï-dire) et au paragraphe 156 (argumentation).

C.  L’affidavit de Les Rose

[41]  L’arbitre d’appel a refusé d’admettre l’affidavit de Les Rose [Rose].

[42]  Rose, qui travaillait pour les services juridiques de la GRC, a déclaré dans l’affidavit pertinent que lui et le sergent Smith étaient des amis et qu’il y avait un risque de conflit d’intérêts apparent.

[43]  Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles l’arbitre d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en refusant d’admettre l’affidavit de Rose. En vertu de l’autorité compétente, l’arbitre d’appel a conclu à juste titre que l’appelant n’avait pas le droit de déposer un document qui n’avait pas été fourni à la personne qui a rendu la décision et qui fait l’objet de l’appel, étant donné que le sergent Smith pouvait se procurer ledit document lorsque la décision a été rendue.

[44]  L’objet de l’affidavit contesté – c’est-à-dire le point de vue de Rose sur un processus abusif – s’inscrivait effectivement dans les préoccupations de l’arbitre d’appel soulevées au paragraphe ci-dessus.

[45]  L’arbitre d’appel a rendu une décision raisonnable en refusant d’admettre l’affidavit de Rose.

[46]  Si je ne m’abuse, cependant, rien ne ressort de l’affidavit de Rose, étant donné que Rose a également indiqué dans un courriel qu’il n’avait [traduction] « aucune preuve importante à présenter à l’enquête ».

IV.  Les questions en litige

[47]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision d’appel en matière disciplinaire était-elle raisonnable?
  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale dans l’arbitrage de la décision en matière disciplinaire ou de la décision d’appel en matière disciplinaire?

V.  Norme de contrôle

[48]  L’on doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des décisions du commissaire ou du délégué du commissaire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi et, par conséquent, selon la norme du caractère raisonnable (la décision Kalkat, au paragraphe 52).

[49]  La norme du caractère raisonnable signifie que la Cour n’annulera pas la décision du décideur dans la mesure où elle est conforme aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[50]  Les questions relatives à l’équité procédurale peuvent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[51]  Le fait qu’il y ait une partie se représentant elle-même a obligé la Cour à indiquer à plusieurs reprises au cours de l’audience qu’il s’agissait d’une révision judiciaire de l’appel en matière disciplinaire examiné selon la norme énoncée au paragraphe ci-dessus, et qu’il ne s’agissait pas d’une audience de novo. Une grande partie des arguments et des éléments de preuve du sergent Smith étaient axés sur le fait que la Cour ait rendu une décision de novo non seulement en ce qui a trait à la décision d’appel en matière disciplinaire. Le sergent Smith a rectifié son argument lorsqu’on lui a signalé ce fait.

VI.  Les dispositions légales pertinentes

[52]  Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada sont les suivantes :

Déontologie

Objet

Objet

36.2 La présente partie a pour objet :

a) d’établir les responsabilités des membres;

b) de prévoir l’établissement d’un code de déontologie qui met l’accent sur l’importance de maintenir la confiance du public et renforce les normes de conduite élevées que les membres sont censés observer;

c) de favoriser la responsabilité et la responsabilisation des membres pour ce qui est de promouvoir et de maintenir la bonne conduite au sein de la Gendarmerie;

d) d’établir un cadre pour traiter les contraventions aux dispositions du code de déontologie de manière équitable et cohérente au niveau le plus approprié de la Gendarmerie;

e) de prévoir des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives.

Conduct

Purposes of Part

Purposes

36.2 The purposes of this Part are

(a) to establish the responsibilities of members;

(b) to provide for the establishment of a Code of Conduct that emphasizes the importance of maintaining the public trust and reinforces the high standard of conduct expected of members;

(c) to ensure that members are responsible and accountable for the promotion and maintenance of good conduct in the Force;

(d) to establish a framework for dealing with contraventions of provisions of the Code of Conduct, in a fair and consistent manner, at the most appropriate level of the Force; and

(e) to provide, in relation to the contravention of any provision of the Code of Conduct, for the imposition of conduct measures that are proportionate to the nature and circumstances of the contravention and, where appropriate, that are educative and remedial rather than punitive.

