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Dossier : T-1616-17

Référence : 2018 CF 1179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ALEX MARTINEZ

demandeur

et

CENTRE DE LA SÉCURITÉ DES TÉLÉCOMMUNICATIONS (CST)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, M. Martinez, demande le contrôle judiciaire de la réponse qu’il a reçue du défendeur, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), à la suite de sa demande d’accès à ses renseignements personnels. Il dépose la présente demande en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21.

II.  Le contexte

[2]  Le 26 janvier 2017, M. Martinez a écrit au CST pour demander les renseignements suivants :

[traduction]

Veuillez me remettre les copies électroniques de tous les dossiers, y compris les dossiers d’enquête, les notes des agents, les documents et les registres de surveillance audio et vidéo qui sont à mon nom et en la possession du Centre de la sécurité des télécommunications. Cela comprend les documents créés par le ministère de la Défense nationale, la Gendarmerie royale du Canada, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et envoyés ou reçus par eux. Tous ces organismes ont contribué et participé aux enquêtes internes. Je n’ai pas d’antécédents judiciaires, et aucun organisme ou service de police national ou international ne dispose de dossier d’abus à mon sujet.

[3]  Dans sa lettre adressée au CST, M. Martinez déclare qu’il est un [traduction] « ancien consultant assermenté pour le gouvernement de la Colombie‑Britannique et le gouvernement du Manitoba ayant participé à une affaire de lutte contre la corruption et à une enquête interne au [CST] ». Il déclare également que la recherche [traduction] « s’inscrit dans le cadre d’une recherche nationale et internationale en vue de trouver les personnes qui sont responsables de ces infractions et qui ont ouvert de faux dossiers au Canada et à l’étranger ».

[4]  Après la réception de la demande, le CST a demandé à M. Martinez de préciser à quel endroit il fallait chercher les renseignements demandés. Pour l’aider, le CST a communiqué à M. Martinez un lien Internet qui comportait une liste de fichiers de renseignements personnels (FRP) qui s’appliquaient au CST. Le 8 février 2017, M. Martinez a envoyé un courriel au CST dans lequel il consentait au libellé révisé proposé par le CST. La demande révisée est rédigée comme suit :

[traduction]

Demande visant tous les renseignements concernant Alex Martinez contenus dans les fichiers de renseignements personnels PPU 040 (Fichiers concernant le renseignement étranger), PPU 007 (Cyberdéfense) et POU 913 (Divulgation aux organismes d’enquête).

[5]  Dans une lettre datée du 10 mars 2017, le CST a répondu ainsi à la demande de M. Martinez :

[traduction]

Conformément au paragraphe 16(2) de la Loi, le CST refuse de confirmer ou de nier l’existence de documents dans le fichier PPU 040 (Fichiers concernant le renseignement étranger). Nous vous avisons que, comme l’exige l’alinéa 16(1)b) de la [Loi sur la protection des renseignements personnels], ces documents, s’ils existaient, pourraient raisonnablement faire l’objet d’une exception en vertu de l’article 21 de la [Loi sur la protection des renseignements personnels]. Aucun document n’a été trouvé dans le fichier POU 913 (Divulgation aux organismes d’enquête) ni dans le fichier PPU 007 (Cyberdéfense).

Vous avez le droit de déposer une plainte concernant le traitement de votre demande auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

[6]  M. Martinez a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le Commissariat), affirmant que le CST l’avait indûment privé de son droit d’accès à ses renseignements personnels prévu par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il soutient que le CST a contrevenu aux dispositions sur l’accès de la Loi sur la protection des renseignements personnels en omettant de communiquer les renseignements qu’il avait demandés, en refusant de confirmer ou de nier l’existence des renseignements ou en soutenant que les renseignements n’existent pas dans ses dossiers.

[7]  Le Commissariat a enquêté sur la plainte de M. Martinez et a conclu qu’elle n’était pas fondée. Dans son Rapport de conclusions d’enquête daté du 13 septembre 2017, le Commissariat explique qu’il a examiné, dans le cadre de son enquête, la façon dont la demande de renseignements a été traitée et qu’il a estimé que les recherches effectuées pour trouver les documents demandés étaient appropriées. Il a ensuite examiné la validité des exceptions invoquées au titre des articles 16, 18 et 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et a conclu que le CST avait agi en conformité avec la loi lorsqu’il a répondu à M. Martinez.

