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Date : 20181204


Dossier : T‑1395‑18

Référence : 2018 CF 1213

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ATP NUTRITION LTD.

demanderesse

et

AMERICAN FORESTRY ASSOCIATION FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’AMERICAN FORESTS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente fait suite à une requête datée du 6 septembre 2018, déposée par les avocats de la demanderesse et instruite à Winnipeg (Manitoba) le 9 octobre 2018 visant à obtenir :

  • a) une ordonnance au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, autorisant la demanderesse à présenter une demande de contrôle judiciaire plus de 30 jours après la date de la première communication de la décision;

  • b) une déclaration portant que la défenderesse n’est pas une « autorité publique » au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13;

  • c) une ordonnance au titre des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales annulant la décision;

  • d) une déclaration portant que l’avis public concernant la marque de commerce RELEAF, publié dans le Journal des marques de commerce du 26 mai 1999, volume 46, numéro 2326, ne donne lieu à aucun droit ni à aucune interdiction sous le régime des articles 9, 11 et 12 de la Loi sur les marques de commerce;

  • e) une déclaration portant que la marque de commerce officielle contestée est invalide et nulle ab initio;

  • f) les dépens relatifs à la présente demande;

  • g) toute autre réparation que la Cour estime juste.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse ATP Nutrition Ltd. est une société constituée en personne morale dans la province de l’Ontario et inscrite à l’extérieur de la province afin de pouvoir mener des activités au Manitoba, où son établissement principal est situé à Oak Bluff.

[3]  La défenderesse est une association de conservation à but non lucratif établie à Washington, D.C.

[4]  Le 4 février 1998, aux termes du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, la demanderesse a demandé au registraire de donner un avis public de sa présumée adoption et de son emploi de RELEAF comme marque officielle en liaison avec ses services au Canada, sous le numéro de série 909 685. Le registraire a donné un avis public concernant cette marque officielle dans le Journal des marques de commerce du 26 mai 1999 (volume 46, numéro 2326).

[5]  Le 31 décembre 2014, la demanderesse a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce RELEAF auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) (demande no 1 709 197). L’examinateur a rendu son rapport le 29 juillet 2015, dans lequel il a conclu que la marque de commerce de la demanderesse était interdite par le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (marque adoptée et employée par une autorité publique) et que, selon l’alinéa 12(1)e), la marque de commerce de la demanderesse n’était pas enregistrable.

[6]  La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du registraire le 17 juillet 2018.

[7]  La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution après avoir reçu signification de l’avis de demande le 25 juillet 2018. Celui‑ci a été signifié au directeur des communications de la défenderesse, Christopher Horn, à Washington, D.C. Une preuve détaillée de la signification à la défenderesse a été déposée à la Cour.

[8]  La demanderesse a indiqué qu’elle avait précédemment communiqué avec Christopher Horn concernant la présente affaire. Elle a communiqué avec lui par courriel, par téléphone et par la poste afin d’obtenir son consentement.

[9]  La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution et n’a pas participé à la demande. Aux termes de l’article 145 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, il n’est pas nécessaire de signifier d’autres documents au défendeur dans le cadre de l’instance si celui‑ci n’a pas déposé d’avis de comparution. En l’espèce, la défenderesse n’a pas indiqué qu’elle souhaitait participer à l’instance en déposant un avis de comparution.

[10]  Vu les circonstances très uniques de l’espèce, je procéderai à une audience ex parte, sans la défenderesse, étant donné la jurisprudence pertinente à cet égard et la réparation demandée. Je suis convaincue que la demanderesse procède de bonne foi et a déployé des efforts de bonne foi pour communiquer avec la défenderesse, et que cette dernière a choisi de ne pas participer à l’instance. Il s’agit d’un des rares cas où cela me convainc qu’il est approprié de procéder à une audience ex parte.

A.  Prorogation du délai

[11]  Avant de procéder à l’analyse du bien‑fondé de la demande, je dois déterminer si la demanderesse peut obtenir une prorogation du délai pour présenter la demande. L’article 56 de la Loi sur les marques de commerce prévoit que l’appel de toute décision rendue par le registraire sous le régime de la Loi sur les marques de commerce doit être interjeté dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales indique toutefois qu’une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours. En l’espèce, cela n’a pas d’importance, car la demanderesse a dépassé les deux délais et sollicite une prorogation.

[12]  Le critère applicable en matière de prorogation de délai est établi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 (Larkman), au paragraphe 61 :

(1) Le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2) La demande a‑t‑elle un certain fondement?

(3) La Couronne [la défenderesse] a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard?

(4) Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[13]  Aucun des facteurs n’a plus de poids que les autres. J’examinerai chacun d’eux ci‑dessous.

[14]  La demanderesse indique qu’elle n’a été mise au courant de la décision qu’en 2015, lorsque la marque de commerce officielle de la défenderesse a été citée dans le rapport de l’examinateur. La demanderesse a fourni quelques raisons expliquant pourquoi la requête a été présentée seulement trois ans après qu’elle a pris connaissance de la décision. Elle a indiqué que le retard était partiellement attribuable au fait qu’elle a déployé des efforts pour communiquer avec la défenderesse en vue de régler cette affaire sur consentement. La demanderesse a également invoqué la décision rendue par le juge Muldoon dans l’affaire Mihaljevic c British Columbia (1988), 22 FTR 59 (CF 1re inst.); conf. par (1990), 34 CPR (3d) 54 (CAF), selon laquelle une fois que le registraire a donné un avis public, la marque de commerce officielle est pratiquement irrévocable, de sorte que le contrôle judiciaire est le seul recours possible.