Enquête

40 (1) Lorsqu’il apparaît à l’autorité disciplinaire d’un membre que celui-ci a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, elle tient ou fait tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir s’il y a réellement contravention.

Investigation

40 (1) If it appears to a conduct authority in respect of a member that the member has contravened a provision of the Code of Conduct, the conduct authority shall make or cause to be made any investigation that the conduct authority considers necessary to enable the conduct authority to determine whether the member has contravened or is contravening the provision.

[53]  La disposition pertinente de l’annexe du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 2014 (DORS/2014-281) est la suivante :

8 SIGNALEMENT

8.1 Les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie.

8 REPORTING

8.1 Members provide complete, accurate and timely accounts pertaining to the carrying out of their responsibilities, the performance of their duties, the conduct of investigations, the actions of other employees and the operation and administration of the Force.

VII.  L’analyse

A.  La décision d’appel en matière disciplinaire était-elle raisonnable?

[54]  La décision de l’arbitre d’appel était raisonnable selon le critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir et elle appartient amplement aux issues possibles acceptables en regard de la prépondérance des probabilités. Des éléments de preuve importants présentés à l’arbitre d’appel ont démontré que le sergent Smith avait enfreint l’article 8.1 du Code. D’autant plus que le sergent Smith a clairement admis que sa déclaration relative aux dépenses liées aux pneus était « parsemée d’incohérences ».

[55]  Le sergent Smith fait valoir que sa caractérisation relative à « l’incohérence » en ce qui concerne la question des pneus signifie qu’il aurait dû informer davantage de commandants de détachement de son protocole d’entente et de ses ententes verbales antérieures. Je ne crois pas que le décideur qui juge que cette explication n’est pas crédible soit déraisonnable.

[56]  Si l’on se réfère à la réponse du sergent Smith aux questions du sergent Wilson, celle-ci appuie la conclusion du décideur :

[traductionAprès 24 ans et 350 événements, j’en conviens, j’ai hésité. Les dommages occasionnés à mes pneus ont été documentés dans mon carnet et calculés au prorata pour couvrir les coûts. Je conviens que je n’ai pas immédiatement communiqué cette information. Je ne voulais pas être à nouveau à court d’argent. [caractères gras ajoutés]

[57]  Le sergent Smith a tenté de se justifier, à savoir qu’il avait déjà présenté des dépenses pour des pneus endommagés et qu’on les lui avait remboursées. C’est ainsi qu’il a justifié sa décision de répartir au « pro rata » les dépenses engagées pour des pneus entre les divers détachements plutôt que de les affecter au détachement où la défaillance des pneus s’est produite, ce qui indique que les gestes du sergent Smith n’ont pas été involontaires. Il semble plutôt avoir agi de façon intentionnelle. Par le passé, lorsque le sergent Smith endommageait un pneu lors d’un événement, on lui remboursait les dépenses engagées en ce sens. Toutefois, la question n’est pas de savoir s’il serait remboursé pour un pneu endommagé. Il est évident (et le sergent Smith l’a confirmé lors d’un interrogatoire ultérieur) qu’il n’a pas endommagé de pneu lors d’événements distincts dont il a par la suite réclamé le remboursement de quatre détachements distincts.

[58]  Le décideur avait en sa possession des éléments de preuve provenant du gestionnaire de l’atelier de pneus, selon lesquels le sergent Smith a commandé quatre pneus pour lesquels il a demandé quatre factures distinctes. Dans les notes, il est simplement indiqué que [traduction] « le directeur de l’atelier OK Tires nous a appris que vous aviez commandé quatre nouveaux pneus Toyo à la fin de juin ou au début de juillet et que, ce faisant, vous aviez demandé que soient produites quatre factures distinctes ». Selon ce qu’indiquent les notes du sergent Wilson à la suite de son entrevue avec le directeur de l’atelier de pneus, celui-ci [traduction] « a constaté que les pneus originaux du camion de Smith étaient usés, mais qu’ils ne comportaient ni perforations ni crevaisons. » Les éléments de preuve présentés au décideur laissaient entendre que les pneus étaient usés lorsqu’ils ont été remplacés par des pneus neufs, mais qu’ils n’étaient pas crevés. Cette preuve a été brièvement examinée à la page 3 et à la page 4 de la décision de l’autorité disciplinaire.