[8]  Insatisfait de cette réponse, le 24 octobre 2017, M. Martinez a déposé une demande devant la Cour en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans l’affidavit qu’il a présenté à l’appui de sa demande, M. Martinez fait valoir que les documents demandés [traduction] « sont très importants pour corriger des erreurs et mettre au jour des actes criminels causés par la négligence criminelle et l’inconduite d’agents de services de police et d’organisations opposés ». À l’audience, il a soutenu qu’il avait besoin des renseignements demandés pour intenter des poursuites contre divers suspects, par suite de son enquête concernant l’utilisation abusive de certains systèmes de données par des employés du CST et d’autres organisations.

[9]  Le 12 janvier 2018, le CST a déposé une requête sous le régime des articles 46 et 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vue d’obtenir une ordonnance lui permettant de déposer des éléments de preuve et les documents en cause et de faire des observations écrites et orales à la Cour en l’absence d’une partie. La requête a été accueillie par le juge responsable de la gestion de l’instance le 7 mars 2018.

[10]  Par suite de l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance, le CST a déposé un affidavit confidentiel devant la Cour le 22 mars 2018 et un dossier confidentiel le 21 juin 2018. Après avoir eu la possibilité d’examiner les documents confidentiels, le 11 juillet 2018, j’ai présidé une audience ex parte à huis clos à Ottawa. Après cette audience ex parte à huis clos, j’ai donné une directive dans laquelle j’ai indiqué être convaincue qu’aucun autre renseignement ne pouvait être fourni à M. Martinez et, en conséquence, j’ai ordonné que l’affaire soit renvoyée à l’administrateur judiciaire afin qu’une audience soit fixée un jour où M. Martinez pouvait être présent.

[11]  Le 19 novembre 2018, j’ai présidé l’audience, qui s’est déroulée par téléconférence à la demande de M. Martinez. M. Martinez, qui se représentait lui-même, a eu la possibilité de présenter ses observations à la Cour et de répondre à celles présentées par l’avocate du CST. J’ai également tenté d’obtenir des précisions sur certaines des allégations formulées par M. Martinez pendant l’audience.

III.  Questions en litige

[12]  Après l’examen du dossier devant la Cour et des observations des deux parties, je conclus que les questions déterminantes dans la présente demande sont les suivantes :

IV.  Analyse

A.  La norme de contrôle et le fardeau de preuve

[13]  Lorsque la Cour examine la décision d’une institution fédérale de ne pas communiquer de renseignements personnels, elle doit procéder en deux (2) étapes. La première étape consiste à déterminer, selon la norme de la décision correcte, si les renseignements non communiqués sont visés par l’exception prévue par la loi. Si la Cour décide que l’institution fédérale s’est fondée correctement sur l’exception invoquée, elle doit alors déterminer si l’institution fédérale, lorsqu’elle a l’obligation légale de le faire, a exercé de manière appropriée son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements demandés. Cet examen est effectué en fonction de la norme de la décision raisonnable. Étant donné que la décision de ne pas communiquer les renseignements qui sont visés par l’exception invoquée repose en grande partie sur des faits et qu’elle s’accompagne d’une composante politique, la cour qui procède au contrôle doit faire preuve de retenue à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’institution fédérale (Edw. Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, aux paragraphes 96 à 100; VB c Canada (Procureur général), 2018 CF 394, au paragraphe 30 [VB]; Llewellyn c Service canadien du renseignement de sécurité, 2014 CF 432, au paragraphe 23 [Llewellyn]; Braunschweig c Canada (Sécurité publique), 2014 CF 218, au paragraphe 29 [Braunschweig].

[14]  En outre, la décision d’adopter une politique générale consistant à refuser de confirmer ou de nier l’existence d’un document au titre du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elle concerne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Ruby c Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589 (CAF), aux paragraphes 66 et 67, infirmée pour d’autres motifs par 2002 CSC 75; VB, au paragraphe 31; Westerhaug c Service canadien du renseignement de sécurité, 2009 CF 321, au paragraphe 17 [Westerhaug]; Dzevad Cemerlic MD c Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133 (CF), au paragraphe 44 [Cemerlic]).

