Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181009


Dossier : IMM-642-18

Référence : 2018 CF 1006

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

VINCENT ASEERVATHAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 17 janvier 2018 de refuser sa demande d’asile (la décision), après avoir déterminé qu’il ne répond pas à la définition d’un réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger au titre des articles 96 et 97(1) de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR).

[2]  Le demandeur affirme avoir été persécuté par des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et de la formation du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal (TMVP), pour la raison qu’il était la seule personne d’origine tamoule à tenir une boutique de réparation et de vente d’ordinateurs à Kalmunai, au Sri Lanka, et qu’il a refusé d’aider les deux groupes en réparant ou en leur donnant des ordinateurs. Le demandeur affirme également que son statut de jeune Tamoul de la province de l’Est du Sri Lanka a eu pour effet d’accroître son profil de risque, et que l’armée sri-lankaise l’a forcé à admettre qu’il était membre des TLET, en plus de l’avoir torturé lorsqu’il a refusé de le faire.

[3]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR en soutenant qu’elle est déraisonnable. Il allègue qu’il y a eu manquement aux principes d’équité procédurale en raison d’une erreur d’interprétation qui n’a été révélée qu’à la suite de l’audience. Il ajoute que la SPR n’a pas analysé si le demandeur risque d’être soumis à des traitements cruels et inusités s’il retourne au Sri Lanka. Il soutient également que la SPR n'a pas fourni de motifs transparents et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité et l’invraisemblance à l’égard de la documentation relative à sa boutique informatique et de son enlèvement par des membres des TLET.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement aux principes d’équité procédurale et que l’évaluation de la preuve et la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne risque pas de faire l’objet de persécution sont raisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Exposé des faits

[5]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Il est arrivé au Canada le 9 septembre 2011, puis a présenté une demande d’asile, alléguant qu’il était recherché par les TLET, le TMVP et l’armée sri-lankaise.

[6]  Le demandeur raconte avoir ouvert une boutique de vente et de réparation d’ordinateurs à Kalmunai en 2006. Il affirme être la seule personne d’origine tamoule à exploiter un tel commerce. En mai de la même année, deux hommes qui se sont présentés comme des membres des TLET l’ont approché pour lui demander de réparer leurs ordinateurs. Pour éviter de compromettre son commerce et d’avoir des ennuis avec l’armée sri-lankaise, le demandeur a refusé de les aider. En guise de réponse, les deux hommes l’ont menacé d’une arme à feu, en disant qu’ils reviendraient. Plus tard ce soir-là, ils se sont rendus à la maison du demandeur, l’ont enlevé et l’ont amené dans un endroit inconnu, où ils lui ont demandé encore une fois de réparer les ordinateurs. Après avoir refusé, il a été séquestré et battu pendant trois jours. Il a finalement été renvoyé chez lui en raison de son état de santé aggravé. Il a trouvé refuge chez sa tante où il s’est caché pour échapper aux membres des TLET, qui continuaient à le chercher.

[7]  Le demandeur prétend qu’en 2007, des membres du TMVP, un groupe paramilitaire qui travaille avec l’armée sri-lankaise, sont venus dans sa boutique et lui ont demandé de leur donner de 8 à 10 ordinateurs. Le demandeur a refusé de se plier à cette demande, car la vente d’ordinateurs était sa seule source de revenus. On l’a menacé et accusé d’être membre des TLET. Les membres du TMVP se sont souvent rendus dans sa boutique pour le menacer à la pointe d’une arme à feu devant ses clients. Le demandeur a refusé à plusieurs reprises de les aider.

[8]  En août 2008, l’armée sri-lankaise a capturé les hommes tamouls de Kalmunai, y compris le demandeur, et les a emmenés dans un camp militaire. Le demandeur soutient que l’armée sri-lankaise a tenté de le forcer à signer une déclaration selon laquelle il était membre des TLET. Après avoir refusé de le faire, il a été torturé pendant deux ou trois jours. Les parents et amis ont aidé le demandeur en insistant sur le fait qu’il n’appartenait pas aux TLET, puis en soudoyant des officiers de l’armée; le directeur d’école du demandeur ainsi qu’un prêtre et des religieuses de son église ont également défendu ses intérêts, jusqu'à ce qu'il soit relâché du camp militaire. Craignant de subir d’autres violences, il a vendu sa boutique informatique, puis il a quitté le Sri Lanka.

