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Date : 20181116


Dossier : IMM‑751‑18

Référence : 2018 CF 1162

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

ABDULLAHI HASHI FARAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur, âgé de 27 ans, est un citoyen de la Somalie. La Cour est saisie, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) mené conformément à l’article 112 de la LIPR par un agent principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

II.  Les faits

[2]  En 1999, le demandeur et sa famille quittent Mogadiscio pour se rendre au Kenya. En 2000, le demandeur, âgé de 10 ans, et sa famille arrivent aux États-Unis d’Amérique (les É.‑U.), en tant que réfugiés. Il demeure aux États-Unis en tant que résident permanent jusqu’en 2017. En 2008, il a été déclaré coupable, à Minneapolis (É.‑U.), de cambriolage et, en 2009, a fait pour cela l’objet d’une mesure de renvoi. Il a par ailleurs été déclaré coupable de possession d’une arme à feu, d’outrage/entrave à la justice, vol, et d’avoir donné un faux nom à un agent de la paix. En 2017, le demandeur arrive au Canada et demande l’asile. Toutefois, le 8 décembre 2017, sa demande est jugée irrecevable pour examen par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR), pour cause de grande criminalité, conformément au paragraphe 101(1) de la LIPR. Assisté d’un conseiller, le demandeur sollicite alors un ERAR, affirmant craindre d’être persécuté en Somalie en raison de son orientation sexuelle, soit par les autorités somaliennes, soit par sa propre famille. Dans sa demande, le demandeur a également fait état des craintes que lui inspire Al‑Chabaab s’il devait être renvoyé dans son pays.

III.  La décision contestée

[3]  Le 31 janvier 2018, la demande d’ERAR du demandeur a été rejetée. Selon l’agent, le renvoi dans son pays n’exposerait pas le demandeur à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels ou inusités.

[4]  Après examen attentif des conditions qui existent en Somalie, et des éléments de preuve produits par le demandeur, l’agent n’était pas persuadé que [traduction] « les activités et le profil du demandeur attireraient l’attention d’Al-Chabaab, qui pourrait éventuellement s’en prendre à lui » (dossier certifié du tribunal (le DCT), motifs de la décision, à la page 9). L’agent a par ailleurs souligné que le demandeur avait, [traduction] « quant à son orientation sexuelle, produit des éléments de preuve insuffisants. Aucune lettre à l’appui de ses dires, ou de photographies ou d’affidavits attestant ses relations » (le DCT, motifs de la décision, à la page 9). L’agent a en outre constaté que le demandeur n’avait produit aucune preuve quant aux membres de sa famille qui, en Somalie, pourraient s’opposer à son orientation sexuelle. Selon l’agent, les preuves documentaires produites par le demandeur ne démontrent à elles seules aucun lien direct avec sa situation personnelle. Enfin, l’agent n’a pas été persuadé qu’en Somalie le demandeur était, en raison de son orientation sexuelle, recherché par les autorités ou par des membres de sa propre famille comme il le prétend.

[5]  Selon l’agent, le demandeur n’a pas démontré qu’il est persécuté, au sens de l’article 96 de la LIPR, ni personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de torture, ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités, au sens de l’article 97 de la LIPR.

IV.  Questions en litige

[6]  Selon la Cour, voici les questions à trancher en l’espèce :

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas une audience?

  2. L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte des « raisons impérieuses» évoquées au paragraphe 108(4) de la LIPR?

[7]  Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir une audience, si elle semble avoir retenu deux orientations différentes, la Cour estime, au vu d’une jurisprudence importante, que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique lorsque « [la] décision repose sur l’interprétation et l’application de la loi qui régit les activités de l’agent » (Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 654, aux paragraphes 21 à 23). Dans la décision Matano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1290, au paragraphe 10, la Cour s’est prononcée en ces termes :

[10] La norme de contrôle applicable lorsqu’on évalue la décision d’un agent d’ERAR, compte tenu des faits de l’espèce, d’accorder une audience est celle de la raisonnabilité, car il s’agit d’un élément essentiel de la compétence et du mandat prévu par la loi de l’agent. Cet élément est lié à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent et on doit faire preuve de déférence à l’égard de ce pouvoir discrétionnaire (Matute Andrade c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074; Lopez Puerta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464). [...]

[8]  La Cour n’interviendra donc que lorsque la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

V.  Dispositions pertinentes

[9]  Voici ce que prévoient le paragraphe 112(1) et l’article 113 de la LIPR :

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112 (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada;

e) s’agissant des demandeurs ci-après, sur la base des articles 96 à 98 et, selon le cas, du sous-alinéa d)(i) ou (ii) :

(i) celui qui est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et pour laquelle soit un emprisonnement de moins de deux ans a été infligé, soit aucune peine d’emprisonnement n’a été imposée,

(ii) celui qui est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, sauf s’il a été conclu qu’il est visé à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

113 Consideration of an application for protection shall be as follows :

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3) — other than one described in subparagraph (e)(i) or (ii) — consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada; and

(e) in the case of the following applicants, consideration shall be on the basis of sections 96 to 98 and subparagraph (d)(i) or (ii), as the case may be:

(i) an applicant who is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years for which a term of imprisonment of less than two years — or no term of imprisonment — was imposed, and

(ii) an applicant who is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, unless they are found to be a person referred to in section F of Article 1 of the Refugee Convention.

