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Date : 20181114


Dossier : IMM‑4259‑17

Référence : 2018 CF 1147

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2018

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SOPHORN SAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Sophorn Sar, le demandeur, est un citoyen du Cambodge qui vit maintenant en Thaïlande avec sa famille. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) ayant entraîné le rejet de sa demande de visa de résident permanent au motif qu’il n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, notamment la catégorie des personnes de pays d’accueil, au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et des articles 145 à 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. La décision a été rendue par une agente d’immigration (l’agente) du haut‑commissariat du Canada, Section de l’immigration, à Singapour. L’agente n’était pas convaincue que le demandeur avait une crainte fondée de persécution au Cambodge.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.  Le contexte

[3]  Le demandeur vivait dans une région rurale du Cambodge et était un représentant du peuple au sein de l’association de la commune locale. Il était également membre du Parti Sam Rainsy (PSR), parti politique d’opposition. Le demandeur affirme que ses points de vue politiques ont fait de lui la cible de fonctionnaires locaux.

[4]  Les événements qui ont amené le demandeur à fuir son village, d’abord vers Phnom Penh (Cambodge), puis vers la Thaïlande, ont eu lieu en 2012. Ce dernier affirme qu’au mois de septembre de cette année‑là, le chef de la commune locale l’a envoyé inspecter un pont qui était tombé en ruine. Le demandeur a confirmé l’état du pont et érigé une barricade pour qu’on ne puisse plus y accéder. À son retour au village, il a été accusé par le chef de la commune d’avoir érigé la barricade dans le but de toucher des pots‑de‑vin. Le demandeur a nié ces allégations. Il affirme que le chef de la commune les a faites parce qu’il craignait de perdre des élections locales en faveur du demandeur. Lors de son entrevue auprès de l’agente, le demandeur a prétendu que les autorités auraient pu le tuer au moment où il est allé inspecter le pont éloigné, mais qu’il avait emmené d’autres personnes en guise de témoins, notamment un membre d’une organisation environnementale et un certain nombre de journalistes.

[5]  Un mandat exigeant que le demandeur comparaisse devant un tribunal pour répondre à des accusations d’extorsion a été produit le 11 octobre 2012. La comparution était prévue pour le 24 octobre 2012. Le demandeur a continué à travailler normalement dans son village tout au long de cette période. Le 23 octobre 2012, la tante du demandeur lui a conseillé de ne pas comparaître devant le tribunal le lendemain, conformément au mandat, parce qu’il serait arrêté. Le demandeur n’a pas comparu devant le tribunal le 24 octobre. Il est allé travailler le 25 octobre 2012 comme à son habitude. Au travail, ce jour‑là, le demandeur a appris que l’un des journalistes et l’environnementaliste qui l’avaient accompagné au pont le mois précédent avaient été arrêtés.

[6]  Le 12 novembre 2012, le demandeur a été informé par son cousin, un policier local, qu’on allait l’arrêter. Il a fui vers Phnom Penh (Cambodge), où sa famille est allée le rejoindre plus tard.

[7]  Le demandeur est resté à Phnom Penh pendant deux mois. Sa famille et lui se sont rendus en Thaïlande au mois de janvier 2013. Le demandeur a présenté une demande d’asile au bureau local du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Il a été interrogé pendant une journée entière, sa demande a été approuvée, et il a été reconnu en tant que personne protégée en attente de réinstallation.

[8]  Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada et a été reçu en entrevue par l’agente le 3 décembre 2015.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  La décision de l’agente est datée du 25 juillet 2017 et consiste en une lettre contenant la conclusion de cette dernière, selon laquelle le demandeur n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, ni à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, ainsi qu’en ses notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). Ces notes racontent l’entrevue du demandeur et de son épouse tenue le 3 décembre 2015, font état des conclusions de l’agente concernant le récit de ce dernier et, enfin, présentent sa décision de refuser la demande. L’agente n’était pas convaincue que le demandeur avait démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté ni qu’il était touché gravement et personnellement par une guerre civile, par un conflit armé ou par une violation massive des droits de la personne.

