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Date : 20181017


Dossier : IMM-1412-18

Référence : 2018 CF 1043

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ERIC APPIAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, un ressortissant ghanéen, conteste la légalité ou le caractère raisonnable d’une décision rendue par un agent des visas au haut-commissariat du Canada au Ghana (l’agent), rejetant sa demande de permis de travail présentée à l’extérieur du Canada. L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire en raison de fausse déclaration. Par conséquent, le demandeur est interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans (alinéa 40(2)a) et paragraphe 40(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (Loi).

[2]  Les conclusions de l’agent sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, tandis que la question d’équité procédurale est contrôlée selon la norme de la décision correcte : Vetharaniyam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1116, aux paragraphes 8 et 9. Je suis convaincu que les conclusions de l’agent sont étayées par la preuve et que la conclusion d’interdiction de territoire est raisonnable. De plus, l’agent n’a pas violé le droit du demandeur à l’équité procédurale.

[3]  Les faits dans l’affaire sont assez simples. En septembre 2017, le demandeur s’est vu offrir un poste de cuisinier dans un restaurant du Québec pendant trois ans ou pour la durée de son permis de travail éventuel. L’offre d’emploi a fait l’objet d’une étude d’impact sur le marché du travail favorable de la part du gouvernement fédéral, et a été approuvée par le gouvernement du Québec au moyen d’un certificat d’acceptation du Québec. Par la suite, le 2 octobre 2017, le demandeur a présenté une demande de permis de travail à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Pour appuyer sa demande de permis de travail, le demandeur a déposé un certificat de compétence en cuisine délivré par une école de métiers nationale ghanéenne et une attestation d’emploi dans un restaurant ghanéen depuis octobre 2015, en plus de son offre d’emploi dans un restaurant canadien.

[4]  Dans les formulaires de demande de permis de travail, la question suivante a été posée au demandeur : [traduction] « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, ou encore l’entrée au Canada ou dans un autre pays ou territoire, ou avez-vous déjà reçu l’ordre de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » Le demandeur a répondu « non ».

[5]  Le 14 décembre 2017, le demandeur a reçu une lettre du haut-commissariat lui demandant de se présenter à une entrevue le 19 décembre 2017. Le demandeur s’est présenté au haut-commissariat et l’agent qui a effectué l’entrevue a transcrit l’entrevue dans les notes du Système mondial de gestion des cas (Notes du SMGC). Après avoir demandé au demandeur pourquoi il voulait postuler un emploi au Canada et comment il avait découvert le poste, l’agent qui l’a reçu en entrevue lui a posé des questions au sujet de sa formation, de son travail de cuisinier et des plats offerts au restaurant qui l’employait au Ghana. L’agent a noté l’hésitation du demandeur, même si celui-ci a finalement énuméré certains plats qu’il cuisinait au travail, décrit comment il cuisinait le riz frit et parlé de certains assaisonnements qu’il utilisait. En réponse aux autres questions, le demandeur a dit qu’il n’avait jamais demandé à voyager dans un autre pays et que c’était sa première demande de visa.

[6]  Voici une transcription du reste de l’entrevue :

[traduction]

L’agent : D’accord, il y a quelqu’un dans notre système qui s’appelle Eric Kwame [sic] Apiah ayant la même date de naissance que vous et qui a déjà demandé un visa. Est-ce vous?

Le demandeur : Je ne m’en souviens pas.

L’agent : Donc, vous ne vous souvenez pas d'avoir déjà fait une demande de visa canadien?

Le demandeur : Non, je ne m’en souviens pas.

L’agent : Lorsque cette personne a présenté sa demande, il y avait une lettre d’un révérend Peter Jelinic au dossier. Êtes-vous sûr que ce n’est pas vous qui avez présenté cette demande?

Le demandeur : Je me souviens qu’à un moment donné, il m’a dit qu’il m’aiderait à faire mes études là-bas, mais ça fait longtemps. Je ne m’en souviens pas.

L’agent : Je crains que vous ayez déjà présenté une demande de visa pour le Canada et que vous nous cachiez délibérément cette information. Avez-vous quelque chose à dire par rapport à cela?

Le demandeur : Comme je l’ai dit, je ne m’en souviens pas, mais je pense que c’est le cas. Ça fait longtemps.

L’agent : D’après les réponses que vous m’avez données jusqu’à maintenant, je crains que vous soyez en train de faire une fausse déclaration au sujet de vos antécédents en matière de demande pour le Canada. Cela veut dire que vous n’êtes pas tout à fait honnête. Si l’on découvre que vous avez fait une fausse déclaration, vous serez interdit de territoire au Canada pendant cinq ans. Je vais renvoyer la décision à mon supérieur qui a le pouvoir de rendre une décision finale. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Le demandeur : La seule chose que je dirai, c’est que j’ai oublié être venu ici.

