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Date : 20181108


Dossier : IMM‑1627‑18

Référence : 2018 CF 1128

[Traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 8 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ASIR ARIF INTISAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 20 mars 2018 par laquelle la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a jugé que le demandeur était interdit de territoire au Canada et a pris une mesure d’expulsion à son encontre [la décision en cause]. La SI a conclu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur a été membre du Parti national du Bangladesh [PNB], que le PNB est une organisation qui s’est livrée au terrorisme et donc que le demandeur est interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Ainsi que nous le verrons de manière plus détaillée ci‑dessous, la présente demande est rejetée, car après examen des arguments avancés par le demandeur, j’estime que la décision en cause appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit et qu’elle est, par conséquent, raisonnable.

II.  Le contexte

[3]  Le demandeur, Asir Arif Intisar, est un citoyen bangladais âgé de 24 ans. Il est né à Dhaka, au Bangladesh, de parents qui ne souscrivent, selon lui, à aucune idéologie politique. De 2006 à 2011, il a fréquenté le Rajuk Uttara Model College, après quoi il a étudié de manière indépendante en vue de ses examens de « niveau A », qu’il a terminés en 2012. M. Intisar dit s’intéresser de près au système d’éducation du Bangladesh, notamment aux problèmes et à la corruption qu’il a constatés, ainsi qu’au besoin qui existe selon lui à l’égard d’un enseignement en anglais. Au Model College, M. Intisar a fait partie de l’équipe de débat oratoire et, à ce titre, il a exprimé ses opinions sur le système d’éducation. Il affirme que ses opinions politiques étaient impopulaires dans son école et que les autres élèves le bousculaient et le harcelaient souvent. En mars 2010, il a adhéré au Jatiyabadi Chatra Dal [JCD], un groupe étudiant lié au PNB, un des deux grands partis politiques du Bangladesh à l’époque.

[4]  M. Intisar affirme avoir organisé, en tant que membre du JCD, des rassemblements et des débats, au cours desquels il a pris la parole, et avoir contribué à mieux faire connaître sa cause. Dans ses discours, il prônait la réforme de l’éducation, mais critiquait aussi la Ligue étudiante Chatra [Ligue Chatra], un groupe étudiant opposé au JCD et affilié à la Ligue Awami [LA], l’autre grand parti politique du Bangladesh, qui était au pouvoir à l’époque. M. Intisar affirme avoir reproché publiquement à la Ligue Chatra et à la LA d’avoir usé de violence, d’avoir commis des actes de vandalisme et des assassinats politiques et d’avoir perturbé les activités et le programme du parti d’opposition. Dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) déposé à l’appui de sa demande d’asile, M. Intisar évoque comment, entre 2010 et 2012, il a organisé des conférences et des débats sur la réforme de l’éducation.

[5]  Selon M. Intisar, il était, en tant que membre de JCD, la cible de la Ligue Chatra, et il a commencé à recevoir des menaces en 2010. Il affirme avoir reçu une première menace de mort en mai 2012, dans un appel téléphonique anonyme, et avoir été agressé et battu en juillet 2012. Sa mère ayant elle aussi reçu une menace en octobre 2012, M. Intisar a décidé de quitter le Bangladesh et a présenté une demande de visa d’étudiant canadien. Il est arrivé au Canada en mai 2013, a fréquenté un établissement d’études postsecondaires pendant un an, puis a présenté une demande d’asile en août 2015.

[6]  Après avoir présenté une demande d’asile, M. Intisar a fait l’objet d’un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il était allégué qu’il était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Plus particulièrement, le rapport indiquait que M. Intisar était membre du PNB et de son aile étudiante, le JCD, qui serait une organisation qui est, a été ou sera l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement du gouvernement du Bangladesh par la force, ou qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme. La SI a examiné l’affaire le 25 octobre 2017, et, le 20 mars 2018, elle a rendu la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  La décision de la Section de l’immigration

[7]  Le résumé qui suit de la décision en cause reprend certains des titres de l’analyse à laquelle s’est livrée la Section de l’immigration.