[59]  Le sergent Smith a donné diverses versions des faits à des personnes différentes quant à la façon dont les pneus ont été endommagés, versions dont a été saisi l’arbitre d’appel. Bien que le sergent Smith ait d’abord déclaré au dossier que c’est lui qui conduisait le camion au moment où les pneus ont été endommagés, il a admis, lors d’un interrogatoire ultérieur au cours de l’enquête, que c’est son épouse qui conduisait le camion.

[60]  Le sergent Smith a fait la déclaration suivante à l’avant-dernier paragraphe de ses prétentions écrites présentées au sergent Wilson :

[traductionLe 30 juin 2014, lors du voyage de retour vers Mount à Currie avec un cheval en remorque après une journée de patrouille, on a rappelé Michell à Whistler. Michell s’est alors engagé en direction est dans une sortie de la route 99 pour ensuite prendre une route en construction à 4 km au nord de Whistler afin de faire demi-tour. Le camion chargé s’est enfoncé dans le gravier de granit récemment déposé. L’incident a endommagé les flancs des pneus. Au bout d’un certain temps, à l’aide d’un vérin, de pierres et de morceaux de bois, le camion a été remis sur l’autoroute. Les flancs des quatre pneus furent endommagés; des fissures dans le caoutchouc et des meurtrissures y étaient visibles.

[...]

Les dépenses imprévues liées aux pneus de remplacement grèveraient de beaucoup mon budget. Étant donné que j’avais déjà pris plusieurs engagements de spectacles de chevaux et de chiens, j’ai dû remplacer les pneus du camion afin que le véhicule soit sécuritaire. J’ai décidé de répartir proportionnellement les dépenses afférentes aux quatre pneus dans les quatre détachements où l’on fait le plus souvent appel à mes services.

  Un pneu a été imputé à Ridge-Meadows pour l’événement Pitt Meadows Days. J’ai eu une crevaison ce jour-là et j’ai payé moi-même les réparations que je n’ai par la suite pas réclamées (documenté dans le carnet le 6 juillet 2014).

  Un pneu a été imputé à Whistler, respectant ainsi le budget convenu et maintenant les coûts à un niveau inférieur à celui des 4 années précédentes (documenté le 30 juin).

  Un pneu a été imputé à l’UBC (documenté le 8 juillet).

  Un pneu a été imputé à White Rock (document à l’appui).

[61]  Lorsque le sergent Smith a présenté les factures aux différents détachements, les commandants des détachements ont demandé au sergent Smith quel était le fondement de la facture de remboursement des dépenses (1393). Voici ce que l’enquête a confirmé :

  • Le commandant de l’UBC a déclaré que le sergent Smith lui a déclaré qu’il avait heurté une bordure et que cela avait endommagé le pneu.

  • L’inspecteur de Ridge Meadows a indiqué que le sergent Smith lui a déclaré qu’il avait endommagé le pneu contre une bordure;

  • La commandante de White Rock croit que le sergent Smith lui a déclaré qu’il avait heurté une bordure avec le pneu, endommageant celui-ci;

  • Le commandant de Whistler ne disposait d’aucune information.

[62]  Ces explications incohérentes donnent encore plus de crédibilité au jugement du décideur en ce qui a trait à la violation du paragraphe 8.1 de la Loi sur la GRC.

[63]  Le sergent Smith a effectivement écrit dans son carnet, après avoir imputé un pneu à chacun des détachements, qu’il répartissait la dépense proportionnellement. Il n’a cependant pas fait part aux commandants exactement de ce qui s’était passé et de la façon dont il allait réclamer les dépenses afférentes aux pneus; il leur a plutôt raconté une version des faits inexacte. Il semble que le fait qu’il n’ait pas donné la version des faits intégrale dès le début lorsqu’on la lui a demandée est au cœur de la décision de l’arbitre d’appel concluant à une violation du Code.

[64]  L’arbitre d’appel a conclu que le sergent Smith avait sciemment omis de fournir des comptes rendus exacts. La décision est fondée sur la preuve et s’inscrit dans la gamme des motifs raisonnables.

