Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181113

Dossier : IMM‑4197‑17

Référence : 2018 CF 1141

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SARVJIT SINGH PABLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Sarvjit Singh Pabla (le demandeur) présente la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SAI) par laquelle elle a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre du rejet de la demande de résidence permanente de son épouse présentée au titre de la catégorie du regroupement familial.

[2]  La demande a été refusée au motif que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en contravention de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. La SAI a également conclu que le mariage n’était pas authentique.

[3]  M. Pabla soutient que la SAI s’est contredite dans ses conclusions relatives à la validité du mariage, qu’elle a accordé une importance déraisonnable à quelques détails mineurs pour tirer des conclusions défavorables à l’égard de la crédibilité, et qu’elle a ignoré des éléments de preuve pertinents qui démontraient que son mariage était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut aux fins d’immigration. 

[4]  Après un examen attentif du dossier et des précédents, et après avoir examiné la question sous tous les angles, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. La loi prévoit clairement que s’il est établi qu’un mariage visait principalement l’acquisition d’un privilège ou d’un statut sous le régime de la LIPR, la relation ne peut servir de fondement à un parrainage, même s’il est également établi que la relation est ensuite devenue un mariage authentique. La conclusion de la SAI selon laquelle ce mariage a été contracté principalement à des fins d’immigration est raisonnable compte tenu de la jurisprudence et des éléments de preuve présentés en l’espèce.

I.  Les faits et le contexte

[5]  Le demandeur est un citoyen du Canada âgé de 33 ans, et son épouse, Satvir Kaur Tamber, est une citoyenne de l’Inde âgée de 32 ans. Ils se sont rencontrés en 2012 dans le contexte d’un mariage arrangé à Ludhiana, en Inde. Le demandeur l’a demandée en mariage le jour où ils se sont rencontrés, la cérémonie de fiançailles a eu lieu deux jours plus tard, et le couple s’est marié le 20 février 2012. En juin 2012, le demandeur a fait une demande en vue de parrainer son épouse. 

[6]  L’agent des visas, à la suite d’une entrevue réalisée le 19 février 2013, a conclu qu’il subsistait de sérieuses questions quant à la sincérité et à la crédibilité de l’épouse. L’agent des visas a constaté que son explication concernant le refus antérieur de lui délivrer un permis de travail, l’arrangement et la rapidité du mariage, ses antécédents professionnels en Inde, soulevait des problèmes. L’agent des visas a conclu qu’elle avait une intention très ferme d’aller au Canada et que le mariage avait été organisé principalement aux fins d’immigration et qu’il n’était pas authentique.

[7]  Le demandeur a interjeté appel de cette décision. La SAI a confirmé la décision de l’agent des visant en concluant que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve de prouver que le mariage ne visait pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Même si cette conclusion suffisait pour statuer sur l’appel, la SAI a aussi évalué l’authenticité du mariage. La naissance de leur fils en 2015 a créé une présomption favorable à l’authenticité du mariage, mais la SAI a fait état des problèmes que soulèvent les éléments de preuve concernant la relation, et elle a finalement conclu que la présomption d’authenticité avait été réfutée.

[8]  La SAI a conclu que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR et que le mariage n’était pas authentique. Elle a rejeté l’appel en application du paragraphe 117(1) de la LIPR parce que l’épouse ne peut être parrainée en vue d’immigrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

[9]  La décision de la SAI constitue le fondement de la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi.

II.  La question en litige et la norme de contrôle applicable

[10]  La seule question en litige est de savoir si la décision de la SAI était raisonnable.

[11]  La norme de contrôle qui s’applique à ce type de décision sur le fond est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Noveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de décision raisonnable, une cour de révision doit s’intéresser à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Les conclusions d’un décideur ne doivent pas être modifiées si elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il n’appartient pas à la cour de soupeser de nouveau les conclusions factuelles ni d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59].

[12]  L’évaluation de la crédibilité des demandeurs de résidence permanente est au cœur de l’expertise des agents des visas et de la SAI. Par conséquent, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des décideurs, et n’interviendra que si les conclusions ne peuvent être justifiées par les faits et le droit. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit d’évaluer si le mariage visait principalement des fins d’immigration ou s’il est authentique. Il s’agit d’une enquête hautement factuelle : Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 345, au paragraphe 15; Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244, au paragraphe 17; Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 999, au paragraphe 14 [Shahzad].