[9]  Le demandeur s’est rendu à Hawaï en 2008, où il a présenté une demande d’asile. En attendant l’appel de sa demande d’asile aux États-Unis, il s’est rendu au Canada, où habitent certains membres de sa famille, et a présenté sa demande d’asile. L’affaire a été entendue par la SPR le 8 janvier 2018, et la demande d’asile du demandeur a été rejetée le 17 janvier 2018.

III.  Décision de la SPR

[10]  La SPR a établi que la propriété de la boutique informatique est au cœur de la demande du demandeur, puisqu’il a déclaré avoir été ciblé en 2006 par les TLET et en 2007 par le TMVP précisément en raison de ses activités commerciales. À l’appui de sa demande, le demandeur a produit un permis de vente d’ordinateurs et de matériel informatique délivré par le conseil municipal le 26 janvier 2006 et valide jusqu’au 31 décembre 2006. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment de documentation pour établir qu’il était le propriétaire du commerce à l’époque en cause, ce qui a miné sa crédibilité. La SPR a fait remarquer que, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas de permis pour 2007 et 2008, le demandeur était incapable de donner une explication raisonnable, si ce n’est que de déclarer que ce genre de permis n’était pas requis pour exploiter un commerce informatique dans sa municipalité. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur était contradictoire. La SPR a fait remarquer que le demandeur était incapable de fournir d’autres éléments de preuve pour démontrer que le commerce lui appartenait, comme des factures, des registres de vente ou tout autre document. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation du demandeur selon laquelle il était propriétaire et exploitant d’un commerce informatique n’était pas crédible.

[11]  La SPR a également conclu que les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait été enlevé et libéré après trois jours de captivité défiaient la logique et dépassaient l’entendement. La SPR a conclu qu’il n’était pas logique que les membres des TLET fassent preuve de discrétion en attendant la tombée de la nuit pour enlever le demandeur chez lui, sous les yeux de sa mère, qu’ils le ramènent chez lui dans une petite municipalité où presque tout le monde le connaît, mais qu’ils hésitent à l’enlever de sa boutique parce qu’il y a trop de gens dans les alentours.

[12]  La SPR a souligné que le demandeur a livré un témoignage incohérent quand on l’a questionné sur le manque d’outils nécessaires pour réparer des ordinateurs dans la pièce où il fut séquestré pendant son enlèvement. Le demandeur a affirmé que les membres des TLET ne lui ont fourni aucun outil pour la raison qu’ils savaient qu’il ne collaborerait pas avec eux. La SPR n’a accordé aucune crédibilité à cette explication, compte tenu des efforts concertés déployés par les TLET pour faire réparer leurs ordinateurs.

[13]  De plus, la SPR a constaté des divergences entre le témoignage du demandeur et son formulaire de renseignements personnels (FRP) en ce qui a trait aux incidents survenus avec le TMVP. Dans son FRP, le demandeur a déclaré que le TMVP venait le menacer à la pointe d’une arme à feu dans sa boutique [TRADUCTION] « de temps à autre ». Toutefois, au cours de l’audience, le demandeur a déclaré qu’il n’avait rencontré les membres du TMVP qu’à deux reprises, soit en juillet 2007 et en avril 2008.

[14]  En ce qui concerne les allégations du demandeur concernant la torture et la détention par l’armée sri-lankaise, la SPR a accordé peu de poids à un rapport médical, du fait qu’il était fondé sur le signalement des sévices par le demandeur. Elle a également accordé peu de poids à la lettre de la mère du demandeur, étant donné qu’elle était inéprouvée et contredisait le témoignage du demandeur.

[15]  Compte tenu du manque d’éléments de preuve corroborants, la SPR a conclu que le récit du demandeur sur sa détention par l’armée sri-lankaise manquait de crédibilité. La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il ne pouvait produire une lettre du directeur de son école qui avait défendu ses intérêts pour la raison qu’il était décédé, alors que la preuve documentaire indique le contraire. De plus, le demandeur n'a pas réussi à convaincre la SPR lorsqu’il a attribué son incapacité à produire des lettres d’appui du prêtre et des religieuses au fait qu’ils aient été transférés dans d’autres églises, puisqu’il aurait tout simplement pu demander à l’église de leur transmettre sa demande.

