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Date : 20181022


Dossier : IMM-5089-15

Référence : 2018 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

GIOVANI ACEVEDO ARANGO

CRISTIAN CAMILO ACEVEDO GOMEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 22 octobre 2015, rejetant les demandes d’asile des demandeurs en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Les demandeurs sont un père et un fils colombiens qui ont fourni des éléments de preuve selon lesquels ils ont été ciblés dans leur ville natale de Buenaventura par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) parce qu’ils avaient refusé de payer les sommes d’argent que des membres des FARC avaient tenté de leur extorquer.

[2]  Dans le présent contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent principalement que, pour rendre une décision à l’égard de leur demande, la SPR devait déterminer si la protection de l’État en Colombie était suffisante pour eux en tant que simples citoyens du pays, et elle ne l’a pas fait. De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle sans examiner des éléments de preuve fondamentalement importants.

[3]  La Cour a examiné et appuyé l’argument qui lui a été soumis. Les demandeurs s’appuient sur le passage suivant, aux paragraphes 10 et 11 de la décision inédite rendue par le juge Gleeson le 2 septembre 2015 dans l’affaire Pelaez Barrios c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-7956-14, citée intégralement en annexe des présents motifs :

[traduction] Le demandeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que même si la Commission a reconnu la nécessité d’une évaluation particularisée de la pertinence du caractère adéquat de la protection de l’État, elle n’a pas effectué une telle analyse. En examinant les efforts du gouvernement colombien, la Commission souligne les réussites tactiques des forces de sécurité colombiennes et le succès de son programme volontaire de démobilisation des guérilleros et des paramilitaires. La Commission estime que cette réussite équivaut à une protection adéquate de l’État pour une personne ciblée par les FARC.

Les programmes et les efforts de l’État examinés dans la décision de la Commission pourraient bien être adéquats pour contrer et réduire la menace des FARC sur le plan militaire ou sur le plan de la sécurité. Toutefois, il n’est pas évident comment ces efforts démontrent le caractère adéquat de la protection de l’État du point de vue d’un citoyen ciblé spécifiquement par les FARC. C’est le caractère adéquat à ce niveau qui doit être examiné par la Commission. [Citations omises; Je souligne.]

[4]  Au cours de l’audience devant la SPR, l’avocat des demandeurs a présenté l’exposé détaillé suivant de la preuve au dossier portant sur l’insuffisance de la protection de l’État du point de vue des citoyens ordinaires expressément ciblés par les FARC :

[traduction] Donc, ce n’est pas – c’est un cas, je suis d’avis, où, bien qu’il y ait eu des améliorations en Colombie et que l’État, vous savez, en fait plus et essaie d’améliorer la situation, la police n’est toujours pas en mesure, elle ne peut pas ou ne veut pas, elle ne peut pas à mon avis, aider les personnes ciblées expressément par les FARC.

Pour ce qui est des documents sur le pays qui étayent cette affirmation, je vais essayer de vous soumettre ce que je considère être les documents les plus importants; il y en a, bien sûr, beaucoup, beaucoup plus.

Le rapport du Département d’État commence par déclarer que les problèmes les plus graves en matière de droits de la personne dans le pays sont l’impunité, un système judiciaire inefficace et le déplacement forcé. Et il s’agit ici d’un revendicateur qui fait l’objet d’un déplacement forcé et l’impunité est, de toute évidence, la principale préoccupation.

Dans la documentation que je vous ai remise — encore une fois, c’est la pièce 6, sous la deuxième rubrique Documents sur le pays, au début de la page 33, il y a une série d’articles ou de rapports portant sur le déplacement, sur la situation particulière à Buenaventura, entre autres. Je vous signale donc deux ou trois choses. Tout d’abord, la page 36, en haut de – la colonne du milieu de la page. Le paragraphe explique que le déplacement en Colombie est toujours motivé par le conflit armé qui se poursuit malgré le processus de paix en cours. Bien qu’il y ait moins d’hostilités entre le gouvernement et les FARC, l’insécurité et la violence sévissent encore et des problèmes persistent, y compris ce qui est arrivé à ce demandeur d’asile, soit l’extorsion et le fait d’être forcé de quitter sa maison. Cela permet, pourrait-on dire, de contextualiser – ce cas, de le replacer dans le contexte de la situation politique du pays.

À la page 39 du même rapport, on parle de groupes armés partout au pays qui continuent de terroriser la population et on mentionne spécifiquement Buenaventura comme étant l’une des villes les plus durement touchées.