[10]  Dans les notes du SMGC, l’agente a inscrit les questions qu’elle avait posées au demandeur et les réponses de ce dernier concernant : sa crainte d’arrestation due à son poste de représentant du peuple au sein de l’association de la commune; les événements entourant le voyage de travail de septembre 2012 au pont endommagé; l’accusation d’extorsion faite par le chef de la commune; la production du mandat de comparution; le défaut du demandeur de comparaître devant le tribunal, conformément au mandat. L’agente s’est concentrée sur le fait que le demandeur était resté dans son village et avait continué à travailler normalement après la date fixée pour sa comparution devant le tribunal, et ce, malgré sa crainte d’arrestation et de préjudice de la part des fonctionnaires locaux. Elle a également tenu compte de la crainte d’arrestation déclarée par le demandeur parce qu’il croyait que les tribunaux cambodgiens n’étaient pas indépendants et subissaient l’influence du gouvernement.

[11]  L’agente a résumé son entrevue auprès de l’épouse du demandeur et affirmé que Mme Sar ne savait pas vraiment pourquoi ils avaient quitté le Cambodge. Dans son résumé, l’agente a mentionné les actes posés par cette dernière afin de discipliner leur fils, qui était également présent. L’agente est intervenue deux fois pour demandeur à Mme Sar de ne pas frapper l’enfant.

[12]  L’agente a examiné les documents qui lui ont été présentés lors de l’entrevue. Même s’ils n’avaient pas été traduits, elle a demandé à l’interprète de lui expliquer ce qui y était inscrit. Il a été établi qu’il s’agissait d’une lettre d’adhésion au PSR, d’une carte de membre de ce parti, de deux mandats de comparution, d’une lettre de nomination à un poste au sein de la commune locale et du certificat de naissance du fils du demandeur.

[13]  La décision de l’agente de refuser la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur était fondée sur ses préoccupations quant à la crédibilité de la demande d’asile de ce dernier. Même s’il a affirmé que les autorités de la commune avaient l’intention de l’arrêter et peut‑être de lui faire du mal, l’agente a insisté sur le fait que celles‑ci avaient eu de nombreuses occasions d’arrêter le demandeur pendant qu’il continuait à travailler normalement dans le village, après la production des mandats. Elle estimait qu’il n’était pas crédible que les autorités se soient retenues de l’arrêter durant les semaines qui se sont écoulées entre le voyage de septembre 2012, au pont, et le départ du demandeur à destination de Phnom Penh, au mois de novembre suivant. L’agente a également souligné des écarts entre le formulaire d’enregistrement aux fins de réétablissement (FER) rempli par le demandeur dans le cadre du processus de l’UNHCR et le témoignage qu’il a présenté durant l’entrevue en ce qui a trait au fondement de l’accusation d’extorsion portée contre lui.

[14]  L’agente a mentionné le fait que le demandeur avait été en mesure de rester à Phnom Penh pendant deux mois sans problème. Elle était préoccupée par la possibilité que le demandeur ait trouvé une solution durable dans cette ville.

[15]  Enfin, l’agente a déclaré avoir fait part au demandeur, lors de l’entrevue, de ses préoccupations en matière de crédibilité. Toutefois, il n’a ni répondu ni présenté de nouveaux renseignements dans le but de dissiper ses préoccupations. En conclusion, l’agente n’était pas convaincue du fait qu’il existait une possibilité sérieuse ou raisonnable que l’appelant ait une crainte fondée de persécution.

III.  Les questions en litige

[16]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé de nombreuses questions. Dans l’ensemble, elles peuvent être classées ainsi : les questions mettant en doute l’équité procédurale accordée au demandeur et celles mettant en doute le caractère raisonnable de la décision en tant que telle.