[16]  En analysant le profil résiduel du demandeur en tant que Tamoul qui retourne au Sri Lanka, la SPR a fait remarquer que la preuve documentaire indique que la situation au Sri Lanka a changé et que le simple fait d’être un jeune Tamoul du Sri Lanka ne constitue pas un fondement objectif suffisant pour une demande d’asile. La SPR s’est appuyée sur les lignes directrices de 2012 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour conclure que même si les autorités sri-lankaises soumettent les personnes rapatriées à un processus de sélection et à un interrogatoire, il faudrait que ces personnes entretiennent des liens avec les TLET pour que les autorités sri-lankaises aillent plus loin et leur infligent de mauvais traitements. Étant donné que le demandeur a clairement indiqué lors de l’audience que durant sa détention au camp militaire, l’armée sri-lankaise ne croyait pas qu’il était lié aux TLET, mais qu’elle l’a tout de même accusé de l’être dans le but d’extorquer de l’argent à sa famille, la SPR a conclu que le demandeur ne serait pas en danger de mort ou de torture, ou encore exposé à des peines cruelles et inusitées s’il devait retourner au Sri Lanka.

IV.  Questions en litige

[17]  Le demandeur a soumis un certain nombre de questions en vue du présent contrôle judiciaire. Je m’efforcerai donc de les analyser :

  1. Y a-t-il eu une erreur réelle et importante dans la traduction du témoignage du demandeur?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne subirait pas de traitement cruel et inusité s’il retournait au Sri Lanka?

V.  Norme de contrôle

[18]  Les questions soumises par le demandeur remettent en question l’évaluation par la SPR de la preuve en l’espèce et de la crédibilité du demandeur. Elles seront examinées suivant la norme de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de fait de la SPR et de son évaluation de la crédibilité des témoins. La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, et ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits de l’espèce et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[19]  La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale découlant de difficultés rencontrées pendant une audience de la SPR avec un interprète est celle de la décision correcte (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161, Goltsberg c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886, Sherpa c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2009 CF 267).

VI.  Analyse

A.  Y a-t-il eu une erreur importante dans la traduction du témoignage du demandeur?

[20]  Le demandeur soutient qu’il y a une erreur importante et déterminante dans la traduction de son témoignage qui lui a causé préjudice, lorsqu’il a été questionné à savoir si l’armée sri-lankaise croyait qu’il entretenait des liens avec les TLET. La transcription de l’audience indique que la SPR a demandé : [traduction] « Croient-ils que vous êtes membre des TLET? », ce à quoi le demandeur a répondu [TRADUCTION] « Ils ne le croient pas ».

[21]  Après l’audience, le demandeur a retenu les services d’un interprète indépendant qui a déposé une déclaration sous serment à l’appui de la présente demande. L’interprète déclare que la question de la SPR a été mal traduite et qu’elle était en fait formulée de la façon suivante : [traduction] « Croient-ils que vous n’êtes pas membre des TLET? » Le défendeur n’a pas contre-interrogé l’interprète et ne conteste pas le fait que la question de la SPR a peut-être été mal interprétée à l’audience, mais il soutient que l’erreur alléguée est sans importance compte tenu de la réponse du demandeur à la question.

[22]  Dans son arrêt Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2001 CAF 191, la Cour d’appel fédérale a statué sur le droit du demandeur à une interprétation continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante, et sur le fait qu’il n’est pas nécessaire pour le demandeur de démontrer qu’il a subi un préjudice réel suite à la violation de la norme d’interprétation pour que la Cour puisse modifier la décision de la SPR.