À la page 44, il y a un rapport de Human Rights Watch qui mentionne encore une fois spécifiquement Buenaventura comme ayant le taux de déplacement le plus élevé au pays. Et, aux pages 55 et 56, il y a un article qui parle des attaques incessantes menées par les FARC à Buenaventura, y compris une attaque qui a laissé toute la ville sans électricité, et qui fait allusion aussi à la ville comme le plus grand port de Colombie, comme l’a expliqué le demandeur d’asile. L’article parle aussi des attaques des FARC contre la police là-bas. Cela montre donc le pouvoir que continuent à exercer les FARC sur l’État.

À la page 43, on cite un autre rapport de Human Rights Watch, qui se trouve également dans le Cartable national de documentation, qui dit que l’administratif — l’administration tolère invariablement les attaques en raison d’enquêtes bâclées, ce qui signifie que les auteurs sont rarement arrêtés. Et cela résume, je pense, le principal problème de la protection de l’État.

À la page 46, il est question d’une loi qui a été adoptée en 2012 et selon laquelle, si les pourparlers de paix aboutissent à un accord de paix, on prévoit accorder l’immunité à tout le monde; le gouvernement, les guérilleros paramilitaires, sauf les personnes que l’on considère comme porteuses des plus lourdes responsabilités. Les gens ordinaires, comme les demandeurs, ne s’attendent donc pas à être protégés contre des personnes qui sont ciblées comme celles-ci.

À la page 57, vous avez un article de Human Rights Watch, un rapport sur Buenaventura. On y parle surtout des paramilitaires qui commettent des actes de violence partout dans la ville. Il y a aussi des cas de démembrement de personnes; c’est considéré comme une situation de crise.

À la page 58, on peut lire que beaucoup de gens ne portent pas plainte aux autorités parce qu’ils ont peur et qu’ils se méfient des autorités, ce qui est le cas du demandeur d’asile. À la page 60, on mentionne que les FARC exercent toujours leurs activités dans des secteurs (inaudible) de Buenaventura; à la page 57, on parle d’extorsion à l’égard de gens d’affaires, ce qui est, je dirais (sic), un problème; dans les pages 60 à 69, on mentionne que les menaces proférées par les paramilitaires ou par leurs agresseurs à l’endroit de personnes qui seraient tentées de porter plainte à la police sont courantes.

Encore une fois, cela confirme tant la vraisemblance que l’échec de la protection de l’État. Et l’article continue, dans les pages 60 à 69, de parler de l’impunité. En mars 2014, personne n’avait été inculpé pour les disparitions à Buenaventura, et l’article explique que c’est principalement à cause du nombre élevé de cas; il est impossible pour le procureur de suivre le rythme et, bien que des ressources y aient été affectées depuis, il n’y a toujours qu’un seul procureur. Et donc l’impunité demeure et il y a très peu de condamnations pour ce genre de crimes dans la ville.

À la page 71, on dit que les résidents ont peur d’être vus en train de parler à la police et donc ils ne l’aident pas – ils ne peuvent pas aider la police à mener une enquête, même si la police a l’intention d’enquêter. Et ces (inaudible) autres critiques que les résidents ont à l’égard de la police qui est là, qui n’est pas toujours là, les gens se plaignent de la collusion ou du fait que la police patrouille uniquement dans les rues principales. Elle est là en apparence plus qu’en réalité. Et donc, il y a plus d’articles dans la pièce qui, je dirais, je ne les montrerai pas, mais ils relatent les mêmes types d’exemples, expressément dans cette ville.

Or, le demandeur a bien sûr quitté la ville; il ne voulait pas quitter son pays. Il a indiqué qu’il faisait ce qu’il pouvait pour y rester dans l’espoir de pouvoir s’organiser pour recommencer ailleurs. Mais parce qu’il a été suivi, parce que les menaces n’ont pas cessé, il a dû partir.

La dernière chose que j’aimerais souligner, c’est la Réponse à la demande d’information, c’est-à-dire celle qui explique ce que signifie le fait d’être déclaré « objectif militaire ». Elle date du 15 avril 2015, Colombie 105118.EF et cette réponse à la demande d’information cite expressément une professeure, sous Protection de l’État, sous la rubrique Protection de l’État, qui affirme que si la personne visée par des menaces « occupe un poste de direction ou de pouvoir ou qu’elle est fonctionnaire au sein du système de justice, elle pourrait bénéficier de la protection des autorités, mais seulement dans ces cas-là », ajoutant qu’un citoyen (ou sa famille) qui a été « persécuté (déplacé/tué) » pourrait se prévaloir des ressources de l’État, mais ne serait peut-être pas protégé par la police ou d’autres forces après avoir reçu des menaces.