[17]  J’ai résumé et organisé ainsi les questions soulevées par le demandeur :

  1. L’agente a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de l’aviser adéquatement de la raison de son entrevue?

  2. L’agente a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de tenir une entrevue équitable, plus particulièrement en ne soulevant pas auprès de ce dernier ses préoccupations concernant sa crédibilité et en ne posant pas des questions exhaustives?

  3. La décision était‑elle raisonnable?

IV.  La norme de contrôle applicable

[18]  Les questions concernant l’équité procédurale soulevées par le demandeur feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux par. 34 à 56 (Canadien Pacifique). Le contrôle porte principalement sur les procédures suivies aux fins de la prise de décision, et non sur la substance ou le bien‑fondé de la cause. Je dois évaluer si le processus suivi par l’agente était juste et équitable, au vu de toutes les circonstances de l’affaire, des droits fondamentaux du demandeur qui sont en cause et des autres facteurs contextuels établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 à 28 (Canadien Pacifique, au par. 54) :

[54] La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans Eagle’s Nest (para. 21) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction« particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.

[19]  En ce qui concerne les questions soulevées par le demandeur relativement à la décision en tant que telle, il est bien établi que la décision d’un agent quant à l’appartenance d’un demandeur à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou à celle des personnes de pays d’accueil est une question mixte de fait et de droit pouvant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621, au par. 14; Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au par. 19 (Pushparasa); Bakhtiari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1229, aux par. 22 et 23; Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589, au par. 25). Par conséquent, la Cour n’intervient que si la décision d’un agent n’est pas suffisamment justifiée, qu’elle manque de transparence ou d’intelligibilité ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits particuliers de l’affaire et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

V.  Analyse

1.  L’agente a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de l’aviser adéquatement de la raison de son entrevue?

[20]  La lettre avisant le demandeur de son entrevue est datée du 11 novembre 2015 (la lettre d’entrevue). La première ligne de cette lettre est ainsi libellée :

[traduction

La présente concerne votre demande de réinstallation au Canada en tant que réfugié.

[21]  La lettre d’entrevue mentionnait la date et l’heure de l’entrevue personnelle du demandeur et avisait ce dernier que tous les membres de sa famille inclus dans sa demande devaient l’accompagner à l’entrevue. Cette lettre exigeait également que le demandeur apporte tous les documents à l’appui de sa demande d’asile et indiquait comment ils devaient être organisés.

[22]  Le demandeur affirme ne pas avoir été traité de façon équitable, car il n’avait pas été avisé adéquatement de la raison de l’entrevue. Il fait valoir que la lettre d’entrevue ne comportait absolument aucune mention à cet égard. Le demandeur soutient également que cette lettre ne donnait aucune indication quant au fait que l’agente avait ou pouvait avoir des préoccupations concernant l’authenticité de sa crainte de persécution. De plus, comme certaines des préoccupations de l’agente auraient dû ressortir clairement des documents de demande du demandeur, elles auraient dû être soulevées auprès de ce dernier avant l’entrevue. Le demandeur affirme qu’il avait déjà été interrogé par des représentants de l’UNHCR pendant une journée entière et qu’il n’appréciait pas le fait que le processus canadien était entièrement distinct et qu’il supposait un examen indépendant de sa demande d’asile.

[23]  Le défendeur soutient que le demandeur a été adéquatement avisé de l’objet de l’entrevue auprès de l’agente. La lettre d’entrevue énonçait clairement que l’entrevue était liée à la demande de réinstallation au Canada à titre de réfugié présentée par le demandeur. Le défendeur fait valoir que l’agente n’avait aucunement l’obligation d’aviser le demandeur d’une exigence prévue par la loi. Il incombait à ce dernier d’établir qu’il était un réfugié au sens de la Convention.