(1)  Acte de confiance préjudiciable et préclusion

[65]  La prétention du sergent Smith au sujet de l’« acte de confiance préjudiciable » ou de la « préclusion » n’a pas de poids.

[66]  Ayant fait l’objet d’un bref argumentaire lors de l’audience, le droit relatif à l’acte de confiance préjudiciable est clair : il doit y exister une convention ou assertion de fait, de la part d’une partie, que celle-ci n’a pas l’intention d’exercer ses droits en common law, et que le demandeur subirait un préjudice si l’autre partie revenait sur cette convention (arrêt Ryan c. Moore, [2005] 2 RCS 53, 2005 CSC 38).

[67]  Malheureusement pour le sergent Smith, la preuve d’une telle convention ou d’une telle assertion de la part d’un agent représentant de la GRC est faible.

[68]  Le protocole d’entente présenté par le sergent Smith en tant qu’élément de preuve n’est signé que par lui et non par un représentant de la GRC. Il n’existe pas de preuve présentée par affidavit par d’anciens agents de détachement qui pourrait clairement établir une convention relative à la présentation, d’une telle manière, des réclamations de dépenses afférentes aux pneus correspondant à la façon appropriée dont ces agents étaient antérieurement tenus de rapprocher les dépenses.

[69]  En ce qui a trait à l’argumentation voulant que le sergent Smith ait été empêché d’obtenir une réparation équitable de manière autre qu’irréprochable et que l’on puisse démontrer l’absence d’une convention claire en affirmant que l’arbitre d’appel a rendu un jugement raisonnable en déterminant que l’argumentation relative à l’acte de confiance préjudiciable n’était pas convaincante, il est inutile ne serait-ce que d’évoquer cette argumentation. La conclusion de nature fondamentalement raisonnable de l’arbitre d’appel est la résultante du fait que le sergent Smith ait présenté de façon fondamentalement erronée la question des pneus (l’allégation 2) à de multiples commandants de détachement.

[70]  Le sergent Smith a soutenu dans ses documents qu’il n’aurait pas dû faire l’objet d’une audience relative au Code de déontologie parce qu’il n’a pas été remboursé. Bien qu’il soit exact que le sergent Smith n’ait pas été « remboursé » pour les réclamations inappropriées afférentes aux pneus en vertu du libellé de l’article 8.1, je conviens de la remarque de l’arbitre d’appel selon laquelle [traduction] « il a sciemment omis de fournir des comptes exacts ».

[71]  À des fins de clarté, le remboursement n’est pas nécessaire pour que soit établie l’existence d’une contravention à l’article 8.1 (page 42 de la décision d’appel en matière disciplinaire). Le fait d’exiger un remboursement pour établir une accusation de dépenses inappropriées constituerait une interprétation extraordinaire du Code; je souscris donc au rejet de cette interprétation par l’arbitre d’appel.

[72]  Étant donné la nature de la preuve relative à l’allégation 2, étant donné les éléments de preuve incohérents quant à la personne qui conduisait le véhicule et étant donné la nature douteuse de la preuve présentée par le sergent Smith à l’appui de la défense de préclusion promissoire ou d’acte de confiance préjudiciable, je suis convaincue que la décision de l’arbitre d’appel est raisonnable et qu’elle appartient amplement aux issues possibles acceptables.

(2)  Mesure disciplinaire

[73]  Pour ce qui est de la mesure disciplinaire imposée, le sergent Smith n’a pas contesté la suppression de ses jours de congé annuel, mais il a fait valoir que le décideur avait été saisi de deux allégations. Il soutient que l’ancien décideur lui a supprimé 12 jours de congé annuel, que la décision d’appel en matière disciplinaire a infirmé l’une des deux allégations, et que malgré tout, l’arbitre d’appel n’a réduit la mesure disciplinaire qu’à une suppression de 11 jours. Le sergent Smith a soutenu que c’était déraisonnable. C’était déraisonnable, a-t-il soutenu, puisqu’il a obtenu gain de cause sur 50 % de l’appel et que la mesure disciplinaire aurait donc dû être réduite de 50 % également.