[13]  Enfin, il convient de souligner qu’il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision de la SAI, qui fait suite à une audience complète de l’affaire. Je retiens donc les observations suivantes formulées par le juge Richard Mosley dans Igiewe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 101, au paragraphe 15 :

Les conclusions de fait de la SAI commandent un niveau élevé de retenue judiciaire, compte tenu la possibilité de la SAI d’entendre les témoins s’exprimer de vive voix et de les observer : Thach c Canada (MCI), 2008 CF 658, aux paragraphes 15‑19; Valencia c Canada (MCI), 2011 CF 787 (CanLII), au paragraphe 25 [Valencia]. Comme il en a été question dans Grewal c Canada (MCI), 2003 CF 960, au paragraphe 9 [Grewal] :

La Commission peut à bon droit se prononcer sur la vraisemblance et sur la crédibilité du témoignage ainsi que sur d’autres éléments de preuve mis à sa disposition. Il appartient également à la Commission de déterminer le poids à accorder à cette preuve. Dans la mesure où, eu égard au dossier, il était avec raison loisible à la Commission d’arriver aux conclusions qu’elle a tirées et aux inférences qu’elle a faites, rien ne permet de modifier la décision de la Commission. Lorsqu’une audience est tenue, il convient de faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité.

III.  Analyse

[14]  Le demandeur a attaqué la décision de la SAI de deux façons : (i) le décideur s’est contredit en concluant que le mariage avait tous les attributs d’un mariage authentique, mais pour ensuite conclure qu’il avait été contracté dans un but non valide et qu’il n’était pas authentique; et (ii) la décision est déraisonnable parce que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve convaincante et pertinente qui montrait que le mariage était valide et parce qu’elle a accordé une importance excessive aux questions et aux contradictions mineures. Il n’y avait aucun élément de preuve permettant de conclure que le mariage visait principalement l’obtention d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[15]  Le demandeur a aussi affirmé que la décision était déraisonnable en raison de la longue période qui s’est écoulée entre l’audience et la publication de la décision. Cet argument est sans fondement et je n’y reviendrai pas.

[16]  Le défendeur soutient que le demandeur interprète mal la décision en ce qui concerne les principales conclusions, et qu’il n’y a aucune contradiction dans les motifs. Le défendeur soutient en outre que la SAI a examiné tous les éléments de preuve pertinents et que ses conclusions concernant les multiples contradictions et incohérences figurant dans la preuve sont pleinement étayées dans le dossier.

A.  La SAI s’est‑elle contredite sans fournir d’explications?

[17]  Pour mettre cet argument en contexte, il est nécessaire d’examiner les dispositions juridiques pertinentes. Le paragraphe 4(1) du RIPR énonce un critère à deux volets :  

Mauvaise foi

Bad faith

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[18]  Cette disposition commande une évaluation visant à déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (le « critère de l’objectif principal ») et s’il est authentique (le « critère de l’authenticité du mariage »). L’une ou l’autre de ces conclusions suffit à empêcher l’épouse d’obtenir le visa lui permettant de venir au Canada : Dalumay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1179, au par. 25; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077 [Singh].

[19]  Il convient aussi de souligner que les critères portent sur différentes périodes : le « critère de l’objectif principal » exige un examen des intentions de chaque époux au moment où le mariage a eu lieu (« visait »), alors que l’authenticité de la relation doit être évaluée au moment de la décision (« n’est pas authentique ») : Singh, au paragraphe 20; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, au paragraphe 33 [Gill 2012].

[20]  En ce qui concerne la contradiction alléguée dans la décision, le demandeur souligne la mention par la SAI de ses visites annuelles en Inde pour être avec son épouse, comportement qui, selon la SAI, était « sans doute un indicateur d’un couple qui entretient une relation matrimoniale authentique ». Le demandeur soutient que cette « constatation », combinée au fait que la SAI a convenu que la naissance de leur enfant donne lieu à une présomption favorable à l’authenticité du mariage, est contredite plus tard, sans explication, dans la décision. Il soutient donc que cette contradiction n’est pas raisonnable.