[15]  Je conclus que la défenderesse n’a pas subi de préjudice dans la mesure où elle a choisi de ne pas participer à l’instance. Par contre, la demanderesse subirait un grave préjudice si la demande de prorogation du délai était refusée.

[16]  Enfin, la demande a un fondement solide, compte tenu de la jurisprudence.

[17]  Étant donné ce qui précède, j’accueillerai la demande de prorogation du délai pour signifier et déposer l’avis de demande.

III.  Analyse

A.  Autorité publique au Canada

[18]  Les dispositions législatives applicables sont les suivantes :

Marques interdites

9 (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

(i) adopté ou employé par l’une des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,

(ii) d’une université,

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des produits ou services,

Prohibited marks

9 (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade‑mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

(n) any badge, crest, emblem or mark

(i) adopted or used by any of Her Majesty’s Forces as defined in the National Defence Act,

(ii) of any university, or

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for goods or services

Marques de commerce enregistrables

Marque de commerce enregistrable

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

Registrable Trade‑marks

When trade‑mark registrable

12 (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

[19]  La norme de contrôle applicable aux décisions du registraire est celle de la décision raisonnable (Starbucks (HK) c Trinity Television Inc, 2016 CF 790, au paragraphe 10).

[20]  Avant la décision rendue par la juge Mactavish dans l’affaire Société canadienne des postes c United States Postal Service, 2005 CF 1630 (Postes Canada), subséquemment confirmée par la Cour d’appel fédérale (United States Postal Service c Société canadienne des postes, 2007 CAF 10), le registraire du Bureau des marques de commerce acceptait les demandes présentées en vertu de l’article 9 par des sociétés étrangères si ces dernières étaient contrôlées par des gouvernements étrangers, des universités étrangères ou d’autres autorités publiques étrangères.

[21]  Or, depuis la décision Postes Canada, cette interprétation est invalide et la jurisprudence énonce clairement qu’une « autorité publique », au sens de la Loi sur les marques de commerce, doit être une entité assujettie à un contrôle exercé par le gouvernement du Canada.

[22]  La défenderesse est constituée en personne morale et située aux États‑Unis, et, d’après la preuve au dossier elle n’a aucun lien avec le gouvernement du Canada ni ne reçoit de financement de la part de celui‑ci.

[23]  Les documents provenant de la défenderesse font mention de plusieurs États américains, mais ne mentionnent aucune province canadienne. Un autre exemple démontrant que la défenderesse n’a des liens qu’avec les États‑Unis est le fait que les documents indiquent qu’American Forests a planté près de 60 millions d’arbres dans le cadre de projets de restauration de la forêt dans l’ensemble des 50 États.

[24]  Les documents tirés du site Web de la défenderesse parlent du Congrès des États‑Unis, mais pas du gouvernement du Canada. Tous les comités scientifiques consultatifs sont situés aux États‑Unis. Les documents produits par la défenderesse ne mentionnent que les gouvernements fédéral, étatiques ou locaux des États‑Unis. Il n’y a aucune mention des gouvernements provinciaux du Canada.

[25]  Je conclus que le gouvernement auquel la défenderesse renvoie est celui des États‑Unis et non celui du Canada. Rien n’indique que le gouvernement du Canada fournit un financement ou qu’il exerce un contrôle quelconque sur la défenderesse. Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant un soutien ou un contrôle de la part du gouvernement du Canada.

[26]  L’OPIC a rendu sa décision en 1998, avant l’affaire Postes Canada de 2005. Donc, même s’il n’était fait aucune mention d’un contrôle par le gouvernement du Canada et que seul le gouvernement américain exerçait un contrôle sur la société, le registraire a conclu qu’il s’agissait d’une autorité publique.

[27]  Je conclus que la défenderesse n’est pas une autorité publique au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. La défenderesse est réglementée par le gouvernement des États‑Unis et ne fait pas l’objet d’un contrôle ou d’un financement par le gouvernement du Canada. Par conséquent, la décision du registraire est déraisonnable, car la défenderesse n’est pas une autorité publique au Canada, et il était déraisonnable pour le registraire de conclure que la défenderesse était une autorité publique.

[28]  Pour ces motifs, j’accueillerai la demande.

[29]  À l’audience, la demanderesse a indiqué qu’elle ne demandait pas de dépens; je n’en adjugerai donc aucuns.


JUGEMENT dans le dossier T‑1395‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. En vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, la demanderesse est autorisée à présenter sa demande de contrôle judiciaire plus de trente (30) jours après la date de la première communication de la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public de l’adoption et de l’emploi de RELEAF comme marque de commerce officielle dans le Journal des marques de commerce du 26 mai 1999, volume 46, numéro 2326.

  2. La décision du registraire d’autoriser l’adoption et l’emploi, par la défenderesse, de RELEAF comme marque de commerce officielle est par la présente annulée.

  3. La défenderesse n’est pas une « autorité publique » au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

  4. L’avis public de l’adoption et de l’emploi de RELEAF comme marque de commerce officielle ne donne lieu à aucun droit ni à aucune interdiction au titre des articles 9, 11 et 12 de la Loi sur les marques de commerce.

  5. La marque de commerce officielle contestée, RELEAF, est invalide et nulle ab initio.

  6. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de décembre 2018

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1395‑18

 

INTITULÉ :

ATP NUTRITION LTD. C AMERICAN FORESTRY ASSOCIATION FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’AMERICAN FORESTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 9 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Robert A. Watchman

Julia K. E. Ryckman

POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PITBLADO LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

pour la demanderesse

 

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