A.  Membre d’une organisation et aile étudiante liée au Parti national du Bangladesh

[8]  La SI a fait remarquer que M. Intisar avait reconnu avoir été membre officiel du JCD, l’aile étudiante du PNB. Elle a pris note du fait que M. Intisar avait déclaré s’être servi de son appartenance à cette aile étudiante pour poursuivre son objectif consistant à rendre obligatoire l’enseignement en anglais. M. Intisar savait que le JCD était lié au PNB et que le PNB organisait des rassemblements et des « hartals », c’est‑à‑dire des grèves, qui nuisaient aux communications, aux transports et à la productivité. Il prétend cependant n’avoir lui‑même jamais pris part à ce genre d’activité. Après l’agression dont il a été victime, M. Intisar a décidé de quitter le JCD. Il a déclaré avoir en fait coupé les liens avec cette organisation en mai 2012, bien que la lettre confirmant officiellement son retrait soit datée du mois de mars 2013. La SI a fait remarquer qu’une lettre rédigée par le secrétaire du JCD corrobore la déclaration de M. Intisar selon laquelle il s’intéressait au volet pédagogique, mais elle a aussi précisé que la lettre reconnaît qu’il y a un lien direct entre l’organisation étudiante et le PNB.

[9]  La SI a expliqué que M. Intisar avait déclaré qu’il avait seulement eu connaissance de la violence et des hartals après avoir reçu des menaces de mort, et qu’il avait à ce moment‑là cherché à en savoir davantage sur les activités du PNB. Cependant, la SI a pris note du fait que, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, M. Intisar affirme qu’il avait déjà auparavant dénoncé les actes de violence de la Ligue Chatra. La SI a donc estimé qu’en ce qui concerne la violence entre les deux partis politiques, le défendeur en savait plus que ce qu’il avait mentionné. La SI a également fait état de certains éléments de preuve documentaire et d’éléments de preuve contenus dans les lettres produites par M. Intisar, qui démontrent l’existence d’un lien entre le JCD et le PNB et qui établissent que l’aile étudiante du PNB avait participé aux actes de violence commis par le PNB. La SI a donc conclu que M. Intisar était membre volontaire de l’aile étudiante du PNB de 2010 à 2012 ou 2013 et que cette aile étudiante était assez proche du PNB pour que son appartenance à l’organisation étudiante soit considérée comme une appartenance au PBN.

B.  Âge mineur

[10]  La SI a tenu compte du fait que M. Intisar n’avait que 15 ans lorsqu’il s’est joint au JCD. Elle a toutefois fait remarquer que ce sont ses facultés intellectuelles qui l’ont poussé à s’y joindre, pour qu’il puisse avoir une plateforme pour poursuivre son objectif consistant à améliorer le système d’éducation. Étant donné son programme et les motivations politiques qui l’ont poussé à se joindre au JCD, la SI n’a pas accepté l’argument selon lequel M. Intisar n’avait pas compris la nature des activités menées par le PNB. La SI a également vu dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur l’indice d’une grande maturité à l’époque de son adhésion au JCD. Citant l’arrêt Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 [Poshteh], la SI a souligné que l’alinéa 34(1)f) ne prévoit aucune dispense générale d’application pour les mineurs et qu’à l’époque de son adhésion, M. Intisar était plus proche de l’âge adulte que de l’enfance. La SI a donc conclu que l’argument avancé par M. Intisar selon lequel il était mineur au moment de se joindre au JCD ne permet pas de conclure qu’il n’était pas une personne visée par 34(1)f).

C.  Le Parti national du Bangladesh s’est‑il livré au terrorisme?

[11]  Selon l’avocate de M. Intisar, le PNB n’est pas une organisation terroriste. Elle fait valoir que ni le Canada ni les États‑Unis ne qualifient le PNB d’organisation terroriste, que le PNB est un des partis politiques traditionnels du Bangladesh et que les tribunaux d’ailleurs ont conclu que le PNB n’est pas une organisation terroriste. La SI a toutefois fait observer que la question à trancher est celle de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le PNB est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme.

[12]  La SI s’est reportée à la définition du terme « activité terroriste » figurant à l’alinéa 83.01(1)b) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46, et aux propos tenus par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au sujet des activités du PNB. La SI a examiné la documentation relative aux conditions générales dans le pays et pris note des antécédents de violence entre les deux principaux partis politiques, y compris les actes de violence commis par le PNB, compte tenu des renseignements provenant de sources qu’elle a jugées crédibles. Elle a constaté qu’une importante proportion des éléments de preuve concernant les activités de violence se rapporte à la période qui suit le départ de M. Intisar du Bangladesh, mais qu’il y avait également des éléments de preuve qui illustrent que ces activités ont eu lieu avant que M. Intisar soit devenu membre du JCD en 2010. La SI a conclu que la violence perpétrée par le PNB, ses collaborateurs et ses paravents, dont les ailes étudiantes, correspond tout à fait à la définition de terrorisme.