[21]  Je ne suis pas convaincu par ces arguments. La décision de la SAI est claire – la première moitié de l’analyse, laquelle est décrite plus en détail ci‑dessous, mène à la conclusion que le mariage visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. La SAI a ensuite poursuivi son analyse :

[38]  Compte tenu du critère disjonctif énoncé au paragraphe 4(1) du Règlement, la conclusion défavorable précédente est suffisante pour statuer sur le présent appel. Toutefois, compte tenu du lien entre le « critère relatif au but principal » et le « critère relatif à l’authenticité du mariage », j’examinerai brièvement le dernier critère.

[22]  Il n’y a simplement aucune contradiction dans la décision. La SAI constate certains faits qui tendent à étayer la conclusion favorable à l’authenticité du mariage, mais elle les met en balance avec l’ensemble des préoccupations relatives à la crédibilité ayant trait à des questions fondamentales liées au mariage, ainsi qu’avec d’autres préoccupations relatives à la preuve et aux explications offertes par le couple. Celles‑ci sont expliquées plus en détail ci‑dessous, mais pour les besoins de cette partie de mon analyse, je me contenterai de mentionner les constatations qui appuient la conclusion de la SAI.

[23]  La SAI mentionne les faiblesses suivantes relativement aux éléments de preuve : (i) la rapidité mal expliquée avec laquelle la relation du couple a évolué si rapidement vers une proposition de mariage et vers un mariage; (ii) l’incertitude quant à l’importance et à la fréquence des communications entre eux après le mariage alors que l’agent des visas a soulevé la question lors de l’entrevue initiale; (iii) le manque de connaissances de la part du couple quant à leurs antécédents personnels; (iv) l’attraction que la famille avait probablement pour le Canada, qui a motivé le désir de l’épouse de s’établir ici; (v) les lacunes relevées dans les éléments de preuve relatifs à la prétention de l’époux selon lequel il offrait un soutien financier à son épouse depuis le mariage; (vi) le fait que l’époux ne s’est pas rendu en Inde pour la naissance de son fils.

[24]  Ces éléments, combinés aux contradictions, à l’hésitation générale et au fait que les témoignages du demandeur et de son épouse étaient souvent superficiels, ont mené la SAI à la conclusion suivante : « l’importance de la naissance d’un enfant ne peut raisonnablement se révéler déterminante au moment d’établir que le mariage est authentique, compte tenu de l’accumulation de facteurs défavorables ».

[25]  Cette conclusion va de pair avec la jurisprudence de la Cour et avec la preuve dont la SAI a été saisie : voir Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, au paragraphe 9 [Gill 2010]; Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1182; Lamichhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 957, au paragraphe 14.

[26]  Pour ces motifs, j’estime qu’il n’y a pas de contradictions dans la décision. 

B.  La SAI a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et accordé une importance déraisonnable à des contradictions et des détails mineurs?

[27]  Les deux parties soutiennent que l’affaire Chavez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2005] D.S.A.I. no 353 (QL) [Chavez] constitue une décision de principe qui doit être prise en compte dans l’évaluation qui nous occupe. Je constate que la SAI a expressément invoqué cette décision. Chavez énonce une liste de critères dont un décideur peut tenir compte en ce qui concerne l’évaluation de l’authenticité du mariage. Parmi ces critères, citons entre autres :

 [3]  [...] l’intention des parties du mariage, la durée de la relation, le temps qu’elles ont passé ensemble, leur comportement au moment de leur première rencontre, de leurs fiançailles et/ou de leur mariage, leur comportement après le mariage, la connaissance que chaque partie a des antécédents de l’autre, l’ampleur des communications et des rapports soutenus, la prestation d’un soutien financier, la connaissance des enfants de l’autre partie et le partage de la responsabilité liée aux soins de ces enfants, la connaissance de la famille élargie de l’autre partie et la communication avec cette famille, ainsi que la connaissance de la vie quotidienne de l’autre partie. [...]

[28]  Le demandeur soutient que le mariage possédait tous les attributs d’un mariage authentique arrangé conformément aux coutumes et traditions sikhes, et que les explications des époux ne pouvaient que mener à la conclusion que le mariage était valide. Rien ne laisse penser que le mariage visait principalement à permettre à l’épouse d’immigrer au Canada. 

[29]  Le demandeur soutient que non seulement le dossier montre que le mariage répond à chacun des facteurs énoncés dans Chavez, mais aussi que les parties ne se sont jamais contredites, qu’elles ont répondu à toutes les questions et à tous les doutes soulevés par l’agent des visas, et que la SAI a écarté sans motif raisonnable le témoignage sous serment du demandeur et de son épouse.