Je suggère donc que la situation dont vous êtes saisie fait en sorte malheureusement que le demandeur ne pouvait pas s’attendre à la protection de l’État même s’il avait fait plus d’efforts pour l’obtenir, et la jurisprudence n’exige pas que quelqu’un porte plainte à la police s’il ne peut pas raisonnablement s’attendre à obtenir de l’aide.

(Transcription de la SPR : Dossier certifié du tribunal [DCT], pages 472 à 474)

(Les pages indiquées dans l’extrait ci‑dessus proviennent de l’argumentation de l’avocat des demandeurs présentée à la SPR. Les sources se trouvent dans le DCT aux pages 352 à 424, et la pagination de l’avocat se trouve dans le milieu du bas de chaque page.)

[5]  Dans le présent contrôle judiciaire, l’avocat des demandeurs soutient que la SPR a omis de procéder à l’analyse particularisée requise de la protection de l’État :

[traduction] La SPR examine en détail certains éléments de preuve généraux concernant l’appareil de sécurité de la Colombie, sa structure, ses succès tactiques dans la lutte contre les groupes armés, ses programmes de démobilisation, ses mécanismes de lutte contre la corruption, etc. D’une part, la décision semble approfondie et détaillée.

Cependant, la décision ne comporte aucune évaluation de la capacité de l’État de protéger des personnes comme les appelants qui ont été ciblées par les FARC. Il n’y a tout simplement pas d’analyse au-delà du contexte général dans cette décision. [Je souligne.]

Mémoire des faits et du droit des demandeurs, aux paragraphes 8 et 9)

[6]  J’estime que l’argument de l’avocat des demandeurs est bien fondé. En fait, la SPR n’a abordé aucun des éléments de preuve présentés par les demandeurs.

[7]  De plus, l’avocat des demandeurs a fait valoir que la SPR a fait abstraction de certains éléments de preuve et n’a retenu que ceux qui traitaient explicitement de la disponibilité de la protection de l’État. La SPR s’est fondée sur les documents des Réponses aux demandes d’information (RDI) de 2011 et 2012, mais elle n’a pas pris en compte une RDI plus récente qui traite précisément de la question de savoir si des citoyens ordinaires qui ont été ciblés par les FARC pouvaient avoir accès à la protection de l’État. La RDI plus récente indique ce qui suit :

La professeure adjointe de l’Université Winthrop a souligné que, si la personne visée par des menaces [traduction] « occupe un poste de direction ou de pouvoir ou qu’elle est fonctionnaire au sein du système de justice, elle pourrait bénéficier de la protection des autorités, mais seulement dans ces cas-là », ajoutant qu’un citoyen (ou sa famille) qui a été « persécuté (déplacé/tué) » pourrait se prévaloir des ressources de l’État, mais ne serait peut-être pas protégé par la police ou d’autres forces après avoir reçu des menaces. [Je souligne.]

(COL105118.EF Colombie : information sur ce que signifie le fait d’être déclaré [traduction] « objectif militaire » (objetivo militar), y compris sur les auteurs de menaces du genre et les moyens qu’ils utilisent pour les proférer; information indiquant si les personnes visées par ces menaces disposent d’une possibilité de refuge intérieur; information sur l’intervention de l’État, 15 avril 2015, CND, point 7.21, pages 114 et 115).

[8]  Je suis d’accord avec l’argument de l’avocat des demandeurs.

[9]  Par conséquent, je conclus qu’il y a deux raisons pour annuler la décision faisant l’objet du contrôle. Premièrement, la SPR n’a pas effectué l’évaluation requise du caractère adéquat de la protection de l’État du point de vue des demandeurs. Deuxièmement, la SPR a rendu sa décision « sans tenir compte des [documents] dont [elle] dispos[ait] » (voir l’alinéa 18.1d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5089-15

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour un nouvel examen.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


ANNEXE

Date : 20150902

Dossier : IMM-7956-14

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LEONARDO PELAEZ BARRIOS

DAISY MILENA HERNANDEZ BERNAL ISABELA SOFIA PELAEZ HERNANDEZ VALENTINA SOFIA PELAEZ HERNANDEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

VU la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27 (LIPR) pour faire annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), laquelle a statué que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger selon les articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR;

ET VU que les questions en litige devant cette Cour sont les suivantes : 1) La Commission a-t-elle omis de procéder à une analyse particularisée dans son évaluation de la protection de l’État? 2) La Commission a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve pertinents et contradictoires qui soutiennent directement la question de la capacité des demandeurs d’obtenir une protection adéquate de l’État? 3) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas déployé des efforts suffisants pour obtenir la protection de l’État?