[23]  Bien que le demandeur n’est pas tenu de prouver qu’une erreur de traduction lui a causé un réel préjudice, l’erreur doit être grave et jouer un rôle déterminant dans les conclusions de la SPR (Mah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 853, au paragraphe 26, Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1028, au paragraphe 68). D’après ma lecture de la transcription, il est évident que le demandeur a compris l’essence de la question de la SPR en se fiant aux questions qui lui ont été posées précédemment. En réponse à une question posée plus tôt par la SPR, le demandeur a déclaré que l’armée sri-lankaise capture des gens, les accuse d’entretenir des liens avec les TLET et extorque de l’argent à leur famille. Que la question subséquente de la SPR sur la conviction de l’armée sri-lankaise que le demandeur est lié aux TLET soit formulée dans l'affirmative ou dans la négative, il n’en demeure pas moins que la réponse du demandeur ne laisse aucun doute sur le fait que l’armée ne croit pas qu’il soit lié aux TLET. Dans les circonstances, le demandeur n’a pas réussi à établir que la décision de la SPR est teintée d’une quelconque façon d’une mauvaise compréhension du témoignage qu’il a donné.

B.  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

[24]   Le demandeur a présenté de nombreux arguments selon lesquels la SPR a commis une erreur en tirant ses conclusions quant à sa crédibilité, soulignant qu’elle aurait pu parvenir à une conclusion différente et plus favorable. Toutefois, il est bien reconnu qu’il est loisible pour la SPR d’opter pour l'une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. C’est la totalité de la preuve contenue au dossier qui doit être évaluée à la lumière du bon sens et de l’expérience humaine. Après avoir tenu compte du témoignage de vive voix du demandeur et de la preuve documentaire, la SPR a tiré de nombreuses conclusions défavorables sur sa crédibilité.

[25]  Je n’ai pas l’intention de passer en revue chacune de ces conclusions, mais j’aimerais examiner quelques-uns des exemples mentionnés par le demandeur pour expliquer pourquoi j’ai conclu que l’évaluation globale de la preuve et celle de la crédibilité du demandeur par la SPR ne sont pas déraisonnables.

(1)  Propriété d’un commerce informatique

[26]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable concernant l’absence de documents pour étayer ses allégations selon lesquelles il était propriétaire d’une boutique de vente et de réparation d’ordinateurs. Il affirme que le permis émis en 2006 est le meilleur moyen de prouver qu’il en était le propriétaire. De plus, puisqu’il a vendu sa boutique il y a neuf ans, il n’est pas en mesure d’obtenir la documentation pertinente. Il ajoute que cette information peut être corroborée par la déclaration écrite qu’il a présentée aux autorités américaines dans le cadre de sa demande d’asile aux États-Unis. Le demandeur réitère qu’il a cessé de renouveler son permis après l’année 2006, parce qu’il a appris qu’il n'en avait pas besoin pour exploiter son commerce. Il affirme que la SPR a commis une erreur en supposant que l’existence de ces permis garantirait nécessairement l’application des règlements municipaux.

[27]  Le fardeau de la preuve incombait au demandeur quant à sa demande d’asile. Étant donné que la seule raison pour laquelle le demandeur était ciblé et soumis à l’enlèvement et à la torture était qu’il était propriétaire d’une boutique de vente et de réparation d’ordinateurs, il était primordial pour lui de fournir des éléments de preuve pour corroborer son récit. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il était le propriétaire de la boutique informatique, n’ayant pas suffisamment d’éléments de preuve à sa disposition. De plus, le fait que le demandeur a indiqué dans sa demande d’asile aux États-Unis qu’il était un technicien en informatique à l’emploi de « Real Lines », une entreprise de vente et de réparation d’ordinateurs, n’a appuyé en rien l’affirmation du demandeur selon laquelle il était propriétaire. Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été établie dans la décision de la SPR en ce qui concerne la propriété par le demandeur de la boutique informatique.

(2)  Allégations d’enlèvement et de torture

[28]  Le demandeur allègue qu’il a été enlevé en mai 2006 par des membres des TLET qui l’ont torturé quand il a refusé de réparer leurs ordinateurs. La SPR a conclu que les allégations du demandeur défiaient la logique et dépassaient l’entendement. Le demandeur soutient que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables d’invraisemblance et n’a pas appliqué la bonne norme juridique. Dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 (Valtchev), le juge Francis Muldoon prévient, au paragraphe 7, que le tribunal ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents. Le demandeur affirme que la SPR a évalué de façon déraisonnable les actions des groupes terroristes, de l’armée sri-lankaise et du TMVP, en arrivant à sa conclusion à partir d’un point de vue exclusivement canadien de ce qui est vraisemblable.