[30]  Le demandeur soutient en outre que la SAI a accordé de l’importance à des détails mineurs, qu’elle a adopté une approche étroite et réduite à l’égard du témoignage et qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. Il renvoie à des précédents dans lesquels la Cour a annulé des décisions concernant la validité de mariages en concluant qu’elles étaient fondées sur des insinuations et des spéculations, ou un examen trop méticuleux des points de détail et des éléments marginaux, et non sur la nature véritable de la relation, donc qu’elles étaient déraisonnables : Tamber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951, au paragraphe 18 [Tamber]; Dhudwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1124, au paragraphe 20; Saroya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 414, au paragraphe 49 [Saroya].

[31]  Enfin, le demandeur soutient que la présomption favorable à l’authenticité, attribuable à la naissance d’un enfant, n’a pas été réfutée.

[32]  Le défendeur soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle le témoignage des époux était hésitant, incohérent et contradictoire est étayée par le dossier. En outre, l’examen minutieux des incohérences fait par la SAI est raisonnable et relève de la compétence de la SAI. Une cour de révision doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions sur la crédibilité, lesquelles sont au cœur de l’analyse de l’authenticité d’une relation (Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456, au par. 24). Il est également bien reconnu que, faute de preuve du contraire, on présume que les décideurs ont apprécié et examiné l’ensemble de la preuve présentée (Sing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 125, au par. 90). La question ne consiste pas à déterminer s’il aurait été possible d’en arriver à une autre issue ou de faire une autre interprétation. Il faut plutôt déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles et acceptables (Shahzad, au par. 31).

[33]  Les conclusions selon lesquelles le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR et que le mariage n’était pas authentique sont des conclusions de fait fondées sur une analyse de la crédibilité. De telles conclusions appellent une grande retenue. 

[34]  En l’espèce, la SAI a fondé ses décisions sur les faits consignés au dossier. Elle a apprécié la preuve, qui jouait en faveur et en défaveur du demandeur et de son épouse, et a finalement conclu que ceux‑ci n’étaient pas crédibles. Il n’est pas nécessaire d’exposer en détail chacune de ces conclusions; il suffit de mentionner certaines des difficultés, des incohérences et des contradictions découlant de leur témoignage. D’abord, un aperçu des événements permettra de les replacer en contexte. 

[35]  Le demandeur s’est rendu en Inde avec sa famille en janvier 2012 pour se marier. Une rencontre a été organisée par un « intermédiaire » entre sa famille et la famille de l’épouse potentielle. Le demandeur et son épouse potentielle n’ont pas pris part à la rencontre; des membres des deux familles étaient présents, notamment le père de la future mariée, son oncle du Canada ainsi que l’épouse et le fils de ce dernier. La mère de la future mariée était absente parce qu’elle était très malade à ce moment. 

[36]  Une autre rencontre a eu lieu quelques jours plus tard; cette fois, le demandeur et l’épouse potentielle étaient présents et ils ont eu leur première conversation. Tous deux ont déclaré qu’à la fin de cette rencontre, ils avaient décidé de se marier.

[37]  Deux jours plus tard, le couple a échangé des alliances et a tenu la cérémonie du shagun (échange de vêtements et d’argent) en présence de 40 à 45 personnes. La mère de la future mariée était encore absente parce qu’elle recevait des traitements médicaux.

[38]  Le couple s’est marié le 20 février 2012 au cours d’une cérémonie traditionnelle à laquelle ont assisté les deux familles – et la mère de la future mariée a pu assister à la cérémonie. Le couple a ensuite vécu ensemble au domicile d’un membre de la famille jusqu’en juin 2012, alors que le demandeur est retourné au Canada.

[39]  La première préoccupation de la SAI concerne les circonstances de la rencontre et du mariage du demandeur et de son épouse. Le demandeur a déclaré être allé en Inde pour chercher une épouse sans avoir quelqu’un en tête. Le mariage devait être arrangé, comme le veut la coutume sikhe. Lors de ce séjour, il était accompagné de son père, de sa mère, de sa sœur et de son frère. La SAI a trouvé surprenant, et non crédible, que toute la famille assume les dépenses et les perturbations occasionnées par un tel voyage sans avoir la certitude qu’un mariage aura réellement lieu.