L’agent : Vous êtes donc déjà allé au haut-commissariat pour un demander un visa?

Le demandeur : Je ne m’en souviens pas.

L’agent : D’accord, merci, M. [sic] Apiah. Cela met fin à l’entrevue. Merci, vous allez recevoir une lettre de décision finale par la poste d’ici une semaine ou deux.

[7]  Le 5 février 2018, le haut-commissariat a informé le demandeur par la poste que l’agent avait rejeté la demande de permis de travail en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, pour directement ou indirectement, avoir fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. Le 8 février 2018, le demandeur a demandé un réexamen de la décision de l’agent. Le haut-commissariat a examiné le dossier du demandeur et a rejeté la demande de réexamen le 19 février 2018.

[8]  Devant la Cour, le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable pour la raison que les renseignements que le demandeur a cachés n’étaient pas importants et qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne cachait pas d’information ou ne faisait pas de fausse déclaration.

[9]  Je me pencherai d’abord sur la question de l’équité procédurale.

[10]  Le demandeur prétend qu’il n’a pas eu l’occasion de fournir d’autres explications au sujet de sa demande de permis d’études refusée après l’entrevue au moyen d’une lettre d’équité procédurale. À l’inverse, le défendeur soutient que la procédure était équitable : l’agent qui a réalisé l’entrevue a questionné le demandeur plus d’une fois au sujet de la demande de permis d’études refusée, et lui a donc accordé l’occasion, en toute équité, de dissiper les doutes à cet égard.

[11]  Je suis d’accord avec le défendeur. Le demandeur a eu amplement l’occasion pendant l’entrevue de dissiper les doutes de l’agent au sujet du permis d’études. Nul besoin de recourir à une lettre d’équité procédurale. Le demandeur connaissait les doutes de l’agent à l'entrevue, et n’a pris aucune autre mesure pour les dissiper avant que ce dernier ne rende sa décision.

[12]  En outre, le demandeur affirme que la conclusion d’interdiction de territoire de l’agent était déraisonnable. La conduite de l’agent ne constituait pas une interprétation inexacte des faits, car elle ne risquait pas d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, puisque le demandeur a finalement reconnu que sa demande précédente de permis d’études avait été rejetée. Les renseignements dont disposait l’agent au moment de prendre sa décision étaient exacts. Tant que la fausse déclaration est corrigée avant que la décision de l’agent soit rendue, il ne peut y avoir de fausse déclaration. Le demandeur soutient en outre que la demande de permis d’études refusée n’était pas pertinente à la demande de permis de travail et qu’elle n’aurait pas pu influencer la décision finale de l’agent concernant la demande; par conséquent, le demandeur n’a pas caché de fait important.

[13]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent de refuser la demande de permis de travail était raisonnable en raison de la fausse déclaration. Le demandeur n’a jamais admis avoir déjà demandé un permis d’études, et par conséquent, la fausse déclaration n’a pas été corrigée. Le défendeur soutient que le demandeur a omis de mentionner un fait important, puisque la demande de permis d’études refusée était pertinente à la demande de permis de travail. De l’avis du défendeur, ce fait était important quant au but véritable de la visite du demandeur au Canada et à l’authenticité de son statut de visiteur. Le défendeur soutient que l’omission du demandeur de divulguer la demande antérieure aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, même si, en définitive, l’agent disposait des renseignements exacts.

[14]  Je rejette les arguments du demandeur selon lesquels l'omission de mentionner le permis d’études était sans importance et ne pouvait entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Il est faux de prétendre que le demandeur a [traduction] « admis librement » avoir déjà demandé un permis d’études, alors qu’il l’a fait seulement après que l’agent qui a réalisé l’entrevue lui a rappelé. À la lecture des Notes du SMGC, je remarque que le demandeur a continué d’affirmer qu’il ne s’en souvenait pas. Enfin, lorsqu’il a été confronté à la lettre du révérend Jelinic, il a reconnu qu’il croyait que ce dernier voulait l’aider à faire des études au Canada, mais a soutenu tout au long de l’entrevue qu’il ne se souvenait pas d’avoir présenté une demande de permis d’études.