[10]  L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, (RIPR) prévoit ce qui suit :

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

VI.  Observations des parties

A.  Observations du demandeur

[11]  Le demandeur fait valoir que la décision de l’agent était déraisonnable. Il soutient que l’agent, en se basant sur l’unique élément de preuve (la demande d’ERAR) fourni par le demandeur pour attester son orientation sexuelle, a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité du demandeur. Celui‑ci fait valoir que dans la décision Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132 (Zmari), la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire, au motif que l’agent d’ERAR, en mettant en doute la lettre émanant du frère du demandeur, avait tiré une conclusion quant à la crédibilité du demandeur. Le demandeur a également mentionné plusieurs décisions de la Cour fédérale dans le cadre desquelles la demande de contrôle judiciaire a été accueillie (Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275 (Majali); Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 654 (Balogh); Howard c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 780 (Howard)). Par conséquent, le demandeur soutient que lorsqu’est venu le moment de décider si la tenue d’une audience était ou non requise, l’agent n’a pas pris en compte les facteurs prévus à l’article 167 du RIPR (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 788, au paragraphe 19).

[12]  Le demandeur soutient en outre qu’en ne consultant pas, avant de rendre sa décision, les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives OSIGEG), l’agent a manqué à l’obligation d’agir équitablement (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429).

[13]  Le demandeur fait également valoir qu’aux termes du paragraphe 108(4) de la LIPR, l’agent aurait dû examiner les raisons impérieuses invoquées par le demandeur, cette analyse étant pertinente dans l’examen des demandes d’asile. Le fait de ne pas avoir tenu compte de l’exception prévue par la disposition constitue une erreur susceptible de contrôle, et, en conséquence, la décision de l’agent devrait être annulée (voir, par exemple, Buterwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1181, au paragraphe 11; Nagaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1208, au paragraphe 17; Rose c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 537, au paragraphe 5).

[14]  Enfin, le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable, car dans sa lettre au demandeur, il n’emploie pas le mot [traduction] « persécution ». Selon le demandeur [traduction] « le fait de ne pas avoir produit une lettre de décision qui est conforme à l’évaluation des risques montre que l’agent n’a pas accordé à la demande l’attention et le soin qu’elle méritait ».

B.  Observations du défendeur

[15]  Le défendeur fait valoir pour sa part que l’agent n’était pas tenu de procéder à une audience. Il était, de la part de l’agent, raisonnable de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant l’orientation sexuelle du demandeur, comme il l’avait prétendu. Le défendeur soutient que l’agent a correctement analysé les éléments de preuve et qu’il n’a pas tiré de conclusion voilée quant à la crédibilité. En fait, le défendeur soutient qu’il y a une distinction nette à faire entre une évaluation de la crédibilité et une évaluation du poids des éléments de preuve. Dans la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27 (Ferguson), la Cour s’est exprimée en ces termes :

[27] [...] Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[16]  Contrairement à l’argument du demandeur, le défendeur soutient que le paragraphe 108(4) de la LIPR ne s’applique pas au demandeur, la CISR ne lui ayant pas reconnu la qualité de réfugié. Selon le défendeur, l’analyse des « raisons impérieuses » évoquées dans cette disposition ne s’applique « qu’aux personnes dont la qualité de réfugié a précédemment été reconnue » (Cardenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 262, au paragraphe 27 (Cardenas)).

[17]  Enfin, le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas commis d’erreur en n’employant pas, dans sa décision, un certain terme. Prise dans son ensemble, la décision est raisonnable et le fait qu’un terme n’y figure pas ne doit pas mener à une conclusion différente. Comme il est clairement formulé dans la décision Lopez Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 29, « [c]e n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée ». Selon le défendeur, même si, dans la lettre de décision envoyée au demandeur, l’agent n’a pas employé le terme [traduction] « persécution », la jurisprudence a établi que les décisions doivent être lues conjointement avec les motifs et les notes du décideur.

C.  Réponse

[18]  Le demandeur fait valoir qu’une distinction peut être établie entre son dossier et la décision Ferguson car son propre témoignage concernant son orientation sexuelle est fourni dans sa propre déclaration, plutôt que par une tierce personne. Toutefois, le défendeur soutient que dans une affaire analogue, Nakawunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 309, l’avocat du demandeur avait fait valoir le même argument, argument que la Cour avait rejeté en estimant que la conclusion à laquelle était parvenu l’agent d’ERAR était raisonnable dans la mesure où elle ne constituait pas une conclusion portant sur la crédibilité du demandeur.