[40]  Il en va de même pour l’affidavit de l’« intermédiaire », M. Gurmel Singh. Celui‑ci a déclaré qu’il connaissait très bien les deux familles et qu’il était un parent par alliance de l’épouse. Il a affirmé avoir agi à titre d’intermédiaire dans le cadre du mariage. Compte tenu du lien étroit qui existe entre l’intermédiaire et les deux familles, la SAI a conclu qu’il était plus probable que le contraire que le mariage avait été arrangé au préalable.

[41]  La conclusion selon laquelle le mariage a probablement été arrangé au préalable concordait aussi avec la séquence des événements. Par exemple, la SAI a constaté qu’il est difficile de croire que les familles ont organisé tous les préparatifs de la cérémonie shagun en seulement quelques jours. Au cours de cette période, les familles auraient eu à trouver des alliances et des vêtements, à les ajuster et à les tailler de façon appropriée, à réserver la salle de réception et à inviter de 40 à 45 personnes. Là encore, la SAI a conclu que les préparatifs ont probablement été faits au préalable.

[42]  La SAI était également préoccupée par l’explication quant à la rapidité avec laquelle les préparatifs ont été faits, surtout au regard du fait que la mère de la future mariée était malade et donc dans l’impossibilité d’y assister. L’épouse a reconnu que la participation de sa mère à ces rencontres et cérémonies était très importante selon la tradition sikhe. L’épouse a expliqué que l’absence de sa mère à ce processus était attribuable à un problème de santé de sa mère qui avait été découvert le 23 janvier 2012. Pourtant, la mère était absente des rencontres familiales des 18 et 21 janvier 2012. L’épouse n’a pas abordé cet élément dans son explication.

[43]  L’épouse a ensuite expliqué que les fiançailles n’avaient pas été reportées malgré la maladie et la non‑participation de sa mère parce que l’époux devait retourner au Canada. La SAI n’a pas trouvé cette explication convaincante étant donné que l’époux est demeuré en Inde de janvier à juin 2012 et, compte tenu de l’importance culturelle et traditionnelle du rôle de la mère, il semblait y avoir eu suffisamment de temps pour fixer une date ultérieure, entre janvier et juin 2012.

[44]  L’épouse a expliqué qu’une photographie avait été montrée à sa mère et que, en s’appuyant sur la photographie, sa mère avait approuvé le demandeur et leur mariage. Elle a aussi expliqué que son époux avait rencontré sa mère à l’hôpital avant le mariage. Cette explication est en contradiction directe avec le témoignage de l’époux étant donné qu’il a déclaré avoir rencontré la mère pour la première fois lors du mariage. 

[45]  La SAI était aussi préoccupée du fait que si les événements s’étaient déroulés comme l’ont décrit le demandeur et son épouse, la famille n’aurait pas eu le temps de procéder aux contrôles habituels quant aux antécédents et à la compatibilité du couple. La SAI a conclu que cela n’était pas conforme à la tradition sikhe. Elle s’est appuyée sur la décision Saroya, dans laquelle la Cour avait conclu que dans la tradition sikhe, « compte tenu de la grande importance que revêtent la compatibilité, la pertinence et la convenance », l’absence de « contrôles habituels » soulève des doutes quant à la question de savoir si le mariage a été contracté à des fins d’immigration. La SAI avait des préoccupations similaires en l’espèce. 

[46]  Le rôle joué par Ajit Singh, l’oncle du Canada de l’épouse, et son fils, préoccupait aussi la SAI. L’oncle avait joué un rôle dans la demande antérieure de permis de travail de l’épouse pour venir au Canada – il tient un restaurant à Vancouver et voulait qu’elle vienne travailler pour lui. La demande a été refusée en juin 2008 pour fausses déclarations; l’épouse avait déclaré avoir de l’expérience en restauration en Inde, mais l’enquête a révélé que ce n’était pas le cas.   