[74]  Quoi qu’il en soit, l’arbitre d’appel a raisonnablement tenu compte des facteurs atténuants et aggravants et a imposé la mesure la moins sévère de la fourchette d’atténuation applicable du Guide de mesures disciplinaires, où l’éventail des mesures atténuées pour les infractions de faible gravité fait état d’une sanction correspondant à une suppression de 11 à 20 jours.

B.  La décision était-elle équitable?

[75]  La décision d’appel était équitable selon la norme de la décision correcte.

(1)  Abus de procédure

[76]  Selon le principe de l’abus de procédure, le traitement injuste ou oppressif d’un appelant prive la Couronne du droit de continuer les poursuites relatives à l’accusation. Les poursuites sont suspendues, non pas sur le fond de l’affaire (arrêt R c. Jewitt, [1985] 2 RCS 128 au paragraphe 45), mais parce qu’elles sont à ce point viciées que leur permettre de suivre leur cours compromettrait l’intégrité du tribunal (arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 au paragraphe 119).

[77]  Les allégations d’abus de procédure gagnées découlent généralement d’une conduite blâmable de la poursuite, d’une enquête ou d’une procédure non fondée ou scandaleuse ou de gestes de la partie contestée qui choqueraient la conscience de la collectivité (arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, [2008] 1 RCF 174, 2007 CAF 163; arrêt R c. Campbell, [1999] 1 RCS 565, 1999 CanLII 676 (CSC)).

[78]  Il n’y a pas eu d’abus de procédure dans cette affaire, comme en témoigne le dossier. Lench a dû lancer l’enquête en vertu de l’article 40 de la Loi sur la GRC une fois que la note de service du tiers gestionnaire financier lui a été envoyée. L’affaire lui a été signalée par Arvind Reddy, gestionnaire régional des opérations comptables, qui, en faisant parvenir la note de service du 11 décembre 2014 à Lench, a déclaré dès le départ que [traduction] « les demandes de remboursement de dépenses du sergent Smith afférentes à son cheval et son chien de police lors de divers événements de la GRC nécessitent une enquête plus approfondie ».

[79]  À l’audience, le sergent Smith a fait valoir que Lench avait lancé l’enquête de façon malveillante, mais il n’a pas été en mesure de produire de document ou de courriel indiquant que Lench avait entrepris un examen des comptes financiers du sergent Smith. Bien que je ne doute pas que le sergent Smith croit à l’exactitude de cette conclusion, je ne suis saisie d’aucune preuve à l’appui de celle-ci.

[80]  Rose a produit des éléments de preuve indiquant que Lench avait un parti pris contre le sergent Smith. Rose a déclaré dans un courriel du 5 mai 2015 que Lench avait essayé de faire congédier de son poste actuel le sergent Smith et que, par conséquent, [traduction] « ceci pourrait motiver la façon selon laquelle le surintendant principal Lench a examiné l’affaire, donnant lieu à une distorsion et une partialité importantes ». Le sergent Smith a présenté au décideur des éléments de preuve indiquant qu’il y a inimitié entre les deux parties. Cependant, il n’existe aucune preuve indiquant que cette inimitié est allée jusqu’au niveau de l’abus de pouvoir.

[81]  Le sergent Smith n’a pas été en mesure d’établir une proposition de rechange quant aux mesures que Lench aurait dû prendre lorsqu’on l’a alerté du comportement potentiellement frauduleux d’un membre.

[82]  L’enquête n’a pas constitué un exercice de harcèlement, mais s’est plutôt déroulée conformément à la loi. Le décideur a remarqué que l’enquête [traduction] « fut exceptionnellement rigoureuse dans les circonstances », mais que les mesures entreprises par Lench et le sergent Wilson n’ont pas permis de conclure qu’il y a eu d’abus de procédure.

[83]  Comme le défendeur l’a souligné à juste titre, le dossier démontre que le déroulement de l’enquête a respecté les exigences du Code et de la Loi sur la GRC.

(2)  Droit d’être entendu

[84]  Le sergent Smith a affirmé qu’il avait été réduit au silence par Lipinski pendant l’audience disciplinaire, au cours de laquelle Lipinski aurait levé la main et déclaré [traduction] « Je n’ai pas l’intention de fouiller davantage l’affaire ». L’arbitre d’appel a eu raison de conclure que l’affirmation du sergent Smith ne se retrouvait pas au dossier.