D.  Facteur temporel de l’appartenance à une organisation

[13]  Après avoir conclu que le PNB est effectivement une organisation terroriste, la SI s’est penchée sur le facteur temporel de l’appartenance à une organisation terroriste, étant donné que les éléments de preuve concernant les activités du PNB étaient en grande partie postérieurs à la période pendant laquelle M. Intisar était membre de cette organisation. La SI a affirmé que, étant donné que le PNB était connu pour sa violence avant même que M. Intisar ne quitte le parti et le Bangladesh, les circonstances reconnues dans lesquelles la SI pourrait tenir compte du facteur temporel en ce qui a trait à l’appartenance de M. Intisar au parti ne s’appliquaient pas.

E.  Conclusion

[14]  La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Intisar était membre d’une organisation, soit le PBN, de 2010 à 2012 ou 2013 et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le PNB est une organisation qui s’est livrée au terrorisme. Par conséquent, la SI a conclu que M. Intisar était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[15]  Le demandeur fait valoir que la Cour doit déterminer si la SI a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur est interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la décision en cause est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

V.  Analyse

[16]  Comme l’avocate de M. Intisar l’a expliqué à l’audition de la présente demande, M. Intisar fait essentiellement valoir que la SI a commis une erreur en concluant qu’il était interdit de territoire, parce qu’il a adhéré au JCD à l’âge de 15 ans uniquement en raison de l’intérêt qu’il portait à la réforme de l’éducation, il a quitté l’organisation avant l’âge de 18 ans, et il ignorait tout des activités politiques plus larges du PNB.

[17]  Les arguments avancés par M. Intisar reposent en grande partie sur le témoignage qu’il a livré devant la SI, qui, selon lui, montre bien qu’il ne savait pas que le JCD ou le PNB se livraient à des activités violentes. Il a déclaré dans son témoignage que sa participation était limitée au front étudiant, le JCD, et qu’il n’était au courant que des activités liées à la raison pour laquelle il s’était impliqué, à savoir la réforme de l’éducation. Sa participation se limitait à prononcer des discours publics et à prendre part à des débats, et il se servait du JCD pour rejoindre plus de gens et transmettre ses idées sur le système d’éducation. Il a affirmé qu’il s’est informé davantage sur le PNB et sur ses activités après avoir commencé à recevoir des menaces de mort, en 2012, et qu’il s’est par la suite retiré du JCD.

[18]  Cependant, comme l’a fait valoir le défendeur, par ses arguments, M. Intisar demande en fait à la Cour de réévaluer les éléments de preuve présentés devant la SI, ce qu’il n’appartient pas à la Cour de faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il ressort de la décision en cause que la SI avait connaissance des éléments de preuve sur lesquels les arguments de M. Intisar sont fondés et qu’elle a pris en compte le fait que M. Intisar s’était joint au JCD alors qu’il avait 15 ans et qu’il a quitté l’organisation alors qu’il était encore mineur. La SI s’est fondée sur l’arrêt Poshteh, qui précise qu’en ce qui concerne l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f), la loi ne prévoit aucune dispense générale d’application pour les mineurs. La SI a tenu compte du fait que M. Intisar était membre du JCD à l’époque où il approchait l’âge adulte, et elle a conclu que le niveau de maturité dont il faisait preuve à l’époque et le fait qu’il s’était joint au groupe pour faire avancer ses objectifs politiques faisaient en sorte qu’il ne pouvait pas invoquer son âge à l’époque des faits pour se soustraire à l’application de l’alinéa 34(1)f).

[19]  Selon M. Intisar, l’arrêt Poshteh se distingue de la présente affaire, parce que le mineur en cause dans cette affaire avait déclaré dans son témoignage qu’il comprenait les objectifs visés par l’organisation à laquelle il adhérait. Je reconnais que les faits des deux affaires sont différents. Par contre, cela ne veut pas dire qu’en fondant sa décision sur les principes énoncés dans l’arrêt Poshteh, la SI a commis une erreur susceptible de contrôle. M. Intisar fait également valoir que la SI a commis une erreur en concluant qu’il faisait preuve de maturité à 15 ans, en se fondant sur son appréciation du témoignage qu’il a livré à l’audience, alors qu’il était plus âgé. Je ne relève à cet égard aucune erreur, car la SI a expressément conclu que M. Intisar faisait preuve de maturité au moment de sa participation aux activités du JCD et que cette conclusion était fondée sur les déclarations de M. Intisar au sujet de ses intérêts et de ses activités à l’époque.