[47]  La SAI a constaté que ce même oncle était présent lors des rencontres de présentation et du mariage. Même si l’épouse a déclaré que « ce n’était que par hasard qu’il était en Inde » à ce moment‑­là, cette déclaration a été contredite par sa déclaration sur le questionnaire qu’elle avait rempli dans le cadre de la demande de parrainage, dans lequel elle a mentionné que l’oncle était un parent qui était venu en Inde pour assister à son mariage. Elle a aussi déclaré que le fils de l’oncle a aidé son père à elle à veiller à tous les préparatifs du mariage. La SAI a trouvé cette divergence troublante, en particulier compte tenu du rôle joué par l’oncle dans la demande antérieure de permis de travail. 

[48]  La crédibilité de l’épouse a encore été minée par le fait qu’elle avait répété les fausses déclarations au sujet de ses antécédents professionnels dans deux contextes d’immigration différents. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé dans un restaurant au cours du processus initial associé à sa demande de permis de travail en 2008, mais il a été établi qu’il s’agissait d’une fausse déclaration. Elle a de nouveau fait cette déclaration lors de l’entrevue relative à la demande de parrainage en 2013. Ce n’est qu’à l’audience de la SAI qu’elle a avoué la vérité – et elle n’a donné aucune explication autre que de dire qu’elle s’était fiée à son oncle, mais que ce dernier avait mal rempli les documents et qu’il lui avait dit quoi déclarer aux agents de l’immigration. La difficulté à accepter cette explication vient du fait qu’elle contredisait son témoignage selon lequel son oncle n’avait pas participé à sa demande de parrainage.

[49]  Des faits documentaires et beaucoup d’hésitation dans le comportement ont de nouveau nui à la crédibilité du demandeur et à celle de son épouse lorsqu’ils ont formulé des commentaires sur leurs communications après le retour du demandeur au Canada en juin 2012. En premier lieu, l’épouse a écrit dans le questionnaire qu’ils se parlaient fréquemment, d’abord par téléphone puis par Skype. Cependant, son témoignage quant à la fréquence de leurs contacts a été remis en question par la SAI. Au début, elle ne pouvait pas dire à quelle fréquence ils se parlaient; elle a ensuite laissé entendre que c’était le lundi que son époux ne travaillait pas et, après beaucoup d’hésitation, elle a affirmé qu’ils se parlaient environ cinq fois par semaine.

[50]  L’époux a déclaré qu’ils se parlaient presque tous les jours. Les préoccupations au sujet de cette incohérence sont décuplées par le manque d’éléments de preuve documentaire concernant la fréquence de leurs communications. La SAI a constaté que les éléments de preuve fournis ne visaient qu’une brève période comprise entre juillet 2012 et janvier 2013, notamment juste après la lettre de refus initiale de l’agent des visas qui avait exprimé des préoccupations quant à l’insuffisance de preuve des communications.

[51]  Enfin, je tiens à signaler que l’agent des visas qui a mené l’entrevue de parrainage et la SAI ont tous deux conclu que l’épouse manquait de crédibilité en raison de sa façon de rendre son témoignage, soulignant les longues pauses, les hésitations et le caractère évasif de ses réponses aux questions qui portaient sur l’essentiel des éléments à trancher. 

[52]  Je conclus que l’évaluation de la crédibilité du demandeur et de son épouse réalisée par la SAI est raisonnable. Les préoccupations exprimées n’étaient ni futiles ni illusoires, et la SAI a pris grand soin de situer le comportement du couple dans le contexte culturel d’un mariage arrangé conformément à la tradition sikhe. Je ne crois pas que la jurisprudence citée par le demandeur soit applicable, puisqu’elle porte sur des situations factuelles différentes. Par exemple, dans l’affaire Tamber, la Cour a infirmé la décision principalement en raison d’un déni d’équité procédurale, et parce que les « éléments marginaux et à [les] points de détail » qui préoccupaient la Cour ne concernaient pas la relation entre les époux. Ce n’est tout simplement pas le cas en l’espèce.

[53]  Les motifs menant aux conclusions en matière de crédibilité sont clairement exprimés, dans une appréciation détaillée des témoignages et de la preuve documentaire. La SAI explique son raisonnement de manière transparente et intelligible. J’estime que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du droit et de cette preuve.

[54]  En outre, je ne crois pas qu’il était déraisonnable pour la SAI, après avoir conclu que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, de poursuivre en analysant l’authenticité du mariage. Dans de nombreuses décisions, la Cour a conclu que les critères étaient distincts, mais étroitement liés, et que ce n’est pas une erreur d’examiner également cet aspect de l’affaire (voir, par exemple : Gill 2012, au par. 30, et la jurisprudence qui y est citée; Singh, au par. 26; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Genter, 2018 CF 32, au par. 13).