ET VU que l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190, confirme que, si la jurisprudence établit la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie, l’instance révisionnelle peut adopter cette norme;

ET VU que l’arrêt Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, 440 FTR 106, confirme que lorsqu’un demandeur conteste la façon dont un décideur a appliqué le bon critère juridique, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable;

ET VU les observations des parties et leurs arguments de vive voix;

ET VU que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie pour les motifs suivants :

  • 1) M. Barrios et sa famille sont des citoyens de la Colombie qui ont demandé l’asile et la protection au Canada après avoir reçu des menaces des Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC]. Les FARC ont contacté M. Barrios par téléphone en septembre 2013 pour exiger qu’il tire parti de son poste au sein d’un organisme privé qui appuie les populations autochtones en Colombie pour acheminer de l’argent et des fournitures aux FARC. M. Barrios a rejeté la demande initiale et celle qui a suivi. À la fin de septembre 2013, M. Barrios a été contacté pour une troisième fois. À cette occasion, l’auteur de l’appel a menacé M. Barrios, il a identifié l’école que fréquentait sa fille ainsi que les lieux de travail de membres de la famille et il a informé M. Barrios que les FARC étaient au courant d’un récent voyage familial à Bogota. Cet appel a amené M. Barrios à conclure que lui et sa famille étaient suivis et que la menace devait être prise au sérieux.

  • 2) M. Barrios a cessé de travailler après ce troisième appel, mais il n’a pas immédiatement signalé les incidents à son employeur ou à la police. Il a indiqué qu’il était préoccupé de le faire étant donné que les informateurs des FARC se trouvent partout au pays et qu’il ne faisait pas confiance à la police pour lui offrir une véritable protection. M. Barrios s’est plutôt préparé à quitter la Colombie le 12 octobre 2013.

  • 3) À l’instigation de son frère, M. Barrios a signalé les menaces des FARC aux autorités le 9 octobre 2013. En conséquence, la police a entrepris des patrouilles régulières dans son quartier le 10 octobre 2013. Malgré ces patrouilles, M. Barrios a été intercepté et menacé le 10 octobre 2013 par des membres armés des FARC qui lui ont remis une liste d’équipement et de fournitures qu’il devait fournir.

  • 4) La famille a quitté la Colombie le 12 octobre 2013. Selon M. Barrios, alors que lui et sa famille se rendaient à l’aéroport, ils ont été suivis et ils ont entendu des coups de feu qui, selon lui, ont été tirés en l’air par les occupants de la voiture qui les suivait et visaient à les effrayer.

  • 5) M. Barrios et sa famille sont arrivés au Canada le 17 octobre 2013 et ils ont présenté une demande d’asile à leur arrivée.

  • 6) La Commission a refusé la demande. La question déterminante était la protection de l’État. La Commission a noté que les autorités de l’État avaient donné suite à la plainte de M. Barrios, lui faisant parvenir des formulaires et le renvoyant à la police qui, à son tour, a recueilli sa plainte et s’est engagée à effectuer des patrouilles dans son quartier, ce qu’elle a fait. On a enjoint à M. Barrios de communiquer avec la police si d’autres problèmes surgissaient. La police a également informé M. Barrios qu’elle mènerait une enquête.

  • 7) La Commission note que M. Barrios n’a pas fait de suivi auprès de la police après avoir soumis ses documents et qu’il ne s’est pas renseigné sur l’état d’avancement de l’enquête policière. La Commission fait également remarquer que M. Barrios a fui la Colombie le 12 octobre 2013, trois jours après avoir déposé une plainte à la police. Pour ce motif, la Commission a conclu que M. Barrios n’avait pas vérifié d’une manière exhaustive l’efficacité de la protection offerte par l’État. La Commission conclut que la crainte générale et la méfiance de M. Barrios à l’égard de la police, découlant de sa croyance que la police pourrait sympathiser avec les FARC, équivalaient à une réticence subjective à solliciter la protection de l’État. La Commission a conclu que cette réticence subjective n’était pas suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État.

  • 8) Dans sa décision, la Commission a reconnu qu’il y a d’importantes violations des droits de la personne en Colombie et que les FARC représentent toujours un groupe de guérilla actif. La Commission affirme toutefois qu’elle accorde plus de poids aux éléments de preuve dont elle dispose qui démontrent que le gouvernement fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre des groupes armés illégaux.