[85]  Le geste et le commentaire ne sont pas consignés au dossier, mais l’arbitre d’appel a correctement souligné les nombreuses occasions qu’a eues le sergent Smith de faire valoir ses arguments. De plus, les notes de Lipinski consécutives à la réunion disciplinaire indiquent que le sergent Smith a eu l’occasion de se faire entendre pendant la réunion disciplinaire. La pertinence de l’argument en question dans l’affaire dont il est saisi a peut-être amené Lipinski à faire les remarques contestées, mais, selon les documents dont je suis saisie, je ne suis pas d’accord pour dire que le sergent Smith n’a pas eu l’occasion de faire valoir ses arguments.

[86]  Je remarque que la Cour n’a pas été saisie de la détermination réelle des attributs d’équité procédurale qui doit être accordée au « droit d’être entendu » lors du processus de prise de décision de l’autorité disciplinaire. Je ne rends donc pas de décision à ce sujet dans les présents motifs.

(3)  Droit à un décideur impartial

[87]  Le sergent Smith n’a pas établi de crainte réelle ou raisonnable de partialité de la part de Lipinski ou de Dunn.

[88]  Dans l’arrêt Baker, on a conclu que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (par. 46).

[89]  Lorsque le sergent Smith a demandé que Lench soit retiré de l’enquête, il a été retiré immédiatement, même si le dossier certifié du tribunal [le DCT] indique que Lench ne croyait pas être en conflit d’intérêts ou qu’il ne pouvait pas ne pas mener une enquête impartiale.

[90]  Il est révélateur que le sergent Smith ait demandé que Lipinski soit affecté au dossier, et que lorsque Lipinski a rendu une décision avec laquelle le sergent Smith n’était pas d’accord, le sergent Smith a soutenu que Lipinski faisait preuve de partialité.

[91]  Dans le DCT, il existe des éléments de preuve attestant de la remise régulière de rapports à Lench en vertu de l’exigence de base relative à la note d’information en vertu de l’article 6.1 du Manuel d’administration, ch. XII.1. Déontologie qui exige que l’enquêteur effectue une mise à jour au membre visé tous les 14 jours jusqu’à ce que le rapport d’enquête final soit remis à l’autorité disciplinaire.

[92]  Je n’en viens pas à la conclusion qu’en suivant la politique pertinente, Lench pourrait être réputé diriger l’enquête d’une manière empreinte d’iniquité procédurale.

[93]  Le sergent Smith soutient que Dunn a également été impartial envers lui, mais peu d’éléments de preuve ont été présentés pour étayer un tel argument.

[94]  Des éléments de preuve aussi faibles que le fait d’alléguer que l’arbitre d’appel faisait [traduction] « partie d’une équipe de cadre supérieurs de la haute direction de la GRC ayant fait l’objet de critiques importantes » ou qu’il était l’ancien chef d’état-major du commissaire Paulson [Paulson] ayant fait l’objet des critiques du sergent Smith par le passé, ou encore que Dunn et Lipinski étaient des connaissances sur le plan professionnel, ne peuvent répondre au critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité. La preuve selon laquelle le décideur était un ancien chef d’état-major de Paulson et que le sergent Smith avait critiqué Paulson de ne pas avoir payé au départ la garde d’honneur présente à son mariage ne peut mener à une conclusion de crainte raisonnable de partialité de la part de l’arbitre d’appel.

[95]  Même si les parties ont confirmé lors de l’audience qu’elles ne cherchaient pas à me faire réviser l’allégation 1 qui a été infirmée, une partie de la preuve en ce sens a été présentée à l’audience. Je vais donc répondre à certains commentaires concernant l’allégation 1. Je ne crois pas que le fait de demander l’opinion d’une membre qui a été maréchale-ferrante soit une preuve de partialité ou d’iniquité procédurale. Le sergent Smith a toutefois avancé l’argument selon lequel les enquêteurs ayant recours à des personnes susceptibles de bénéficier de mutations ont fait preuve de partialité et d’injustice procédurale. Cet élément de preuve constitue un bel exemple de ouï-dire malveillant et, comme on l’a indiqué ci-dessus au paragraphe 32 et au paragraphe 40, je ne lui accorderai aucun poids.

