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Dossier : T-1655-17

Référence : 2018 CF 1082

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

KALIOPI MALAFOURIS

demanderesse

et

TRANSPORTS CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Pour son travail à l’aéroport Pierre‑Elliott‑Trudeau de Montréal et, plus tard, à l’aéroport international Pearson de Toronto, Mme Malafouris devait détenir une habilitation de sécurité en matière de transport. Sa demande a été rejetée au motif que Mme Malafouris n’avait pas fourni suffisamment de renseignements fiables et vérifiables couvrant la période de cinq ans précédant sa demande. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[2]  La sécurité dans nos aéroports est d’une importance capitale à l’échelle nationale. Le public voyageur se voit refuser l’accès à de nombreux endroits dans les aéroports. L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique dispose :

Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

[3]  À la Loi sur l’aéronautique s’ajoute le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, et plus précisément, aux fins de la présente affaire, le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport aérien. Ce programme n’a pas force de loi, mais il sert de guide utile à ceux dont le devoir est de conseiller le ministre sur la possibilité d’accorder ou non une habilitation de sécurité.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande de Mme Malafouris n’aurait même pas dû être traitée et encore moins être rejetée. Il s’ensuit que sa demande de contrôle judiciaire est acceptée.

[5]  Je commencerai par énumérer les faits, puis je passerai en revue le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport aérien.

I.  Les faits

[6]  Mme Malafouris était à l’emploi de l’entreprise Securitas Transportation Aviation Security Ltd. à l’aéroport Pierre‑Elliott‑Trudeau à Montréal. Ce travail exigeait qu’elle obtienne une habilitation de sécurité. Toutefois, pendant que ce processus est en cours, un aéroport peut délivrer un laissez‑passer temporaire conformément au Règlement. Ce laissez‑passer donne accès à certaines zones restreintes, mais pas à toutes. Mme Malafouris a reçu un tel laissez‑passer.

[7]  Dans son formulaire de demande, Mme Malafouris a déclaré qu’au cours des cinq années précédentes, elle avait vécu au Mexique pendant deux ans et sept mois. Transports Canada lui a demandé de fournir de plus amples renseignements, y compris une vérification judiciaire par la police mexicaine.

[8]  Mme Malafouris, pour diverses raisons, était d’avis qu’elle n’était pas en mesure de fournir ces documents dans le délai initial, ni dans la prorogation ultérieurement octroyée. Elle prétend qu’elle n’a pas été traitée équitablement parce qu’on ne lui a pas donné suffisamment de temps pour recueillir tous les documents et renseignements demandés. Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en suis arrivé, il n’est pas nécessaire de se demander si Transports Canada a manqué à son obligation d’équité procédurale envers elle.

[9]  Le 8 septembre 2017, un agent responsable des vérifications de sécurité de Transports Canada lui a envoyé un courriel :

Si vous ne pouvez pas soumettre les documents nécessaires pour votre application par cette date je vous suggère d’annuler votre application et de demander permission de ré-appliquer lorsque vous aurez tous les documents requis. Malheureusement, il va falloir remettre votre laisser passer temporaire à l’aéroport.

[10]  Mme Malafouris a remis son laissez‑passer temporaire à un bureau de l’aéroport. Elle croyait sincèrement qu’il s’agissait d’un bureau de Transports Canada et que cette cession avait pour effet d’annuler sa demande d’habilitation de sécurité.

[11]  Cependant, avant qu’elle ne puisse présenter une nouvelle demande, la Commission d’enquête sur les habilitations de sécurité en matière de transport a recommandé au ministre de refuser le laissez‑passer parce que [traduction] « la demande a été jugée inacceptable, car la demanderesse a été invitée à fournir des renseignements supplémentaires à l’appui de sa demande concernant les deux (2) ans et sept (7) mois passés à l’extérieur du Canada pendant la période visée, mais ne l’a pas fait ».

[12]  Mme Malafouris a été avisée le 2 octobre 2017 que sa demande avait été refusée.

II.  Le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport aérien

[13]  Certains des rouages du Programme et du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne sont bien résumés dans l’affidavit de Brianna Tuor, chef intérimaire des programmes de filtrage de sécurité à Transports Canada. Conformément au Règlement, certaines zones d’un aéroport sont désignées comme étant à accès restreint et ne sont accessibles qu’à ceux qui détiennent une carte d’identité de zone réglementée. Une telle personne ne peut se voir délivrer une telle carte que si elle détient une habilitation de sécurité en matière de transport.

[14]  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre tient généralement compte de la politique, dont le but est d’empêcher toute intervention illicite dans l’aviation civile. Son objectif déclaré est d’empêcher l’entrée incontrôlée dans une zone réglementée d’une personne que le ministre croit être sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[15]  À l’affidavit de Mme Tuor s’ajoute la section I.4 du Programme dans laquelle il est indiqué que son objectif est d’empêcher l’entrée non contrôlée de toute personne connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence graves ou d’être membre d’une organisation criminelle ou d’un groupes terroriste.

[16]  En vertu du Programme, le demandeur doit fournir des renseignements adéquats, fiables et vérifiables couvrant une période de cinq ans pour permettre la vérification nécessaire de ses antécédents. Cette vérification comprendrait, sans toutefois s’y limiter, une vérification des empreintes digitales auprès de la Gendarmerie royale du Canada, une vérification du Service canadien du renseignement de sécurité ainsi qu’une vérification des dossiers pertinents des organismes d’application de la loi.