[55]  Le libellé de la décision est clair – la SAI sait qu’elle aurait pu statuer sur l’affaire uniquement en se fondant sur le critère de l’objectif principal, mais elle a poursuivi en analysant le critère de l’authenticité du mariage parce que certains des éléments de preuve relatifs à un critère étaient pertinents pour l’analyse de l’autre critère. En l’espèce, la naissance de l’enfant et la conduite du couple après le mariage commandaient une certaine analyse.

[56]  Relativement à cet aspect de la décision, j’estime que la SAI a examiné des facteurs qui jouaient en faveur et en défaveur d’une conclusion selon laquelle le mariage était authentique. Par exemple, la décision cite la pertinence de la cohabitation du couple après le mariage jusqu’au retour de l’époux au Canada en juin 2012. Il y a eu aussi de longs séjours en Inde, dont un séjour de cinq mois en 2013, un de deux mois en 2014 et un de trois mois en 2015. La SAI affirme que ces séjours sont sans doute un indicateur « d’un couple qui entretient une relation matrimoniale authentique ». 

[57]  La naissance d’un enfant crée une présomption favorable à l’authenticité du mariage. La jurisprudence de la Cour citée dans la décision reconnaît qu’il faut accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant et, comme il n’y avait pas de doute sur la paternité dans cette affaire, « il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause » (Gill 2010, au par. 8).

[58]  Cette présomption a été appliquée de manière explicite, mais a ensuite été réfutée. Les motifs justifiant la réfutation comprenaient notamment : (i) le manque de connaissances de la part des époux quant à des éléments dont ils auraient raisonnablement dû avoir une bonne connaissance (comme les antécédents professionnels); (ii) les contradictions dans les témoignages quant aux rôles joués par diverses personnes dans leur mariage arrangé (particulièrement l’intermédiaire et l’épouse et le fils de l’oncle); (iii) les vices relevés dans les documents relatifs aux transferts d’argent qui ont été présentés pour montrer que le demandeur offrait un soutien financier à son épouse; (iv) le fait que le demandeur n’était pas présent à la naissance de son fils.

[59]  La SAI constate également que la majeure partie des témoignages et de la documentation présentés ont été produits seulement après la lettre de refus initiale de l’agent des visas, et elle estime que ce fait a miné et non dissipé les préoccupations quant au témoignage du couple.  

[60]  J’estime que la décision de la SAI relative à l’authenticité du mariage est raisonnable. Je suis sensible à la situation du demandeur en l’espèce, et il y a des éléments de preuve qui tendent à étayer sa prétention voulant que la relation soit authentique. Je suis également conscient de la tâche difficile qui est confiée aux agents de l’immigration et à la SAI dans la prise d’une telle décision.

IV.  Conclusion

[61]  Je conclus que la décision est raisonnable. Il n’y a aucune contradiction dans la décision qui justifierait son annulation. En outre, l’affirmation selon laquelle la SAI a sélectionné à sa guise des éléments de preuve ou a accordé une importance indue à des contradictions ou à des incohérences mineures n’est pas fondée. J’estime que la décision de la SAI est longue, détaillée et approfondie, et je ne vois aucun motif qui m’autoriserait à modifier sa conclusion. 

[62]  Après avoir formulé ces conclusions, je retiens le passage suivant de la décision rendue par le juge David Near dans Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 787, qui s’applique avec la même rigueur dans l’affaire dont je suis saisie :

[24]  Le fait de déterminer si un mariage est authentique et d’apprécier quelles étaient les intentions véritables des parties quand elles l’ont contracté, est une tâche ardue, empreinte de nombreuses embûches éventuelles. En examinant le dossier, je me rends compte de la difficulté qu’a eue la SAI en instruisant cet appel, et je suis conscient que, tant qu’il était raisonnablement loisible à la SAI d’arriver aux inférences qu’elle a tirées, rien ne permet à la Cour de changer la décision, bien que je sois tenté de tirer une conclusion contraire (Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 960, 124 A.C.W.S. (3d) 1149, au paragraphe 9).

[63]  Les parties n’ont soumis aucune question à certifier, et le dossier n’en soulève aucune.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.