[15]  Pour ce qui est du fardeau de preuve, l’article 47 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit clairement que celui-ci incombe à l’institution fédérale (Braunschweig, au paragraphe 30; Cemerlic, au paragraphe 12).

B.  Le CST a-t-il commis une erreur en informant M. Martinez que les FRP POU 913 et PPU 007 ne contenaient pas de renseignements personnels le concernant?

[16]  Le FRP PPU 007 est un fichier de renseignements personnels créé par le ministre de la Défense nationale. Il vise les renseignements personnels obtenus dans le cadre du mandat du CST prévu à l’alinéa 273.64(1)b) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5, soit de fournir des avis, des conseils et des services pour aider à protéger les renseignements électroniques et les infrastructures d’information importantes pour le gouvernement du Canada. Aux termes du paragraphe 273.64(2), les activités exercées dans le cadre de cette partie du mandat du CST ne peuvent viser des Canadiens ou toute personne au Canada et elles doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lors de l’utilisation et de la conservation des renseignements interceptés.

[17]  La version actuelle d’« Info Source : Sources de renseignements du gouvernement fédéral et sur les fonctionnaires fédéraux » [InfoSource], publiée par le CST conformément à l’article 11 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, décrit la nature des renseignements qui sont susceptibles de se trouver dans le FRP PPU 007 :

Centre de la sécurité des télécommunications (CST) – Cyberdéfense, CST PPU 007 Fichier de renseignements personnels

Le présent fichier est lié aux renseignements personnels que le CST pourrait recueillir au cours de ses activités d’évaluation à l’appui des organismes fédéraux, pour les aider à cerner, à isoler ou à prévenir les attaques contre les systèmes ou les réseaux informatiques du gouvernement du Canada. Les renseignements personnels recueillis peuvent comprendre le nom complet, l’adresse électronique, l’adresse IP et tout autre renseignement personnel connexe contenu dans les données de transmission et d’identification.

[18]  Pour ce qui est du FRP POU 913, il a été créé par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada [SCT]. Dans la version actuelle des « Renseignements sur les programmes et les fonds de renseignements », aussi publiés par le SCT conformément à l’article 11 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la nature des renseignements qui sont susceptibles de se trouver dans le FRP POU 913 est ainsi décrite :

Divulgation aux organismes d’enquête

Ce fichier décrit des renseignements personnels qui peuvent être demandés par un organisme d’enquête en vertu de l’alinéa 8(2)e) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou qui peuvent lui être divulgués. Les renseignements personnels peuvent inclure tous les éléments de renseignements personnels qu’une institution fédérale recueille à propos des personnes dans le cadre d’un programme ou d’une activité autorisé et qui pourraient être demandés ultérieurement par un organisme d’enquête figurant à l’annexe 2 du Règlement sur la protection des renseignements personnels.

[19]  Dans son affidavit signé le 16 mars 2018, le directeur, Divulgation, politiques et examen, de la Direction de la politique opérationnelle et d’entreprise du CST (le directeur) indique que des recherches approfondies et appropriées ont été menées dans les FRP POU 913 et PPU 007 et qu’aucun renseignement personnel concernant M. Martinez n’a été trouvé.

[20]  En outre, le Commissariat a aussi conclu que la recherche effectuée par le CST pour trouver les documents demandés était appropriée.

[21]  Selon la preuve dont je dispose, je suis convaincue que le CST n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a répondu à M. Martinez que les FRP POU 913 et PPU 007 ne contenaient pas de renseignements personnels le concernant.

C.  Le CST s’est-il appuyé raisonnablement sur le paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels concernant M. Martinez dans le FRP PPU 040?

[22]  L’article 18 de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet au gouverneur en conseil de classer parmi les fichiers inconsultables les FRP qui sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Braunschweig, au paragraphe 43). Au titre du paragraphe 18(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés qui sont versés dans des fichiers inconsultables.