[24]  Je souscris à l’opinion du défendeur et estime qu’il n’y a eu aucune atteinte au droit du demandeur de connaître le sujet et l’objet de l’entrevue. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte des droits sérieux et fondamentaux du demandeur qui sont en jeu dans le cadre de ce processus. Toutefois, la lettre d’entrevue informait ce dernier de l’objet de l’entrevue : une entrevue personnelle concernant sa demande de réinstallation au Canada à titre de réfugié. La phrase était formulée en termes clairs et simples et figurait bien en vue sous la forme d’un paragraphe. La lettre d’entrevue expliquait qui devait se présenter à l’entrevue et quels documents le demandeur était tenu d’apporter.

[25]  Le demandeur se fonde sur la récente décision Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 550 (Johnson), pour appuyer sa cause. La question au cœur du litige dans cette affaire était le caractère adéquat de l’avis donné à M. Johnson relativement à une entrevue concernant sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait. Le juge Gleeson a résumé ainsi ses conclusions (Johnson, au par. 15) :

[15] En l’espèce, M. Johnson a été informé que l’entrevue aborderait les questions liées à l’identité. Il a été informé que sa conjointe n’avait pas besoin de venir à l’entrevue, même si elle l’a fait. Il a été prévenu un peu plus de 2,5 heures à l’avance que l’entrevue, destinée à répondre aux préoccupations quant à son identité, aurait lieu. Il n’a pas été informé que le but de l’entrevue avait été modifié, que le fait de changer le but de l’entrevue permettrait d’aborder une question fondamentale pour sa demande de résidence permanente en tant que conjoint ou que l’entrevue entraînerait une décision soudaine et déterminante. Compte tenu de ces faits, il est difficile d’envisager que l’avis donné à la suite de la décision de l’agent de poser immédiatement des questions liées à l’article 4 du Règlement puisse être considéré comme un « adéquat » comme l’a suggéré le défendeur ou qu’elle soit équitable sur le plan procédural dans le contexte de l’article 4 du Règlement à la lumière de la jurisprudence de notre Cour.

[26]  Les faits dont disposait la Cour dans l’affaire Johnson étaient très différents de ceux qui ont été portés à ma connaissance. En l’espèce, le sujet de l’entrevue correspondait à l’objet établi dans la lettre d’entrevue. Dans l’affaire Johnson, l’entrevue s’était étendue bien au‑delà de la question de l’identité de M. Johnson, qui était la seule question soulevée par l’agent au moment où il avait fixé l’entrevue, dans le but d’évaluer l’authenticité du mariage du demandeur. De plus, l’épouse de ce dernier avait été interrogée séparément sans préavis, et ce, même si on l’avait informée du fait qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se présente à l’entrevue.

[27]  Le demandeur soutient également que l’agente avait l’obligation de préciser dans la lettre d’entrevue ses préoccupations préliminaires à l’égard de la demande d’asile qu’il avait présentée afin qu’il puisse y répondre. Il fait valoir que l’agente connaissait déjà certaines des préoccupations qui sont devenues évidentes dans le cadre de l’entrevue et qu’elle aurait dû les soulever dans la lettre d’entrevue.

[28]  Les problèmes factuels soulevés par l’agente lors de l’entrevue et ses préoccupations établies dans les notes du SMGC découlent des réponses données par le demandeur à ses diverses questions dans le cadre de l’entrevue. Il ne s’agit pas d’une affaire où l’agente a soulevé des questions fondées sur des documents ou des renseignements extrinsèques ou des questions qui n’auraient pas pu être prévues par le demandeur. Les conclusions de l’agente concernant la crédibilité de la demande d’asile faite par le demandeur ont découlé du récit fait par le demandeur dans le cadre de l’entrevue et n’auraient pas pu être présentées à l’avance. Il incombait au demandeur d’être en mesure de répondre aux questions découlant de sa demande et d’établir son statut en tant que réfugié au sens de la Convention à la satisfaction de l’agente. Voilà ce à quoi il devait répondre.

2.  L’agente a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de tenir une entrevue équitable, et plus particulièrement en ne soulevant pas auprès de ce dernier ses préoccupations concernant sa crédibilité et en ne posant pas des questions exhaustives?

