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Date : 20181017


Dossier : IMM-1517-18

Référence : 2018 CF 1041

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

GIA PHONG HUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, M. Gia Phong Hua, est un citoyen canadien d’origine vietnamienne. Il est âgé de soixante-deux (62) ans. Il souhaite parrainer son épouse, Mme Thi Chau Loc Nguyen, une citoyenne du Vietnam. Elle est âgée de trente-deux (32) ans.

[2]  En novembre 2011, Mme Nguyen communique pour la première fois par téléphone avec M. Hua à la suggestion de sa tante, qui est également l’ancienne belle-sœur de M. Hua. Un mois plus tard, M. Hua transmet de l’argent à Mme Nguyen pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille qui a presque deux (2) ans. Le 16 avril 2012, M. Hua se rend au Vietnam où il rencontre Mme Nguyen pour la première fois en personne et il l’épouse huit (8) jours plus tard. Le 27 mai 2012, M. Hua rentre au Canada sans Mme Nguyen. Les époux ne se sont pas vus en personne depuis le retour de M. Hua au Canada puisque ce dernier n’aime pas les avions.

[3]  En septembre 2012, Mme Nguyen présente une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Sa demande, parrainée par M. Hua, est rejetée le 15 décembre 2014 par un agent d’immigration du Haut-Commissariat du Canada à Singapour. Celui-ci est d’avis que le mariage n’est pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou privilège en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. M. Hua interjette appel de la décision auprès de la Section d’appel de l’immigration [SAI].

[4]  Le 12 mars 2018, la SAI rejette l’appel de M. Hua. Elle indique que les circonstances dans lesquelles M. Hua a été mis en contact avec Mme Nguyen, la rapidité avec laquelle leur union a été conclue et les sentiments exprimés par M. Hua quant à ce qui l’a poussé à marier Mme Nguyen l’amènent à conclure que leur union avait pour objectif principal de permettre à Mme Nguyen d’entrer au Canada.

[5]  M. Hua sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il soutient que les conclusions de la SAI quant aux fins principales du mariage sont déraisonnables d’une part, et d’autre part, que ses conclusions relatives à la crédibilité de Mme Nguyen ne satisfont pas les critères de justification, transparence et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir].

[6]  Après examen du dossier et de la décision, la Cour estime qu’il n’y a pas matière à intervention.

II.  Analyse

[7]  Les deux (2) parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la conclusion qu’un mariage n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR est celle de la décision raisonnable puisqu’elle soulève des questions de faits et de droit. En tant que tribunal spécialisé, les décisions de la SAI doivent être évaluées avec déférence (Parmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 323 au para 11; Onwubolu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 19 au para 11 [Onwubolu]; Trieu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 925 aux para 19-20 [Trieu]).

[8]  La question du caractère suffisant des motifs est également assujettie à la même norme de contrôle (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-16 [Newfoundland Nurses].

[9]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir au para 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Newfoundland Nurses aux para 14-18).

[10]  Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] se lit comme suit :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[11]  Vu le caractère disjonctif des alinéas 4(1)a) et 4(1)b) du RIPR, il incombait à M. Hua de présenter les éléments de preuve nécessaire pour démontrer que le mariage était authentique au moment de l’audience devant la SAI et qu’il ne visait pas à acquérir un statut au Canada au moment du mariage (Onwubolu aux para 13, 15; Trieu au para 37).

[12]  En l’instance, la SAI rejette l’appel de M. Hua au motif qu’elle considère que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR pour Mme Nguyen. Pour conclure ainsi, la SAI se fonde principalement sur le témoignage de M. Hua qu’elle juge crédible et fiable. La SAI note que M. Hua est revenu plusieurs fois sur la situation personnelle et difficile de Mme Nguyen lorsqu’ils se sont rencontrés. Elle note également que M. Hua a témoigné à plusieurs reprises qu’il s’était dit, au moment où il fréquentait Mme Nguyen, qu’il devait faire quelque chose pour elle et sa fille puisqu’elle tenait un discours de personne déprimée et qu’il savait qu’il avait la possibilité de lui offrir à elle et sa fille une vie meilleure. La SAI souligne également le témoignage de M. Hua selon lequel ses frères lui auraient dit que s’il voulait être en mesure de faire venir Mme Nguyen au Canada, il devait la marier au Vietnam. À la lumière de ce témoignage et en tenant compte des circonstances dans lesquelles les époux se sont rencontrés ainsi que la rapidité avec laquelle leur union a été conclue, la SAI pouvait raisonnablement conclure que cette union avait pour objectif principal de permettre à Mme Nguyen d’entrer au Canada.

[13]  Par ailleurs, la Cour ne peut souscrire à l’argument de M. Hua selon lequel la SAI a rejeté la demande de parrainage pour le seul motif que Mme Nguyen n’ait pas reconnu, lors de son témoignage, la situation difficile dans laquelle elle se retrouvait ou parce qu’elle a jugé Mme Nguyen non crédible. La SAI a plutôt choisi d’accorder plus de poids au témoignage de M. Hua, jugeant qu’il a fait preuve d’une grande ouverture face aux questions posées. Même si la SAI ne considère pas nécessairement que le témoignage de Mme Nguyen est de mauvaise foi, la SAI estime néanmoins que Mme Nguyen a fait preuve de moins de spontanéité et qu’elle répondait aux questions qui lui étaient posées selon un scénario qui insistait sur les sentiments que les époux avaient l’un pour l’autre, en faisant abstraction du contexte qui avait mené à leur rencontre. Il appartenait à la SAI d’évaluer les éléments de preuve qui lui ont été présentés, dont notamment les témoignages de M. Hua et de Mme Nguyen. Ce n’est pas le rôle de cette Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de réévaluer et de soupeser ces éléments de preuve (Onwubolu au para 21; Truong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 422 au para 37; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1207 aux para 13, 31;).

[14]  Comme la SAI, la Cour reconnaît que des époux peuvent, avec le temps, s’attacher au point où le mariage devient authentique. Avant la reformulation en septembre 2010 du paragraphe 4(1) du RIPR, les critères étaient conjonctifs. Un mariage qui, initialement, visait principalement l’acquisition d’un statut ou privilège, pouvait avec le temps devenir authentique permettant ainsi une demande de parrainage. Selon l’ancienne définition, Mme Nguyen aurait pu rejoindre M. Hua au Canada. Cependant, depuis l’amendement en 2010, Mme Nguyen ne peut être considérée comme membre de la catégorie du regroupement familial ni être admissible au parrainage de M. Hua vu la conclusion de la SAI que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077 aux para 5-7). Bien que la preuve actuelle d’un mariage authentique puisse, dans certaines circonstances être pertinente à l’appréciation des fins principales du mariage au moment de celui-ci, cette preuve n’est pas déterminante. Autrement dit, même si une relation est actuellement authentique, cela n’établit pas de manière déterminante que le mariage ne visait pas des fins d’immigration (Trieu au para 34).

[15]  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la décision de la SAI appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[16]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1517-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1517-18

INTITULÉ :

GIA PHONG HUA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER OCTOBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 17 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

David Chalk

Pour le demandeur

Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chalk Immigration

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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