[23]  En l’espèce, le gouverneur en conseil a classé le FRP PPU 040 comme un fichier inconsultable sur le fondement de l’article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (voir le Décret classant comme fichier de renseignements personnels inconsultables les dossiers du renseignement et de la sécurité, no DN-P70, désigné sous le nom Décret no 5 sur les fichiers de renseignements personnels inconsultables (DN), publié dans la Gazette du Canada, partie II, volume 119, numéro 1 (DORS 85-38)).

[24]  L’article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels « dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada [...] ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives [...] ».

[25]  La version actuelle d’Info Source décrit ainsi le FRP PPU 040 :

Fichiers concernant le renseignement étranger, CST PPU 040 Fichier de renseignements personnels

Description : Ce fichier contient des renseignements personnels liés à de l’information sensible sur la sécurité du Canada, ses relations internationales et ses moyens de défense.

Remarque : Ce fichier est désigné par le gouverneur en conseil comme étant un fichier inconsultable, et ce conformément à l’article 18(1) de la Loi sur les renseignements personnels basé sur l’article 21 de la Loi. Le CST a reçu de la part du ministère de la Défense nationale ce fichier de renseignements personnels.

Catégorie des personnes : Ce fichier s’applique au grand public.

But : Ces renseignements servent à informer le gouvernement des questions portant sur la défense, la sécurité et les affaires internationales.

Usages compatibles : Il n’y a aucun usage compatible.

Normes de conservation et de destruction : L’information de ce fichier est conservée indéfiniment.

No ADD : 98/005

Renvoi au document no : CST MIS 080

Enregistrement (SCT) : 20130231

Numéro de fichier : CST PPU 040

[26]  Dans son affidavit signé le 16 mars 2018, le directeur traite de la nature et de l’objet des renseignements figurant dans le FRP PPU 040 :

[traduction]

27.  Comme on peut le voir de sa description (Info Source), le fichier inconsultable CST PPU 040 contient de façon prédominante des renseignements sensibles sur la sécurité nationale de la nature de ceux décrits à l’article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, à savoir des renseignements personnels liés à des aspects sensibles des relations internationales, de la sécurité et de la défense du Canada.

28.  Les renseignements contenus dans le fichier CST PPU 040 visent à appuyer les opérations de collecte de renseignements étrangers du CST, y compris des renseignements sur la cible des opérations et des activités de renseignement du CST se rapportant à des étrangers – particuliers, États, organisations ou groupes terroristes –, qui ont des conséquences pour les affaires internationales, la défense ou la sécurité du Canada. […]

[27]  À l’instar du Commissariat, je suis convaincue que le FRP PPU 040 est un fichier inconsultable aux termes de l’article 18 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et que, si des renseignements personnels concernant M. Martinez existaient dans le FRP PPU 040, ils pourraient raisonnablement être visés par l’exception prévue à l’article 21 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[28]  Dans sa réponse à M. Martinez, le CST a invoqué le paragraphe 16(2) pour refuser de confirmer ou de nier l’existence des documents figurant dans le FRP PPU 040.

[29]  La question de savoir si une institution fédérale peut ou non adopter une politique consistant à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements est bien établie dans la jurisprudence (Braunschweig, au paragraphe 45). Bien que la mise en œuvre d’une telle politique nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, ce dernier doit être exercé d’une manière raisonnable compte tenu des circonstances (Cemerlic, au paragraphe 44).

[30]  Dans l’arrêt Ruby, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption d’une politique consistant à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements dans un fichier de renseignements personnels était raisonnable étant donné la nature du fichier de renseignements en question. Le simple fait de divulguer si l’institution détient ou non des renseignements sur un particulier permettrait à ce dernier de savoir s’il fait ou non l’objet d’une enquête (Ruby, au paragraphe 65). La Cour a fourni les explications supplémentaires suivantes au paragraphe 66 :

[…] Ailleurs dans la Loi, le gouvernement s’est vu conférer des pouvoirs étendus visant à protéger le caractère secret des fichiers ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois lorsque la chose est jugée opportune. En offrant le choix énoncé au paragraphe 16(2), à savoir refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels, le législateur a prévu un mécanisme additionnel, en donnant aux institutions fédérales la possibilité d’assurer la confidentialité des documents non seulement quant à leur contenu, mais aussi quant à leur existence. Étant donné que les espions et les criminels jouent au chat et à la souris avec les organismes d’application de la loi, si l’organisme en cause estimait être tenu de divulguer des renseignements dans certaines circonstances, cela permettrait de faire des conjectures raisonnées au sujet du contenu des fichiers de renseignements en se fondant sur le genre de réponses données. Cette menace est éliminée par l’adoption de la politique générale voulant que l’on refuse toujours de confirmer l’existence de renseignements personnels.