[29]  Le demandeur soutient que l’agente a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu une entrevue équitable. Il fait valoir que cette dernière l’a empêché d’expliquer pleinement sa demande d’asile durant l’entrevue et qu’elle a créé un climat accusatoire par la manière dont elle posait ses questions. Le demandeur fait également valoir que l’agente ne lui a pas fait part de ses préoccupations touchant la crédibilité d’une manière significative et que, durant l’entrevue, elle ne lui a pas donné la possibilité de dissiper ces préoccupations. Il affirme que l’agente n’a pas examiné sa demande d’asile [traduction] « avec la moindre ferveur ». Le demandeur se fonde sur son affidavit daté du 25 novembre 2017, dans lequel il décrit l’expérience qu’il a vécue lors de l’entrevue.

[30]  J’ai examiné l’affidavit de novembre 2017 du demandeur, la décision et l’affidavit du 11 mai 2018 de l’agente, de même que les réponses à l’examen écrit effectué par le demandeur. J’admets pleinement que l’affidavit du demandeur établit avec véracité ses souvenirs de l’entrevue (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)). Toutefois, les notes du SMGC, qui font partie de la décision (Pushparasa, au par. 15), contredisent les arguments du demandeur concernant l’équité procédurale. Je conclus que l’entrevue menée par l’agente n’a aucunement porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale.

[31]  Les notes du SMGC indiquent que l’agente a expliqué l’objet de l’entrevue au demandeur d’emblée et qu’elle lui a demandé s’il avait des questions. Durant l’audience, elle lui a posé une série de questions concernant les détails de sa demande d’asile. Les questions de l’agente étaient ouvertes (souvent, elle se contentait de demander [traduction] « pourquoi? » ou [traduction] « comment? ») et spécifiques (p. ex. [traduction] « pourquoi est‑ce dangereux? », [traduction] « pourquoi vous accuse‑t‑il faussement? », [traduction] « pourquoi les avoir arrêtés, mais pas vous? »). Les réponses du demandeur étaient brèves et fournissaient peu de détails. L’agente a insisté à un certain nombre d’occasions en lui posant des questions de suivi. À la fin de l’entrevue, elle a exposé ses préoccupations quant à la crédibilité du demandeur et lui a donné la possibilité de répondre. Aucun élément de preuve ne montre que l’agente a averti le demandeur qu’il ne devait répondre qu’aux questions posées ou qu’elle l’a empêché de façon répétée de fournir des renseignements, comme ce dernier le fait valoir. Au contraire, elle a véritablement tenté de lui faire raconter son histoire.

[32]  Le demandeur fait également valoir que, conformément à l’obligation de l’agente en matière d’équité procédurale, celle‑ci était tenue de lui donner la possibilité de dissiper ses préoccupations à la suite de l’entrevue. Le demandeur invoque les affaires Johnson (précitée) et Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, à l’appui de ses affirmations. Dans l’affaire Johnson, la question que devait trancher le juge Gleeson concernait l’absence d’un avis adéquat donné avant une entrevue. Dans Ge, la question dont le juge Southcott était saisi consistait à savoir si l’agente avait l’obligation de soulever auprès des demandeurs en question ses préoccupations à l’égard de la possibilité qu’ils n’aient pas donné de réponses véridiques à une lettre relative à l’équité procédurale. En l’espèce, l’agente a pris sa décision en se fondant sur la demande qui lui avait été soumise et sur le témoignage présenté par le demandeur lors de l’entrevue. L’agente a résumé les facteurs déterminants dans la décision et les a communiqués au demandeur à la fin de l’entrevue. Elle n’était pas tenue de lui donner un aperçu de la décision afin qu’il puisse la commenter et la réfuter.