[17]  Lorsque la demande de Mme Malafouris a été reçue, elle a d’abord été examinée par un agent responsable des vérifications de sécurité. Mme Malafouris a déclaré qu’au cours des cinq années précédentes, elle avait vécu deux ans et sept mois au Mexique. Tout naturellement l’agent a exigé à bon escient de procéder à une vérification auprès de la police mexicaine et a demandé d’autres renseignements.

III.  Analyse

[18]  Mme Malafouris croyait à tort qu’elle avait remis son laissez-passer temporaire à Transports Canada, ce qui revenait à retirer sa demande d’habilitation de sécurité. Toutefois, le laissez-passer temporaire ayant été délivré par l’aéroport, et non par Transports Canada, la demande de Mme Malafouris n’a pas été retirée. Tout ce qu’elle avait probablement à faire, c’était de répondre au courriel de l’agent responsable des vérifications de sécurité en lui demandant de considérer que sa demande avait été retirée.

[19]  La présente affaire porte sur des parties du Programme qui ne sont pas expressément mentionnées par Mme Tuor.

[20]  L’une des conditions qui s’appliquent aux demandes d’habilitation de sécurité se trouve au paragraphe 1.3(2) :

Une demande n’est recevable que si le Directeur, programmes de filtrage de sécurité est convaincu que tous les renseignements requis ont été fournis au ministre et que ces renseignements peuvent être vérifiés à la satisfaction du ministre.

[Non souligné dans l’original.]

[21]  Le Programme prévoit également la mise sur pied d’une commission d’enquête. La section I.9 semble incompatible avec la section I.3 en ce sens qu’elle prévoit que, dans le cas d’un demandeur qui ne remplirait pas les conditions énoncées à la section I.3, la commission d’enquête doit examiner tous les renseignements fournis dans la demande afin de faire une recommandation au ministre quant à l’octroi ou non d’une autorisation de sécurité. Toutefois, la section II.19.3 stipule :

Aucune demande ne sera traitée à moins que le candidat ne présente tous les renseignements requis par le Directeur, programmes de filtrage de sécurité.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  La politique ne précise pas quelles sont les fonctions d’un agent responsable des vérifications de sécurité. La seule conclusion à tirer est que cette personne agissait au nom du directeur. Comme l’a déclaré Lord Denning dans l’affaire Selvarajan c. Race Relations Board, [1976] 1 ALL ER 12, à la page 19, en ce qui concerne un tribunal administratif :

[traduction]

De plus, il n’est pas nécessaire qu’il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l’organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

[23]  La section II.34 prévoit que le Directeur, programmes de filtrage de sécurité, doit convoquer une commission d’enquête pour déterminer si l’information fournie par le demandeur est suffisamment fiable et vérifiable.

[24]  Enfin, la section II.36 dispose que si le ministre refuse d’accorder une habilitation de sécurité, le demandeur peut présenter une nouvelle demande après cinq ans ou si « un changement a eu lieu dans les circonstances qui ont menées au refus ou à l’annulation ».

[25]  L’avocate du ministre n’a pas été en mesure de dire si Mme Malafouris sera autorisée à présenter une nouvelle demande si elle a maintenant recueilli tous les renseignements exigés, ce qu’elle dit avoir fait. Bien que cela dépasse la portée de l’affaire dont je suis saisi, le refus était fondé sur le fait que le dossier était incomplet. Un dossier complet constituerait un changement de circonstances.

[26]  À mon avis, il n’y a qu’une seule façon d’interpréter les exigences du Programme. Dans la mesure où il y a ambiguïté, elles doivent être lues à la lumière de la doctrine contra proferentem puisqu’il s’agit d’un document créé unilatéralement par Transports Canada. Il ne s’agit pas d’un cas où l’on devrait faire preuve de retenue à l’égard d’un décideur en tenant compte de sa loi constitutive ou des règlements et lignes directrices connexes, sur la base que la décision était raisonnable. Je le répète, il n’y a qu’une seule façon de lire le Programme, c’est que la demande de Mme Malafouris n’aurait même pas dû être examinée (Wilson c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300 au paragraphe 25).

[27]  Les arrêts cités par le ministre, à savoir Sajbbir c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1020, et Singh c. Canada (Procureur général), 2006 CF 802, se distinguent facilement. Dans ces affaires, le demandeur a estimé que les renseignements fournis étaient adéquats, fiables et vérifiables. En l’espèce, il est reconnu par Mme Malafouris, et connu des personnes agissant au nom du directeur, que les renseignements fournis ne couvraient pas la période de cinq ans requise.

[28]  La Loi, le Règlement et le Programme ont pour objet d’empêcher l’accès aux zones réglementées par ceux qui peuvent constituer une menace pour la sûreté aéroportuaire. À la lumière du dossier, il est tout simplement impossible de déterminer si Mme Malafouris pourrait représenter une menace ou non.

[29]  Étant donné que la décision défavorable a été rendue il y a plus d’un an, il n’est pas inconcevable que Transports Canada puisse raisonnablement demander une mise à jour.




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