[31]  Le droit de l’institution fédérale de refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels, conformément au paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, a été confirmé par la Cour (voir Braunschweig, aux paragraphes 45 et 48; Llewellyn, aux paragraphes 35 et 36; Westerhaug, aux paragraphes 17 et 18; Fuda c Canada (Gendarmerie royale), 2003 CFPI 234, aux paragraphes 30 à 32; Cemerlic, aux paragraphes 44 et 45).

[32]  En l’espèce, le directeur traite dans son affidavit de la nature du préjudice qui pourrait survenir si le CST devait reconnaître l’existence de renseignements dans le FRP PPU 040 :

[traduction]

28.  […] Le fait de reconnaître l’existence de renseignements permettrait à une personne de savoir que ses activités, ainsi que celle de ses associés, ont été visées par les opérations de collecte de renseignements étrangers du CST, ce qui permettrait aux cibles de prendre certaines mesures et compromettrait la capacité du CST de réaliser son mandat.

29.  Le fait pour le CST de divulguer s’il possède ou non les renseignements demandés pourrait avoir des répercussions sur les opérations du CST et sur sa capacité de recueillir des renseignements étrangers. Cette divulgation est susceptible de compromettre la capacité du CST de recueillir des renseignements étrangers importants et de les fournir au gouvernement du Canada, conformément à ses priorités en matière de renseignement, ce qui nuirait aux relations internationales, à la défense nationale et à la sécurité du Canada.

30.  Il existe la possibilité qu’un préjudice plus grave survienne si un ou plusieurs renseignements sont examinés hors contexte, c’est-à-dire sans savoir comment ils pourraient s’agencer avec d’autres renseignements pour donner une vue d’ensemble à ceux qui cherchent à obtenir des renseignements liés aux opérations du CST. Bien que la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence de renseignements dans un cas puisse ne pas être importante, si une divulgation de ce genre était faite régulièrement, elle menacerait l’intégrité des opérations du CST et nuirait à sa capacité de réaliser son mandat.

31.  Par conséquent, la réponse à la demande de renseignements personnels doit être la même, que les renseignements existent ou non : le CST doit refuser de confirmer ou de nier l’existence des renseignements contenus dans le FRP PPU 040.

[33]  Selon la preuve dont je dispose, je suis convaincue que le CST a exercé de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire pour adopter une politique consistant à ne pas confirmer ou nier l’existence des renseignements personnels dans le FRP PPI 040.

[34]  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de l’issue de la demande, il n’est pas nécessaire que j’aborde l’autre réparation demandée par M. Martinez, à savoir [traduction] « une ordonnance et une injonction en vue de la cessation de toutes les activités d’enquête, de suppression, d’observation et de surveillance au Canada et à l’étranger » et l’adjudication [traduction] « de dépens et de dommages-intérêts » d’un montant de 9 000 000 $.

[35]  Pour ce qui est des dépens, le CST demande des dépens et des débours de 6 051 $. M. Martinez s’y oppose pour les motifs suivants : i) les dépens ont été engagés abusivement en raison d’une inconduite ou sans motif valable; ii) le CST a des ressources illimitées pour couvrir les frais des avocats et l’adjudication des dépens constituerait donc un abus de pouvoir puisque M. Martinez est sans revenu depuis 2012; et iii) compte tenu du budget, du pouvoir et de la portée du CST ainsi que du fait que M. Martinez [traduction] « a contribué à exposer la corruption et le scandale au sein de l’organisation, ce qui a par la suite sauvé plusieurs employés et cadres », le mémoire de frais constitue [traduction] « une “négligence proportionnelle” manifeste, un “abus de procédure” et il est “frivole et vexatoire” ».

[36]  Le paragraphe 52(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que l’adjudication des dépens est laissée à l’appréciation de la Cour et suit, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, j’ai décidé, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, de ne pas adjuger de dépens.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


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