[96]  Quoi qu’il en soit, le fait que l’arbitre d’appel ait infirmé la décision de Lipinski dans le cas de l’allégation 1 vient corroborer davantage la notion que le processus d’appel en matière disciplinaire a été mené correctement du point de vue de l’équité procédurale; les arguments du sergent Smith ont été clairement entendus par un décideur auquel on ne peut apposer une étiquette d’abus de procédure ou de crainte raisonnable de partialité.

(4)  Droit à la divulgation

[97]  Selon l’argument que le sergent Smith a fait valoir à l’audience, si toute la divulgation qu’il a finalement obtenue lui avait été accordée au tout début, la présente affaire n’aurait peut-être pas eu lieu ou à tout le moins, cela aurait changé ou influencé la décision initiale du décideur.

[98]  Il est regrettable que le sergent Smith ait dû avoir recours à des demandes de communication pour obtenir tous les documents qu’il estimait nécessaires pour la présentation de sa cause. Toutefois, cet état de choses est en partie attribuable au fait que le sergent Smith tentait de faire valoir une théorie axée sur la partialité et l’abus de pouvoir, ce qui, bien entendu, ne fait pas partie du cours normal de la divulgation relative à une audience afférente au Code de déontologie.

[99]  Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la divulgation demandée a été accordée au sergent Smith, sauf dans le cas des relevés d’utilisation de téléphone cellulaire. Le DCT atteste clairement que toute la divulgation a été faite. Je n’ai été saisie d’aucune preuve d’iniquité procédurale, car la documentation dont disposait le décideur de l’appel correspondait exactement à celle dont le sergent Smith disposait et celle dont doit être saisie la Cour en vertu du DCT.

[100]  En se fondant sur ce qui précède, l’argument du sergent Smith au sujet du droit à la divulgation est voué à l’échec.

[101]  On ne peut pas non plus admettre que les relevés d’utilisation de téléphone cellulaire du sergent Wilson soient accessoirement nécessaires ou pertinents pour l’arbitrage d’une réclamation relative à des rapports de dépenses irréguliers.

(5)  Droit à un avocat

[102]  Selon le Guide des CC (déontologie), il apparaît très clairement qu’un membre visé est admissible aux services d’un représentant des membres [RM] seulement s’il est passible de pénalités potentiellement graves, notamment le congédiement ou l’arrêt de la solde et des indemnités.

[103]  Le défendeur a fait valoir que la question est sans objet étant donné qu’au bout du compte, l’éventail des pénalités n’a pas atteint le seuil à partir duquel les services d’un RM sont nécessaires et que la modification de l’éventail des pénalités était de nature administrative plutôt que de constituer un changement fondamental.

[104]  Il est exact que Lipinski a mentionné dans une lettre du 27 juillet 2015 que la fourchette normale de sanctions en fonction de la décision de l’autorité disciplinaire joue entre la suppression de 21 jours et le congédiement dans le cas de l’allégation 2. Lipinski fait toutefois remarquer, dans la même lettre, que [traduction] l’« éventail de sanctions pouvant être imposées pour cette contravention dépasse mon pouvoir en vertu de la Loi sur la GRC », et que l’affaire devrait donc être renvoyée au sous-commissaire de la division « E ». Autre explication possible : la promotion subséquente de Lipinski au poste de commandant par intérim lui a donné les pouvoirs nécessaires pour aller de l’avant.

[105]  Ladite lettre a été modifiée de façon à indiquer que le congédiement ne figurait pas parmi les sanctions demandées.

[106]  J’estime que la lettre initiale est sans conséquence puisqu’elle a été modifiée et qu’elle indique clairement que les sanctions demandées n’étaient pas de l’ordre de celles justifiant le recours à un avocat. Lipinski a effectivement rendu la décision de l’autorité disciplinaire, dans laquelle il indique que la fourchette appropriée [traduction] « comprend un arrêt de solde d’une durée de 11 à 30 jours (que j’estime) suffisant pour répondre de façon appropriée à l’allégation 1 et à l’allégation 2 conjointement ».