[20]  M. Intisar soutient par ailleurs que les conclusions tirées par la SI vont à l’encontre du principe énoncé dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (C.A.), à la page 305, selon lequel lorsqu’un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. D’après lui, la SI a commis une erreur en écartant son témoignage selon lequel il a seulement eu connaissance de la violence perpétrée par le PNB peu avant son retrait du JCD.

[21]  Cet argument a selon moi peu de fondement, car la décision en cause fournit une explication raisonnable de la conclusion tirée par la SI. Celle‑ci a examiné le témoignage de M. Intisar et a jugé qu’il était probablement vrai que M. Intisar avait commencé à se pencher d’un peu plus près sur l’ensemble des activités politiques au Bangladesh à l’époque où il a été menacé et battu. Cependant, la SI a aussi pris note du fait que, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, M. Intisar a affirmé qu’il parlait des méfaits commis par le groupe d’opposition, à savoir la violence, le vandalisme, les assassinats politiques et d’autres perturbations, ce qui, selon la SI, démontre qu’il en savait plus sur les enjeux politiques et la violence entre les deux principaux partis politiques que ce qu’il a mentionné.

[22]  M. Intisar invoque également la décision B074 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1146, au paragraphe 29, dans laquelle la Cour a expliqué que, pour déterminer si un étranger est membre d’une organisation dans le contexte d’une analyse fondée sur l’interdiction de territoire, il y a lieu de tenir compte de trois facteurs, dont la nature des activités de l’intéressé au sein de l’organisation, la durée de sa participation et le degré d’engagement de l’intéressé à l’égard des buts et objectifs de l’organisation. M. Intisar renvoie à cet égard à son témoignage, selon lequel il n’a participé qu’à un rassemblement ou un débat tous les quatre à six mois, sur une période d’environ deux ans. Il insiste encore une fois sur le fait que son engagement était à l’égard de la réforme de l’éducation, et non à l’égard des autres buts et objectifs du JCD ou du PNB.

[23]  Le défendeur soutient que la jurisprudence sur les critères à prendre en compte pour déterminer si une personne est membre d’une organisation s’applique lorsque l’intéressé n’a pas admis son appartenance à l’organisation en question (voir, par exemple, Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85, aux paragraphes 57‑59). Or, en l’espèce, la SI a conclu que M. Intisar avait reconnu avoir été membre officiel de l’aile étudiante du PNB, et je ne vois aucune erreur à l’égard de cette conclusion.

[24]  Quoi qu’il en soit, la SI a également tenu compte de la durée de la participation de M. Intisar, de la nature de ses activités liées à l’organisation des rassemblements, ainsi que de son témoignage selon lequel les raisons qui l’avaient poussé à adhérer à l’aile étudiante n’avaient rien à voir avec les objectifs poursuivis par le PNB. Comme il a déjà été mentionné, la SI a conclu que M. Intisar en savait plus sur les enjeux politiques et la violence entre les deux principaux partis politiques que ce qu’il a mentionné. La SI a également tenu compte du fait que le JCD fonctionnait selon sa propre constitution, mais elle a pris note de la preuve documentaire sur les liens entre le JCD et le PNB, notamment en ce qui concerne la participation de l’aile étudiante à la violence politique. La SI a conclu que l’aile étudiante était assez proche du PNB pour lui permettre de conclure que M. Intisar était bien membre du PNB. Cette conclusion repose sur les éléments de preuve versés au dossier, et rien ne permet à la Cour de modifier cette conclusion dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[25]  Passons maintenant à la conclusion de la SI selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que le PNB est une organisation qui s’est livrée au terrorisme. M. Intisar soutient que la SI a commis une erreur, parce que le PNB ne figure sur aucune liste de groupes terroristes établie notamment par le Canada, les États‑Unis, le Royaume‑Uni et l’Australie, et que la SI a omis de tenir compte de la jurisprudence américaine, selon laquelle les éléments de preuve dont on dispose ne permettent pas de conclure que le PNB est une organisation terroriste. M. Intisar cite la conclusion tirée par la Cour dans la décision Karakachian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948, au paragraphe 40, selon laquelle le fait qu’une organisation n’est pas inscrite sur la liste des organisations terroristes établie par le gouvernement canadien peut être considéré comme un indice parmi d’autres qu’il ne s’agit pas d’une organisation terroriste.