VII.  Analyse

[19]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Cour souscrit à la position du défendeur. Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle appelant l’intervention de la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

A.  L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas une audience?

[20]  Le demandeur a fait valoir que la conclusion de l’agent touchant les [traduction] « éléments de preuve insuffisants » concernant son orientation sexuelle était une conclusion voilée quant à la crédibilité. La Cour souligne que l’unique preuve produite par le demandeur était sa demande d’ERAR. Par conséquent, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la demande d’ERAR ne constituait pas une nouvelle preuve et ne permettait pas à elle seule de se prononcer sur l’orientation sexuelle du demandeur. « Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. » (Ferguson, au paragraphe 26). C’est ce qui s’est passé en l’espèce. L’agent ni n’a cru ni n’a pas cru que le demandeur est homosexuel (Ferguson, au paragraphe 34). La Cour souligne que la déclaration personnelle du demandeur, produite à l’appui de sa demande d’ERAR, émane certes du demandeur, mais n’était confirmée par aucun autre élément de preuve si ce n’est les preuves documentaires sur les conditions qui existent en Somalie. Il ressort clairement des motifs de la décision que les éléments de preuve fournis par le demandeur n’ont pas convaincu l’agent que le demandeur craignait d’être persécuté en Somalie en raison de son orientation sexuelle.

[21]  Il est bien établi en droit que, lors d’une demande d’ERAR, le fardeau de la preuve incombe au demandeur (I.I. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892, au paragraphe 22; Ferguson, au paragraphe 21; Bayavuge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 65). Le demandeur ne s’étant pas acquitté du fardeau de la preuve, l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour se prononcer sur l’orientation sexuelle du demandeur. La Cour est d’avis que la conclusion de l’agent constituait « une appréciation de la preuve, et non [...]une conclusion en lien avec la crédibilité. L’appréciation de la preuve est une fonction de l’ERAR et non une erreur susceptible de contrôle. » (Mudiyanselage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 749, au paragraphe 31 (Mudiyanselage)). La décision de l’agent est raisonnable. Il n’y avait aucune obligation de tenir une audience. Dans la décision Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422), au paragraphe 34, la Cour s’est prononcée en ces termes :

[34] [...] Il lui était en fait loisible de conclure, sans tirer d’inférence défavorable quant à la crédibilité, que la preuve produite ne suffisait pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, l’orientation sexuelle de la demanderesse. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

[22]  Le demandeur a également fait valoir que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives sur l’OSIGEG. La Cour ne partage pas ce point de vue, car l’agent n’était pas tenu, dans le cadre d’un ERAR, d’appliquer ces directives à l’orientation sexuelle du demandeur (Mudiyanselage, au paragraphe 28). Au contraire, « [l]es présentes directives se penchent sur les difficultés particulières auxquelles les personnes ayant diverses OSIGEG peuvent être exposées lorsqu'elles présentent leur cas devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), et elles établissent des principes directeurs à l'intention des décideurs dans le règlement des affaires où l’OSIGEG entre en jeu. » [Non souligné dans l’original.]

[23]  À l’appui de ses observations, le demandeur se fonde sur la jurisprudence antérieure (plus précisément les décisions Zmari, Howard, Balogh et Majali) pour démontrer que, selon la Cour, dans ces autres affaires, les décisions en cause ont été pour les agents d’ERAR une façon de tirer des conclusions voilées quant à la crédibilité. La Cour estime que cette jurisprudence diffère clairement de l’espèce. Dans ces autres décisions, les agents d’ERAR ont fait des commentaires sur les preuves corroborantes présentées par les demandeurs, ou ont effectué une comparaison entre les déclarations des demandeurs et les éléments de preuve contenus dans le DCT. Par exemple, la présente demande de contrôle judiciaire ne vise pas une décision d’ERAR dans le cadre de laquelle l’agent a relevé des incohérences avec les renseignements fournis par le demandeur, mettant par conséquent en doute la véracité de la déclaration du demandeur (Balogh, au paragraphe 29). En l’espèce, si ce n’est sa demande d’ERAR, le demandeur n’a fourni à l’agent aucun élément de preuve à l’appui de ses prétentions.

B.  L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte des « raisons impérieuses» évoquées au paragraphe 108(4) de la LIPR?

[24]  La Cour souscrit aux observations du défendeur. L’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse, car le paragraphe 108(4) de la LIPR n’est pas applicable à la situation du demandeur. Il ressort du dossier que le demandeur avait présenté une demande d’asile, mais que sa demande avait tout simplement été rejetée par la CISR qui l’a jugé interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité. Comme la Cour l’a établi précédemment, « l’exception prévue par cette disposition ne s’adresse qu’aux personnes dont la qualité de réfugié a précédemment été reconnue » (Cardenas, au paragraphe 28). Ce n’est pas le cas en l’espèce. La demande d’asile déposée par le demandeur avait été rejetée par la CISR; en conséquence, la question de la présentation de nouveaux éléments de preuve à l’agent d’ERAR n’était pas pertinente en l’espèce. Le demandeur a cité plusieurs décisions qui n’étaient pas non plus pertinentes en l’espèce puisqu’elles concernent des demandes de contrôle judiciaire visant des décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[25]  La Cour ne constate aucune erreur dans les conclusions de l’agent. La décision de l’agent est raisonnable et appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

VIII.  Conclusion

[26]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑751‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de décembre 2018.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑751‑18

 

INTITULÉ :

ABDULLAHI HASHI FARAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2018

 

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Grohmueller

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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