[33]  Enfin, le demandeur soutient que les motifs donnés par l’agente étaient inadéquats. Il fait valoir qu’un certain nombre des conclusions de cette dernière ne sont pas bien expliquées ni corroborées de façon détaillée. À mon avis, les arguments du demandeur à cet égard concernent la norme de la décision raisonnable et non pas le caractère adéquat des motifs en ce qui concerne la question de l’équité procédurale.

[34]  Les motifs exposés concernant une décision sont considérés comme étant raisonnables « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). Dans le cas qui nous occupe, l’agente a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait donc pas démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté au Cambodge. Les notes du SMGC établissent le fondement factuel qui sous‑tend les constatations de l’agente concernant les faits et la crédibilité. Ses conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur découlaient directement des faits constatés. La décision était brève, mais les motifs donnés par l’agente communiquaient de façon intelligible au demandeur le fondement de la décision en ce qui a trait à son effet sur le demandeur et au contexte dans lequel elle avait été prise (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1298, aux par. 19 et 20). Le demandeur pouvait effectivement contester le fondement des conclusions de l’agente, et il l’a fait. À la lumière de l’examen, je peux comprendre pourquoi l’agente a pris sa décision et évaluer si elle était raisonnable.

3.  La décision de l’agente était‑elle raisonnable?

[35]  Un examen du caractère raisonnable de la décision de l’agente m’oblige à établir si la décision était intelligible, transparente et justifiable à la lumière des éléments de preuve dont disposait l’agente et si sa conclusion appartient aux possibles et raisonnables de la cause du demandeur. J’ai examiné la décision et tenu compte des observations des parties par rapport aux paramètres, et j’estime que la décision était raisonnable.

[36]  Le demandeur soutient que la décision de l’agente découlait du fait que cette dernière n’avait pas du tout enquêté sur les aspects pertinents de sa demande d’asile ou qu’elle ne souhaitait absolument pas mener une telle enquête. J’ai répondu à cette affirmation dans mon examen des arguments que le demandeur a formulés concernant l’équité procédurale. Le demandeur laisse également entendre que l’agente a été influencée par son dédain pour l’épouse de ce dernier durant l’entrevue. À cet égard, j’affirmerai seulement que le dossier ne contient aucun élément de preuve concernant toute inconduite ou tout parti‑pris de la part de l’agente. Les notes du SMGC portent principalement, comme il se doit, sur le récit du demandeur et reflètent les constatations et les conclusions de l’agente relativement à la question centrale de la crédibilité de ce dernier.

[37]  Le demandeur a brièvement fait valoir que l’agente n’avait pas été raisonnable parce qu’elle avait omis de tenir compte des questions touchant la traduction, l’interprétation et la culture dans l’évaluation qu’elle a faite de son témoignage, mais je souligne qu’il n’a soulevé aucun problème concernant l’interprète qui lui avait été fourni. Le dossier ne contient aucun élément de preuve indiquant que le demandeur a eu de la difficulté à comprendre les questions qui lui étaient posées ou le contenu des observations de l’agente durant l’entrevue. Pareillement, rien ne prouve ni ne donne à penser que des questions culturelles, dont l’agente aurait dû être consciente, ont été en jeu dans le cadre de l’entrevue.

[38]  Le demandeur fait valoir que les conclusions de l’agente étaient fondées sur des hypothèses et qu’elles étaient déraisonnables, et il formule deux affirmations principales à l’appui de sa position. Premièrement, il met en doute la conclusion de l’agente selon laquelle sa conduite, du fait qu’il est demeuré dans son village à la suite de l’accusation d’extorsion, de la production du mandat du 12 octobre 2012 et de sa date d’audience, affaiblissait sa crainte présumée de persécution.