  • 9) La Commission souligne les réussites de la lutte antiguérilla menée par les forces de sécurité colombiennes et elle souligne que le gouvernement a neutralisé la menace des FARC à Bogota, dans la zone centrale et dans les régions pétrolières de Meta et Casanare. La Commission affirme au paragraphe 10 de sa décision que la preuve documentaire [traduction] « est non seulement à jour, mais qu’elle est tirée d’une grande diversité de sources gouvernementales et non gouvernementales qui fournissent une preuve convaincante qui est aussi bien fiable que probante démontrant que, bien que la protection de l’État ne soit pas parfaite, ni garantie, le gouvernement de la Colombie déploie des efforts sérieux en vue d’offrir une protection et que des mesures ont été mises en œuvre et sont réputées adéquates ».

  • 10) Le demandeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que même si la Commission a reconnu la nécessité d’une évaluation particularisée du caractère adéquat de la protection de l’État, elle n’a pas procédé à cette analyse. En examinant les efforts du gouvernement colombien, la Commission identifie les réussites tactiques des forces de sécurité colombiennes et le succès de son programme volontaire de démobilisation des guérilleros et des paramilitaires. La Commission assimile cette réussite à une protection adéquate de l’État pour une personne ciblée par les FARC.

  • 11) Il se pourrait que les programmes et les efforts de l’État qui ont été abordés dans la décision de la Commission soient suffisants pour contrer et réduire la menace des FARC sur le plan militaire ou sur le plan de la sécurité de l’État. Toutefois, il n’est pas clair comment ces efforts démontrent le caractère adéquat de la protection de l’État du point de vue d’un citoyen ciblé spécifiquement par les FARC. C’est à ce niveau que le Conseil doit se pencher : Vargas Bustos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 114, au paragraphe 40, 24 Imm LR (4e) 81; Gutierrez Infante c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 846, aux paragraphes 17 et 18; Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 750, aux paragraphes 52 à 59, 27 Imm LR (4e) 151; Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502, aux paragraphes 38 et 39).

  • 12) Les efforts et les programmes de l’État visant à protéger les citoyens ciblés ne sont pas mentionnés dans la décision de la Commission et leur efficacité n’est pas analysée. Et ce malgré l’existence d’une preuve documentaire devant la Commission qui porte sur : 1) la capacité pratique du gouvernement de la Colombie de protéger les Colombiens contre des menaces ciblées et le caractère généralisé des activités criminelles ciblées des FARC contre des personnes (Dossier certifié du tribunal [DCT], aux pages 512, 186 et 187); 2) l’efficacité des programmes de protection des victimes en Colombie (DCT, aux pages 472 à 475); 3) la nature et l’ampleur de l’infiltration des institutions gouvernementales par les FARC (DCT, aux pages 195 et 582).

  • 13) Cette preuve est directement pertinente et contradictoire aux conclusions tirées par la Commission dans son analyse de la protection de l’État. Le défendeur fait valoir que la nature particularisée de l’évaluation de la protection de l’État par la Commission est implicite dans la déclaration de la Commission au paragraphe 10 de sa décision selon laquelle [traduction] « le tribunal a examiné et pris en considération les éléments de preuve documentaire du demandeur d’asile ainsi que les observations de l’avocat ». Je conviens que la Commission n’est pas tenue de mentionner toute la preuve documentaire dont elle est dispose : Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA), au paragraphe 1), une déclaration générale affirmant que l’ensemble de la preuve a été examiné ne suffit pas lorsque des éléments de preuve sont directement pertinents aux conclusions de la Commission et vont directement à l’encontre de ces conclusions : (Hernandez Montoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 808, aux paragraphes 33 à 36).

  • 14) De plus, je suis d’avis que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et contradictoires à l’égard de sa conclusion selon laquelle M. Barrios n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État en raison d’une réticence subjective à solliciter la protection de l’État après avoir porté plainte à la police. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 49, un demandeur d’asile n’a pas à solliciter la protection de l’État lorsqu’il est objectivement raisonnable de ne pas l’avoir fait. La preuve présentée à la Commission selon laquelle M. Barrios avait été ciblé et menacé par les FARC à deux reprises après avoir porté plainte à la police est pertinente quant à l’évaluation du caractère objectivement raisonnable, et elle aurait dû être prise en compte.

  • 15) J’estime que les conclusions de la Commission ne s’inscrivent pas dans la gamme des issues juridiquement défendables fondées sur les faits et le droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

J’accueille la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale à être examinée par la Cour.

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour réexamen.

  3. Aucune question n’a été certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DosSIER :

IMM-5089-15

 

INTITULÉ :

GIOVANI ACEVEDO ARANGO, CRISTIAN CAMILO ACEVEDO GOMEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OctobRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

CAMPBELL J.

DATE :

LE 22 OctobRE 2018

COMPARUTIONS :

Leigh Salsburg

POUR LES DEMANDEURS

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsburg

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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