[107]  Le sergent Smith n’a pas été privé de son droit à un avocat indépendant payé par la GRC, car les sanctions demandées ne se situaient pas dans l’éventail d’admissibilité aux services d’un avocat.

[108]  Nonobstant ce qui précède, le 13 janvier 2015, Brian Sauvé a indiqué, dans une réponse par courriel à une question du sergent Smith au sujet de la possibilité que la GRC finance le recours aux services d’un avocat, que [traduction] « Rien dans les présentes ne saurait empêcher un membre faisant face à des mesures disciplinaires d’être représenté ou dirigé par un avocat de pratique privée, à ses frais ».

[109]  Le droit à un avocat conféré par la common law en tant que tel impose à un intervenant administratif un devoir positif de fournir un avocat à un demandeur étant donné que l’objet historique principal des motifs de contrôle au titre de la common law fut de limiter l’exercice des pouvoirs publics en imposant des devoirs négatifs aux gouvernements. En termes plus simples, règle générale, le droit à l’assistance d’un avocat ne s’étend pas au droit à l’assistance d’un avocat financée par l’État, comme en fait foi la décision au paragraphe 10 de l’arrêt Alberta (Minister of Justice) v Bjorgan, 2005 ABCA 309.

[110]  Le sergent Smith a été informé qu’il avait le droit de bénéficier des services d’un représentant des relations fonctionnelles pour le soutenir pendant le processus décisionnel de l’autorité disciplinaire; toutefois, le sergent Smith a choisi de ne pas se prévaloir de ce droit. Il a également été informé qu’il était admissible aux services d’un RM pour se préparer à la réunion disciplinaire, mais il ne s’est pas prévalu de ce droit non plus.

[111]  Le sergent Smith pouvait également être représenté par un avocat du secteur privé. Le sergent Smith n’ayant pas droit aux services d’un avocat financés par la GRC, il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale.

VIII.  Observations relativement aux dépens

[112]  Le sergent Smith n’a pas demandé les dépens. Le sergent Smith a toutefois fait valoir qu’aucun dépens ne devrait être adjugé contre lui parce qu’il a cherché à accélérer l’audition de la présente requête et que le défendeur n’a pas accepté son offre de règlement de bonne foi.

[113]  Le défendeur a déposé un mémoire des frais et débours de 6 192,49 $. Lorsqu’on lui a demandé de proposer un montant forfaitaire pour les dépens, le défendeur a demandé un montant global de 1 000 $.

[114]  Dans l’arrêt Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115, le juge Létourneau, s’exprimant au nom de la Cour, a conclu que l’adjudication des dépens avait une triple finalité, à savoir l’indemnisation, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs.

[115]  Le dossier du DCT révèle que le sergent Smith n’a pas tenté de bonne foi de raccourcir ou de tronquer l’instance. En fait, le sergent Smith avait demandé au départ que la présente audience dure 15 heures.

[116]  D’autre part, le sergent Smith a tenté à plusieurs reprises de régler l’affaire, ce que le défendeur n’avait pas l’intention de faire selon lui.

[117]  En tenant compte de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pintea c. Johns, [2017] 1 RCS 470, 2017 CSC 23, qui souscrit à l’Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat (2006) établi par le Conseil canadien de la magistrature, une adjudication de 1 000 $ est sans doute trop onéreuse compte tenu des faits et de la bonne foi en l’instance démontrée par la comparution personnelle du sergent Smith et de son cheval et son chien.

[118]  J’adjugerai au défendeur, en guise de dépens, un montant forfaitaire de 200 $, taxes et débours inclus, payable immédiatement par le sergent Smith.


JUGEMENT dans l’affaire T-10-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé sera modifié pour que seul le procureur général du Canada apparaisse en tant que défendeur;

  2. La requête est rejetée;

  3. Les dépens de 200 $ sont payables immédiatement par le sergent Smith au défendeur sous forme de montant forfaitaire, taxes et débours inclus.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-10-18

 

INTITULÉ :

DAVID LLOYD SMITH c. LA GRC ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

David Smith

POUR LE DEMANDEUR,

(EN SON PROPRE NOM)

Maia McEachern

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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