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Date : 20180905


Dossier : IMM-4163-17

Référence : 2018 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 septembre 2018

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

CHENCHEN MAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Chenchen Mao (le demandeur) sollicite un contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SAR) rejetant l’appel du demandeur porté à l’encontre d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine qui a demandé l’asile au Canada en raison de sa pratique du Falun Gong en Chine, qui a été portée à l’attention du Bureau de la sécurité publique (le BSP).

[3]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en grande partie en raison d’un certain nombre de conclusions défavorables relativement à sa crédibilité, dont certaines incohérences entre son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et sa demande de visa de visiteur pour les États-Unis, d’importantes omissions dans son FDA et parce qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis.

[4]  Lorsqu’il a interjeté appel auprès de la SAR, le demandeur a demandé la tenue d’une audience dans l’éventualité où elle procéderait à une évaluation indépendante de sa crédibilité.

[5]  La SAR a refusé de tenir une audience au motif qu’en l’absence de nouveaux éléments de preuve, elle n’avait pas la compétence nécessaire pour procéder à une audience. Pour le reste, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR, même si la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en concluant que la demande de visa de visiteur pour les États-Unis présentée par le demandeur contenait sa véritable identité, contrairement à d’autres documents qui avaient été présentés pour établir l’identité du demandeur.

[6]  Dans sa décision, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas fait une évaluation adéquate du chuanpiao, et a elle-même procédé à cette évaluation. Bien que le demandeur ait qualifié ce document de sommation, la SAR a conclu qu’il s’agissait davantage d’une assignation, c’est-à-dire que le demandeur devait comparaître, mais sans faire l’objet d’une détention ou d’une arrestation.

[7]  La SAR a établi que le cumul des conclusions défavorables relatives à la crédibilité était suffisant pour confirmer la décision défavorable de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong, et qu’il ne serait pas perçu comme tel en Chine.

[8]  Le demandeur soutient maintenant que la SAR a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant de lui accorder une audience et en soulevant, sans préavis, une nouvelle question relative à la crédibilité du chuanpiao. Il soutient également que la SAR a omis de prendre en considération l’ensemble de la preuve et a rendu une décision déraisonnable.

[9]  La première question à aborder est la norme de contrôle, à commencer par la première, à savoir la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la décision de la SAR.

[10]  La norme de contrôle correcte que la présente Cour doit appliquer lorsqu’elle examine une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable; voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, (2016), 396 D.L.R. (4th) 527 (C.A.F.), au paragraphe 35. La Cour ne doit donc pas intervenir si la décision de la SAR est intelligible, transparente et justifiée, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.; voir la décision dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

[11]  Ensuite, je fais référence à la norme de contrôle que la SAR doit appliquer dans le cadre d’un appel d’une décision rendue par la SPR.

[12]  Dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision de la SAR, la cour de révision doit examiner la norme de contrôle appliquée par la SAR à la décision rendue par la SPR. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Huruglica, précité, au paragraphe 77 :

[...] je ne trouve rien dans la LIPR qui justifie le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SAR.

[13]  Selon l’arrêt Dunsmuir précité de la Cour suprême du Canada, le contrôle judiciaire s’effectue généralement au regard de deux normes seulement, soit celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. Si la norme de la raisonnabilité ne s’applique pas, seule la norme de la décision correcte doit être appliquée par la SAR dans son examen de certaines questions dont la SPR a été saisie.

[14]  Au paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. […]

[15]  À mon avis, le paragraphe précité signifie que la SAR doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine les décisions de la SPR qui ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix.

[16]  Le contrôle des questions d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte; voir la décision dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339.

[17]  Je ne vois pas d’erreur de la part de la SAR dans son refus d’accorder une audience au demandeur.

[18]  Le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve à la SAR. Aux termes du paragraphe 110(6) de la Loi, la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe de nouveaux éléments de preuve à examiner.

[19]  De même, je ne suis pas convaincu que la SAR n’ait pas respecté l’équité procédurale en examinant une nouvelle question sans en aviser le demandeur.

[20]  Le statut du chuanpiao, qu’il s’agisse d’une assignation à comparaître ou d’une autre forme de document, était clairement une question dont la SPR et la SAR ont été saisies. Le document a été présenté en preuve. Même si la SAR a fait remarquer que la SPR n’avait pas traité de ce document, elle avait le pouvoir de le faire. Il ne s’agissait pas d’une « nouvelle question ».

[21]  Toutefois, je ne suis pas convaincue que la SAR a raisonnablement examiné l’ensemble de la preuve, en particulier les éléments de preuve concernant la pratique du Falun Gong par le défendeur en Chine ou au Canada.

[22]  Dans ces circonstances, la décision de la SAR ne répond pas à la norme de contrôle applicable et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[23]  La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un comité de la SAR différent, et l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT DANS IMM-4163-17

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SAR. L’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4163-17

 

INTITULÉ :

CHENCHEN MAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 5 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Lev Abramovich

Ronald Shacter

POUR LE DEMANDEUR

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEVINE ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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