[29]  Je pars du principe que lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, il se crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas réussi à établir que la SPR avait indûment teinté sa propre vision de ce que constitue un comportement rationnel sans étayer ses conclusions par la preuve. Il faut faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la SPR, à la lumière de sa capacité à observer directement le comportement du témoin, de son expertise et du rôle central qu’il joue en tant que juge de faits. Il était loisible pour la SPR d’avoir des doutes sur le récit du demandeur, compte tenu des contradictions dans ses éléments de preuve, du manque de preuve corroborante et du manque de bon sens. J’estime qu’il a beaucoup d’éléments de preuve qui appuient les conclusions de la SPR. Contrairement à ce qui a été avancé, les motifs fournissent amplement de justification, de transparence et d’intelligibilité.

(3)  Manque de preuve corroborante

[30]  La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’omission, par le demandeur, de produire des lettres et des documents corroborants des personnes qui l’ont aidé à obtenir sa libération du camp militaire sri-lankais, ce qu’il aurait raisonnablement pu faire. Le demandeur affirme que la SPR n'a pas tenu compte de son explication selon laquelle les personnes qui lui sont venues en aide au Sri Lanka craignaient d’avoir des ennuis avec le gouvernement s’ils écrivaient des lettres d’appui. Je ne suis pas d’accord.

[31]  Le demandeur a présenté un récit changeant pour expliquer son défaut de fournir des éléments de preuve corroborants. Il n’a fourni aucune explication raisonnable de la raison pour laquelle le prêtre et les religieuses qui avaient défendu les intérêts du demandeur devant l’armée sri-lankaise auraient refusé de l’aider en fournissant des éléments de preuve corroborants. Il était loisible à la SPR de tirer une conclusion défavorable du peu d’effort que le demandeur a déployés pour recueillir des déclarations de ces témoins éventuels.

C.  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne subirait pas de traitement cruel et inusité s’il retournait au Sri Lanka?

[32]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse approfondie de sa demande au regard de l’article 97 de la LIPR et qu’elle n’a pas donné de motifs transparents pour expliquer sa décision défavorable à l’égard de cette question. Le demandeur invoque Kailajanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 970, pour faire valoir que les personnes rapatriées au Sri Lanka, même si elles ne sont pas liées aux TLET, sont exposées à un risque. De plus, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les jeunes Tamouls qui ont des cicatrices sont plus souvent jugés comme étant impliqués avec les TLET par les autorités sri-lankaises. Cet argument est sans fondement.

[33]  Dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une conclusion généralement défavorable quant à la crédibilité du demandeur suffit pour rejeter la demande au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, à moins que le demandeur ne dépose au dossier une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision en sa faveur. Dans les décisions Thevarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 458, et Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349, le juge Alan Diner déclare que la SPR a le devoir de déterminer si le demandeur est exposé à une sérieuse possibilité de persécution, surtout s’il s’agit d’un jeune tamoul réfugié rapatrié du Canada, et d’analyser comment il serait perçu par les autorités sri-lankaises, même s’il n’est pas réellement lié aux TLET.

[34]   En l’espèce, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de lien perçu ou réel avec les TLET. En fait, le demandeur a déclaré à l’audience que les autorités du Sri Lanka ne croient pas qu’il soit membre des TLET ou qu’il soit associé à ce groupe. La SPR a expressément conclu, après avoir examiné les documents soumis par le demandeur sur la situation du pays en cause, y compris ceux présentés après l’audience, que le demandeur ne serait pas en danger de mort ou de torture, ou exposé à un risque de peines cruelles et inusitées. Je ne trouve aucune erreur dans le raisonnement de la SPR énoncé aux paragraphes 39 à 46 de la décision.

VII.  Conclusion

[35]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Comme les parties n’ont pas proposé de questions à certifier, aucune ne le sera.


JUGEMENT DANS IMM-642-18

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été certifiée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-642-18

 

INTITULÉ :

VINCENT ASEERVATHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AOÛT 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.