[39]  L’agente a examiné en détail, avec le demandeur, la période qui s’est écoulée entre le voyage de septembre 2012 vers le pont endommagé et le départ du demandeur de son village. L’agente a demandé au demandeur ce qu’il avait fait après avoir été accusé d’extorsion, s’il avait été arrêté et pourquoi les autres personnes qui l’avaient accompagné au pont avaient été arrêtées, mais pas lui. Elle a mentionné la crainte du demandeur que le chef de la commune l’arrête et lui fasse du mal; pourtant, la seule mesure prise contre lui a été la production d’un mandat, deux semaines après le voyage vers le pont. L’agente a affirmé qu’il n’était pas crédible que les autorités attendent avant de l’arrêter si, en fait, c’était leur but. Elles avaient eu de nombreuses occasions d’arrêter le demandeur, puisqu’il est resté sans se cacher dans le village jusqu’à la mi‑novembre.

[40]  La crainte du demandeur d’être victime de préjudices et de persécution de la part des représentants locaux a été contredite par le fait qu’il est resté dans son village et qu’il a continué à travailler normalement, sans égard à la production d’un mandat pour son arrestation. Autrement dit, sa propre conduite a eu une incidence défavorable sur la crédibilité de son récit. Il n’était pas déraisonnable pour l’agente de se fier à cette contradiction, compte tenu de la chronologie des événements survenus dans le village du demandeur.

[41]  Deuxièmement, le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur en se concentrant sur la divergence entre le témoignage qu’il a présenté lors de l’entrevue et les détails présentés dans son FER concernant le fondement factuel de l’accusation d’extorsion portée contre lui. Il affirme que c’est l’accusation en soi, pas les faits qui la sous‑tendent, qui est pertinente par rapport à sa crainte de persécution.

[42]  L’agente a souligné la divergence inexpliquée dans le résumé de son évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur. Elle a donné à ce dernier la possibilité d’expliquer la divergence, mais il ne l’a pas fait. L’agente a tenu compte de la contradiction entre le FER et les faits racontés par le demandeur lors de l’entrevue au moment d’évaluer la crédibilité de ce dernier, et j’estime qu’elle n’a pas commis d’erreur en le faisant. Le fondement factuel de l’accusation portée contre le demandeur n’était pas simplement une affaire collatérale dans l’histoire de ce dernier. Il s’agissait de l’un des seuls cas où il a donné suffisamment de détails concernant les événements en question pour permettre à l’agente d’approfondir son histoire. De plus, elle n’a pas accordé un poids indu à cet élément de son analyse. Il s’agissait d’un facteur accessoire dans l’analyse. Si je les lis dans leur ensemble, les conclusions de l’agente en ce qui a trait au récit du demandeur concernant sa crainte de persécution au Cambodge reposent raisonnablement sur l’ensemble des faits qui lui avaient été présentés par le demandeur lui‑même.

[43]  Enfin, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en désignant Phnom Penh comme une PRI ou une solution durable pour le demandeur. Il affirme que cette dernière s’est fondée sur des hypothèses en déterminant dans ses motifs [traduction« une solution durable, désignée dans la loi par le terme “possibilité de refuge intérieur (PRI)” ».

[44]  L’existence d’une solution durable est mentionnée à l’alinéa 139(1)d) du Règlement et est pertinente pour la délivrance d’un visa de résident permanent à un étranger qui a besoin de protection. Toutefois, la question déterminante, dans la cause du demandeur, consistait à savoir s’il avait démontré le bien‑fondé de sa crainte de persécution. Comme il a déjà été mentionné, l’agente a conclu qu’il n’avait pas réussi à le faire. Par conséquent, il n’était pas un étranger qui a besoin de protection aux fins du paragraphe 139(1). La question d’une solution durable pour le demandeur constituait une question de deuxième niveau qui n’était pas pertinente quant à la décision, et l’agente n’a formulé aucune conclusion à cet égard.

VI.  Conclusion

[45]  La demande est rejetée.

[46]  Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et ce dossier n’en contient aucune.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑4259‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de décembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4259‑17

 

INTITULÉ :

SOPHORN SAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AOÛT 2018

 

MOTIFS dU JUGeMENT et jugement :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 14 novembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Pantea Jafari, B.A., J.D.

 

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jafari Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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