[26]  Il ressort nettement de la décision en cause que ces divers facteurs ont été pris en compte par la SI, et je ne relève rien de déraisonnable à cet égard dans son analyse. La SI a malgré tout conclu, compte tenu des éléments de preuve documentaire concernant les activités menées par le PNB, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le PNB est une organisation qui s’est livrée au terrorisme.

[27]  Pour contester cette conclusion, M. Intisar invoque en outre la décision Jalil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 568, au paragraphe 38, dans laquelle la Cour a conclu que l’agent d’immigration doit, dans son appréciation sous le régime de l’alinéa 34(1)f), déterminer s’il existe assez d’éléments de preuve établissant que l’organisation a sanctionné les actes en question. M. Intisar renvoie à certains extraits de la preuve documentaire qui, selon lui, étayent la conclusion selon laquelle, bien que le PNB ait régulièrement appelé à des grèves et à des manifestations, il a dénoncé les actes de violence qui y étaient associés et ces actes de violence ont été commis dans un but criminel et non politique.

[28]  Le défendeur reconnaît que dans certains cas des actes terroristes ont été commis par des éléments corrompus d’une organisation, de sorte que l’organisation elle‑même ne s’est pas livrée au terrorisme. Il ressort cependant de la preuve documentaire sur laquelle s’est fondée la SI que des dirigeants du PNB avaient participé aux actes de violence associés au parti. À mon avis, compte tenu de la documentation sur les conditions générales qui prévalent dans le pays, la conclusion de la SI selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui s’est livrée au terrorisme appartient aux issues possibles acceptables.

[29]  Enfin, M. Intisar affirme que la SI a commis une erreur dans son examen du facteur temporel de son appartenance au groupe en question. Sur ce point, les parties ne s’entendent pas sur le droit applicable. M. Intisar invoque la décision Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 189 [Chowdhury], dans laquelle la Cour s’est prononcée sur l’analyse requise au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, en particulier dans le cas où l’appartenance de l’intéressé à l’organisation était entièrement antérieure à la participation de l’organisation à des actes terroristes. Le défendeur, pour sa part, est d’avis que l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’est assujettie à aucune exigence temporelle et n’impose aucune exigence de comparer la date d’adhésion d’une personne et les dates auxquelles l’organisation s’est livrée à des actes terroristes.

[30]   La Cour n’a pas à se prononcer sur le désaccord entre les parties quant au droit applicable, puisque les circonstances en cause dans la décision Chowdhury n’existent pas en l’espèce. La SI a évoqué la possibilité de procéder à une analyse temporelle, citant à cet égard la décision El Werfalli c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612 (sur laquelle reposait la décision Chowdhury), mais elle a finalement conclu que les circonstances imposant une telle analyse n’étaient pas présentes en l’espèce. La SI a expressément reconnu qu’une importante proportion des éléments de preuve documentaire démontrant que le PNB est une organisation qui se livre au terrorisme renvoie à une période qui suit le départ de M. Intisar du Bangladesh, mais elle a indiqué qu’il y avait également des éléments de preuve qui démontrent que ces activités ont eu lieu avant que M. Intisar soit devenu membre en 2010. La SI a également fait remarquer que la preuve montre que M. Intisar s’est retiré du JCD en 2012, mais que la fin de sa participation n’a été officiellement confirmée qu’en 2013. La SI a fondé son analyse sur la conclusion selon laquelle M. Intisar a été membre de l’organisation de 2010 à 2012 ou 2013, de sorte que son analyse ne dépend pas de la question de savoir en quelle année exactement sa participation a pris fin. Il n’y a, selon moi, rien de déraisonnable dans la manière dont la SI a évalué la durée de la participation de M. Intisar.

[31]  Les arguments avancés au nom de M. Intisar ne permettent pas de conclure que la décision en cause est déraisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

[32]  Enfin, je soulève une question purement administrative : la Cour remarque que l’intitulé nomme le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté comme défendeur en l’espèce. Le nom du défendeur sera corrigé dans mon jugement, puisqu’il s’agit en fait du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1627‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel. L’intitulé est modifié de façon à changer le nom du défendeur à ce qui suit : « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de novembre 2018

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1627‑18

INTITULÉ :

ASIR ARIF INTISAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 8 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Lani Gozlan

POUR LE DEMANDEUR

Gregory G. George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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