[15]  Je rejette également la prémisse du demandeur selon laquelle une déclaration, ou l’omission de divulguer des renseignements, n’est pas importante si le demandeur corrige la fausse déclaration avant qu’une décision ne soit prise sur la demande de visa. L’analyse de l’importance ne se limite pas à un moment particulier du traitement de la demande : Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, au paragraphe 12 (Haque); Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, au paragraphe 19 (Wang); Tan Gatue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 730, au paragraphe 37; Bundhel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1147, aux paragraphes 7 à 9; Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2012 CF 428, aux paragraphes 25 et 26 (Oloumi). Conclure le contraire permettrait à un demandeur de faire une fausse déclaration ou de cacher tout renseignement qu’il juge préjudiciable à sa demande, et de ne les divulguer qu’après que les autorités lui demandent de le faire. La franchise ne doit pas être découragée. Je note également que l’alinéa 40(1)a) de la Loi traite du fait de « faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la [...] [L]oi ». Bien que le demandeur n’ait pas nécessairement entraîné une erreur, dans la mesure où il a été réticent à divulguer des renseignements importants, il aurait pu entraîner une telle erreur : Mai c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 101, au paragraphe 18.

[16]  Bien que le refus d’une demande de permis d’études présentée seize ans auparavant puisse sembler sans importance pour le demandeur, il demeure que le demandeur tentait d’entrer au Canada à titre de résident temporaire. La demande de permis d’études aurait pu être refusée pour des raisons qui ne se rapportaient pas directement à la demande de permis de travail, mais elles auraient aussi pu s’y rapporter directement, comme l'inobservation des critères d’admissibilité prévus dans la Loi. En l’espèce, l’agent a fait valoir qu’en raison de la fausse déclaration du demandeur, il craignait que ce dernier ne soit pas un visiteur authentique qui quitterait le Canada à la fin de sa visite, étant donné que cela aurait pu être le motif du refus de la demande de permis d’études du demandeur. L’agent aurait pu entreprendre le processus différemment s’il avait été informé de la demande de permis d’études refusée, puisqu’il aurait alors eu l’occasion d’enquêter sur les motifs du refus : Mohseni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 795, au paragraphe 41; Haque, au paragraphe 11. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de conclure que la demande de permis d’études refusée était un fait important par rapport à une question pertinente.

[17]  J’ai également examiné l’exception relative à « l’erreur de bonne foi ». Le demandeur soutient que, parce qu’il a oublié la demande de permis d’études, il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements et qu’il ne devrait pas être assujetti à la règle sur la fausse déclaration. Le défendeur affirme que l’exception de la conviction honnête et raisonnable à la fausse déclaration est restreinte et ne devrait pas s’appliquer à la situation du demandeur.

[18]  L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut qu’excuser la non-divulgation de renseignements importants que dans des circonstances extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n'avait pas connaissance de la fausse déclaration (Wang, au paragraphe 17; Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87, au paragraphe 22; Medel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 CF 345). L’exception a été appliquée dans certains cas, lorsque les renseignements fournis par erreur ont pu être corrigés par l’examen d’autres documents présentés dans le cadre de la demande, laissant entendre qu’il n’y avait pas eu intention d’induire en erreur : Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421, au paragraphe 16; Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 1820. Les tribunaux n’ont pas appliqué cette exception lorsque le demandeur était au courant des renseignements, mais affirmait ne pas savoir honnêtement et raisonnablement qu’ils étaient importants pour la demande; la connaissance de ces renseignements n’échappait pas à la volonté du demandeur et il est de son devoir de remplir la demande avec exactitude : Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, aux paragraphes 31 à 34; Diwalpitiye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 885; Oloumi, au paragraphe 39; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 18; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020, au paragraphe 10.

[19]  La Cour ne peut conclure que le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de fait important. Si, au moment de sa demande, le demandeur était au courant de la demande antérieure de permis d’études refusée, il ne peut pas invoquer l’exception relative à « l’erreur de bonne foi ». Il est certainement plausible que le demandeur n’était plus subjectivement conscient de la demande de permis d’études présentée seize ans plus tôt. Cependant, je ne suis pas mieux placé que l’agent pour déterminer si le demandeur a honnêtement oublié la demande de permis d’études refusée. L’agent des visas fait preuve d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la conclusion de fait tirée : Kavugho-Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597, au paragraphe 13; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328, au paragraphe 20. Même si l’on peut certainement soutenir que le demandeur a honnêtement et raisonnablement oublié la demande de permis d’études refusée, je ne suis pas prêt à conclure que la décision contraire de l’agent était déraisonnable.

[20]  Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejette la présente demande. Le conseil convient qu’aucune question de portée générale ne doit être certifiée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans IMM-1412-18

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1412-18

 

INTITULÉ :

ERIC APPIAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Barbara J. Leiter

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Simone Truong

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leiter Rahme Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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